1 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Introduction. Le sentiment de l’Europe centrale
1 Introduction Le sentiment de l’Europe centrale Un accord sans résolution Il arrive qu’au so
2 ution Il arrive qu’au sortir de Paris le train de banlieue qui emmène son chargement de somnambules énervés de fumée et
3 is le train de banlieue qui emmène son chargement de somnambules énervés de fumée et qui se cachent dans les journaux du s
4 qui emmène son chargement de somnambules énervés de fumée et qui se cachent dans les journaux du soir, soit lentement dou
5 naux du soir, soit lentement doublé par le rapide de Bretagne. Ce long passage lumineux des vacances, traînée d’espoirs dé
6 e. Ce long passage lumineux des vacances, traînée d’ espoirs délivrés qui nous frôle, éveille chez ceux qui restent un sent
7 éveille chez ceux qui restent un sentiment confus d’ exil et de plaisir dont souvent j’ai cru distinguer la contagion dans
8 ez ceux qui restent un sentiment confus d’exil et de plaisir dont souvent j’ai cru distinguer la contagion dans le regard
9 t j’ai cru distinguer la contagion dans le regard de mes voisins. Ainsi d’autres fois j’ai vibré au passage des rapides de
10 i d’autres fois j’ai vibré au passage des rapides de l’Europe centrale ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais d’u
11 assage des rapides de l’Europe centrale ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais d’une fièvre brève qui révélait la
12 e ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais d’ une fièvre brève qui révélait la trouble densité de l’atmosphère. La r
13 ’une fièvre brève qui révélait la trouble densité de l’atmosphère. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée d’Innsbru
14 ait la trouble densité de l’atmosphère. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée d’Innsbruck figure dans mes songerie
15 re. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée d’ Innsbruck figure dans mes songeries le passage du « Sturm and Drang »
16 kilomètres à l’heure. ⁂ L’Europe centrale est une de ces réalités qu’on reconnaît d’abord par leur frisson particulier. Ma
17 nt alors des images champêtres, les toits pointus d’ un bourg au sein d’une vallée de verdure et de vergers — c’est la Soua
18 les toits pointus d’un bourg au sein d’une vallée de verdure et de vergers — c’est la Souabe, la Thuringe, la vie bourgeoi
19 tus d’un bourg au sein d’une vallée de verdure et de vergers — c’est la Souabe, la Thuringe, la vie bourgeoise ; — puis le
20 Thuringe, la vie bourgeoise ; — puis le contraste d’ un massif central de sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté
21 rgeoise ; — puis le contraste d’un massif central de sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté du continent, — cet
22 uis le contraste d’un massif central de sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté du continent, — cette région esc
23 Prague, qui forme le décor voluptueux et lugubre de tant de drames nourris de solitude ; et puis des plaines qui se perde
24 r voluptueux et lugubre de tant de drames nourris de solitude ; et puis des plaines qui se perdent en steppes — démesure e
25 lle part la « province ». Elles condensent la vie de leur contrée, en donnent la visible formule, petites capitales enraci
26 certaines, selon l’égarement du temps, tentèrent de vivre par elles-mêmes. Elles retirent les parcs qui les alliaient à l
27 cs qui les alliaient à la campagne, se ceinturent d’ usines, et prennent aussitôt cette fièvre caractéristique des organism
28 vre caractéristique des organismes humains isolés de la vie végétale. C’est ainsi que Berlin réglemente la circulation de
29 C’est ainsi que Berlin réglemente la circulation de ses ferments de tristesses intellectuelles, sur une petite superficie
30 Berlin réglemente la circulation de ses ferments de tristesses intellectuelles, sur une petite superficie minérale où la
31 uilibrent, violence et mélancolie, paysages-états d’ âme imposant tour à tour le cynisme ou la bonhomie, tout cela baigne d
32 la baigne dans une inguérissable nostalgie, celle d’ un grand accord complexe qui chercherait en vain sa résolution. ⁂ M’at
33 aphie sentimentale, j’avais un temps conçu l’idée d’ établir une Carte du Tendre de la nouvelle Europe centrale. Il semblai
34 temps conçu l’idée d’établir une Carte du Tendre de la nouvelle Europe centrale. Il semblait que les noms des traités de
35 pe centrale. Il semblait que les noms des traités de 19, Versailles, Trianon, convenaient mieux au rococo des sentiments q
36 re part, flattait un certain goût du graphique et de l’imagerie stylisée qu’à la réflexion je trouvai trop spécifiquement
37 i trop spécifiquement français pour rendre compte d’ une réalité qui, justement, m’attirait comme une étrangère. Néanmoins,
38 esque et défini, au goût du temps, les frontières de certains pays dont on venait à peine de reconnaître l’existence légal
39 férai soudain monter dans un express. Pour guérir de Descartes, il n’est que d’aimer en voyage : l’on découvre bientôt que
40 n express. Pour guérir de Descartes, il n’est que d’ aimer en voyage : l’on découvre bientôt que rien n’est comparable. Que
41 t que rien n’est comparable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des dé
42 n’est comparable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des désirs sans
43 arable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des désirs sans fins, et qu
44 sentiments ou des désirs sans fins, et qui n’ont de réalité qu’en un cœur, lorsqu’il aime1 ? Tout devenait incompréhensib
45 chemin, nulle distance mesurable, ne conduisaient de Tendre-sur-Noblesse à Saint-Masoch-en-Démonie, mais tout se mêlait gl
46 t « paradoxe », tels sont peut-être les mots-clés de l’Europe sentimentale. Pourquoi faut-il que notre langue les traduise
47 ise, en vertu d’une convention qu’il serait temps de réviser, par « démesure » et « confusion » ? Car il est trop certain
48 certain que le mot démesure désigne dans l’esprit d’ un bourgeois cartésien quelque chose dont il convient de se gausser sa
49 ourgeois cartésien quelque chose dont il convient de se gausser sans examen. Mais une exacte traduction ne servirait au fo
50 on ne servirait au fond qu’à déplacer le prétexte d’ un malentendu plus tenace. Lorsqu’on parle de paradoxe, Tartempion se
51 exte d’un malentendu plus tenace. Lorsqu’on parle de paradoxe, Tartempion se souvient du café du Commerce, tandis que le p
52 e premier des Doktor phil. venu évoque le concept d’ ironie selon Jean-Paul, la dialectique selon Hegel, et peut-être la pa
53 dialectique selon Hegel, et peut-être la passion de Kierkegaard. Mais alors M. Truc parle des « brumes nordiques » ! Car
54 ques » ! Car la métamorphose a pour effet certain de rendre tout légalisme inefficace — il n’y a jugement possible que du
55 sse renaissant au contact des éléments inférieurs de deux mondes dont la synthèse constituerait la gloire de ce temps, et,
56 x mondes dont la synthèse constituerait la gloire de ce temps, et, accessoirement, notre salut. Parmi les traits tout quot
57 nt, notre salut. Parmi les traits tout quotidiens de la mentalité germanique, les plus frappants apparaissent déterminés p
58 morale du titanisme. Or elle implique la réalité de la métamorphose. Les autres traits relèvent d’un sentimentalisme part
59 té de la métamorphose. Les autres traits relèvent d’ un sentimentalisme particulier, synthèse « paradoxale » et jamais suff
60 arguments sanglants. Et s’il est des domaines où de nos jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie de nuances vaine
61 jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie de nuances vaines et la décision, même brutale, l’on ne saurait ici serr
62 écision, même brutale, l’on ne saurait ici serrer de trop près les origines secrètes d’un phénomène qui produit ses effets
63 ait ici serrer de trop près les origines secrètes d’ un phénomène qui produit ses effets sur tous les plans, celui de la gu
64 qui produit ses effets sur tous les plans, celui de la guerre y compris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide d’u
65 ns, celui de la guerre y compris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide d’un seul exemple. L’Allemand, dit-on, est
66 ris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide d’ un seul exemple. L’Allemand, dit-on, est brutal ; le Français malin. D
67 t-on, est brutal ; le Français malin. Deux traits de caractère dont les manifestations quotidiennes, dans le domaine du se
68 ent que l’on traduit en s’accusant réciproquement de mensonge chronique. Et de fait, la brutalité paraît fausse, parce qu’
69 accusant réciproquement de mensonge chronique. Et de fait, la brutalité paraît fausse, parce qu’elle impose un ordre arbit
70 parce qu’elle impose un ordre arbitraire au prix d’ un désordre. Mais à l’Allemand, cette sorte-là de mensonge n’est guère
71 d’un désordre. Mais à l’Allemand, cette sorte-là de mensonge n’est guère sensible : la vérité pour lui étant ce qui s’imp
72 pose. Confusion liée au mouvement le plus profond de l’âme allemande, qui la porte à la création volontaire, titanique, du
73 t fausse, parce qu’elle se sert du mensonge comme d’ une arme normale. La brutalité du moins est loyale jusque dans ses exc
74 n’est pas mythique. Il ne crée ni ne fausse rien d’ essentiel à la réalité. Le système D n’est pas un système philosophiqu
75 fondamentales divergentes, dont il serait facile de suivre les manifestations dans les domaines les plus variés de l’être
76 manifestations dans les domaines les plus variés de l’être. Qu’on ne voie pas ici quelque facile généralisation, mais bie
77 facile généralisation, mais bien plutôt un essai de spécification. Je pense, comme vous, qu’il existe quantité d’Allemand
78 tion. Je pense, comme vous, qu’il existe quantité d’ Allemands et de Français pour lesquels la distinction que l’on vient d
79 comme vous, qu’il existe quantité d’Allemands et de Français pour lesquels la distinction que l’on vient d’établir ne vau
80 nçais pour lesquels la distinction que l’on vient d’ établir ne vaut rien : il est même probable qu’ils forment la majorité
81 orment la majorité, car peu de gens sont typiques de quoi que ce soit. Il reste que certains tours de pensée ne sont vérit
82 de quoi que ce soit. Il reste que certains tours de pensée ne sont véritablement réalisables qu’au sein d’un ensemble org
83 nt réalisables qu’au sein d’un ensemble organique de mœurs, de climat et d’ambitions collectives, ensemble que, tout indép
84 bles qu’au sein d’un ensemble organique de mœurs, de climat et d’ambitions collectives, ensemble que, tout indépendamment
85 in d’un ensemble organique de mœurs, de climat et d’ ambitions collectives, ensemble que, tout indépendamment des réalités
86 cesse, ou bien lorsqu’elle grandit soudain. Ainsi de la rumeur en nous du sang qui court ; ainsi de la respiration. Il n’y
87 si de la rumeur en nous du sang qui court ; ainsi de la respiration. Il n’y a conscience que du discontinu. Il n’y a senti
88 science que du discontinu. Il n’y a sentiment que de ce qui nous quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’êtr
89 quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’être nous déchire et nous ressuscite. À la naissance du sentiment,
90 e — en vain. Le sentiment mesure une défaillance de l’être. Mais ici, deux interprétations deviennent possibles. Selon l’
91 à toute réalité humaine ; elle est la marque même de sa validité, la preuve d’humanité pourrait-on dire. (On appelle inhum
92 elle est la marque même de sa validité, la preuve d’ humanité pourrait-on dire. (On appelle inhumain l’être qui ne sent rie
93 , elle indique seulement un défaut qu’il convient de guérir par des moyens appropriés, par une politique ou par une morale
94 part l’on tient la déficience pour essentielle ; de l’autre elle apparaît un accident fâcheux. Telles, peut-être, se déli
95 imitent la notion chrétienne et la notion antique de l’homme ; telles dans une certaine mesure, la notion germanique et la
96 il garde pour le moraliste latin la signification d’ un accident social réductible à l’ordre imposé. Passant à la limite du
97 la limite du sentiment, là où il prend une valeur d’ acte ou de jugement, l’on peut symboliser l’opposition des deux vision
98 du sentiment, là où il prend une valeur d’acte ou de jugement, l’on peut symboliser l’opposition des deux visions du monde
99 s deux visions du monde dans celle, plus précise, de deux notions du tragique. Le monde latin connaît un tragique aux arêt
100 ue. Le monde latin connaît un tragique aux arêtes de pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou de droits ; l’Europe c
101 tragique aux arêtes de pierre taillée : conflits d’ actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déch
102 aux arêtes de pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes »
103 de pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes » et sans nom
104 actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes » et sans nom qui font dans l’âme un bruit d
105 rantes » et sans nom qui font dans l’âme un bruit de vent mortel et caressant ; une qualité métaphysique et passionnée de
106 aressant ; une qualité métaphysique et passionnée de l’ « impossible », — qui dans ce sens, vraiment, n’est pas un mot fra
107 ent, n’est pas un mot français. En ceci, le monde de l’Europe centrale est plus chrétien que le monde latin — si l’on cons
108 e le monde latin — si l’on considère ses manières de sentir et de penser — qu’il est essentiellement antithétique, déchiré
109 tin — si l’on considère ses manières de sentir et de penser — qu’il est essentiellement antithétique, déchiré (« déchirant
110 déchiré (« déchirant ») et fondé sur cette vision de la réalité humaine : la vie est manque et compensation de ce manque ;
111 alité humaine : la vie est manque et compensation de ce manque ; contradictions et dépassement de ces contradictions2. Le
112 tion de ce manque ; contradictions et dépassement de ces contradictions2. Le monde latin, en tant que latin, étant un mond
113 Le monde latin, en tant que latin, étant un monde de l’unité (en vérité de l’unification à tout prix) est un monde « sécul
114 t que latin, étant un monde de l’unité (en vérité de l’unification à tout prix) est un monde « sécularisé » jusque dans se
115 cularisé » jusque dans ses modes les plus intimes de souffrir. Car il n’accepte pas la souffrance comme une condition de l
116 l n’accepte pas la souffrance comme une condition de la conscience du réel, mais la repousse comme le signe d’un manque à
117 nscience du réel, mais la repousse comme le signe d’ un manque à la loi. Il y a une contrepartie. Celui que hante le sens d
118 . Celui que hante le sens du péché — c’est-à-dire de la réalité humaine — celui-là résiste rarement à la tentation de cult
119 umaine — celui-là résiste rarement à la tentation de cultiver le péché. Car de la sorte, il s’imagine que sa réalité spiri
120 rarement à la tentation de cultiver le péché. Car de la sorte, il s’imagine que sa réalité spirituelle sera plus vive, son
121 ue essentiel. Calcul faux, comme tous les calculs de l’âme : le péché n’est réel que pour celui qui veut s’en arracher. To
122 ssance à une lâcheté singulière devant la vie. Né d’ un retard dans l’actualisation, il peut tourner alors en un refus chro
123 chronique. Et c’est en quoi le monde latin, monde de la spontanéité, est à son tour plus audacieux, et pour tout dire plus
124 eux, et pour tout dire plus chrétien que le monde de l’Europe centrale. L’intelligence est sentimentale Le sentiment
125 voici naître la conscience, c’est-à-dire, un état d’ intensité mortelle de la vie. Car la conscience de vivre implique une
126 ience, c’est-à-dire, un état d’intensité mortelle de la vie. Car la conscience de vivre implique une réflexion concrète qu
127 d’intensité mortelle de la vie. Car la conscience de vivre implique une réflexion concrète qui exalte la vie ; et dans le
128 tionalisme (mais nous vivons sur des distinctions de manuels). Il est même étonnant de constater combien exactement ces at
129 es distinctions de manuels). Il est même étonnant de constater combien exactement ces attitudes de l’esprit sont parallèle
130 ant de constater combien exactement ces attitudes de l’esprit sont parallèles. Toutes deux ont leur origine dans un perpét
131 leur origine dans un perpétuel et anxieux besoin de dire les choses, comme pour s’en assurer à la fois et s’en délecter3.
132 t que la taciturne réflexion romaine, la tournure d’ esprit sentencieuse et synthétique de l’esprit hindou. Et cela n’est p
133 la tournure d’esprit sentencieuse et synthétique de l’esprit hindou. Et cela n’est point trop théorique. Que l’on considè
134 ue l’on considère en effet le devenir dialectique de la pensée allemande depuis Goethe : c’est à l’Orient, d’instinct, que
135 ensée allemande depuis Goethe : c’est à l’Orient, d’ instinct, que cette pensée va demander non point seulement sa revanche
136 evenir. Ne pourrait-on pas voir une autre preuve de cette identité formelle dans l’observation suivante : au sortir de l’
137 ser, et borne son désir à l’immédiat. À la limite de la puissance, c’est la réaction goethéenne. Goethe en ce sens est bie
138 acte ; le sentiment à la mélancolie, par le refus de l’acte. Il en résulte que la sensualité germanique est plus conscient
139 ourne en sentiments dans la mesure où elle refuse de s’accomplir pleinement. L’Italien fait l’amour et n’épilogue pas. L’A
140 déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Mais la crainte me prend qu’on aille chercher en ces remarq
141 ercher en ces remarques je ne sais quelle défense d’ un Occident latin dont justement nous récusons l’idéal d’orgueilleuse
142 cident latin dont justement nous récusons l’idéal d’ orgueilleuse et stérilisante perfection. L’intelligence latine aurait
143 dées, trop soumises par leur nature et dépourvues de coquetteries. À force de se craindre dupe, elle a perdu le goût de se
144 À force de se craindre dupe, elle a perdu le goût de se risquer, de découvrir. Et l’impuissance qui déjà la frappe n’est p
145 raindre dupe, elle a perdu le goût de se risquer, de découvrir. Et l’impuissance qui déjà la frappe n’est pas même compens
146 entiment : c’est qu’en définitive il détient plus de réalité que la sensation4. Le désir et le regret sont plus certains q
147 jours sentimentale. ⁂ Europe du sentiment, patrie de la lenteur, — encore un paradis perdu ! C’était bien notre dernier lu
148 ils s’achètent des Bugatti pour brûler les étapes d’ un destin qu’ils pressentent absurde. Rien désormais ne pourra plus no
149 eur des choses. Derniers refuges, vastes auberges de la Souabe où l’on chantait les chœurs de Schubert après boire — et le
150 auberges de la Souabe où l’on chantait les chœurs de Schubert après boire — et les hommes parlaient lentement, parlaient p
151 aient lentement, parlaient peu, — c’est le secret de votre bienveillance que je voudrais rechercher maintenant. Bienveilla
152 penché »… Contribution à l’archéologie des états d’ âme. L’Europe du sentiment, c’est notre Europe des adieux. Elle ne vit
153 us déjà, nous la portons encore comme le souvenir d’ un soir d’adolescence sur la prairie où des filles s’éloignent en chan
154 ous la portons encore comme le souvenir d’un soir d’ adolescence sur la prairie où des filles s’éloignent en chantant. Voic
155 n chantant. Voici la nuit du souvenir, brève nuit d’ août et souvenirs de nos enfances. Ce « soir des signes » où des renar
156 nuit du souvenir, brève nuit d’août et souvenirs de nos enfances. Ce « soir des signes » où des renards sortirent à la li
157 es signes » où des renards sortirent à la lisière de la forêt, des renards qu’on n’avait jamais vus, l’orage s’amassait. M
158 « Il va y avoir une averse. Cours à la rencontre de ton père et donne-lui cette pèlerine. » Et quand je le rejoignis dans
159 rmes dans ses yeux, c’était la guerre. Brève nuit d’ août, le temps d’un peu se souvenir. Et bientôt paraîtra l’aube dure.
160 x, c’était la guerre. Brève nuit d’août, le temps d’ un peu se souvenir. Et bientôt paraîtra l’aube dure. Alors nous entrer
161 u Grand Jour, où nous irons avec ce qu’il restera de bonté dans notre cœur, plus inutile que jamais, dominatrice et bafoué
162 tine, spatiale et statique, qui présida au dessin de la Carte du Tendre. C’est le cri d’un poète français, non d’un França
163 ida au dessin de la Carte du Tendre. C’est le cri d’ un poète français, non d’un Français. 2. Hegel serait le philosophe p
164 du Tendre. C’est le cri d’un poète français, non d’ un Français. 2. Hegel serait le philosophe par excellence de l’Europe
165 is. 2. Hegel serait le philosophe par excellence de l’Europe centrale. Ce qu’il a tenté d’étaler dans l’Histoire, c’est l
166 excellence de l’Europe centrale. Ce qu’il a tenté d’ étaler dans l’Histoire, c’est l’équation d’existence de l’âme allemand
167 tenté d’étaler dans l’Histoire, c’est l’équation d’ existence de l’âme allemande. Mais il a voulu que ses moments fussent
168 ler dans l’Histoire, c’est l’équation d’existence de l’âme allemande. Mais il a voulu que ses moments fussent successifs :
169 ses moments fussent successifs : c’était un moyen de la résoudre. Et c’est justement cette « résolution » que combattra Ki
170 ante… 3. Que l’on pense aux expansions verbeuses de Jean-Paul ou du Hölderlin d’Hypérion ; et d’autre part, à la manie d’
171 ölderlin d’Hypérion ; et d’autre part, à la manie d’ exposition systématique et statistique des professeurs allemands. Autr
172 ple : tous les romantiques allemands sont nourris de théorèmes de Spinoza. 4. Seule réalité vivante prise en considératio
173 s romantiques allemands sont nourris de théorèmes de Spinoza. 4. Seule réalité vivante prise en considération par l’intel
2 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Première partie. Le paysan du Danube — Une « tasse de thé » au palais C…
174 Une « tasse de thé » au palais C…5 Il fait fausse route, celui qui considère la
175 e symbolique. Hugo von Hofmannsthal. Un aquarium de lumière rose où nagent des phoques à ventre blanc qui sont des minist
176 ènes en lamé qui sont presque des dames, et aussi de vrais messieurs et de vraies dames : ils montent et descendent de tou
177 presque des dames, et aussi de vrais messieurs et de vraies dames : ils montent et descendent de toutes parts, du haut des
178 iers que décorent trois opulents Tiepolo, du fond d’ un hall périlleux, pressés, poliment bousculés de salon en salon ; et,
179 d’un hall périlleux, pressés, poliment bousculés de salon en salon ; et, plus loin que la rumeur des voix, orchestre du g
180 parfois dans un silence qui s’approfondit au long de corridors capitonnés d’amarante, du côté des collections de vieux Ven
181 qui s’approfondit au long de corridors capitonnés d’ amarante, du côté des collections de vieux Venise, jusqu’au petit salo
182 rs capitonnés d’amarante, du côté des collections de vieux Venise, jusqu’au petit salon où il y a deux Bellini. Et que dir
183 dissimulées derrières des cardinaux du xviiie , —  de cet air mystérieux qu’on prend ici à rester seul. Il faudrait se cac
184 rester seul. Il faudrait se cacher dans les plis de ces hauts rideaux dorés, pour écouter Mozart et attendre, qui sait ?
185 iqueurs transfigurantes, — il faudrait un miracle d’ amour qui fasse pousser un grand cri à un homme qu’on verrait alors s’
186 et rester longtemps, les yeux agrandis, aux pieds d’ une femme qui ne le regarderait pas, qui aurait l’air seulement d’écou
187 ne le regarderait pas, qui aurait l’air seulement d’ écouter autre chose… En vérité le monde propose à l’imagination de bie
188 chose… En vérité le monde propose à l’imagination de bien étranges spectacles ; pourquoi veut-il qu’on les ignore ou qu’on
189 uoi veut-il qu’on les ignore ou qu’on le feigne ? D’ un balcon, entre deux hautes colonnes, je vois des jardins florentins
190 irés par dedans. Côté jardin, côté « cour »… Mais de quoi s’agit-il dans cette intrigue monotone et serrée, et dont se per
191 elle figuration pour une satire à grand spectacle de notre civilisation finissante ! (Vous souriez ? Vous mourrez avec ell
192 souriez ? Vous mourrez avec elle.) Cependant, que de belles personnes — en vain ! Et quelle tenue. Ici, plus qu’ailleurs,
193 e. Ici, plus qu’ailleurs, l’originalité est signe de sang mêlé. Ici comme ailleurs, il faut être conforme, au moins en app
194 mensonge dans le grand monde : plutôt des règles de jeu, et personne n’a l’idée d’y croire. Le pire mensonge est dans la
195 plutôt des règles de jeu, et personne n’a l’idée d’ y croire. Le pire mensonge est dans la vie réputée pratique, parce qu’
196 e je me dis là, c’est un truisme. Truisme a l’air d’ être le nom d’une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en
197 , c’est un truisme. Truisme a l’air d’être le nom d’ une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en souriant de f
198 t un truisme. Truisme a l’air d’être le nom d’une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en souriant de fauteui
199 es un peu volumineuses qui déambulent en souriant de fauteuil en divan, portant de petits animaux au museau pointu sur leu
200 mbulent en souriant de fauteuil en divan, portant de petits animaux au museau pointu sur leurs épaules naguère divines. Je
201 x, regardent quelque chose qui se passe au centre de la pièce. Il y a là dans un espace vide un piano à l’aile levée, et d
202 vant le piano, assis sur un tabouret bas — le pan de l’habit repose sur le parquet — quelqu’un qui ressemble à Richard Str
203 apparaît comme ses œuvres naissent : au carrefour de la célébrité, de l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des v
204 s œuvres naissent : au carrefour de la célébrité, de l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent d
205  : au carrefour de la célébrité, de l’élégance et d’ une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la
206 r de la célébrité, de l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la poésie est dan
207 e musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la poésie est dans toutes les anthologies, l’habit classi
208 l’habit classique, l’accent profond et nasillard d’ origine juive ; une main pend sur l’ébène, succombant à ses bagues. On
209 ferme son livre, plie ses lunettes, baise la main de la maîtresse de maison qui lui offre son bras et l’entraîne dans le b
210 t intéressant ! Le xxe siècle européen offre ici de lui-même l’image la plus flattée : un très grand musicien, des écriva
211 paraît son étrange impuissance : tous ces accords de gloire et de génie ne font qu’une rumeur informe, insignifiante. Tout
212 range impuissance : tous ces accords de gloire et de génie ne font qu’une rumeur informe, insignifiante. Tout se dégrade e
213 N’oublions pas que l’on a réuni tant de richesses de tous les ordres — pour rien. Exactement. Ni plaisir ni profits. Voilà
214 profits. Voilà bien à quels jeux aboutissent tant d’ ambition et le sérieux dans les affaires : une civilisation qui se don
215 e civilisation qui se donne à elle-même un défilé de mannequins. Comme tout ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein
216 n défilé de mannequins. Comme tout ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein de significations troublantes. Cela donne
217 out ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein de significations troublantes. Cela donne à penser, prête à rire, mais j
218 aîne par le bras vers les jardins. Des ballerines de l’opéra dansent autour d’une vasque, dans un théâtre de grands buis t
219 jardins. Des ballerines de l’opéra dansent autour d’ une vasque, dans un théâtre de grands buis taillés à l’italienne. Un p
220 péra dansent autour d’une vasque, dans un théâtre de grands buis taillés à l’italienne. Un projecteur balaie les gazons, l
221 ur balaie les gazons, les terrasses, des amateurs de baisers dans l’ombre et des fumeurs isolés qui ont fait le tour de bi
222 ’ombre et des fumeurs isolés qui ont fait le tour de bien des choses, Hofmannsthal enfin, serré dans un petit manteau, vis
223 rtant, depuis trente ans, qu’il résout par l’acte d’ écrire… Moi je suis dans les buis, près des basses du petit orchestre,
224 orchestre, avec une écharpe et du sentiment. (Vu de près, le sourire éperdu des ballerines est émouvant, masque plus vrai
225 ai que leurs visages.) On éteint. Et c’est alors, d’ un balcon qui domine les groupes, une voix qui descend avec un tremble
226 groupes, une voix qui descend avec un tremblement d’ étoile. Richard Strauss a levé la tête, il reçoit sur son bon visage o
227 osée divine fait perler une larme, la bénédiction de sa musique. Les petites baronnes ont froid, veulent rentrer, car elle
228 rez-de-chaussée, elles me désignent un des rêves de mon adolescence : sur un canapé d’angle, drapée dans une robe longue,
229 t un des rêves de mon adolescence : sur un canapé d’ angle, drapée dans une robe longue, grise et argent, Henny Porten immo
230 , grise et argent, Henny Porten immobile présente de profil son visage un peu plus grand que nature. À 17 ans, du fond d’u
231 e un peu plus grand que nature. À 17 ans, du fond d’ un cinéma, l’ai-je aimée ? — Je lui sais gré de rester là muette, asse
232 nd d’un cinéma, l’ai-je aimée ? — Je lui sais gré de rester là muette, assez absente encore pour ressembler vraiment à son
233 Tout est lumière dans cet espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et d’acajous polis. On entend le rythme assourdi,
234 mière dans cet espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et d’acajous polis. On entend le rythme assourdi, mais non la
235 t espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et d’ acajous polis. On entend le rythme assourdi, mais non la mélodie d’une
236 On entend le rythme assourdi, mais non la mélodie d’ une danse, au-dessus, et des voix qui passent. Allées et venues dans l
237 environne, ah ! que n’êtes-vous celles des désirs de l’amour ! La traîne d’une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil
238 tes-vous celles des désirs de l’amour ! La traîne d’ une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix de la
239 e l’amour ! La traîne d’une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix de la comtesse Adélaïde, — je la
240 ie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix de la comtesse Adélaïde, — je la connais à cet écho de joie dans mes pen
241 la comtesse Adélaïde, — je la connais à cet écho de joie dans mes pensées. Mais quelle approche me saisit ? Parfois, au c
242  ? Parfois, au cœur des grandes fêtes, une sphère de silence descend, s’arrête quelques secondes, et ceux qu’elle baigne d
243 ’arrête quelques secondes, et ceux qu’elle baigne d’ une grâce furtive sont pris du désir d’adorer. Du sein de tant de cont
244 lle baigne d’une grâce furtive sont pris du désir d’ adorer. Du sein de tant de contraintes polies et dans la pose la plus
245 râce furtive sont pris du désir d’adorer. Du sein de tant de contraintes polies et dans la pose la plus naturellement élég
246 égante, j’ai vu des yeux lever vers moi un regard d’ ardente confiance qui était tout ce qu’on ne pouvait dire, — qui était
247 pouvait dire, — qui était, dans un suprême délice de libération, une prière pour que l’amour soit bien-aimé… Oh ! qu’il y
248 imé… Oh ! qu’il y ait eu cette joie par un regard de jeune fille ! Tout peut encore être sauvé… Un accord brusque de rumeu
249  ! Tout peut encore être sauvé… Un accord brusque de rumeurs à travers une porte qui s’ouvre ramène le bal dans mes désert
250 es déserts. (Elle est partie. — Des rires en cape de velours s’enfuient vers les jardins.) Qu’il y ait eu ce regard, et qu
251 que l’amour seul eût mérité ces fastes ; l’usage de leurs politesses imite dérisoirement la gravité sacrée et l’ascèse ad
252 e seule invente la passion. Ils reviennent. Tombé de mon silence parmi les bavardages, où irai-je avec peut-être un air de
253 les bavardages, où irai-je avec peut-être un air de dégoût, par mégarde… On se presse au bar assourdissant et les visages
254 sages se prennent à vivre, dangereusement. Ô fête d’ une époque où tout ce qui vaut qu’on aime oscille entre l’ivresse et l
255 ’on aime que tout soit exprimé en symboles gantés de blanc. Nous sommes fous, mais il y a la manière. Presque tous les tru
256 à rêver à voix haute ? Ébranle un peu ces lambris d’ or, tu vois bien que tout cède aux regards de l’ivresse. Un coude nu s
257 bris d’or, tu vois bien que tout cède aux regards de l’ivresse. Un coude nu s’appuie à mon épaule, je brise des pailles su
258 le verte, l’orchestre russe emmêle des arabesques de danseurs et déjà quelques-uns de ces hôtes diaphanes du petit jour. J
259 e des arabesques de danseurs et déjà quelques-uns de ces hôtes diaphanes du petit jour. J’en ai vu deux, chaussés d’escarp
260 iaphanes du petit jour. J’en ai vu deux, chaussés d’ escarpins fins courant comme des reflets sur le parquet, venir par une
261 e des lèvres pour me dire une phrase à l’oreille, de leur voix trop naturelle, voix de jour. Paroles aussitôt oubliées, ma
262 se à l’oreille, de leur voix trop naturelle, voix de jour. Paroles aussitôt oubliées, mais je sais que la nuit va s’éteind
263 oujours plus ivres. Rosette Anday levant sa coupe de champagne rit et déchaîne des opéras. — « Comme elle est laide, mais
264 « Comme elle est laide, mais une voix à faire mal de bonheur, mais laide !… ah ! magnifique ! », dit quelqu’un près de moi
265 des vaisseaux qui ramènent Iseut dans le silence d’ un midi d’été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue…
266 eaux qui ramènent Iseut dans le silence d’un midi d’ été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue… Mais une
267 ns le silence d’un midi d’été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue… Mais une main de femme au bord du s
268 e mourir dans une légèreté éperdue… Mais une main de femme au bord du sommeil saisie me ramène aux regards. Que sont tous
269 e voient dans la nudité du rêve, oh ! je les hais de me voir ! Je tiens la main d’une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde
270 e, oh ! je les hais de me voir ! Je tiens la main d’ une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde en soie d’aurore, voici l’heu
271 ’une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde en soie d’ aurore, voici l’heure que nous attendions. Les escaliers s’abaissent d
272 ux jardins tendus en tapisserie entre les arcades d’ un péristyle sombre. Le bleu glacé du petit jour noie les buis qui s’é
273 e jardin monte sans fin dans le frisson désespéré de l’aube, — et nous, au bord du péristyle arrêtés, au bord de la nuit q
274 e me tourne vers ce visage très blanc où les yeux d’ un bleu nocturne se refusent… Quelle tendresse, auprès de cet être sec
275 et être secret, inaccessible et pourtant complice d’ une angoisse plus bouleversante que l’amour, à la minute où l’on voit
276 uleversante que l’amour, à la minute où l’on voit de très près, entre la nuit qui s’évapore et l’aube encore vacillante, l
277 nte, le vide absurde où s’en vont nos plaisirs et d’ où remonte notre peine. Ah ! surprendre sur un visage décontenancé, et
278 un visage décontenancé, et jusque dans le rythme d’ une respiration, l’envahissement de cette dure connaissance ! Elle se
279 dans le rythme d’une respiration, l’envahissement de cette dure connaissance ! Elle se tait, plus seule que moi. Le jour q
280 à me saisit va-t-il ainsi nous séparer ? Ce corps de femme défend encore sa nuit, si nu pourtant dans la soie et le velour
281 fatigue qui le fléchit un peu. Toucher, — guérir de l’écœurement de revivre — toucher un corps livré à la violence immobi
282 fléchit un peu. Toucher, — guérir de l’écœurement de revivre — toucher un corps livré à la violence immobile de son âme… M
283 e — toucher un corps livré à la violence immobile de son âme… Mais les jeunes filles sont parfois trop émouvantes pour qu’
284 arette entre mes lèvres sèches. Le hall s’éclaire d’ un jour de balayage, il reste deux chapeaux melons au vestiaire, et qu
285 re mes lèvres sèches. Le hall s’éclaire d’un jour de balayage, il reste deux chapeaux melons au vestiaire, et quelques val
286 au vestiaire, et quelques valets gris. Une corde de violon saute dans sa boîte. Je crois que dans ma tête aussi, des chos
287 paraît, mène parfois bien près de la réalité — et d’ un mouvement non dépourvu d’élégance, j’entends : par une certaine qua
288 ès de la réalité — et d’un mouvement non dépourvu d’ élégance, j’entends : par une certaine qualité de déception, qu’il nou
289 d’élégance, j’entends : par une certaine qualité de déception, qu’il nous propose. La joie du jour, hélas, la plus forte…
3 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Première partie. Le paysan du Danube — Voyage en Hongrie
290 ongrie à Albert Gyergyai. Le dormeur au fil de l’eau Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ;
291 l de l’eau Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ; il faudrait réveiller tant de beautés redoutabl
292 Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ; il faudrait réveiller tant de beautés redoutables pour at
293 ernière chaise libre. En bas, il y a juste autant de vieilles dames et de ministres en retraite que de fauteuils. Et on me
294 En bas, il y a juste autant de vieilles dames et de ministres en retraite que de fauteuils. Et on me regarde. J’ai beau f
295 de vieilles dames et de ministres en retraite que de fauteuils. Et on me regarde. J’ai beau feindre l’intérêt le plus sing
296 en ont tant vu ! Ils aiment mieux me faire honte de mon visage gris ; leurs yeux stupides me demandent où je n’ai pas dor
297 ordages, des chaînes, sur un banc humide, — juste de quoi s’étendre, et regarder jaillir sans fin contre soi l’eau de ce b
298 re, et regarder jaillir sans fin contre soi l’eau de ce beau Danube jaune qui est le plus inodore des fleuves. Dormir. San
299 . Sans avoir pu retrouver cette mélodie descendue d’ un balcon où chantait la Schumann ; sans avoir pu retrouver le nom de
300 tait la Schumann ; sans avoir pu retrouver le nom de qui l’on a reconduit à sa villa, vers cinq heures à travers ces quart
301 à travers ces quartiers si clairs, arbres et jets d’ eau ; sans avoir pu retrouver, des conversations de ce bal, autre chos
302 ’eau ; sans avoir pu retrouver, des conversations de ce bal, autre chose que la phrase, l’unique phrase que Richard Straus
303 t… » C’était au vestiaire, il enfilait une manche de pardessus, me donnait l’autre à serrer, la main n’étant pas encore so
304 la main n’étant pas encore sortie… Dormir au fil de l’eau, entre l’étrange nuit du bal et cette perspective invraisemblab
305 nuit du bal et cette perspective invraisemblable d’ un voyage au hasard commencé dans l’insomnie — vrai voyage à dormir de
306 , il reconnaît son rêve. Huit heures aux clochers de la capitale qui s’avance dans la lumière fauve d’un soir chaud sur la
307 de la capitale qui s’avance dans la lumière fauve d’ un soir chaud sur la plaine, avec ses dômes et ses façades exubérantes
308 plaine, avec ses dômes et ses façades exubérantes de reflets, — et déjà nous passons sous de hauts ponts sonores, au long
309 ubérantes de reflets, — et déjà nous passons sous de hauts ponts sonores, au long d’un quai tout fleuri de terrasses ; on
310 nous passons sous de hauts ponts sonores, au long d’ un quai tout fleuri de terrasses ; on nous déverse dans cette foule et
311 auts ponts sonores, au long d’un quai tout fleuri de terrasses ; on nous déverse dans cette foule et ces musiques, deux vi
312 es qui font des signes pour demain, présentations de mes Espoirs aux jeunes Promesses nationales (on n’a pas compris les n
313 ée, des coups d’œil, dans le léger étourdissement de l’amitié prochaine). Et la générosité des lumières d’avant le soir, —
314 ’amitié prochaine). Et la générosité des lumières d’ avant le soir, — et cette espèce de tendresse pour tous les possibles,
315 é des lumières d’avant le soir, — et cette espèce de tendresse pour tous les possibles, qu’on appelle, je crois bien, jeun
316 bres, qui est un Collège célèbre. La recherche de l’Objet inconnu Personne n’a mon adresse, je n’attends rien d’aill
317 emier réveil — délivré. Chez moi je suis la proie de l’angoisse du courrier. J’attends la lettre, j’attends je ne sais quo
318 r. J’attends la lettre, j’attends je ne sais quoi de très important… Trois déceptions par jour ne peuvent qu’énerver le dé
319 a m’apporter ce Paquet inouï, cadeau annonciateur d’ une miraculeuse et royale Venue. Dans le silence de l’adoration comblé
320 ’une miraculeuse et royale Venue. Dans le silence de l’adoration comblée, j’en sortirais de ces objets sans nom, inutilisa
321 le silence de l’adoration comblée, j’en sortirais de ces objets sans nom, inutilisables, bouleversants de perfection, gage
322 ces objets sans nom, inutilisables, bouleversants de perfection, gages d’un monde que les poètes essaient de décrire sans
323 inutilisables, bouleversants de perfection, gages d’ un monde que les poètes essaient de décrire sans l’avoir vu, et dont n
324 fection, gages d’un monde que les poètes essaient de décrire sans l’avoir vu, et dont nous savons seulement que tout y a s
325 vances, les plus exténuantes, et qui sait si tant d’ erreurs ne composeront pas un jour une sorte d’incantation capable d’i
326 nt d’erreurs ne composeront pas un jour une sorte d’ incantation capable d’incliner le Hasard ? Ô décevantes chasses dans l
327 eront pas un jour une sorte d’incantation capable d’ incliner le Hasard ? Ô décevantes chasses dans les bazars, aux étalage
328 lages des fêtes populaires, au fond des boutiques de vieux en province, dans les combles d’un château prussien où tissaien
329 boutiques de vieux en province, dans les combles d’ un château prussien où tissaient d’incroyables araignées, partout où l
330 ns les combles d’un château prussien où tissaient d’ incroyables araignées, partout où le désordre naturel des choses pouva
331 her jusque chez nous ? » (En Hongrie, à 20 heures d’ express, on dit « jusque chez nous », ce qu’on ne dit pas en Amérique.
332 sseports ? Dussè-je les inventer… Ah ! l’embarras de voyager n’est rien auprès de celui d’expliquer pourquoi l’on est part
333 l’embarras de voyager n’est rien auprès de celui d’ expliquer pourquoi l’on est parti. Cependant, mes regards errant sur u
334 in de s’user, ne tarde pas à devenir notre raison de vivre. Mais combien votre sort, ô grands empêtrés ! me paraît enviabl
335 Les désirs les plus incompréhensibles s’emparent de moi comme des superstitions. Tout mon avoir se fond dans une loterie
336 ir se fond dans une loterie qui peut-être n’a pas de gros lot, et jamais, je crains bien, jamais je ne parviendrai à le re
337 é à peine jalouse que l’on réserve aux égarements d’ une jeunesse démodée se peignirent sur les traits de mes auditeurs. —
338 une jeunesse démodée se peignirent sur les traits de mes auditeurs. — Vous êtes, me dit-on, un amateur de troubles disting
339 mes auditeurs. — Vous êtes, me dit-on, un amateur de troubles distingués. Peu de sens du réel. Mais nous vous montrerons n
340 on m’entraîna dans un musée sans sièges. Le Musée de Budapest enferme quelques paysages romantiques aux ciels pleins de dé
341 me quelques paysages romantiques aux ciels pleins de démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait d’un homme » devant lequel
342 ges romantiques aux ciels pleins de démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait d’un homme » devant lequel il faut se taire
343 eins de démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait d’ un homme » devant lequel il faut se taire pour écouter ce qu’il entend
344 taire pour écouter ce qu’il entend. Au tombeau de Gül Baba Dans Bude il y a des ruelles qui sentent encore le Turc.
345 rentrés en Europe. Mais le lendemain, m’échappant d’ un programme admirable, nourrissant et officiel, il a bien fallu que j
346 . « Vous n’y verrez, m’avait-on dit, qu’une paire de babouches dans une mosquée vide que personne n’a plus l’idée de visit
347 ans une mosquée vide que personne n’a plus l’idée de visiter. » Mais comment ne pas voir qu’un lieu qui porte un nom parei
348 ne croit pas à la vertu des noms reste prisonnier de ses sens ; mais celui-là est véritablement voyageur qui n’a pas renon
349 voyageur qui n’a pas renoncé à convaincre le réel de mystère. Montant au Rozsadomb par ce matin brûlant, je savais bien qu
350 pellent une conduite magique. Or il est délicieux de réaliser une idée fixe injustifiable : c’est le plaisir même de l’enf
351 e idée fixe injustifiable : c’est le plaisir même de l’enfance. Je portais donc ma vision d’Orient et je grimpais gravemen
352 isir même de l’enfance. Je portais donc ma vision d’ Orient et je grimpais gravement comme je ferai, je pense, au jour de m
353 mpais gravement comme je ferai, je pense, au jour de mon pèlerinage au Temple de l’Objet inconnu. Voici ce que j’ai vu. On
354 ai, je pense, au jour de mon pèlerinage au Temple de l’Objet inconnu. Voici ce que j’ai vu. On passe une barrière, une cou
355 ardins dont les arbustes sèchent, vers une espèce de grande villa ou palais baroque assez décrépit, un décor en pierre bru
356 répit, un décor en pierre brune peu solide, rongé de roses crimson. On longe une galerie couverte, on tourne dans un escal
357 n tourne dans un escalier compliqué : c’est plein de colonnettes et de statues dégradées et charmantes. (Vue sur des maiso
358 scalier compliqué : c’est plein de colonnettes et de statues dégradées et charmantes. (Vue sur des maisons pauvres un peu
359 urs assez hauts dont l’un est peut-être la façade d’ une chapelle ; mais la porte est fermée. Par une ouverture étroite on
360 vaste, où il y a quelques arbres devant une sorte de tour peu élevée, à demi recouverte de rosiers, et qu’il paraît imposs
361 t une sorte de tour peu élevée, à demi recouverte de rosiers, et qu’il paraît impossible de situer dans l’ensemble des con
362 recouverte de rosiers, et qu’il paraît impossible de situer dans l’ensemble des constructions. C’est là qu’on entre. Murs
363 s. C’est là qu’on entre. Murs nus. Un catafalque de bois, au milieu, recouvert d’un très beau tapis mince, ou bannière, a
364 nus. Un catafalque de bois, au milieu, recouvert d’ un très beau tapis mince, ou bannière, avec des caractères turcs brodé
365 vec des caractères turcs brodés en or. L’histoire de Gül Baba est racontée sur un papier jauni encadré et fixé au mur. Gül
366 est le dernier héros musulman qui ait fait parler de lui en Hongrie. Il s’appelait en vérité Kehl Baba, ce qui signifie le
367 roses. Moyennant cette naturalisation il continue de protéger la ville (en collaboration avec saint Gellert, dont la statu
368 un rocher, les bras levés, dirige la circulation de Pest. Gül Baba est moins théâtral). D’ailleurs le tombeau est vide. E
369 leurs le tombeau est vide. Et les babouches ? Pas de babouches. Je sais bien que ce n’est pas l’heure de visiter : le Père
370 babouches. Je sais bien que ce n’est pas l’heure de visiter : le Père des roses est peut-être allé se promener. Dehors, l
371 ent » étrange que ce lieu — inquiétant à la façon de certains regards lucides qu’il arrive qu’on porte sur la vie, tout d’
372 lucides qu’il arrive qu’on porte sur la vie, tout d’ un coup, à trois heures de l’après-midi par exemple, — non sans angois
373 porte sur la vie, tout d’un coup, à trois heures de l’après-midi par exemple, — non sans angoisse. Café amer En Hon
374 n est assailli par le pittoresque, mais il s’agit de le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et de scepticismes, don
375 il s’agit de le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et de scepticismes, dont le plus simple consiste à traduire ce
376 le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et de scepticismes, dont le plus simple consiste à traduire ce que l’on voi
377 s lignes verticales peinturlurées — elle n’a rien d’ étrange, si l’on songe que nous sommes en Hongrie. Et ce n’est pas que
378 erveilleux, avec quoi l’on est trop souvent tenté de confondre l’excès de bizarrerie. C’est le faux merveilleux qui a disc
379 l’on est trop souvent tenté de confondre l’excès de bizarrerie. C’est le faux merveilleux qui a discrédité le vrai, leque
380 , moralement microscopique. (Il a tellement l’air de rien que nous sommes presque excusables de ne le point apercevoir.) J
381 l’air de rien que nous sommes presque excusables de ne le point apercevoir.) Je vais cependant dire quelque chose d’une s
382 apercevoir.) Je vais cependant dire quelque chose d’ une scène pittoresque. Mais c’est une autre fois que je l’ai vue, à Pe
383 ’est une autre fois que je l’ai vue, à Pest, lors d’ un autre séjour, dans la semaine qui suit Noël, — la plus sombre de l’
384 , dans la semaine qui suit Noël, — la plus sombre de l’année par les rues vides sous la pluie étrangère. Une porte basse s
385 ne porte basse s’ouvre sur un long corridor hanté d’ ombres drapées, qui ne sont pas des nonnes, bien que les voûtes soient
386 pas des nonnes, bien que les voûtes soient celles d’ un ancien couvent. Nous pénétrons dans une grande salle vivement éclai
387 le vivement éclairée. Murs chaulés, et de nouveau de hautes voûtes. Une banquette longe trois des parois, la quatrième est
388 à terre, dans l’attente. Nous sommes assis autour d’ une table et nous voyons, au milieu de la salle, un arbre de Noël aux
389 e et nous voyons, au milieu de la salle, un arbre de Noël aux amples branches rayonnantes, dans une gloire de dorures, — e
390 aux amples branches rayonnantes, dans une gloire de dorures, — et massées tout autour, frileuses dans leurs dessous roses
391 gnoir noir et blanc… Je ne puis avaler mon verre de ce café trop amer qui pince la gorge. Dehors, nous ne parlons pas : l
392 e prend toute sa hauteur. Silencieuse, solennelle de nudité, entre le Palais du Régent et celui d’un des archiducs, quel d
393 lle de nudité, entre le Palais du Régent et celui d’ un des archiducs, quel décor à rêver le cortège d’un sacre ! J’y ai vu
394 d’un des archiducs, quel décor à rêver le cortège d’ un sacre ! J’y ai vu défiler la Chambre des Magnats, le jour de l’élec
395 J’y ai vu défiler la Chambre des Magnats, le jour de l’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne.
396 ler la Chambre des Magnats, le jour de l’élection d’ un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne. Auprès du porc
397 s, le jour de l’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne. Auprès du porche du Palais, ils n’étaie
398 ’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne. Auprès du porche du Palais, ils n’étaient guère qu’une
399 he du Palais, ils n’étaient guère qu’une centaine de curieux, et quelques gardes. Traversant dans sa longueur toute l’imme
400 dent que du bout des doigts, crainte, sans doute, de troubler l’équilibre toujours instable des huit reflets de leur digni
401 er l’équilibre toujours instable des huit reflets de leur dignité. Mais je n’oublierai pas le sourire de ce vieux prince :
402 leur dignité. Mais je n’oublierai pas le sourire de ce vieux prince : un vrai sourire, adressé personnellement à l’homme,
403 reprend ici sa noblesse. Mon voisin qui a la tête de François-Joseph, dont il fut peut-être valet, nomme à leur passage le
404 remier pont sur le Danube, auteurs ainsi du trait d’ union de Buda-Pest. Il y a trois semaines, à Freudenau, lors du Derby
405 ont sur le Danube, auteurs ainsi du trait d’union de Buda-Pest. Il y a trois semaines, à Freudenau, lors du Derby viennois
406 se tiennent très droits, appuyés sur leurs sabres d’ or recourbés dont les poignées entre leurs doigts gantés étincellent.
407 urs doigts gantés étincellent. Parfois un collier de la Toison d’Or, sur la fourrure du dolman rouge ou jaune, laisse pend
408 ntés étincellent. Parfois un collier de la Toison d’ Or, sur la fourrure du dolman rouge ou jaune, laisse pendre son petit
409 Mais, ô pathétique dissonance, tangible absurdité de notre époque, beaucoup ont dû louer des taxis démodés, au tarif infér
410 f inférieur. Des chauffeurs vautrés, la casquette de travers sur leurs idées sociales, pareils aux chauffeurs de toutes le
411 sur leurs idées sociales, pareils aux chauffeurs de toutes les villes, conduisent dans la cour d’honneur ces reliques inc
412 urs de toutes les villes, conduisent dans la cour d’ honneur ces reliques incroyables et les encensent à la benzine industr
413 doigts levés. On se signe. Et voici venir à pied de son palais proche, tout seul, un archiduc. On salue profondément, en
414 e profondément, en silence (cliquetis des rangées de décorations sur l’uniforme kaki, et du sabre balancé). Une auto encor
415 or. Si le comte Bethlen venait à la SDN en tenue de magnat, beaucoup de gens comprendraient mieux sa politique. Les co
416 ue. Les coussins Rothermere Le nationalisme de la plupart des États de l’Europe se formule en revendications d’homme
417 es États de l’Europe se formule en revendications d’ hommes d’affaires. Ce qu’on prétend défendre, c’est son droit, ses int
418 de l’Europe se formule en revendications d’hommes d’ affaires. Ce qu’on prétend défendre, c’est son droit, ses intérêts. Ma
419 une passion toute nue, qui exprime l’être profond de la race. On ne discute pas cet amour, on ne réfute pas cette haine. I
420 pas cette haine. Ici, la sympathie est un devoir de politesse. Comment la mesurer sans mauvaise grâce à qui vous a reçu c
421 mauvaise grâce à qui vous a reçu comme un cadeau de Dieu. (« C’est Dieu qui vous envoie », dit la formule traditionnelle.
422 oie », dit la formule traditionnelle.) La liqueur de pêche rend démonstratif, dont on vide trois verres d’un trait en guis
423 êche rend démonstratif, dont on vide trois verres d’ un trait en guise de salut. C’est alors que se déplient les cartes de
424 de salut. C’est alors que se déplient les cartes de la « Hongrie mutilée ». — « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tie
425 . — « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tiers de notre patrie ? » — Ah ! ce n’est pas vous, maintenant, qui allez dema
426 maintenant, qui allez demander raison à vos hôtes de la façon dont ils traitaient, au temps de leur puissance, les allogèn
427 que les nombres ont tort au regard de l’antiquité d’ une civilisation ; qu’il s’agit ici de valeurs ; que si les population
428 l’antiquité d’une civilisation ; qu’il s’agit ici de valeurs ; que si les populations des régions perdues étaient parfois
429 eule active et créatrice. Le reste : des porteurs d’ eau… Dans l’inextricable confusion d’injustices à quoi devait mener le
430 des porteurs d’eau… Dans l’inextricable confusion d’ injustices à quoi devait mener le wilsonisme schématique qui traça les
431 eur devenant l’opprimé sans y perdre le sentiment de sa supériorité de race — sa véritable légitimité — on comprend que le
432 rimé sans y perdre le sentiment de sa supériorité de race — sa véritable légitimité — on comprend que le Hongrois n’ait po
433 nt conservé une extrême sensibilité aux arguments de « droit » qui autorisèrent ce chaos. Il lui reste sa foi en la grande
434 aos. Il lui reste sa foi en la grandeur éternelle de la Hongrie — intemporelle, n’ayant cure des statistiques — et sa doul
435 e des statistiques — et sa douleur aussi, douleur d’ orgueil blessé, mais qui emporte la sympathie : car l’orgueil hongrois
436 la sympathie : car l’orgueil hongrois n’est point de ce que l’on gagne sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point d’u
437 n’est point de ce que l’on gagne sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point d’un parvenu, mais d’un aristocrate. Tous
438 e sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point d’ un parvenu, mais d’un aristocrate. Tous dangers égaux d’ailleurs, préf
439 de ce que l’on est ; non point d’un parvenu, mais d’ un aristocrate. Tous dangers égaux d’ailleurs, préférons cet impériali
440 gers égaux d’ailleurs, préférons cet impérialisme de l’âme à l’impérialisme de la surproduction des machines et des enfant
441 férons cet impérialisme de l’âme à l’impérialisme de la surproduction des machines et des enfants. C’est parce que les Hon
442 erne. Voilà ce qu’on ne dit pas dans les dépêches d’ agence : les journalistes, une fois de plus, passent à côté de l’essen
443 rs. Songez à ce qui forme l’opinion, cet ensemble de mythes sentimentaux qui gouverne les arguments. Songez combien souven
444 à celle des individus, pour ce qui est du moins, de mentir à soi-même. Mais les Hongrois ne renient pas leur romantisme.
445 ongrie, sur une Carte du Tendre d’après le traité de Trianon ! Ces choses, je les ai rêvées sur un divan, à cause d’un cou
446 es choses, je les ai rêvées sur un divan, à cause d’ un coussin où s’étalait le sourire optimiste de Lord Rothermere, en so
447 se d’un coussin où s’étalait le sourire optimiste de Lord Rothermere, en soie blanche sur fond noir. Quelques articles fav
448 r ce peuple turbulent et déchu, suffirent à faire d’ un affairiste anglais l’idole du nationalisme magyar. Son portrait aff
449 universitaires, brodé aux devantures des magasins de mode, et son nom en lettres géantes sur une montagne chauve, voisine
450 lettres géantes sur une montagne chauve, voisine de Budapest, témoignent des espérances démesurées qu’il sut entretenir a
451 espérances démesurées qu’il sut entretenir autour d’ une action certes méritoire, mais plus symbolique qu’efficace. Et sans
452 Et sans lendemain. Ce mélange, en toutes choses, d’ enfantillage et de grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances
453 . Ce mélange, en toutes choses, d’enfantillage et de grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce
454 en toutes choses, d’enfantillage et de grandeur, d’ imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce point le clim
455 illage et de grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce point le climat de la passion ? — C’est
456 t de souffrances vraies, n’est-ce point le climat de la passion ? — C’est celui de la Hongrie.6 Une lettre de Matthias
457 -ce point le climat de la passion ? — C’est celui de la Hongrie.6 Une lettre de Matthias Corvin « Matthias, par la
458 on ? — C’est celui de la Hongrie.6 Une lettre de Matthias Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi de Hongrie. B
459 re de Matthias Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi de Hongrie. Bonjour, citoyens ! Si vous ne venez pas tous vo
460 as Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi de Hongrie. Bonjour, citoyens ! Si vous ne venez pas tous vous présenter
461 bits Personne, à ma connaissance, ne se plaint de ce qu’il y ait peu de poètes par le monde. C’est dans l’ordre des cho
462 ans l’ordre des choses, et l’on sait qu’il suffit de très peu de sel pour rendre mangeable beaucoup de nouilles. Mais voic
463 ais voici, par exemple, ce qu’il faudrait essayer d’ obtenir : que la grande majorité des gens ne deviennent pas enragés dè
464 s ne deviennent pas enragés dès qu’ils perçoivent de la poésie dans l’air. Espoir sans doute chimérique, mais qu’on peut c
465 oute chimérique, mais qu’on peut croire bien près d’ être comblé dans ce pays où les courtiers ne donnent pas encore le ton
466 nnue à l’étranger que par quelques pièces légères de Molnar, qui n’ont de hongrois que l’auteur, d’ailleurs israélite. Il
467 par quelques pièces légères de Molnar, qui n’ont de hongrois que l’auteur, d’ailleurs israélite. Il y a, bien entendu, un
468 à remplir les revues bien pensantes. Elle traite de sujets « bien hongrois » dans un style académique qui me paraît être
469 extrême gauche, et sa revue Documentum (une sorte d’ Esprit nouveau troublé de surréalisme), groupée autour de Louis Kassak
470 ue Documentum (une sorte d’Esprit nouveau troublé de surréalisme), groupée autour de Louis Kassak, nettement international
471 tour de Louis Kassak, nettement internationaliste de doctrine, au lyrisme neuf et parfois sauvage, social ou futuriste, et
472 plus libre et la plus vivante du génie littéraire de cette race me paraît bien avoir été donnée par le groupe important du
473 r anime encore ces écrivains profondément magyars de sensibilité, bien que souvent européens de goûts et de curiosités, et
474 agyars de sensibilité, bien que souvent européens de goûts et de curiosités, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef
475 nsibilité, bien que souvent européens de goûts et de curiosités, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef de file. De
476 és, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef de file. Des amis m’emmènent le voir à Esztergom, où il passe ses étés.
477 ses étés. Esztergom est la plus vieille capitale de la Hongrie. Attila, me dit-on, y régna. Aujourd’hui c’est la résidenc
478 a résidence du Prince Primat. Au-dessus du palais de l’archevêché, sur une colline que le Danube contourne, la Basilique é
479 Danube contourne, la Basilique élève une coupole d’ ocre éclatant, immense et froide, dominant cette plaine onduleuse dont
480 ue nous devons rencontrer le poète. Cheveux noirs d’ aigle collés sur son large front, belle carrure ruisselante, il nous s
481 u’à mi-corps, mythologique. Nous sortons ensemble de la petite ville aux rues de terre brûlante, aux maisons jaunes basses
482 Nous sortons ensemble de la petite ville aux rues de terre brûlante, aux maisons jaunes basses, ville sans ombre, sans arb
483 us montons vers la maison du poète, sur un coteau de vignes. Trois chambres boisées entourées d’une large galerie d’où l’o
484 oteau de vignes. Trois chambres boisées entourées d’ une large galerie d’où l’on voit le Danube gris-jaune, brillant, sans
485 is chambres boisées entourées d’une large galerie d’ où l’on voit le Danube gris-jaune, brillant, sans rides, la petite vil
486 bourdonnante, — trois petites chambres et un pan de toit par-dessus, cela fait une baraque à peine visible dans les vigne
487 isible dans les vignes, à peine détachée du flanc de la colline pour que les vents ne l’emportent pas, un beau nid de poèt
488 our que les vents ne l’emportent pas, un beau nid de poète : car demeurer ici, c’est demeurer vraiment en « pleine nature 
489 r vraiment en « pleine nature », un peu au-dessus de la plaine, pas tout à fait dans le ciel, là où doivent vivre ceux qui
490 orizon est aussi lointain qu’on l’imagine, tout a de belles couleurs, le poète sourit en lui-même, il y a une enfance dans
491 même, il y a une enfance dans l’air… Le retour d’ Esztergom Il faut se pencher aux portières et laisser l’air furieux
492 e et appuyer au front comme une caresse indéfinie de la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conq
493 comme une caresse indéfinie de la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce
494 ie de la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré d’ orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renon
495 . Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renonce à s’affirmer en
496 ueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renonce à s’affirmer en détail précis, se masse dans une con
497 mer en détail précis, se masse dans une confusion de violet sombre, et par la seule ligne dure de l’horizon s’oppose au ci
498 sion de violet sombre, et par la seule ligne dure de l’horizon s’oppose au ciel qui retire ses lueurs. Ciel blanc, où très
499 el qui retire ses lueurs. Ciel blanc, où très peu d’ or rose s’évanouit… Le train serpente dans un de ces paysages de nulle
500 u d’or rose s’évanouit… Le train serpente dans un de ces paysages de nulle part qui sont les plus émouvants, entre des col
501 anouit… Le train serpente dans un de ces paysages de nulle part qui sont les plus émouvants, entre des collines basses gra
502 e heure on sent bien que poursuivre est une sorte d’ enivrant péché. — Nous aurions une maison dans ce désert aux formes te
503 cause de l’éloignement en nous-mêmes. À l’entrée d’ un tunnel tu vois que la veilleuse brûle toujours — et moi, parmi les
504 rûle toujours — et moi, parmi les reflets fuyants de toutes sortes de faces et de paysages soudainement invisibles, je dis
505 t moi, parmi les reflets fuyants de toutes sortes de faces et de paysages soudainement invisibles, je distingue le doux fe
506 les reflets fuyants de toutes sortes de faces et de paysages soudainement invisibles, je distingue le doux feu bleu de mo
507 inement invisibles, je distingue le doux feu bleu de mon obsession. L’Objet inconnu, — quand je pense à ce qu’en imaginera
508 autres, si je leur en parlais… Il leur suffirait de l’image d’un bibelot d’une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un c
509 je leur en parlais… Il leur suffirait de l’image d’ un bibelot d’une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un certain arra
510 arlais… Il leur suffirait de l’image d’un bibelot d’ une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un certain arrangement des c
511 oses qui rende un certain son spirituel… Un objet de musique et de couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfi
512 un certain son spirituel… Un objet de musique et de couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfin, tellement i
513 e et de couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfin, tellement inconnu et tellement fascinant à la fois, qu’i
514 tellement fascinant à la fois, qu’il me préserve de tout amour pour quelque bien particulier où je serais tenté de me com
515 pour quelque bien particulier où je serais tenté de me complaire. Oh ! je sais ! — Je ne sais plus. — Le train s’attarde
516 lors tout s’allume et voici la nuit des faubourgs de Pest, au-dessous de nous. Un bal, ou de l’ivresse considérée comme
517 bourgs de Pest, au-dessous de nous. Un bal, ou de l’ivresse considérée comme un des beaux-arts Ils n’ont plus de nom
518 sidérée comme un des beaux-arts Ils n’ont plus de noms, ils ne sont qu’une ivresse aux cent visages, lorsque j’entre da
519 vant un bras, la main à la nuque ; frapper le sol de l’autre talon en changeant de main ; saisir la danseuse sous le bras
520 ue ; frapper le sol de l’autre talon en changeant de main ; saisir la danseuse sous le bras (elle pose alors ses mains sur
521 ules du cavalier) et la faire pirouetter un quart de tour à droite, un quart de tour à gauche ; pirouetter seuls sur place
522 re pirouetter un quart de tour à droite, un quart de tour à gauche ; pirouetter seuls sur place ; de nouveau frapper le so
523 ment ; saisir la danseuse, tourbillonner, pousser de grands cris ; tourbillonner en sens inverse ; frapper des talons touj
524 aux yeux de plaine, comme les autres ont des yeux de mer. Des grâces d’amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu
525 comme les autres ont des yeux de mer. Des grâces d’ amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu’à la chevelure. Gr
526 s yeux de mer. Des grâces d’amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu’à la chevelure. Graves entre leurs éclats
527 s chantent, les moires et l’ondulation des rubans de vents chauds sur la plaine, avec des éloignements et des retours, des
528 e les gestes sont gouvernées par la seule logique d’ un rythme constamment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que de s’
529 d’un rythme constamment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que de s’abandonner d’une certaine manière. En France, cha
530 amment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que de s’abandonner d’une certaine manière. En France, chacun parle pour son
531 Il s’agit moins de comprendre que de s’abandonner d’ une certaine manière. En France, chacun parle pour son compte, paraphe
532 ou. Ici, le sens des mots et des choses est celui d’ un courant musical qui domine l’ensemble et le compose selon les lois
533 ui domine l’ensemble et le compose selon les lois d’ une plastique exubérante. Quand je dis que j’observe, je n’observe rie
534 anières. Et quant à ceux qui n’ont pas le pouvoir de s’enivrer, ils auront toujours raison, mais n’auront que cela, car c’
535 c’est l’ivresse7 seulement qui permet à l’esprit de passer d’une forme dans l’autre, — et c’est même en ce passage qu’ell
536 vresse7 seulement qui permet à l’esprit de passer d’ une forme dans l’autre, — et c’est même en ce passage qu’elle consiste
537 e passage qu’elle consiste — ô Danses ! avènement de l’âme aux gestes ! Vous voici, longs coups d’ailes en silence au-dess
538 ent de l’âme aux gestes ! Vous voici, longs coups d’ ailes en silence au-dessus du gouffre. Je vole sur place, mais tout se
539 et l’amour du vertige). Qu’est-ce qu’il y aurait de l’autre côté ? Se laisser choir dans le Gris ? Rejoindre ?… Derrière
540 ise ne rappelle la nostalgie traînante des lieder de l’Oberland : ici la mélancolie même est passionnée. Elles chantent av
541 es mouvements vifs du buste, et des mains pleines de drôleries ou de supplication. Je ne sais ce que disent les paroles. J
542 fs du buste, et des mains pleines de drôleries ou de supplication. Je ne sais ce que disent les paroles. Je vois des cheva
543 uvenir des pays désertés enfièvre encore un désir de perdition illimitée… Les Hongrois se sont arrêtés dans cette plaine.
544 s c’est le soir au camp, perpétuel. Une lassitude de steppe brûlante, des ondulations longues… Mais un cheval se cabre ; e
545 ambours et des cris modulés, et toute la frénésie d’ un grand souffle qui se serait mis à tourbillonner sur place. L’amo
546 ngrois t’emportera dans une inénarrable confusion de sentimentalisme et de passion, et c’est là son miracle. Si tu n’as pa
547 s une inénarrable confusion de sentimentalisme et de passion, et c’est là son miracle. Si tu n’as pas le sens de la musiqu
548 , et c’est là son miracle. Si tu n’as pas le sens de la musique, conserve quelque espoir de t’en tirer. Sinon… je t’envier
549 as le sens de la musique, conserve quelque espoir de t’en tirer. Sinon… je t’envierais presque. Celui qui part pour la Ho
550 t plus. La plaine et la musique L’ouverture de Stravinsky exécutée par l’express de Transylvanie au sortir de la gar
551 L’ouverture de Stravinsky exécutée par l’express de Transylvanie au sortir de la gare de Budapest, devient avec la plaine
552 ar l’express de Transylvanie au sortir de la gare de Budapest, devient avec la plaine une Symphonie-Dichtung borodinesque,
553 e hongroise n’est pas monotone, parce qu’elle est d’ un seul tenant. Rien qui fasse répétition. C’est ici le premier pays q
554 . C’est ici le premier pays que je n’ai pas envie d’ élaguer ; dont je ne me compose pas de morceaux choisis8. Il y a une g
555 i pas envie d’élaguer ; dont je ne me compose pas de morceaux choisis8. Il y a une grande ville, un grand lac, une plaine
556 ille, un grand lac, une plaine et une seule vigne de véritable Tokay. Et point de ces endroits déprimants, à plusieurs mil
557 e et une seule vigne de véritable Tokay. Et point de ces endroits déprimants, à plusieurs milliers d’exemplaires, tels que
558 de ces endroits déprimants, à plusieurs milliers d’ exemplaires, tels que : banlieue française, village suisse, gare allem
559 çaise, village suisse, gare allemande grouillante de questions sociales. La Puszta est une terre vierge, je veux dire que
560 andue. Il y a peu de bourgeois en Hongrie. Il y a de petits nobles déclassés, des juifs, des paysans, des communistes, de
561 classés, des juifs, des paysans, des communistes, de grands nobles, et des Tziganes. D’ailleurs, le bourgeois supporterait
562 mpleur qu’ont ici toutes choses, cette atmosphère de nomadisme, et ces vents vastes ; et cette passion de vivre « au-dessu
563 nomadisme, et ces vents vastes ; et cette passion de vivre « au-dessus de ses moyens » — c’est-à-dire au-dessus du Moyen —
564 ts vastes ; et cette passion de vivre « au-dessus de ses moyens » — c’est-à-dire au-dessus du Moyen — qui est caractéristi
565 rgement ? » demande certaine hargne à cet artiste de la prodigalité. — « Ah ! répond-il, j’aimerais bien pouvoir vivre com
566 yptien, « car c’est la langue qu’elles apprennent de leurs mères ». Combien j’aime ces sœurs des Tziganes ! Les Tziganes v
567 t le bridge et la bohème, c’est-à-dire un symbole de la servitude et un symbole de la liberté. Si la Hongrie tout de même
568 t-à-dire un symbole de la servitude et un symbole de la liberté. Si la Hongrie tout de même a quelque chose de « moderne »
569 berté. Si la Hongrie tout de même a quelque chose de « moderne », dans un sens vaste et mystique, elle le doit au charme é
570 ns une ère égyptienne. Mais que dire des pouvoirs de la plaine qui s’agrandit pendant des heures ? — Ce qu’en raconte la m
571 usique — tu vas l’entendre à toutes les terrasses de Debrecen. Debrecen est une sorte de grande ville indescriptible, à de
572 les terrasses de Debrecen. Debrecen est une sorte de grande ville indescriptible, à demi mêlée aux sables de la plaine de
573 nde ville indescriptible, à demi mêlée aux sables de la plaine de Hortobágy, aux longues maisons jaunes immensément aligné
574 escriptible, à demi mêlée aux sables de la plaine de Hortobágy, aux longues maisons jaunes immensément alignées, autour d’
575 ngues maisons jaunes immensément alignées, autour d’ une place rectangulaire qui ressemble à un jardin public, flanquée d’u
576 ulaire qui ressemble à un jardin public, flanquée d’ un temple blanc à deux clochers baroques, d’hôtels modernes, de statue
577 nquée d’un temple blanc à deux clochers baroques, d’ hôtels modernes, de statues, de pylônes plantés dans un grand désordre
578 lanc à deux clochers baroques, d’hôtels modernes, de statues, de pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de c
579 clochers baroques, d’hôtels modernes, de statues, de pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de chars à bœufs
580 tatues, de pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrece
581 ônes plantés dans un grand désordre de piétons et de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent
582 t de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent de n’avoir pas ce faux confort que nous n’avons
583 les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent de n’avoir pas ce faux confort que nous n’avons qu’au prix de tout ce qu
584 les Hongrois comme on aime l’enfance : or le rêve de l’enfant, c’est de devenir une grande personne. On me l’a dit, c’est
585 on aime l’enfance : or le rêve de l’enfant, c’est de devenir une grande personne. On me l’a dit, c’est vrai : cette ville
586 ique est aussi l’autre « Rome protestante ». Mais d’ avoir vu ses profondes bibliothèques et son quartier universitaire tou
587 euni dans des jardins luisants ne n’empêchera pas de m’y sentir au bout d’un monde, au bord extrême de l’Europe. Je ne sai
588 de m’y sentir au bout d’un monde, au bord extrême de l’Europe. Je ne sais quel hasard a voulu que j’y entende, un soir, un
589 rd a voulu que j’y entende, un soir, une audition de musiques hongroises, turques et chinoises, commentées et comparées pa
590 Plaine, et que par sa musique j’étais aux marches de l’Asie. En sortant du concert, j’ai erré aux terrasses des hôtels, da
591 ent en jouant ? Qu’est-ce qu’ils écoutent au-delà de leur musique — car aussitôt donnée la phrase, voici qu’une autre vien
592 nt sonore qui l’étire et l’égare, et l’enroule et d’ un coup la subtilise, ne laissant plus qu’un long silence soutenu, com
593 rne avec une vertigineuse docilité dans les voies d’ un amour ineffable et se perd avec lui vers le désert et ses mirages.
594 vec lui vers le désert et ses mirages. On ne sait d’ où tu viens, tu ne sais où tu vas, peuple de perdition, Peuple inconnu
595 sait d’où tu viens, tu ne sais où tu vas, peuple de perdition, Peuple inconnu, — mais c’est toi, c’est toi qui l’as caché
596 eur aux femmes, cet objet dont parfois, au comble de la turbulence de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’une
597 et objet dont parfois, au comble de la turbulence de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’une ligne nette, ins
598 de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’ une ligne nette, insaisissable, déjà perdue (comme le rêve pendant que
599 (comme le rêve pendant que bat la paupière lourde de celui qui succombe à l’excès du sommeil) — et me voici plus seul, ave
600 ici plus seul, avec une nostalgie qui ne veut pas de la romance à mon oreille de violoneux qui me croit triste. Ils l’ont
601 algie qui ne veut pas de la romance à mon oreille de violoneux qui me croit triste. Ils l’ont amené du fond d’une Inde. Il
602 neux qui me croit triste. Ils l’ont amené du fond d’ une Inde. Ils l’ont égaré, comme ils égarent tout d’un monde où si peu
603 une Inde. Ils l’ont égaré, comme ils égarent tout d’ un monde où si peu vaut qu’on le conserve, au long d’un chemin effacé
604 n monde où si peu vaut qu’on le conserve, au long d’ un chemin effacé par le vent sur la plaine… Ils l’ont perdu comme un r
605 sans vider ton verre — il n’y a pure ivresse que de l’abandon —, car voici qu’à son tour il s’égare au bras d’une erreur
606 don —, car voici qu’à son tour il s’égare au bras d’ une erreur inconnue, ton fantôme éternel, ton « Désir désiré ». Les
607 rudentes avec aux jambes l’imperceptible angoisse de rencontrer une onde trop légère. Mais pour connaître un lac, il faut
608 eau, en faire le tour, mais voilà qui est affaire de pur caprice, tandis que s’y baigner est une règle de savoir-vivre ave
609 pur caprice, tandis que s’y baigner est une règle de savoir-vivre avec la Nature. Lac doré, horizon de collines pointues,
610 de savoir-vivre avec la Nature. Lac doré, horizon de collines pointues, rives basses, verdoyantes, toutes fraîches de musi
611 ntues, rives basses, verdoyantes, toutes fraîches de musiquettes et de baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances b
612 s, verdoyantes, toutes fraîches de musiquettes et de baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances bourgeoises et mili
613 fraîches de musiquettes et de baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances bourgeoises et militaires, idylles de jar
614 aux élégances bourgeoises et militaires, idylles de jardins publics à l’écart d’un concert du samedi soir, petits profess
615 militaires, idylles de jardins publics à l’écart d’ un concert du samedi soir, petits professeurs entourés de leur famille
616 ncert du samedi soir, petits professeurs entourés de leur famille, et toutes ces Magda, toutes ces Maritza rieuses et déjà
617 r quelques jours ? On ferait connaissance à table d’ hôte, on irait ensemble à Tihany — elle a l’air d’être en Italie sur s
618 d’hôte, on irait ensemble à Tihany — elle a l’air d’ être en Italie sur sa presqu’île — par cet instable bateau-mouche qui
619 plutôt emmener ce désir, comme un tendre souvenir de voyage, et partir en croyant qu’ici la vie a parfois moins de hargne,
620 t partir en croyant qu’ici la vie a parfois moins de hargne, et les petites gens plus de bonté… Déjà je suis repris par le
621 parfois moins de hargne, et les petites gens plus de bonté… Déjà je suis repris par le malaise que m’infligent les lieux f
622  ! C’est devant une glace panachée qu’il m’arrive de douter de la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nu
623 evant une glace panachée qu’il m’arrive de douter de la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nuit, j’ai r
624 er de la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nuit, j’ai rôdé dans la campagne aux collines basses, d’app
625 , j’ai rôdé dans la campagne aux collines basses, d’ apparence rocheuse — ce sont des restes de volcans — blanches sous la
626 basses, d’apparence rocheuse — ce sont des restes de volcans — blanches sous la Lune et toutes lustrées de rêches végétati
627 olcans — blanches sous la Lune et toutes lustrées de rêches végétations. J’ai traversé l’angoisse lunaire des villages vid
628 vides aux portes aveugles (j’avais peur du bruit de mes pas). Au hasard, j’ai suivi des sentiers dans les champs de maïs,
629 u hasard, j’ai suivi des sentiers dans les champs de maïs, épiant la venue d’une joie inconnue. Joie d’être n’importe où…
630 sentiers dans les champs de maïs, épiant la venue d’ une joie inconnue. Joie d’être n’importe où… évadé ? Mais soudain, c’e
631 e maïs, épiant la venue d’une joie inconnue. Joie d’ être n’importe où… évadé ? Mais soudain, c’est au silence que je me he
632 que je me heurte, comme réveillé dans l’absurdité d’ être n’importe où. Une panique balaye la nuit déserte jusqu’à l’horizo
633 maintenant, maintenant, où tu n’es pas — et tant d’ amour perdu… Un train dormait devant la gare campagnarde. Je me suis é
634 un compartiment obscur, stores baissés, à l’abri de la lune. Le contrôleur a dû jouer un rôle dans mes cauchemars. L’aube
635 eveux en désordre, pantalon plissé, et cet abruti de contrôleur qui rit et me dit je ne sais quoi, — alors que justement j
636 rs que justement j’allais rattraper, comme un pan de la nuit fuyante, un songe où j’ai dû voir l’objet pour la première fo
637 ais la lampe et la veilleuse me rendait compagnon d’ une momie bleuâtre, mais peut-on se reposer vraiment à 100 km/h. Par-d
638 Lune faire des bonds courts sur la plaine inondée de nuit. J’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné de cette hur
639 courts sur la plaine inondée de nuit. J’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné de cette hurlante bousculade sur
640 ’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné de cette hurlante bousculade sur place qu’est un voyage en express. Mais
641 yage en express. Mais je ne trouvais pas la pente de mon esprit, et tout en le parcourant avec une soif qui annonçait le d
642 oif qui annonçait le désert, je traçais des plans d’ œuvres sablonneuses. Je composais un traité des voyages : les titres e
643 ais un traité des voyages : les titres en étaient de Sénèque ou de Swift, et je voyais très bien ce qu’en eussent tiré Ste
644 des voyages : les titres en étaient de Sénèque ou de Swift, et je voyais très bien ce qu’en eussent tiré Sterne ou Goethe,
645 e à Gérard de Nerval, je sentais qu’il s’agissait d’ autre chose. — Il s’agit toujours d’autre chose que de ce qu’on dit. (
646 il s’agissait d’autre chose. — Il s’agit toujours d’ autre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’in
647 tre chose. — Il s’agit toujours d’autre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’insomnie ! Cela tour
648 utre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’insomnie ! Cela tourne tout de suite à la débauche. Not
649 tourne tout de suite à la débauche. Notre liberté de penser est absurde au regard des contraintes que subissent nos gestes
650 élevait la Morale du domaine des actions à celui de la pensée, de l’Apparence à l’Essence. D’un coup, tous les refoulés q
651 rale du domaine des actions à celui de la pensée, de l’Apparence à l’Essence. D’un coup, tous les refoulés qui explosent,
652 à celui de la pensée, de l’Apparence à l’Essence. D’ un coup, tous les refoulés qui explosent, le chômage dans la gendarmer
653 eures désorientées ; le sentiment du « non-sens » de la vie n’est-il pas comparable à ce que les mystiques appellent leur
654 Entre « déjà plus » et « pas encore »… Bon point de vue pour déconsidérer nos raisons de vivre. La maladie aussi. Rien ne
655 »… Bon point de vue pour déconsidérer nos raisons de vivre. La maladie aussi. Rien ne ressemble au voyage comme la maladie
656 part, le même dépaysement au retour. « Il revient de loin » signifie : qu’il vient d’être très malade. Si dans ta chambre,
657 ur. « Il revient de loin » signifie : qu’il vient d’ être très malade. Si dans ta chambre, en plein jour, tu t’endors, et q
658 voyage est un état d’âme et non pas une question de transport. Un vrai voyage, on ne sait jamais où cela mène, c’est une
659 amais où cela mène, c’est une aventure qui relève de la métaphysique plus que de la psychologie. — Une vaste licence poéti
660 e aventure qui relève de la métaphysique plus que de la psychologie. — Une vaste licence poétique… (Voici bien la fatigue
661 ien la fatigue avec son jeu des définitions)… Pas de but. — C’est vous qui le dites ! — Vous, naturellement… (Encore un qu
662 voyage on la regarde mieux. — La vie… (une sorte de cauchemar pensé, qui ne peut plus s’arrêter de penser). Se peut-il qu
663 te de cauchemar pensé, qui ne peut plus s’arrêter de penser). Se peut-il qu’on cherche le sens de la vie ! Je sais seuleme
664 êter de penser). Se peut-il qu’on cherche le sens de la vie ! Je sais seulement que ma vie a un but. M’approcher de mon êt
665 e sais seulement que ma vie a un but. M’approcher de mon être véritable. Seul au milieu des miens, j’oubliais ma race, j’a
666 des miens, j’oubliais ma race, j’avais l’illusion de n’être rien que… moi-même. Identique à mon centre. Ici, comparé à tan
667 Mais en même temps, j’ai découvert mes puissances d’ évasion intérieure. Et souvent je pressens qu’il existe une clef : dél
668 uvent je pressens qu’il existe une clef : délivré de moi-même j’entrerais en plein Moi… Une clef ? Plutôt « cela » qui me
669 oi… Une clef ? Plutôt « cela » qui me permettrait de combler l’écart entre moi et Moi qui est la seule réalité absolument
670 s dans mes pensées ? La veilleuse fleurit soudain d’ un éclat bleu douloureux, le train ralentit. Hegyeshalom, petite gare
671 Cependant, « rien à déclarer » après des semaines de voyage ? Cela va paraître improbable. On a dû voir sur moi que je le
672 cherche, c’est pourquoi l’œil est implacable… Pas de clefs dans mes onze poches. Seulement ce papier timbré d’un ministère
673 dans mes onze poches. Seulement ce papier timbré d’ un ministère… mais déjà l’œil s’éteint, le corps se plie, fait demi-to
674 tristesse. Mais qu’a-t-on jamais pu « déclarer » d’ important ? Je ne sais pas parler en vers et la prose n’indique que le
675 us évidentes. C’est bien pourquoi l’Objet n’a pas de nom. Parfois je me suis demandé s’il n’était pas une sorte de pierre
676 ois je me suis demandé s’il n’était pas une sorte de pierre philosophale. Peut-être ces deux mots suffiraient-ils à l’indi
677 e m’en parle ? Tout en donnant le change à celles de mes pensées qui exigent des apparences positives. Ainsi donc j’ai che
678 aiment elle n’existe plus, l’Hermétique Société10 de ceux qui ne désespèrent pas encore du Grand’Œuvre ? Cela seul est cer
679 seulement qu’aux yeux de ceux qui surent désirer de la voir, apparaît la « Loge invisible ». J’attends quelqu’un qui vien
680 out ce qu’elle m’a donné ? Cette notion plus vive d’ un univers où la présence de l’Objet deviendrait plus probable ? Ou bi
681 ette notion plus vive d’un univers où la présence de l’Objet deviendrait plus probable ? Ou bien n’ai-je su voir autre cho
682 u bien n’ai-je su voir autre chose que la Hongrie de mes rêves, ma Hongrie intérieure ? Il est vrai que l’on connaît depui
683 sout dans une synthèse, comme toujours : au point de perfection, aimer et connaître sont un seul et même acte. Peut-être l
684 ont un seul et même acte. Peut-être l’ai-je aimée d’ un amour égoïste, comme un être dont on a besoin et de qui l’on chérit
685 amour égoïste, comme un être dont on a besoin et de qui l’on chérit surtout ce dont on manque : touchantes annexions, pie
686 s’il fallait attendre pour aimer ! Je me souviens de ces terrains de sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre
687 endre pour aimer ! Je me souviens de ces terrains de sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre de maisons basse
688 me souviens de ces terrains de sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre de maisons basses, les dernières de la
689 errains de sable noir, piqués de petits arbres et d’ un désordre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen,
690 le noir, piqués de petits arbres et d’un désordre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen, au bord de la
691 et d’un désordre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de
692 rdre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de soleil couc
693 cen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de soleil couchant. J’y suis venu par hasard, en flânant ; je me suis sa
694 autres semblables, en voyage, je me dis que c’est de là que j’ai tiré le sentiment d’absurdité foncière qu’il m’arrive d’é
695 me dis que c’est de là que j’ai tiré le sentiment d’ absurdité foncière qu’il m’arrive d’éprouver en face d’une action pure
696 le sentiment d’absurdité foncière qu’il m’arrive d’ éprouver en face d’une action purement raisonnable. Ah ! quelle raison
697 ison ici t’attirait donc, sinon l’espoir bien fou d’ y retrouver l’émotion d’un miracle imminent. Ou moins encore : l’image
698 , sinon l’espoir bien fou d’y retrouver l’émotion d’ un miracle imminent. Ou moins encore : l’image née en rêve d’une plain
699 e imminent. Ou moins encore : l’image née en rêve d’ une plaine, d’un couchant plus grandiose au ciel et sur la terre plus
700 moins encore : l’image née en rêve d’une plaine, d’ un couchant plus grandiose au ciel et sur la terre plus secret que dan
701 ton pays. Tu attendais une révélation, non point de cet endroit, ni même par lui, — mais à cet endroit, en ce temps. Qui
702 s cette vie et dans d’autres vies, pour approcher de tous côtés un But dont tu ne sais rien d’autre que sa fuite : n’est-i
703 procher de tous côtés un But dont tu ne sais rien d’ autre que sa fuite : n’est-il pas cet objet qui n’ait rien de commun a
704 sa fuite : n’est-il pas cet objet qui n’ait rien de commun avec que ce que tu sais de toi-même en cette vie ? Mais le voi
705 qui n’ait rien de commun avec que ce que tu sais de toi-même en cette vie ? Mais le voir, ce serait mourir dans la totali
706 nière différence, — car on ne voit que ce qui est de soi-même, et conscient. Et c’est à cause d’un pari peut-être fou, et
707 i est de soi-même, et conscient. Et c’est à cause d’ un pari peut-être fou, et qui porte sur des sentiments indéfinis, à ca
708 resses, tu serres des mains, — tu perds les clefs de tes valises… (Cela encore : m’arrêter à Vienne à cause des serrures.
709 eut-être y passer une nuit — rôder à la recherche de Gérard par les rues noires aux palais vides mais hantés, et dans les
710 uve. 1929. 6. Parce que j’« exalte les valeurs de passion » — pour parler comme le seul clerc qui n’ait pas trahi — qui
711 it pas trahi — qui me paraissent être la grandeur de la Hongrie, on m’expliquera que je suis pour la guerre, puisque enfin
712 aix par la mutilation des passions sont disciples d’ Origène. Il doit y avoir d’autres solutions… [NdE] Cette note avait di
713 autres solutions… [NdE] Cette note avait disparue de la version publiée en 1968 dans le Journal d’une époque , base de ce
714 ue de la version publiée en 1968 dans le Journal d’ une époque , base de cette édition numérique. Elle a été manifestement
715 liée en 1968 dans le Journal d’une époque , base de cette édition numérique. Elle a été manifestement réintégrée par Deni
716 tégrée par Denis de Rougemont en vue de l’édition de 1982. 7. Toute l’échelle des ivresses : ivresses de la faim, de l’al
717 1982. 7. Toute l’échelle des ivresses : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 8. E
718 ute l’échelle des ivresses : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 8. Expression où
719 des ivresses : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 8. Expression où va se réfugi
720  : ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 8. Expression où va se réfugier le dernier
721 a faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 8. Expression où va se réfugier le dernier vestige de la s
722 . Expression où va se réfugier le dernier vestige de la sensualité des érudits. 9. La fameuse marche de Rakoczy est l’œuv
723 la sensualité des érudits. 9. La fameuse marche de Rakoczy est l’œuvre d’une Tzigane. 10. L’or n’était qu’un prétexte.
724 its. 9. La fameuse marche de Rakoczy est l’œuvre d’ une Tzigane. 10. L’or n’était qu’un prétexte. Encore une blague de pa
725 0. L’or n’était qu’un prétexte. Encore une blague de passeport.
4 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Première partie. Le paysan du Danube — Le balcon sur l’eau
726 ent très peu, gris sur le blanc doucement luisant de la surface ; mais le silence a des vagues profondes. L’eau clapote av
727 te avec tendresse, et se retient… Et l’air chargé d’ attente. Nos têtes immobiles sont près de se toucher, nos regards s’en
728 se toucher, nos regards s’en vont à la rencontre de ce qui est voilé. Retiens ton souffle, retiens ton envie de fermer le
729 est voilé. Retiens ton souffle, retiens ton envie de fermer les yeux contre une épaule, attends encore un peu plus fort, é
730 s la brume où nous sommes perdus avec ce clapotis d’ une eau étrangement vivante et qui rêve ; et rien que nos yeux qui bri
731 formes confondent leur ombre et leur songe… Odeur de l’eau, — pour toute la vie. Bogliaco, lac de Garde, 1928.
732 deur de l’eau, — pour toute la vie. Bogliaco, lac de Garde, 1928.
5 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Deuxième partie. La lenteur des choses — Châteaux en Prusse
733 ciel paraissait plus grand que la terre. Des bois de pins s’approchaient, s’écartaient, livrant passage à la chaussée impé
734 portées blanches sur les ondulations sablonneuses de la plaine. Des prairies doucement soulevées s’arrêtaient au bord du c
735 ciel, devant la lumière maritime ; puis cédaient de l’épaule et l’on voyait le golfe violacé écumer sous la masse du sole
736 , nous fit front, et il n’y eut plus qu’une piste de terre entre les sapins noirs, la rumeur du rivage et du soleil derriè
737 e et du soleil derrière nous décroissant, tumulte d’ un matin d’été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeu
738 eil derrière nous décroissant, tumulte d’un matin d’ été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la fo
739 multe d’un matin d’été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la forêt, et le moteur halète au ralen
740 ant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la forêt, et le moteur halète au ralenti, dans la fraîcheur sobre. L’
741 e enfin du long voyage nocturne, les yeux cessent de cligner, le corps se détend. Là devant, un chauffeur immobile guette
742 fois avec un cahot mou. Le silence grandit ; cris de pics, vibration basse des cylindres. On voit paraître de plus hauts a
743 et bientôt un vaste portail, aux piles couronnées de grands cerfs de bronze. La piste se fait plane, la forêt s’ordonne. É
744 ste portail, aux piles couronnées de grands cerfs de bronze. La piste se fait plane, la forêt s’ordonne. Échappée sur des
745 forêt s’ordonne. Échappée sur des étangs couverts de mousse jaune. (Tout à fait réveillé et attentif, maintenant.) Jardin
746 piquées au loin de massifs éclatants, le gravier d’ une allée fait son bruit luxueux, tout s’éclaire : cent fenêtres, sur
747 e : cent fenêtres, sur la gauche, dans une façade de grès Louis XV. Nous la longeons, nous montons une rampe pavée qui s’e
748 sous un porche couvert aux colonnes enguirlandées de roses. Toute une famille de géants, debout sur un seuil solennel, me
749 olonnes enguirlandées de roses. Toute une famille de géants, debout sur un seuil solennel, me regarde piquer du nez à l’ar
750 lus ancien, mais le dernier « burgrave et comte » de la Prusse-Orientale. Journées À huit heures, tout le monde se ré
751 nce dans la grande salle du château. Une douzaine de domestiques, hommes et femmes, pénètrent par le fond, s’alignent debo
752 e. Puis on chante et ce sont parfois des strophes de Novalis, des mélodies de Bach. Après le Notre Père, chacun s’en va, s
753 ont parfois des strophes de Novalis, des mélodies de Bach. Après le Notre Père, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le r
754 ch. Après le Notre Père, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le reste de la matinée se passe à cheval au bord de la mer.
755 e, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le reste de la matinée se passe à cheval au bord de la mer. Jeux du rivage : sur
756 dunes éblouissantes, autour du « Haff »11 coloré de traînées d’algues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de no
757 issantes, autour du « Haff »11 coloré de traînées d’ algues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de nos bras, et n
758 ues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de nos bras, et nous les poursuivons, le long des grèves, dans les blés.
759 le long des grèves, dans les blés. Midi. Au haut de l’escalier monumental — une armature de fer forgé supportant des marc
760 . Au haut de l’escalier monumental — une armature de fer forgé supportant des marches de marbre —, un cortège se forme. La
761  une armature de fer forgé supportant des marches de marbre —, un cortège se forme. La porte de la salle à manger s’ouvre
762 arches de marbre —, un cortège se forme. La porte de la salle à manger s’ouvre à deux battants et le comte entre le premie
763 tre la sienne : car à peine arrivé il crie le nom d’ un des enfants et celui-ci récite une courte prière, durant laquelle i
764 te prière, durant laquelle il n’est plus question de bouger. La table immense est chargée des produits du domaine. On boit
765 un peu de bière, mais surtout du lait froid dans de grands verres : il n’est pas de boisson plus rafraîchissante, ni qui
766 u lait froid dans de grands verres : il n’est pas de boisson plus rafraîchissante, ni qui se marie mieux avec le goût du c
767 tes, à travers la forêt —, nous gagnons la maison de l’inspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse de pierre parmi
768 agnons la maison de l’inspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes de brique au toit de c
769 nspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes de brique au toit de chaume. Un appel : l’ins
770 de loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes de brique au toit de chaume. Un appel : l’inspecteur paraît sur son seui
771 isse de pierre parmi les fermes de brique au toit de chaume. Un appel : l’inspecteur paraît sur son seuil au garde à vous,
772 uipes très nombreuses, à grand renfort de chevaux de trait, car la nature marécageuse du sol rend les transports malaisés.
773 t qui rôde autour de la faisanderie. Les couchers de soleil à cette saison se prolongent jusque vers onze heures, en des j
774 es ondulations des terres. À l’horizon, des ailes de moulin tournent, ou scintille une mer dorée. Tout impose un silence h
775 t à 40 km, plus loin vers la Russie, dans un pays de lacs, de forêts maigres et de pâturages à perte de vue. Nous sommes p
776 , plus loin vers la Russie, dans un pays de lacs, de forêts maigres et de pâturages à perte de vue. Nous sommes pour trois
777 ussie, dans un pays de lacs, de forêts maigres et de pâturages à perte de vue. Nous sommes pour trois jours les hôtes d’un
778 te de vue. Nous sommes pour trois jours les hôtes d’ une immense demeure en briques roses et jaunes, entourée de prairies a
779 ense demeure en briques roses et jaunes, entourée de prairies aux bosquets vaporeux. Des parterres de fleurs descendent ju
780 de prairies aux bosquets vaporeux. Des parterres de fleurs descendent jusqu’à la rivière immobile, élargie en un lac sinu
781 sage peint à l’aquarelle. Le château, salmigondis de styles, résume, si l’on peut dire, une enquête que poursuivit son con
782 tructeur parmi les grandes demeures seigneuriales d’ Europe, aux fins de réunir les éléments les plus comfortable des diver
783 : voilà sans doute la figuration la plus concrète de l’égarement des esprits au siècle dernier. Qui dit style d’abord dit
784 er. Qui dit style d’abord dit sacrifice à une vue de l’esprit. Qui dit confort d’abord dit refus de tout style. Cette mais
785 ue de l’esprit. Qui dit confort d’abord dit refus de tout style. Cette maison qui offre les commodités du plus luxueux hom
786 es. Les maîtres du lieu sourient un peu de « ceux de W. qui ne boivent que du lait ». Et nous servent du thé bouillant où
787 s servent du thé bouillant où nagent des morceaux de glace. À ces détails près, le même train de vie bottée. Les écuries r
788 ceaux de glace. À ces détails près, le même train de vie bottée. Les écuries résonnent sous les coups de pied des étalons
789 ries résonnent sous les coups de pied des étalons de course, géants aux longs fessiers noirs luisants. Sur la plaine éblou
790 isants. Sur la plaine éblouissante, des troupeaux de chevaux pâturent en liberté. Le meuglement des bœufs ne s’apaise pas
791 fs ne s’apaise pas sous le soleil et nous entoure d’ une rumeur animale tenace comme toutes ces odeurs de la terre, des her
792 une rumeur animale tenace comme toutes ces odeurs de la terre, des herbes et des bêtes. Parfois souffle le vent marin ; et
793 mais on ne voit pas la mer. Dans la bibliothèque de Waldburg, qui sent encore le cuir, la chasse, j’ai trouvé tous les cl
794 . Même, un petit Voltaire dépareillé, « ex-libris de la Malmaison ». (Une négligence sans doute, on l’aura retrouvé dans l
795 ce sans doute, on l’aura retrouvé dans les poches d’ un uniforme au retour de la campagne de France.) Les mémoires, en fran
796 retrouvé dans les poches d’un uniforme au retour de la campagne de France.) Les mémoires, en français, d’un des burgraves
797 les poches d’un uniforme au retour de la campagne de France.) Les mémoires, en français, d’un des burgraves zu D. qui fut
798 a campagne de France.) Les mémoires, en français, d’ un des burgraves zu D. qui fut gouverneur d’Orange, et eut pour précep
799 çais, d’un des burgraves zu D. qui fut gouverneur d’ Orange, et eut pour précepteur Pierre Bayle en personne, dont il se mo
800 onvient. Ensuite, tout Schleiermacher, un protégé de la famille. Mais à partir de cette date, il n’y a plus que les Gothas
801 rler nos pédagogues. Mais elle s’unit à un régime de responsabilités concrètes qui sauvegarde l’initiative personnelle plu
802 risque et la violence physique jouent dans la vie de chaque jour leur rôle naturel et tonique. On lâche les garçons à chev
803 des poulains à dresser — et ce n’est pas commode de se trouver devant une bête en liberté qu’on doit saisir d’abord, puis
804 ts, des décisions pratiques, tout l’apprentissage de la conduite des hommes, des animaux et des éléments naturels. Pour no
805 Pour nous, nous développons un sens plutôt fictif de la responsabilité. Nous développons au vrai un hamlétisme. Notre prép
806 ai un hamlétisme. Notre préparation à l’autonomie de l’individu demeure théorique, et son application est indéfiniment ret
807 et par toute notre ambiance éducatrice, un organe de l’autonomie qui ne trouve nulle part où s’exercer : d’où les conflits
808 autonomie qui ne trouve nulle part où s’exercer : d’ où les conflits purement « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà
809 ment « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà de nos adolescences. Jeux des enfants prussiens : s’asseoir à six ou sep
810 rminablement à table. — Cruauté franche est signe de santéa. Ebo, l’aîné des fils, 19 ans, joue de l’accordéon dans sa cha
811 gne de santéa. Ebo, l’aîné des fils, 19 ans, joue de l’accordéon dans sa chambre à côté de la mienne. Tout à l’heure, une
812 suis allé lui demander ce que c’était. « L’hymne d’ un mouvement clandestin, dont le chef est en prison depuis quelques an
813 o a un autre secret : il sait que l’un des frères de sa mère complote avec l’ex-kronprinz pour une restauration de l’Empir
814 omplote avec l’ex-kronprinz pour une restauration de l’Empire. Voilà qui serait presque aussi mal vu de l’excellent burgra
815 e l’Empire. Voilà qui serait presque aussi mal vu de l’excellent burgrave, lequel me disait en me montrant les armoiries d
816 des Hohenzollern-Hechingen, couplées avec celles de sa grand-mère Waldburg au plafond à caissons du grand salon : « Une m
817 n auf Waldburg touchaient encore en 1914 un droit de péage sur le grand pont de Dresde que leurs ancêtres avaient fait con
818 ncore en 1914 un droit de péage sur le grand pont de Dresde que leurs ancêtres avaient fait construire vers l’an 950, cepe
819 nd que l’élan est un animal aux jambes dépourvues d’ articulations, en sorte qu’il ne peut se coucher et doit dormir appuyé
820 bête se trouve sans défense. Tacite n’a jamais vu d’ élan. Ces animaux d’allure fantastique déambulent à la tombée de la nu
821 défense. Tacite n’a jamais vu d’élan. Ces animaux d’ allure fantastique déambulent à la tombée de la nuit dans les clairièr
822 imaux d’allure fantastique déambulent à la tombée de la nuit dans les clairières, comme des arbres qui se mettraient en ma
823 membres ne se déboîtent. On a vu des élans gagner de vitesse les automobiles le long de la chaussée de Königsberg. Combien
824 de vitesse les automobiles le long de la chaussée de Königsberg. Combien j’aime ces randonnées interminables dans les forê
825 aime ces randonnées interminables dans les forêts de chasse, l’arme en ballant, durant des heures sans dire un mot, — car
826 ut pas effrayer le gibier sensible au moindre son de voix humaine. (Tout cela pour préparer quelque battue prochaine.) Vis
827 ils trouvent leur plaisir dans ces longs mutismes de guetteurs, dont on ressort ivre et comme possédé par les génies du mo
828 par les génies du monde végétal. Il y a une sorte de violence aussi dans ces bains de silence forestier. Qui peut en calcu
829 Il y a une sorte de violence aussi dans ces bains de silence forestier. Qui peut en calculer le bienfait d’énergie ? Les j
830 lence forestier. Qui peut en calculer le bienfait d’ énergie ? Les journées, même de vacances, baignent ici dans une atmosp
831 lculer le bienfait d’énergie ? Les journées, même de vacances, baignent ici dans une atmosphère goethéenne d’utilité, — au
832 nces, baignent ici dans une atmosphère goethéenne d’ utilité, — au sens élevé et civilisateur du terme. La notion moderne d
833 élevé et civilisateur du terme. La notion moderne de superflu, qui donne aux plaisirs mondains l’aspect absurde que nous l
834 ent dans une activité qui tire son unité foncière de la nature même des choses. Le rythme perpétuellement syncopé du trava
835 défendrai pas les junkers… J’entends les gens de villes : « Ça ne doit pas être bien drôle à la longue ! » Avec cela q
836 amusent tant ! La neurasthénie n’est-elle pas une de vos inventions ? Et toute votre littérature est occupée à décrire vos
837 vos satiétés, quand elle ne se met pas au service d’ un régime de surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle c
838 , quand elle ne se met pas au service d’un régime de surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle constitue la
839 un régime de surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle constitue la publicité. Mais il s’agit bien de plaisi
840 elle constitue la publicité. Mais il s’agit bien de plaisirs ! Il s’agirait plutôt du seul plaisir de vivre. Que demander
841 de plaisirs ! Il s’agirait plutôt du seul plaisir de vivre. Que demander à un milieu social ? Qu’il vous laisse la franchi
842 naïvement qu’ailleurs. On ne vous cache pas, pour de ténébreuses habiletés salonnardes, l’intérêt et la sympathie qu’on a
843 e qu’on a pour vous, ou qu’on n’a pas. Nulle gêne d’ aucune sorte. Le confort véritable de vivre, comment le concevoir aill
844 . Nulle gêne d’aucune sorte. Le confort véritable de vivre, comment le concevoir ailleurs qu’au sein d’une nature qui, san
845 urs qu’au sein d’une nature qui, sans cesse exige de l’homme la maîtrise et le déploiement de ses instincts ? Ici, pas d’a
846 se exige de l’homme la maîtrise et le déploiement de ses instincts ? Ici, pas d’autres empêchements que ceux-là justement
847 ments que ceux-là justement qui donnent sa raison d’ être au labeur des journées. Nous voici délivrés de la grande bourgeoi
848 ’être au labeur des journées. Nous voici délivrés de la grande bourgeoisie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir.
849 es. Nous voici délivrés de la grande bourgeoisie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir. De ces gens grossièrement
850 ie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir. De ces gens grossièrement distingués qui ne vous ont pas vu, qui détourn
851 détournent la tête avec une expression méprisable de gêne et de morgue. Et dire que ce sont ces gens-là — cette tourbe — q
852 la tête avec une expression méprisable de gêne et de morgue. Et dire que ce sont ces gens-là — cette tourbe — qui se perme
853 nt ces gens-là — cette tourbe — qui se permettent de juger la noblesse terrienne. Dire que ce sont ces bourgeois-là, basse
854 ue ce sont ces bourgeois-là, bassement incapables de brutalité ou d’orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités mor
855 ourgeois-là, bassement incapables de brutalité ou d’ orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités morales et de provo
856 lité ou d’orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités morales et de provocantes civilités, qui viennent vous dire,
857 iques, en revanche hérissés de vanités morales et de provocantes civilités, qui viennent vous dire, entre deux bridges, qu
858 modés. Bien joli quand ils ne leur reprochent pas d’ ignorer Proust. Mais quoi, je ne défendrai pas les junkers, dont le no
859 ’elle désigne12. Un tel milieu ne sollicite guère de l’étranger je ne sais quelle admiration sentimentale ou esthétique. Q
860 tion sentimentale ou esthétique. Que feraient-ils de mes éloges, même sincères ? Ils n’ont jamais mis en question la néces
861 s ? Ils n’ont jamais mis en question la nécessité de leur genre de vie, et verraient une sorte d’inconvenance dans l’appro
862 jamais mis en question la nécessité de leur genre de vie, et verraient une sorte d’inconvenance dans l’approbation que je
863 sité de leur genre de vie, et verraient une sorte d’ inconvenance dans l’approbation que je pourrais leur en témoigner. Bon
864 s des villes, toujours inquiets, toujours doutant de leurs raisons d’être et de leur actualité, de quêter chez autrui des
865 jours inquiets, toujours doutant de leurs raisons d’ être et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, de
866 iets, toujours doutant de leurs raisons d’être et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, des flatteri
867 ant de leurs raisons d’être et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, des flatteries, toutes choses q
868 ries, toutes choses qui impliquent la possibilité d’ un doute. Il n’y a d’aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de
869 ui impliquent la possibilité d’un doute. Il n’y a d’ aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de droit divin, c’est e
870 d’aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de droit divin, c’est encore à dire : du droit des choses telles que Die
871 choses telles que Dieu les a créées. Aristocratie de l’être et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste d
872 que Dieu les a créées. Aristocratie de l’être et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste de l’Europe bo
873 es. Aristocratie de l’être et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste de l’Europe bourgeoise fait nouvea
874 nction, non de la considération. Et tout le reste de l’Europe bourgeoise fait nouveau riche, en regard de cette seule clas
875 . Non, je ne peux rien voir dans la « féodalité » de ces junkers, qui soit plus répugnant pour notre humanité que tant de
876 ains » peu contestables : des rapports personnels de maître à serviteur, des rapports personnels de l’homme à la nature so
877 ls de maître à serviteur, des rapports personnels de l’homme à la nature sous toutes ses formes, animales, végétales, dome
878 e croiser dans la rue sans se connaître un patron d’ usine et l’un de ses mécanos. Ou encore, quand le patron salue avec ce
879 a rue sans se connaître un patron d’usine et l’un de ses mécanos. Ou encore, quand le patron salue avec ce mélange de haut
880 Ou encore, quand le patron salue avec ce mélange de hauteur, de méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mél
881 quand le patron salue avec ce mélange de hauteur, de méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crai
882 salue avec ce mélange de hauteur, de méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crainte, de colère
883 de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crainte, de colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pa
884 el répond chez l’inférieur un mélange de crainte, de colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pas scandalisé
885 z l’inférieur un mélange de crainte, de colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pas scandalisé quand le bur
886 le ? La question me paraît, au concret, dépourvue de sens. Mais au nom de la dignité humaine, je demande que les journalis
887 humaine, je demande que les journalistes cessent de déverser sur une classe qu’ils ne peuvent connaître une haine convent
888 nçaient récemment encore, dans un grand quotidien de Paris, ces junkers qui, d’après eux, constituent la fraction d’humani
889 junkers qui, d’après eux, constituent la fraction d’ humanité la plus dangereuse pour la paix du monde. Quoi ! cette centai
890 euse pour la paix du monde. Quoi ! cette centaine de familles écartées du pouvoir dans leur propre patrie depuis la chute
891 u pouvoir dans leur propre patrie depuis la chute de Bismarck, coupées de tous liens politiques avec une Europe bourgeoise
892 ropre patrie depuis la chute de Bismarck, coupées de tous liens politiques avec une Europe bourgeoise, résignée à « laisse
893 te race désarmée qui ne subsiste que par la force d’ une vertu sans égale, sans espoir —, péril pour le monde ! Fable énorm
894 Fable énorme et qui étonne de la part d’écrivains d’ ordinaire consciencieux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant
895 d’écrivains d’ordinaire consciencieux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant d’argent aux propriétaires de la pres
896 ux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant d’ argent aux propriétaires de la presse qui publie ces articles, me para
897 qui rapportèrent tant d’argent aux propriétaires de la presse qui publie ces articles, me paraissaient en ce temps-là plu
898 ient en ce temps-là plus inquiétants que le fusil de chasse de mes hôtes prussiens. Quant à savoir si cette classe justifi
899 temps-là plus inquiétants que le fusil de chasse de mes hôtes prussiens. Quant à savoir si cette classe justifie sa fonct
900 llectuels, les ouvriers, les exploités ont besoin de tels mythes. Mais au regard de la nature, cela n’a point de sens. Ou
901 thes. Mais au regard de la nature, cela n’a point de sens. Ou bien alors : cela désigne une nouvelle répartition des terr
902 ure du sol résoudra seule durablement. Les landes de la Prusse-Orientale sont très irrégulièrement fertiles ; seules les g
903 les grandes entreprises « tiennent le coup » lors d’ une inondation ou d’une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres d
904 ses « tiennent le coup » lors d’une inondation ou d’ une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres de Waldburg un villag
905 ’une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres de Waldburg un village que le burgrave a de son propre chef « libéré ».
906 s terres de Waldburg un village que le burgrave a de son propre chef « libéré ». C’est de tous le plus misérable. Le morce
907 e burgrave a de son propre chef « libéré ». C’est de tous le plus misérable. Le morcellement des terres, le stade démocrat
908 us visiblement qu’ailleurs une utopie. Impossible de passer du latifundium au pavillon de banlieue. Au « majorat » succéde
909 . Impossible de passer du latifundium au pavillon de banlieue. Au « majorat » succédera sans doute un organisme du type de
910 nés par la guerre, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus de monnaie : cela n’a rien changé à l’organisation de leur vie sociale.
911 e monnaie : cela n’a rien changé à l’organisation de leur vie sociale. Ils vivent en paysans de leurs produits. Ils consom
912 sation de leur vie sociale. Ils vivent en paysans de leurs produits. Ils consomment fort peu d’idéologies importées. Les c
913 aysans de leurs produits. Ils consomment fort peu d’ idéologies importées. Les cadets de famille, ceux qu’on envoyait à l’a
914 mment fort peu d’idéologies importées. Les cadets de famille, ceux qu’on envoyait à l’armée, font parfois de la politique 
915 ille, ceux qu’on envoyait à l’armée, font parfois de la politique : Hitler essaie de les flatterb mais ne vainc pas souven
916 mée, font parfois de la politique : Hitler essaie de les flatterb mais ne vainc pas souvent leurs méfiances. Certains se s
917 ces. Certains se sont faits communistes, par goût de l’énergie peut-être. J’ai vu des membres d’un parti national-marxiste
918 goût de l’énergie peut-être. J’ai vu des membres d’ un parti national-marxiste dont le rêve est de restaurer la Prusse du
919 res d’un parti national-marxiste dont le rêve est de restaurer la Prusse du grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Rac
920 urer la Prusse du grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Race de colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe d
921 u grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Race de colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe depuis des siècle
922 … Race de colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe depuis des siècles, mais séculairement menacés par l’Asie :
923 ils lui résistent par leur pauvreté. Les magnats de Hongrie sont déjà des pachas, et l’Occident ne peut rien en attendre,
924 l’Occident ne peut rien en attendre, qu’un corps de janissaires tout au plus. Mais ces hommes durs, silencieux, servants
925 e redoute encore, mais qui forge sa loi au secret de son désespoir… Bastions de l’Occident ? — Duquel ? Ou bien race liée
926 forge sa loi au secret de son désespoir… Bastions de l’Occident ? — Duquel ? Ou bien race liée au seul goût de sa puissanc
927 ident ? — Duquel ? Ou bien race liée au seul goût de sa puissance ? Il y a plus qu’un passé d’héroïsme dans ces châteaux p
928 ul goût de sa puissance ? Il y a plus qu’un passé d’ héroïsme dans ces châteaux perdus, dans ce Waldburg gardien de quels s
929 ans ces châteaux perdus, dans ce Waldburg gardien de quels secrets longuement, lentement fortifiés… La nuit, les moustique
930 nt une rumeur dans l’obscurité profonde. Des cris de chouettes se poursuivent, s’éloignent, reprennent tout proches. Les é
931 nt agenouillés, aussi hauts que les jeunes arbres de la lande. Et la mer respire fort contre les grèves, soulagée de la pe
932 t la mer respire fort contre les grèves, soulagée de la pesante lumière. Mais dans cette chambre élevée du château, l’air
933 e mêler à celle des vieilles boiseries. Enveloppé de gaze je sors sur mon balcon, je me penche sur le parc incertain. Palp
934 la crête des forêts, une rougissante lueur avance de l’Occident vers l’Orient. 1927c. En 1945, tous les châteaux de la Pru
935 vers l’Orient. 1927c. En 1945, tous les châteaux de la Prusse-Orientale ont été rasés par les Russes, sous prétexte de co
936 ce crime, nul n’en ayant tiré profit. 11. Bras de mer intérieur qui s’avance jusqu’à Königsberg. 12. Je m’étonne d’avo
937 qui s’avance jusqu’à Königsberg. 12. Je m’étonne d’ avoir commis moi-même une erreur moins pardonnable que celle que je dé
938 désigner qu’un propriétaire terrien, un hobereau de petite ou de nulle noblesse, pas un instant les grandes familles de l
939 un propriétaire terrien, un hobereau de petite ou de nulle noblesse, pas un instant les grandes familles de la « noblesse
940 lle noblesse, pas un instant les grandes familles de la « noblesse primitive » (Uradel) d’avant 1350 selon le Gotha. a. L
941 es familles de la « noblesse primitive » (Uradel) d’ avant 1350 selon le Gotha. a. La version parue en 1968 dans le Journa
942 tha. a. La version parue en 1968 dans le Journal d’ une époque, sur laquelle se fonde pour l’essentiel cette publication,
943 ine ainsi la phrase : « Cruauté franche est signe de santé, dirait Nietzsche ». Nous signalons l’écart, probablement une v
944 Nous signalons l’écart, probablement une volonté de l’auteur pour la présente édition. b. La version parue en 1968 dans
945 on. b. La version parue en 1968 dans le Journal d’ une époque indique : « Le mouvement national-socialiste les flatte ».
946 Nous signalons l’écart, probablement une volonté de l’auteur pour la présente édition. c. La version parue en 1968 dans
947 ion. c. La version parue en 1968 dans le Journal d’ une époque indique « 1926 ». Nous signalons l’écart, probablement une
948 Nous signalons l’écart, probablement une volonté de l’auteur pour la présente édition.
6 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Deuxième partie. La lenteur des choses — La tour de Hölderlin
949 La tour de Hölderlin « Je lui ai raconté qu’il habite une chaumière au bord d’
950 nt des heures récite des odes grecques au murmure de l’eau ; la princesse de Homburg lui a fait cadeau d’un piano dont il
951 l’eau ; la princesse de Homburg lui a fait cadeau d’ un piano dont il a coupé les cordes, mais pas toutes, en sorte que plu
952 ont il a cassé les cordes, c’est vraiment l’image de son âme ; j’ai voulu attirer là-dessus l’attention du médecin, mais i
953 ’attention du médecin, mais il est plus difficile de se faire comprendre par un sot que par un fou. » L’hiver dernier, m’o
954 u. » L’hiver dernier, m’occupant assez longuement d’ un des poètes auxquels notre temps doit vouer l’attention la plus grav
955 ion la plus grave — car il vécut dans ces marches de l’esprit humain qui confinent peut-être à l’Esprit et dont certains d
956 u tenter le climat, — j’avais rêvé sur ce passage de l’émouvante Bettina, rêvé sans doute assez profondément pour qu’aujou
957 nt un hasard… Hier, c’était la Pentecôte. La fête de la plus haute poésie. Mais dans ce siècle, où tant de voix l’appellen
958 où tant de voix l’appellent, combien sont dignes de s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue de feu qui s’est po
959 s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue de feu qui s’est posée sur Hölderlin et qui l’a consumé… Digne ? — Un ad
960 ui l’a consumé… Digne ? — Un adolescent au visage de jeune fille qui rimait sagement des odes à la liberté… Et voici dans
961 e premier, quand Hölderlin doit quitter la maison de Mme Gontard14, déchirement à peine sensible dans son œuvre. Car ce po
962 n œuvre. Car ce poète n’est peut-être que le lieu de sa poésie, — d’une poésie, l’on dirait, qui ne connaît pas son auteur
963 poète n’est peut-être que le lieu de sa poésie, —  d’ une poésie, l’on dirait, qui ne connaît pas son auteur. Qui parle par
964 ité presque effrayante. Vient le temps où le sens de son monologue entre terre et ciel lui échappe. Il jette encore quelqu
965 au moment où meurt Diotima, Hölderlin errant loin d’ elle (dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé d’insolation ; s
966 ima, Hölderlin errant loin d’elle (dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé d’insolation ; sa folie d’un coup l’env
967 (dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé d’ insolation ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillar
968 eaux croit-on) est frappé d’insolation ; sa folie d’ un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillard qui reparaît en Allema
969 n ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillard qui reparaît en Allemagne. Et durant trente années, ce pauv
970 pauvre corps abandonné vivra dans la petite tour de Tubingue, chez un charpentier — vivra très doucement, inexplicablemen
971 rès doucement, inexplicablement, une vie monotone de vieux maniaque. Le buisson ardent quitté par le feu se dessèche. Ce q
972 ne aux visiteurs venus pour contempler la victime d’ un miracle. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descend
973 ime d’un miracle. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descendu au bord de l’eau, un peu au-dessous de la ma
974 peu au-dessous de la maison, en attendant l’heure d’ ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite déco
975 endant l’heure d’ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à
976 eure d’ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’un
977 vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’ un « Hypérion ». En cherchant, je trouverais bien aussi un « Nietzsche
978 vers l’eau lente. Sur l’autre rive qui est celle d’ une longue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un roman jaun
979 à la main. L’un après l’autre, dans cette paresse de jour férié, les clochers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un
980 e, dans cette paresse de jour férié, les clochers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille
981 chers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille maison souabe, hauts et sombres, qui paraîtr
982 sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille maison souabe, hauts et sombres, qui paraîtraient immenses s’
983 traient immenses s’ils n’étaient à demi encombrés d’ armoires. Un couloir, la chambre. L’homme qui me conduit est le propri
984 ? — (et comme je considère un ravissant médaillon de marbre) — Ça, c’est Diotima ». On rougirait à moins. — « Je ne puis p
985 . On rougirait à moins. — « Je ne puis pas parler de lui, ici à Francfort, écrivait Bettina, car aussitôt l’on se met à ra
986 menade, et le guide désigne familièrement l’image d’ une femme par le nom qu’elle portait au mystère de l’amour. Trois peti
987 d’une femme par le nom qu’elle portait au mystère de l’amour. Trois petites fenêtres ornées de cactus miséreux, une pipe q
988 mystère de l’amour. Trois petites fenêtres ornées de cactus miséreux, une pipe qui traîne sur l’appui ; le jardinet avec s
989 Trente-sept ans dans cette chambre, avec le bruit de l’eau et cette complainte de malade épuisé après un grand accès de fi
990 ambre, avec le bruit de l’eau et cette complainte de malade épuisé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce mond
991 complainte de malade épuisé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeune
992 uisé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeunesse, voilà si longtemps,
993 L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeunesse, voilà si longtemps, si longtemps qu’elles ont fui. Avril
994 en, je n’aime plus vivre. Il y avait encore plus de paix que maintenant. La grande allée sur l’île n’existait pas, en fac
995 s. Il voyait des prairies et des collines basses, de l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel est donc ce sommeil « dans
996 prairies et des collines basses, de l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel est donc ce sommeil « dans la nuit de la v
997 et verte… Quel est donc ce sommeil « dans la nuit de la vie » — et cet aveu mystérieux : « …la perfection n’a pas de plain
998 et cet aveu mystérieux : « …la perfection n’a pas de plainte… » Vivait-il encore ? Ce lieu soudain m’angoisse. Mais le gar
999 . Il ne vient pas tant de visiteurs, et seulement de 2 à 4. Une rue étouffée entre des maisons pointues et les contreforts
1000 fée entre des maisons pointues et les contreforts de l’Église du Chapitre : je vois s’y engager chaque jour le fou au prof
1001 je vois s’y engager chaque jour le fou au profil de vieille femme qui promène doucement dans cette calme Tubingue le secr
1002 ène doucement dans cette calme Tubingue le secret d’ une épouvantable mélancolie. Les étudiants le rencontrent, qui montent
1003 ui montent au Séminaire protestant : il leur fait de profondes révérences… La rumeur et le cliquetis d’une grande terrasse
1004 e profondes révérences… La rumeur et le cliquetis d’ une grande terrasse de café au bord du Neckar, sous les marronniers. À
1005 … La rumeur et le cliquetis d’une grande terrasse de café au bord du Neckar, sous les marronniers. À quatre heures, l’orch
1006 mélodies charmantes, jazz et clarinette, chansons de mai. Les bateaux qui dérivent dans le voisinage se rapprochent, tourn
1007 ime pas les jeunes Doktors à lunettes, en costume de bain, qui pagayent vigoureusement, les dents serrées. « Weg zur Kraft
1008 pas bien ramer et qui lisent des magazines au fil de l’onde, au comble des vacances. D’une table voisine, des adolescents
1009 gazines au fil de l’onde, au comble des vacances. D’ une table voisine, des adolescents balafrés font des signes énergiques
1010 lafrés font des signes énergiques à une compagnie de cavaliers qui passe sur le pont devant la statue d’Eberhard-en-Barbe.
1011 cavaliers qui passe sur le pont devant la statue d’ Eberhard-en-Barbe. Des bourgeois se rient contre par-dessus leurs chop
1012 tout cela existe dans le même monde ? (Il est bon de poser parfois de ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vécu dans
1013 dans le même monde ? (Il est bon de poser parfois de ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vécu dans cette ville, tou
1014 t seuls… Et puis, il lui est arrivé quelque chose de terrible, où il a perdu son âme. Et puis il n’est revenu qu’un vieux
1015 out le monde s’accorde à trouver malsain ce genre de tentatives : cela ne peut que mal finir. Ceux du bon sens hochent la
1016 a tête et citent la phrase la plus malencontreuse de Pascal : le « Qui veut faire l’ange… » a autorisé des générations de
1017 i veut faire l’ange… » a autorisé des générations de bourgeois cultivés à faire la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la
1018 urgeois cultivés à faire la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air de je ne sais que
1019 la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air de je ne sais quelle revanche du médiocre
1020 âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air de je ne sais quelle revanche du médiocre dont ils se sentent bénéficiai
1021 mme cela on est mieux pour donner le coup de pied de l’âne… Écoutons plutôt Bettina — la vérité est plus humaine, est plus
1022  » O cette chambre, où pénètre la facilité atroce de la fin d’un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d
1023 chambre, où pénètre la facilité atroce de la fin d’ un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d’eau… elle
1024 n d’un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d’eau… elle est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un
1025 midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d’ eau… elle est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux soi
1026 urs… Faut-il donc que l’un des deux soit absurde, de ces mondes à mes yeux soudain simultanés ?… Le tragique de la facilit
1027 ndes à mes yeux soudain simultanés ?… Le tragique de la facilité, c’est qu’elle n’est qu’un oubli. Et pourtant, comme elle
1028 à beau fixe. Pourquoi troubler le miroir innocent de ces eaux, ces âmes indulgentes à leur banalité ? Est-ce qu’ils ne sou
1029 our leur donne une petite fièvre, — cette semaine de leur jeunesse où ils ont cru pressentir de grandes choses généreuses
1030 emaine de leur jeunesse où ils ont cru pressentir de grandes choses généreuses autour d’eux… Cela s’oublie. Et l’amour, to
1031 ru pressentir de grandes choses généreuses autour d’ eux… Cela s’oublie. Et l’amour, tout justement, nous fait comprendre,
1032 e : déjà je leur échappe — je t’échappe ô douceur de vivre ! Tout redevient autour de moi insuffisant, transitoire, allusi
7 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Deuxième partie. La lenteur des choses — Petit journal de Souabe
1033 Petit journal de Souabe À la tombée d’une nuit froide, en avril, le voyageur descend
1034 Petit journal de Souabe À la tombée d’ une nuit froide, en avril, le voyageur descend dans un vieux bourg de
1035 en avril, le voyageur descend dans un vieux bourg de Souabe, — quelques lumières au milieu d’une étroite vallée où le trai
1036 re, des forêts. Les rues sont vides jusqu’au cœur de la ville, où l’attend une ample demeure. Et maintenant le chien s’est
1037 le chien s’est tu ; des pas s’éloignent. Un trait de lumière sous la porte disparaît. Il aime sentir autour de lui vivre l
1038 i vivre la grande maisonnée, cet espace cloisonné de murailles respectables, plein de présences et d’absences, — la chambr
1039 espace cloisonné de murailles respectables, plein de présences et d’absences, — la chambre principale où une lampe arrose
1040 de murailles respectables, plein de présences et d’ absences, — la chambre principale où une lampe arrose la pesante nappe
1041 ssins brodés, des verres, des coudes et des pipes de méditation, — des pièces vides où la Lune avance comme un chat sur le
1042 vers l’ombre il distingue les masses confortables de meubles volumineux, le poêle blanc à chapiteau rococo et ce lit énorm
1043 nfouit comme s’il était le sommeil même. Le bruit de la rivière et de l’écluse proche, — ce sera sa première habitude. 2
1044 était le sommeil même. Le bruit de la rivière et de l’écluse proche, — ce sera sa première habitude. 22 avril 1929 M
1045 argie en cet endroit, avant l’écluse qui la prend de biais sur la droite. Un nageur passe à travers les reflets jaunes, ro
1046 ts, des maisons à façades triangulaires. Couleurs d’ un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets d’arbres ; plus près en
1047 à façades triangulaires. Couleurs d’un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets d’arbres ; plus près encore, des nuages
1048 d’un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets d’ arbres ; plus près encore, des nuages troués de petits poissons. À gau
1049 ts d’arbres ; plus près encore, des nuages troués de petits poissons. À gauche je domine un pesant pont de pierre rougeâtr
1050 etits poissons. À gauche je domine un pesant pont de pierre rougeâtre, trois arches dont les piles s’avancent en éperons.
1051 s le parapet, une petite chapelle bossue, nourrie de poussière depuis le Moyen Âge, propose humblement son anachronisme de
1052 le Moyen Âge, propose humblement son anachronisme de plain-pied avec les passants, les voitures. (Ils l’aiment bien, — ne
1053 etite est jolie, très brune, avec un gros collier de verre bleu… Elle lève les yeux tout droit vers moi, une seconde, parl
1054 ent et s’en vont, et avant de disparaître au coin d’ une maison jaune, se retournent. Ce petit monde enclos par le pont et
1055 vraiment mal ? 24 avril 1929 Les habitants de la maison me paraissent peu nombreux, mais sait-on d’où il peut en so
1056 a maison me paraissent peu nombreux, mais sait-on d’ où il peut en sortir encore — sans compter les fantômes, probables ? L
1057 ation, partage sa vie entre la vente des articles de sport et les joies de l’esprit. Quand le négoce installé au rez-de-ch
1058 entre la vente des articles de sport et les joies de l’esprit. Quand le négoce installé au rez-de-chaussée de sa demeure p
1059 prit. Quand le négoce installé au rez-de-chaussée de sa demeure patricienne souffre par le fait des menées impérialistes d
1060 enne souffre par le fait des menées impérialistes de la France, il cherche une revanche sournoise et désintéressée dans l’
1061 vanche sournoise et désintéressée dans l’activité d’ un jugement qui domine la médiocrité du monde. Le père Reinecke est un
1062 r où il me confiera quelques fragments du « livre de sa vie », dont il compose chaque matin deux pages à la machine. Il y
1063 ages à la machine. Il y juge du monde en général, de la religion, des mœurs, de l’histoire, et de ses voisins en particuli
1064 e du monde en général, de la religion, des mœurs, de l’histoire, et de ses voisins en particulier. La « Gnädige » fait ave
1065 ral, de la religion, des mœurs, de l’histoire, et de ses voisins en particulier. La « Gnädige » fait avec bonne humeur la
1066 r la meilleure cuisine possible au Wurtemberg, et de ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’un quatrain de bienvenue. Elle
1067 emberg, et de ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’ un quatrain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en
1068 ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’un quatrain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en vers. Chacun s
1069 ain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en vers. Chacun son petit talent dans la famille. Le gros Fritz
1070 dans la famille. Le gros Fritz est un blond géant de 25 ans, qui rit avec bonté et se distingue dans les concours de gymna
1071 rit avec bonté et se distingue dans les concours de gymnastes. La domestique a cet air de victime attristée que prennent
1072 es concours de gymnastes. La domestique a cet air de victime attristée que prennent souvent les servantes de la bourgeoisi
1073 time attristée que prennent souvent les servantes de la bourgeoisie. Quant au chien, de l’espèce dite « schnauzer », il mo
1074 les servantes de la bourgeoisie. Quant au chien, de l’espèce dite « schnauzer », il montre un poil de couleur neutre, et
1075 de l’espèce dite « schnauzer », il montre un poil de couleur neutre, et quelque bienveillance lorsqu’il a compris. Est-ce
1076 a compris. Est-ce tout ? Il y a encore l’absence de la fille, élément considérable dans l’atmosphère et dans l’économie d
1077 ière, et les galants qui passent sans avoir l’air de rien sur le pont Saint-Nikolaus sont bien capots de voir à sa fenêtre
1078 rien sur le pont Saint-Nikolaus sont bien capots de voir à sa fenêtre la silhouette de l’Étranger. On a laissé sa photo d
1079 nt bien capots de voir à sa fenêtre la silhouette de l’Étranger. On a laissé sa photo dans ma chambre, « pour que vous aye
1080 s font, pas trop tôt. 28 avril 1929 Ils ont de la peine à comprendre pourquoi je suis venu vivre dans ce bourg, chez
1081 en rond entre les collines, secrète sous un voile de brume bleue, dans une grande paix. Vue de la hauteur, sous un ciel pâ
1082 n voile de brume bleue, dans une grande paix. Vue de la hauteur, sous un ciel pâle avec des nuages blancs qui s’en vont. U
1083 ent froid, mais quelques douceurs aux abris, près d’ une de ces maisons isolées où je ne l’amènerai jamais, à cette heure q
1084 oid, mais quelques douceurs aux abris, près d’une de ces maisons isolées où je ne l’amènerai jamais, à cette heure qui ser
1085 l’amènerai jamais, à cette heure qui serait celle de rentrer chez nous s’asseoir auprès d’un feu… — Mais non. 7 mai 192
1086 erait celle de rentrer chez nous s’asseoir auprès d’ un feu… — Mais non. 7 mai 1929 « J’ai mes brouillards et mon bea
1087 de moi », remarque Pascal, asservi au seul climat de l’âme. Pour moi, c’est ma jeunesse et ma vieillesse que je porte ains
1088 lesse que je porte ainsi tour à tour. Entre l’âge de mes humeurs et le chiffre de mes années, « peu de liaison ». C’est à
1089 à tour. Entre l’âge de mes humeurs et le chiffre de mes années, « peu de liaison ». C’est à l’intimité de mon regard avec
1090 es années, « peu de liaison ». C’est à l’intimité de mon regard avec les choses que je mesure ma jeunesse : dans ces campa
1091 choisissant parfois pour y sommeiller une lisière d’ où l’on voie de lointains horizons, puis de nouveau m’enfonçant au has
1092 fois pour y sommeiller une lisière d’où l’on voie de lointains horizons, puis de nouveau m’enfonçant au hasard dans la for
1093 ère montait vers la cime des arbres, aux lisières d’ une forêt de Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clar
1094 vers la cime des arbres, aux lisières d’une forêt de Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clarté devant le
1095 Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clarté devant le ciel pâli. Tout vivait autour de moi dans une sorte
1096 el pâli. Tout vivait autour de moi dans une sorte d’ ivresse lente et majestueuse, et bientôt je me pris à composer des phr
1097 attant, que poursuis-tu dans le mystère des orées d’ ombre ? » Et l’on me répondait : « Ici, la jeune fille Aurore a surpri
1098 sous la futaie.) J’avançais à travers une nature de divagation. Les lisières sont des lieux de l’esprit où circulent des
1099 nature de divagation. Les lisières sont des lieux de l’esprit où circulent des bêtes nées du rêve. Et l’Archer vierge y co
1100 r vierge y court en vain sur la trace des figures de son désir. (« Oh ! qu’il garde ses flèches, il ne tuerait qu’un songe
1101 dis qu’ici j’écris, je me sens tout baigné encore de cette fièvre amoureuse ; et tout est mythe de nouveau. Mythes de l’om
1102 amoureuse ; et tout est mythe de nouveau. Mythes de l’ombre et des frontières, sortis de la forêt occidentale : je retrou
1103 veau. Mythes de l’ombre et des frontières, sortis de la forêt occidentale : je retrouve en eux mon enfance entourée de pré
1104 dentale : je retrouve en eux mon enfance entourée de présences obscures, mon enfance, cette foi anxieuse en je ne sais que
1105 lus là. —J’ai poursuivi longtemps le reflet rouge de ses yeux parmi les troncs qui luisaient, faiblement, vers le cœur pro
1106 e croyais m’enfoncer et me perdre dans le silence d’ une mémoire bienheureuse. 17 mai 1929 Rentré hier de Tubingue. (
1107 moire bienheureuse. 17 mai 1929 Rentré hier de Tubingue. (La tour de Hölderlin.) Dès demain, discipline de travail.
1108 17 mai 1929 Rentré hier de Tubingue. (La tour de Hölderlin.) Dès demain, discipline de travail. Lire. 21 mai 1929
1109 e. (La tour de Hölderlin.) Dès demain, discipline de travail. Lire. 21 mai 1929 Matinées végétales, depuis trois jou
1110 e lève à 7 h, rassemble quelques papiers, un tome de Meister, un paquet de tabac, le tout dans une couverture sous mon bra
1111 e quelques papiers, un tome de Meister, un paquet de tabac, le tout dans une couverture sous mon bras. La ville s’éveille
1112 brûlantes au matin, dominant la ville, ses bruits de chars, ses cris d’enfants. Je traverse l’odeur des groseilliers, écar
1113 dominant la ville, ses bruits de chars, ses cris d’ enfants. Je traverse l’odeur des groseilliers, écarte des ronces, et v
1114 liers, écarte des ronces, et voici sous une voûte de feuillage, la table de pierre et son banc en demi-cercle. L’air est e
1115 s, et voici sous une voûte de feuillage, la table de pierre et son banc en demi-cercle. L’air est encore humide dans cette
1116 cercle. L’air est encore humide dans cette grotte d’ ombre. Sur le banc froid j’étale ma couverture, et mes papiers sur la
1117 urre une pipe. Et alors je ris, je ris du plaisir de la matinée vide devant moi. Merveille de penser au fil du désordre le
1118 plaisir de la matinée vide devant moi. Merveille de penser au fil du désordre lent de la vie d’un jardin, dans l’odeur de
1119 moi. Merveille de penser au fil du désordre lent de la vie d’un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre n
1120 eille de penser au fil du désordre lent de la vie d’ un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre noire, des
1121 d’un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre noire, des mousses. Des fils d’araignée luisent et des brind
1122 ivantes, de la terre noire, des mousses. Des fils d’ araignée luisent et des brindilles tombent sur mes mains, écorces, che
1123 nt sur mes mains, écorces, chenilles. Une bouffée de pipe enveloppe une guêpe qui rôde autour de ma tête. La volupté de te
1124 une guêpe qui rôde autour de ma tête. La volupté de telles heures consiste à n’écrire que quatre ou cinq phrases mais en
1125 que quatre ou cinq phrases mais en tenant compte de tout ce qui bouge. Il importe de s’arrêter longuement sous tous les p
1126 en tenant compte de tout ce qui bouge. Il importe de s’arrêter longuement sous tous les prétextes, de secouer sa pipe quan
1127 de s’arrêter longuement sous tous les prétextes, de secouer sa pipe quand les dernières bouffées deviennent écœurantes, d
1128 and les dernières bouffées deviennent écœurantes, de s’étirer alors et de considérer les flaques de soleil sur la table. J
1129 ffées deviennent écœurantes, de s’étirer alors et de considérer les flaques de soleil sur la table. Je somnole dans une mé
1130 s, de s’étirer alors et de considérer les flaques de soleil sur la table. Je somnole dans une méditation à la fois distrai
1131 es végétales, ces cheminements brisés et délicats d’ insectes rampants ou volants, ces formes et ces voies qui sont celles
1132 avec tout le mobile et l’ineffable du monde. Cure de sommeil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque
1133 mobile et l’ineffable du monde. Cure de sommeil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi 
1134 ’ineffable du monde. Cure de sommeil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi — cure vraim
1135 meil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi — cure vraiment : il s’agit de dissoudre ces
1136 nis chaque après-midi — cure vraiment : il s’agit de dissoudre ces angles droits, ces symétries minérales qu’on instruisit
1137 e répondent, se conviennent et soient signes l’un de l’autre. Dans le bonheur de cette matinée, la pensée s’abandonne à la
1138 et soient signes l’un de l’autre. Dans le bonheur de cette matinée, la pensée s’abandonne à la séduction des ramures, et v
1139 tinguer dans leur dessin des formes particulières de son activité. En même temps elle se peuple d’arbres, de germes lents,
1140 res de son activité. En même temps elle se peuple d’ arbres, de germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à trave
1141 activité. En même temps elle se peuple d’arbres, de germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à travers ce jard
1142 e temps elle se peuple d’arbres, de germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à travers ce jardin éveille en ell
1143 te. Elle fraie des pistes délicates dans l’esprit de qui sait l’entendre, et celui-là peut-être, si plus tard il remonte j
1144 era des choses nouvelles dans l’espace. (Au poète de les nommer.) 22 mai 1929 (Après avoir relu ce que j’écrivais hi
1145 u ce que j’écrivais hier.) Il s’agirait, au fond, d’ amener la pensée à la plus insistante vénération du réel. Tel serait l
1146 tante vénération du réel. Tel serait le fondement d’ une morale des idées « par-delà le logique et l’absurde ». Ah bien ! j
1147 dans la tête et dans la peau toute cette matinée d’ air, l’odeur de hautes tiges croissantes et de fourmis rouges. Dès 9 h
1148 t dans la peau toute cette matinée d’air, l’odeur de hautes tiges croissantes et de fourmis rouges. Dès 9 heures j’ai pu t
1149 née d’air, l’odeur de hautes tiges croissantes et de fourmis rouges. Dès 9 heures j’ai pu travailler en costume de bain. B
1150 ouges. Dès 9 heures j’ai pu travailler en costume de bain. Buffon préférait les manchettes et le jabot. C’est bien l’un de
1151 l’un des auteurs les plus constamment provoquants de son siècle, — il faudra s’y remettre. Mais ici je m’adonne aux seuls
1152 s romans modernes.) Le pasteur suédois et le mage d’ Einsiedeln représentent assez bien à eux deux, par un hasard qui ne m’
1153 hasard qui ne m’étonne guère, ce double mouvement de matérialisation du spirituel et d’intellectualisation du physique qui
1154 uble mouvement de matérialisation du spirituel et d’ intellectualisation du physique qui justement m’apparaît comme le thèm
1155 physique qui justement m’apparaît comme le thème de mes songeries souabes. Mettons un peu cela au net. Paracelse s’occupa
1156 Mettons un peu cela au net. Paracelse s’occupait d’ extraire l’ens des corps, tandis que Swedenborg se complaît à décrire
1157 anges. L’un découvre l’univers dans chaque organe de la machine humaine. L’autre enseigne que chacun des anges est un miro
1158 ets que nous touchons, — ce mystique avec naturel de ce qui nous est invisible. Tous deux orientent la réflexion vers le s
1159 vers le symbole concret. N’est-ce point ce genre de démarche que notre « culture » a le plus méprisé ? N’est-ce point à c
1160 nt à cause de ce mépris qu’elle a perdu le secret de l’humain ? Car voici bien le monde qu’on nous a fait. Tout encombré d
1161 ci bien le monde qu’on nous a fait. Tout encombré d’ idées sans corps, de corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si
1162 on nous a fait. Tout encombré d’idées sans corps, de corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout
1163 encombré d’idées sans corps, de corps stupides —  de nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves e
1164 sans corps, de corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves et de systèmes qui
1165 es et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves et de systèmes qui ne correspondent à rien ni dans le ciel ni
1166 urs, si vous voulez —, tout encombré de larves et de systèmes qui ne correspondent à rien ni dans le ciel ni sur la terre.
1167 l’homme ? qu’est-ce donc que ce paradoxal mélange de chair et d’âme ? Paracelse et Swedenborg s’accorderaient, je le crois
1168 ’est-ce donc que ce paradoxal mélange de chair et d’ âme ? Paracelse et Swedenborg s’accorderaient, je le crois, pour répon
1169 rg, puisque leur tentation, leur nostalgie, c’est de revêtir un corps humain. Or, pour l’être situé en un tel lieu — le l
1170 êtres qui peuplent ces villes, là-bas, que le nom d’ homme ne saurait plus les désigner sans fraude. Un bel assortiment de
1171 plus les désigner sans fraude. Un bel assortiment de monstres ! (J’ai lu le journal après dîner.) Et tous les accessoires
1172 le journal après dîner.) Et tous les accessoires de leurs démences, depuis les petites ailes dans le dos jusqu’au groin a
1173 au groin anti-gaz ! Ah ! Diogène, Diogène ! cesse de chercher un homme. Tâche plutôt d’en devenir un. — Parmi ces gens d’i
1174 iogène ! cesse de chercher un homme. Tâche plutôt d’ en devenir un. — Parmi ces gens d’ici, qui prennent leur temps. Parmi
1175 asser pour abstraites ont au contraire le pouvoir de rendre à nos sens leur efficacité et leur étonnement. Je regarde les
1176 acité et leur étonnement. Je regarde les feuilles de ma salade d’un autre œil, depuis que je lis Paracelse, méditant avec
1177 étonnement. Je regarde les feuilles de ma salade d’ un autre œil, depuis que je lis Paracelse, méditant avec appétit sur c
1178 ieu des correspondances, qui est le degré suprême de la signification. (L’état de l’âme et du corps où tout nous apparaît
1179 est le degré suprême de la signification. (L’état de l’âme et du corps où tout nous apparaît en relations concrètes.) 3
1180 .) 31 mai 1929 Personne n’a fabriqué autant de mots abstraits que les professeurs allemands, et cependant, par une a
1181 pparente contradiction, la mentalité du bourgeois de ce pays est puissamment réaliste. J’en trouve des marques bien curieu
1182 ie » du père Reinecke. Il y est beaucoup question de la vie éternelle, et d’expériences vécues avec l’Ange gardien, mais c
1183 l y est beaucoup question de la vie éternelle, et d’ expériences vécues avec l’Ange gardien, mais c’est toujours en relatio
1184 Mes funérailles devront se dérouler dans le cadre de Jésus-Sirach, 38, verset 16-24. Qu’on mange et qu’on boive ferme aprè
1185 lésine pas. Il restera toujours assez, à l’époque de ma mort, pour supporter ces frais ; à tout le moins les mille marks q
1186 tout le moins les mille marks que paie la Caisse de décès y suffiront. Il faut que chacun des participants s’en retourne
1187 rrement ! » Et de même, ceux qui auront pris soin de moi au moment de ma mort et tôt après devront être largement dédommag
1188 l ne sait si je ne flotterai pas encore au-dessus de vous, et si je n’éprouverai pas de l’amertume à voir que mes derniers
1189 core au-dessus de vous, et si je n’éprouverai pas de l’amertume à voir que mes derniers désirs mêmes ne sont pas accomplis
1190 owatts. Je veux être mis en bière dans mes habits de tous les jours, et peu importe si les coudes ou le fond de mon pantal
1191 es jours, et peu importe si les coudes ou le fond de mon pantalon brillent. En aucun cas je ne veux être emballé dans une
1192 un cas je ne veux être emballé dans une serviette de papier. Je renonce aux couronnes mortuaires et à toute autre marque e
1193 nes mortuaires et à toute autre marque extérieure de deuil ; par contre je voudrais que l’on joue sur ma tombe : « Schon d
1194 uin 1929 Tennis avec la jolie fille au collier de perles bleues. Après la partie, où l’on s’est renvoyé autant de regar
1195 es. Après la partie, où l’on s’est renvoyé autant de regards que de balles : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre
1196 rtie, où l’on s’est renvoyé autant de regards que de balles : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre de mon amie, vo
1197 es : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre de mon amie, vous étiez si melancholisch ! » — « À ma fenêtre ? Je ne m’
1198 ouviens pas », dis-je, mentant. Une grosse averse d’ orage nous a fait fuir sous la tonnelle du vestiaire. « N’est-ce pas,
1199 pense : comme elles sont tout de suite en fuite, de tout leur maintien, quand elles ne sont pas provocantes). Elle baisse
1200 le baisse les yeux, rougit, respire. Elle a l’air de se moquer de moi et d’avoir subi une sorte d’affront, en même temps.
1201 yeux, rougit, respire. Elle a l’air de se moquer de moi et d’avoir subi une sorte d’affront, en même temps. — « Ne regard
1202 git, respire. Elle a l’air de se moquer de moi et d’ avoir subi une sorte d’affront, en même temps. — « Ne regardez donc pa
1203 air de se moquer de moi et d’avoir subi une sorte d’ affront, en même temps. — « Ne regardez donc pas mes mains, je dois fa
1204 les ongles… ». Elle voudrait ressembler aux girls de son magazine, et me voit comme au cinéma. Moi, je crois entendre Gret
1205 qui nous rapproche sous la forme, respectivement, d’ une carte postale et d’une réminiscence littéraire. Ses deux sœurs son
1206 la forme, respectivement, d’une carte postale et d’ une réminiscence littéraire. Ses deux sœurs sont venues la chercher, e
1207 me parapluie, jusqu’à leur petite maison couverte de roses Crimson. Le père est un colonel en retraite qui déteste les Fra
1208 te qui déteste les Franzosen. On ne me permet pas d’ entrer. 11 juin 1929 Au rebours des classiques français, livrés
1209 ndément « populaire ». Non seulement l’aubergiste d’ en face cite ses vers en guise de proverbes à propos du temps ou des a
1210 emps ou des affaires locales ; mais les bourgeois de Meister parlent exactement comme mes hôtes, avec les mêmes tours fami
1211 sentencieux, qu’il s’agisse des choses du ciel ou de l’ordonnance du ménage. Une fois de plus, je m’émerveille du réalisme
1212 ge. Une fois de plus, je m’émerveille du réalisme de ce peuple de rêveurs. Dans les Affinités électives, au moment le plus
1213 de plus, je m’émerveille du réalisme de ce peuple de rêveurs. Dans les Affinités électives, au moment le plus dramatique,
1214 és électives, au moment le plus dramatique, celui de la noyade pendant le feu d’artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va
1215 lus dramatique, celui de la noyade pendant le feu d’ artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va-t-elle apostropher le desti
1216 a noyade pendant le feu d’artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va-t-elle apostropher le destin ou pousser de beaux cris
1217 tesse. Va-t-elle apostropher le destin ou pousser de beaux cris raciniens ? Elle envoie le capitaine au château puis songe
1218 aine au château puis songe qu’il a oublié la clef de l’armoire aux confitures. (Je crois qu’il y a dans cette armoire un c
1219 diqué en l’occurrence.) Ainsi vivait l’Allemagne d’ hier — celle de cette province encore — dans l’intimité vivante de ses
1220 rrence.) Ainsi vivait l’Allemagne d’hier — celle de cette province encore — dans l’intimité vivante de ses classiques. De
1221 e cette province encore — dans l’intimité vivante de ses classiques. De là peut-être cette dignité conférée à la vie bourg
1222 core — dans l’intimité vivante de ses classiques. De là peut-être cette dignité conférée à la vie bourgeoise, qui fait un
1223 unesse. Il m’y ramène par un tour moins imprudent de la réflexion, avec ce même « réalisme » exemplaire, que tout, ici, co
1224 it laisser aucun doute, fussions-nous même privés de certains témoignages oraux ou de quelques textes irréfutables. Cepend
1225 nous même privés de certains témoignages oraux ou de quelques textes irréfutables. Cependant il possède à un si haut degré
1226 . Cependant il possède à un si haut degré le sens de l’enrobement des vérités occultes, de leur symbolisme concret, de leu
1227 gré le sens de l’enrobement des vérités occultes, de leur symbolisme concret, de leur incarnation, qu’il est possible de l
1228 des vérités occultes, de leur symbolisme concret, de leur incarnation, qu’il est possible de lire les Affinités « sans y r
1229 concret, de leur incarnation, qu’il est possible de lire les Affinités « sans y rien voir », comme on dit15. Mais lorsqu’
1230 ain — quelle prise ! Et combien j’aime le paysage de cette œuvre, son climat, jusqu’aux détails de l’intendance des domain
1231 age de cette œuvre, son climat, jusqu’aux détails de l’intendance des domaines. Là, toute démarche de la pensée s’accorde
1232 de l’intendance des domaines. Là, toute démarche de la pensée s’accorde à des pentes variées et réelles, aux collines thu
1233 nnes sous un très grand ciel doux. Une atmosphère de réflexion confiante et substantielle… Qu’irai-je demander d’autre à c
1234 n confiante et substantielle… Qu’irai-je demander d’ autre à cette « Germanie aimée16 » ? Ah ! les livres nous avaient bien
1235 s livres nous avaient bien trompés. Pas trace ici de « merveilleux ». Tout ce qui, sous d’autres climats, fait effervescen
1236 rais-je un jour décrire ma Souabe : comme un état de l’âme patiente. Une pensée sensuelle et lente, et qui jouit parfois d
1237 e pensée sensuelle et lente, et qui jouit parfois de son objet… 13 juin 1929 Werther. J’ai mis des feuilles de buva
1238 13 juin 1929 Werther. J’ai mis des feuilles de buvard entre les pages, à cause de toutes ces larmes. Maintenant, par
1239 mes. Maintenant, parlez-moi du modernisme éternel de cette plainte. — Des Werthers aux yeux secs, voilà ce que nous sommes
1240 épassent, et parfois un œil égrillard. Impossible de lire Meister ce soir. Je ne sais pas ce qu’il y a, sinon que je dois
1241 , sinon que je dois retenir violemment une espèce de joie qui attrape la fièvre dans mon corps. Toute cette journée baigné
1242 ièvre dans mon corps. Toute cette journée baignée de l’air des collines, il semble que mon sang ce soir la comprenne et lu
1243 ne maison isolée, la plus secrète dans les arbres de son verger… pour… ? Le sais-je même ? La fille au collier bleu… Tout
1244 Le sais-je même ? La fille au collier bleu… Tout d’ un coup le sommeil me vide les jambes. La nuit se ferme à l’imaginatio
1245 pincer le nerf Réalité avec un sourd gémissement de la pensée. J’ai vu la vie, c’est fini, je rentre en moi ; n’ai pas bo
1246 ai pas bougé. Le père Reinecke ferme son magazine d’ un coup, ôte ses lunettes, me regarde avec des yeux écarquillés. « Mai
1247 voulons aller dormir. Ainsi, dormez bien, faites de doux rêves, — il cligne vers son magazine — pas trop doux, hein !… »
1248 doit être ainsi : parfaitement compréhensible et d’ une vulgarité toute naturelle. Il faut aller dormir. Rose de Tannen
1249 e de Tannenbourg L’esplanade du Brühl, un soir de fête, en juin. Il y a dans les marronniers noirs des lampions et des
1250 les marronniers noirs des lampions et des touffes de gamins qui regardent avec la bouche ce qui se passe à l’intérieur d’u
1251 dent avec la bouche ce qui se passe à l’intérieur d’ une enceinte de toiles tendues au-devant d’un petit théâtre. La rampe
1252 uche ce qui se passe à l’intérieur d’une enceinte de toiles tendues au-devant d’un petit théâtre. La rampe a des feux stel
1253 érieur d’une enceinte de toiles tendues au-devant d’ un petit théâtre. La rampe a des feux stellaires, couleur d’Aldébaran.
1254 théâtre. La rampe a des feux stellaires, couleur d’ Aldébaran. On joue Rose de Tannenbourg, drame en 15 tableaux, un prolo
1255 arton des armures sonne sourdement sous les coups d’ un Kühnrich à la basse rugissante, plus traître que nature avec sa lar
1256 e avec sa large face mangée par une barbe en crin de cheval du diable. L’héroïne est belle comme une ballade de Bürger, ta
1257 du diable. L’héroïne est belle comme une ballade de Bürger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil de la prison pat
1258 omme une ballade de Bürger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil de la prison paternelle, tout en coulant un clin
1259 ger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil de la prison paternelle, tout en coulant un clin d’œil assassin vers le
1260 ant un clin d’œil assassin vers le parterre agité de passions contradictoires. Durant les entractes, une fanfare de paysan
1261 ontradictoires. Durant les entractes, une fanfare de paysans bleu de roi joue sur un rythme impeccable, avec toujours les
1262 Durant les entractes, une fanfare de paysans bleu de roi joue sur un rythme impeccable, avec toujours les mêmes notes fêlé
1263 es fêlées et l’accompagnement dans les feuillages de voix fausses mais aériennes, des chansons du Grand Duché de Bade qui
1264 usses mais aériennes, des chansons du Grand Duché de Bade qui sont ce que je connais de plus indiciblement nostalgique. U
1265 nuit est chaude sur les collines. Un grand verre de bière à l’auberge déserte, ma pipe et mon chien qui bougonne. La peti
1266 ué son collier à mon poignet : « pour que je rêve d’ elle ». Son sérieux enfantin devant la vie. « Es ist doch Schicksal, e
1267 et cela signifie d’ailleurs qu’il n’y a pas lieu de résister. 22 juin 1929 Rencontre avec la jeune fille tzigane.
1268 rai-je ici comme un rêve ? ou comme quelque chose de bien vrai et qui s’est passé cette nuit ? Plusieurs choses sont douce
1269 ette nuit ? Plusieurs choses sont douces au désir de celui qui marche dans une campagne nocturne. Mais plus douce que tout
1270 toutes choses est la rencontre sous un arbre noir d’ une femme abandonnée dans sa tristesse. Par moments il y a la Lune et
1271 se. Par moments il y a la Lune et le visage blanc de la femme debout contre le tronc. (Pour moi je demeure dans l’ombre.)
1272 les yeux clos. L’arbre, en sa nuit vivante, rêve de nous. Plus tard, nous nous sommes regardés sans fin. (Ah ! comment di
1273 Je reconnus la jeune fille tzigane, ma Rose noire de Tannenbourg. La lumière délirait doucement, au sein du silence et du
1274 egard. Et nous sommes demeurés des heures au-delà de ce que l’on ignore d’un être, dans le domaine sans frontière où l’on
1275 demeurés des heures au-delà de ce que l’on ignore d’ un être, dans le domaine sans frontière où l’on connaît profondément.
1276 ntière où l’on connaît profondément. Par les yeux d’ une femme étrangère, mes yeux possédaient sans mesure tout ce que l’an
1277 eux possédaient sans mesure tout ce que l’anxiété de la vie nous dérobe : la nudité, la plénitude et la violence infinimen
1278 ce infiniment comblée. Oui, j’ai su que l’échange de deux regards est infini, est indéfiniment grandiose et musical. Ainsi
1279 che. Maintenant la journée commence, avec les pas de la servante au corridor.) 30 juin 1929 Hier soir sur la route d
1280 enade d’après dîner avec mes hôtes, nous parlions de prémonitions, et je venais de raconter comment parfois j’ai su qui m’
1281 ment parfois j’ai su qui m’attendait à la lisière de cette forêt tel soir d’été, quel sujet d’examen venait de m’être rése
1282 m’attendait à la lisière de cette forêt tel soir d’ été, quel sujet d’examen venait de m’être réservé, ou quelles lettres
1283 lisière de cette forêt tel soir d’été, quel sujet d’ examen venait de m’être réservé, ou quelles lettres j’allais recevoir
1284 pieds dans le bourg, et le père Reinecke refusait de croire à mes histoires. Soudain j’ai dit : « Voilà que ça me prend, t
1285 ent ! Attendez que je vous dise… Sur mon assiette de petit déjeuner, demain matin, il y a une grande enveloppe jaune, une
1286 lair, et une plus petite enveloppe blanche bordée de noir. » (Sentiment de certitude tranquille, ces objets vus dans une l
1287 te enveloppe blanche bordée de noir. » (Sentiment de certitude tranquille, ces objets vus dans une lumière sobre et mate.)
1288 ès nettement perçus, mais rien de plus, donc rien d’ utilisable éventuellement. Ce matin, en trouvant les trois lettres sur
1289 siette, j’ai dit : « C’est bien cela », sans plus d’ étonnement que les autres fois. Le père Reinecke, survenu peu après, n
1290 que je savais qui allait m’écrire, et que j’avais d’ assez bonnes chances de deviner juste. Mais je n’ai rien deviné du tou
1291 t m’écrire, et que j’avais d’assez bonnes chances de deviner juste. Mais je n’ai rien deviné du tout, puisque j’ai vu ! C’
1292 u tout, puisque j’ai vu ! C’est là tout l’intérêt de l’affaire : cette perception soudaine, ce regard par mégarde sur un p
1293  » dans le temps. Les trois lettres sont timbrées d’ hier, deux à Genève dans la matinée, une à Neuchâtel à sept heures du
1294 hâtel à sept heures du soir. Celle qui est bordée de noir est d’un ami aîné qui mentionne en passant la mort de sa belle-m
1295 heures du soir. Celle qui est bordée de noir est d’ un ami aîné qui mentionne en passant la mort de sa belle-mère, survenu
1296 st d’un ami aîné qui mentionne en passant la mort de sa belle-mère, survenue il y a quelques jours. La lettre bleue est de
1297 rvenue il y a quelques jours. La lettre bleue est de Pierre Girard, personnage imprévisible s’il en fut, et je n’avais auc
1298 évisible s’il en fut, et je n’avais aucune raison d’ attendre qu’il m’écrive. Quant à l’enveloppe jaune, elle contenait un
1299 enait un article où l’on revient sur mon pamphlet de l’hiver dernier17. Lorsque j’ai vu ces enveloppes hier soir, un peu a
1300 soir, un peu après neuf heures, sans rien deviner de leur contenu que je ne pouvais voir à travers l’enveloppe, ni de leur
1301 que je ne pouvais voir à travers l’enveloppe, ni de leur expéditeur (je n’ai pas vu l’écriture des adresses), elles roula
1302 dre effet ni sur leur rédaction, ni sur le moment de leur arrivée, ni sur ma conduite : la vision n’a « servi » exactement
1303 vi » exactement à rien. (Était-ce là sa condition de possibilité ?) Mais elle m’est signe d’un certain état d’accueil aux
1304 condition de possibilité ?) Mais elle m’est signe d’ un certain état d’accueil aux choses, d’une rupture des enchaînements
1305 bilité ?) Mais elle m’est signe d’un certain état d’ accueil aux choses, d’une rupture des enchaînements utiles, d’une dist
1306 est signe d’un certain état d’accueil aux choses, d’ une rupture des enchaînements utiles, d’une distraction des évidences
1307 x choses, d’une rupture des enchaînements utiles, d’ une distraction des évidences rationnelles, à la faveur de quoi c’est
1308 straction des évidences rationnelles, à la faveur de quoi c’est la « vraie vie » qui se laissera peut-être approcher. D
1309 e » qui se laissera peut-être approcher. Début de juillet 1929 « Écrivez donc une nouvelle allemande pleine de myoso
1310 9 « Écrivez donc une nouvelle allemande pleine de myosotis, de Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de c
1311 z donc une nouvelle allemande pleine de myosotis, de Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la
1312 llemande pleine de myosotis, de Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la redingote verte, de j
1313 rard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la redingote verte, de jeunes filles qui jouent du violon
1314 dans la forêt, de chasseur à la redingote verte, de jeunes filles qui jouent du violon dans les champs de myrtilles et d’
1315 eunes filles qui jouent du violon dans les champs de myrtilles et d’impératrices qui prient dans des chapelles envahies pa
1316 jouent du violon dans les champs de myrtilles et d’ impératrices qui prient dans des chapelles envahies par les sapins. »
1317 elles envahies par les sapins. » C’est une lettre de l’auteur de la Rose de Thuringe, Pierre Girard. J’ai répondu : « Je n
1318 es par les sapins. » C’est une lettre de l’auteur de la Rose de Thuringe, Pierre Girard. J’ai répondu : « Je ne sais pas s
1319 sais pas si vous avez connu ce contentement large de tout l’être devant un verre de vin allemand que l’on boit à petites g
1320 contentement large de tout l’être devant un verre de vin allemand que l’on boit à petites gorgées, entre des bouffées de p
1321 e l’on boit à petites gorgées, entre des bouffées de pipe, à l’auberge. Le charme se compose de voluptés du goût et de l’o
1322 uffées de pipe, à l’auberge. Le charme se compose de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissan
1323 erge. Le charme se compose de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se c
1324 me se compose de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans
1325 de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’ une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans un désir ou d
1326 l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans un désir ou dans un rêve. Le vin de So
1327 e concentre dans un désir ou dans un rêve. Le vin de Souabe grise insensiblement, c’est plutôt qu’une fièvre une jubilatio
1328 bonhomme qui commence par le cœur et se contente de ralentir doucement les idées. C’est un attendrissement plein de force
1329 ucement les idées. C’est un attendrissement plein de force et de dignité. Alors si l’on est quelques-uns, on se met à chan
1330 idées. C’est un attendrissement plein de force et de dignité. Alors si l’on est quelques-uns, on se met à chanter des chos
1331 l y a de plus pur dans la nature et toutes sortes de sensualités et de gourmandises qui s’éveillent, en sont comme sanctif
1332 dans la nature et toutes sortes de sensualités et de gourmandises qui s’éveillent, en sont comme sanctifiées. Mais c’est l
1333 , en sont comme sanctifiées. Mais c’est le moment d’ entamer le jambon et les cornichons que dépose sur la table une servan
1334 ueuse des plaisirs des hommes, et peut-être aussi de leurs familiarités. » J’étais attablé ce soir-là dans l’Auberge du Ce
1335 qu’apportent dans leurs démonstrations les chiens de tous les pays). Au bout d’un certain temps, et sans doute à cause de
1336 temps, et sans doute à cause de ce que je venais d’ écrire, la faim me prit et je demandai une paire de saucisses croquant
1337 ’écrire, la faim me prit et je demandai une paire de saucisses croquantes et de la moutarde douce. Le journal local m’avai
1338 je demandai une paire de saucisses croquantes et de la moutarde douce. Le journal local m’avait apporté cette ration de b
1339 ce. Le journal local m’avait apporté cette ration de bouleversements, locaux aussi à leur manière, et très éloignés, qui c
1340 t se poser devant moi. La servante à l’autre coin de la pièce brodait, baillait, se sentait seule aussi. Ah ! pensai-je — 
1341 j’écris ici, c’était alors une soudaine virulence de ma pensée, un élan contenu de certitude et de tendre lucidité, — je s
1342 soudaine virulence de ma pensée, un élan contenu de certitude et de tendre lucidité, — je sais pourquoi je puis rester da
1343 nce de ma pensée, un élan contenu de certitude et de tendre lucidité, — je sais pourquoi je puis rester dans cette Souabe
1344 me félicite sur ma bonne mine, résultat selon lui de l’excellente cuisine que nous sert la Gnädige. Je n’aurais plus l’air
1345 icitons l’hôtesse. Au reste il s’agit bel et bien d’ une question de nourriture, — la question fondamentale, et non point s
1346 se. Au reste il s’agit bel et bien d’une question de nourriture, — la question fondamentale, et non point seulement pour l
1347 e corps. J’ai pensé aux gens des villes, au décor de leur « vie ». J’ai vu clairement qu’ils sont en péril d’inanition spi
1348 « vie ». J’ai vu clairement qu’ils sont en péril d’ inanition spirituelle. Ils ne dorment plus assez pour se rendre compte
1349 . Ils ne dorment plus assez pour se rendre compte de la décadence de leurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’
1350 plus assez pour se rendre compte de la décadence de leurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’alarme —, et l’a
1351 eurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’ alarme —, et l’amour qu’ils essaient encore le samedi soir n’est plus
1352 corps dans l’onde apaisée du souvenir. Sois riche d’ avoir ce que tu es, comme ils sont pauvres de n’avoir que ce qu’ils on
1353 iche d’avoir ce que tu es, comme ils sont pauvres de n’avoir que ce qu’ils ont. 19 juillet 1929 Ces mois de Souabe m
1354 que ce qu’ils ont. 19 juillet 1929 Ces mois de Souabe m’apparaissent de plus en plus comme une retraite sensuelle. N
1355 plus comme une retraite sensuelle. N’est-ce point de cela que l’homme des villes a besoin de nos jours ? On parle toujours
1356 -ce point de cela que l’homme des villes a besoin de nos jours ? On parle toujours de son appétit de plaisir. C’est un cli
1357 villes a besoin de nos jours ? On parle toujours de son appétit de plaisir. C’est un cliché d’un autre âge, et trompeur.
1358 n de nos jours ? On parle toujours de son appétit de plaisir. C’est un cliché d’un autre âge, et trompeur. Car l’argent n’
1359 ujours de son appétit de plaisir. C’est un cliché d’ un autre âge, et trompeur. Car l’argent n’est pas le plaisir et ne s’o
1360 humaine et sans but divin. C’est pourquoi l’usage d’ une sensualité consciente redevient une conquête de la sagesse. Fin j
1361 ’une sensualité consciente redevient une conquête de la sagesse. Fin juillet. Promenades sous la pluie, à la tombée du jo
1362 es désirs qu’auparavant il dédiait à quelque amie de haut parage spirituel. Le corps même y trouve sa part, car l’inventio
1363 s en conversant avec les pensées et les êtres nés de la marche et du bonheur de respirer. Combien j’aime ces ciels bas et
1364 nsées et les êtres nés de la marche et du bonheur de respirer. Combien j’aime ces ciels bas et traînants. Le beau temps n’
1365 ’il figure le contraire du « mauvais ». Les jours de pluie dans les campagnes ont un charme consolant et secret qui favori
1366 e intérieure. Longues randonnées sur les plateaux de la Souabe, vous resterez pour moi comme une introduction à la vie len
1367 us grands spectacles naturels sont des spectacles de lenteur ou d’immobilité dans le mouvement. Et c’est par là qu’ils pa
1368 tacles naturels sont des spectacles de lenteur ou d’ immobilité dans le mouvement. Et c’est par là qu’ils parlent à notre
1369 9 Vraiment la rapidité ne saurait être le fait d’ un esprit incarné, mais seulement de son imagination pervertie. Les ef
1370 être le fait d’un esprit incarné, mais seulement de son imagination pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine de l
1371 eulement de son imagination pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber
1372 pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber. Dès que l’esprit entre da
1373 nt du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber. Dès que l’esprit entre dans le jeu, il provoque des lenteurs
1374 s le jeu, il provoque des lenteurs et des retards d’ où naissent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mai
1375 retards d’où naissent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’
1376 ssent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’abord à les combl
1377 t la conscience. De là des pertes de temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’abord à les combler et qui toujou
1378 les combler et qui toujours dépassent le but. Et de la sorte, une ère de vitesse est une ère où la matière l’emporte. Pro
1379 oujours dépassent le but. Et de la sorte, une ère de vitesse est une ère où la matière l’emporte. Provisoirement ; car il
1380 ’emporte. Provisoirement ; car il se produit ceci d’ étrange que la matière à certaines très grandes vitesses commence à se
1381 e. C’est ainsi que dans le monde spirituel, l’ère de la vitesse préparerait l’ère des Illuminés… L’extrême tension de l’es
1382 réparerait l’ère des Illuminés… L’extrême tension de l’esprit peut aboutir à des matérialisations, cependant que l’extrême
1383 matérialisations, cependant que l’extrême tension de la matière explose en subtilité. Double mouvement dont l’axe se nomme
1384 oit arriver vers huit heures. J’ai d’abord essayé de me confiner dans cette petite édition cartonnée d’Andersen, mais sans
1385 e me confiner dans cette petite édition cartonnée d’ Andersen, mais sans cesse des hommes entrent, cherchent une place, ouv
1386 moment. Ce train paraît destiné à la réquisition de l’élément minable des populations qu’il traverse. À chaque station no
1387 se. À chaque station nous débarquons un peu moins de paysans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ouvriers, cas
1388 tation nous débarquons un peu moins de paysans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ouvriers, casquettes et bou
1389 ans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ ouvriers, casquettes et bouts de cigares. Des ouvrières aussi, au rega
1390 quons un peu plus d’ouvriers, casquettes et bouts de cigares. Des ouvrières aussi, au regard irrité. Deux d’entre elles on
1391 u regard irrité. Deux d’entre elles ont fait mine de s’asseoir, en face et à côté de moi, mais je n’ai pas retiré ma valis
1392 se sont assises plus loin en maugréant. La misère de tous ces regards me paralyse. Comment répondre à leur hostilité, comm
1393 accueillir avec un cœur viril et bon le spectacle de ces corps amaigris, énervés ? Un cœur viril et bon comme celui d’Ande
1394 igris, énervés ? Un cœur viril et bon comme celui d’ Andersen, un tel cœur ne se fermerait pas devant la haine qui sourd de
1395 œur ne se fermerait pas devant la haine qui sourd de tant d’anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage cont
1396 e fermerait pas devant la haine qui sourd de tant d’ anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage contre leurs
1397 d’anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage contre leurs vêtements et leur casquette, me prouver que vraim
1398 asquette, me prouver que vraiment je n’aurais pas d’ envie… Nouvel arrêt. Mais cette fois c’est une fée qui monte, une gran
1399 de jeune fille nette aux yeux bleu-vert, au teint de princesse d’Andersen. Oh ! qu’elle vienne s’asseoir ici ! Mais je n’o
1400 op choisir, ni surtout me choisir, — va s’asseoir de l’autre côté du couloir, tout au bord d’une banquette. Mais je la voi
1401 ant moi. J’ai honte. Comme nous sommes incapables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous te
1402 nte. Comme nous sommes incapables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous tenions pour nulle
1403 capables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous tenions pour nulles. Si j’étais vraiment li
1404 athie ?… Les hommes parlent une langue brusque et de mauvaise humeur, les yeux mornes ou trop brillants ; ou lisent des fe
1405 interminablement, crache sa fumée dans des gares de banlieue qui ne sont plus fleuries. Il règne dans ce wagon un malaise
1406 auvre interrogation des visages devant l’atrocité de notre vie sociale ! Je baisse les yeux sur mon livre. « Et la foule m
1407  Et la foule menaçante se pressait autour du char de la princesse qu’on menait au bûcher. Alors vinrent d’un seul vol onze
1408 a princesse qu’on menait au bûcher. Alors vinrent d’ un seul vol onze grands cygnes blancs. Ils se posèrent autour d’elle e
1409 onze grands cygnes blancs. Ils se posèrent autour d’ elle et battirent de leurs grandes ailes. Et le peuple effrayé recula.
1410 lancs. Ils se posèrent autour d’elle et battirent de leurs grandes ailes. Et le peuple effrayé recula. » Mais la princesse
1411 ula. » Mais la princesse jette sur eux les cottes d’ orties qu’elle tissait de ses mains, et voici onze princes qui se tien
1412 jette sur eux les cottes d’orties qu’elle tissait de ses mains, et voici onze princes qui se tiennent autour d’elle. « Ell
1413 ins, et voici onze princes qui se tiennent autour d’ elle. « Elle est innocente ! » s’écrient-ils, et le peuple s’agenouill
1414 res racontait tout ce qui était arrivé, un parfum de millions de roses se répandit dans les airs, tandis qu’au sommet du b
1415 t tout ce qui était arrivé, un parfum de millions de roses se répandit dans les airs, tandis qu’au sommet du bûcher parais
1416 vitre sale, retenir des larmes ? Un soudain excès de l’amour s’est libéré dans tout mon être et s’élance vers ces vies pro
1417 ’ai compris que la grandeur du cœur humain, c’est de donner sans mesure un amour dont notre vie, peut-être, n’a que faire.
1418 t notre vie, peut-être, n’a que faire. ⁂ Le reste de la vie, c’est toujours entre deux voyages d’Allemagne. On peut s’épre
1419 este de la vie, c’est toujours entre deux voyages d’ Allemagne. On peut s’éprendre d’une telle absence, qui vient au lieu d
1420 ntre deux voyages d’Allemagne. On peut s’éprendre d’ une telle absence, qui vient au lieu d’un temps étrange et plus pesant
1421 us pesant que nulle part. Me voici tout environné de ville. Où trouver ici la lenteur des choses ? Où le désir peut-il err
1422 reux du mystère, dans la puissante circonspection de l’attente ? Ô journées souabes, répandues dans la fraîcheur et l’âcre
1423 ma vie ! Encore un peu, qu’on me laisse au regret de vos paysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir
1424 n peu, qu’on me laisse au regret de vos paysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir quittées pour ce
1425 ysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir quittées pour cette ville à présent sans relâche, où les o
1426 e à présent sans relâche, où les orages n’ont pas d’ odeur, terrains morts où l’on n’a plus peur d’un arbre immense, ni des
1427 pas d’odeur, terrains morts où l’on n’a plus peur d’ un arbre immense, ni des femmes, mais de soi-même, sourdement, dans l’
1428 plus peur d’un arbre immense, ni des femmes, mais de soi-même, sourdement, dans l’insomnie du petit jour populeux… Avril-a
1429 par Biedermann. 16. Comme dit l’A. O. Barnabooth de M. Valéry Larbaud. 17. Il s’agit des Méfaits de l’instruction publi
1430 de M. Valéry Larbaud. 17. Il s’agit des Méfaits de l’instruction publique , petit ouvrage publié à tirage limité à Lausa
1431 age limité à Lausanne en mars 1929. d. L’édition de 1982 mentionnait par erreur 1931.
8 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Quand je me souviens — C’est l’Europe
1432 ope Ces pages sont nées à des dates différentes d’ un même état de sensibilité, dont j’ai remarqué qu’il se révèle en moi
1433 sont nées à des dates différentes d’un même état de sensibilité, dont j’ai remarqué qu’il se révèle en moi par une même a
1434 marqué qu’il se révèle en moi par une même allure d’ écriture, toutes les fois que se trouve atteint le seuil de ce que j’a
1435 e, toutes les fois que se trouve atteint le seuil de ce que j’ai nommé le sentiment européen. Nom de code, mais aussi vrai
1436 l de ce que j’ai nommé le sentiment européen. Nom de code, mais aussi vrai nom — par cela même précisé — de mon Europe. Et
1437 de, mais aussi vrai nom — par cela même précisé — de mon Europe. Et vrai sujet, tout au moins manifeste, de cette suite d’
1438 n Europe. Et vrai sujet, tout au moins manifeste, de cette suite d’entrevisions des temps mêlés — « Ce présent que je vis
1439 ai sujet, tout au moins manifeste, de cette suite d’ entrevisions des temps mêlés — « Ce présent que je vis déjà comme un p
1440 e conduire à une action : celle que je n’ai cessé de mener depuis, pour l’avenir du sens de nos vies. Le bon vieux temps
1441 n’ai cessé de mener depuis, pour l’avenir du sens de nos vies. Le bon vieux temps présent 19 mars 1939 « Le Führer a
1442 qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis
1443 mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais
1444 ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à
1445 l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où somb
1446 vois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée d’ un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirant
1447 ever rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’ été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délic
1448 déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastr
1449 nn. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musique, soudain se fixe en
1450 in même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musique, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux
1451 , ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encor
1452 notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’ un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier,
1453 is oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de s
1454 derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’el
1455 ours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’ une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était n
1456 parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis,
1457 tait notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs pe
1458 manière toute naturelle de respirer et de penser, d’ aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. C
1459 le de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’ entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encor
1460 enir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et s
1461 sirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeon
1462 ns une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrang
1463 sé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin.
1464 ais aussi bien chez les voisins qu’elles secouent d’ un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car ell
1465 d’un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l
1466 vec aisance, gardant parfois l’arrière-conscience d’ un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmos
1467 r : il y faut ce climat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’une
1468 mat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’ une entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance… C’est
1469 espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’ une confiance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de
1470 ît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’ une insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usu
1471 lle et goûte encore quelques instants les délices d’ un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, l
1472 it bien que c’est fini. Brève dispense, le temps d’ un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans l
1473 réservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d’ aimer, cette bonté humaine, plus inutile que jamais, dominatrice et ba
1474 guerre ! Le soir du 28 août 1939, je finissais de dîner dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds, et comme je me préparais à
1475 toire pour y assister à une répétition des chœurs de Nicolas de Flue 18, la radio brusquement interrompit les conversati
1476 rrompit les conversations. Nous entendîmes la fin d’ une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hymne national. Le spea
1477 néral en chef, mobilisation immédiate des troupes de couverture-frontières. Au conservatoire, le grand chœur entonna le ré
1478 — tremble dans l’attente orageuse — sous un ciel d’ angoisse et de haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommei
1479 s l’attente orageuse — sous un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’
1480 sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’ armes martelées — meute folle, meurtrière — ô rumeur irréparable — que
1481 , la guerre ! Le directeur n’était pas satisfait de son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chante
1482 le. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chanter ça ce soir. Les mots vous restent dans la gorge… » Le drame n
1483 és cinq jours plus tard, comme je le fus. Cœur de l’Europe Berne, février 1940 Monté hier au Gothard, pour affaire d
1484 vrier 1940 Monté hier au Gothard, pour affaire de service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m
1485 au Gothard, pour affaire de service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché
1486 service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché sans ressentir une émotion
1487 é sans ressentir une émotion que j’essaie en vain de qualifier ; elle ne ressemble à aucune autre. Je devais avoir 13 ou 1
1488 j’y vins pour la première fois, descendant à pied d’ Andermatt et passant par le Pont du diable. Et ce qui me saisit ne fut
1489 grandeur presque lugubre du paysage, mais au fond de la vallée cet express obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpenta
1490 obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpentait d’ un flanc à l’autre, disparaissait, reparaissait, contournait la collin
1491 sparaissait, reparaissait, contournait la colline de Wassen surmontée d’une église blanche, montait encore par des lacets
1492 ssait, contournait la colline de Wassen surmontée d’ une église blanche, montait encore par des lacets immenses, passait en
1493 courait s’engouffrer dans les rochers, à la base d’ une paroi verticale, noircie d’eau. J’avais pu lire sur les longs wago
1494 rochers, à la base d’une paroi verticale, noircie d’ eau. J’avais pu lire sur les longs wagons bruns : Amsterdam-Basel-Mila
1495 Il neigeait, on ne voyait guère que quelques pans de rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai
1496 lques pans de rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans
1497 brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans une aire « sacrée », dans un territoire réservé pour qu
1498 elle. Il est vrai qu’aujourd’hui, je sais pas mal de choses sur ce lieu et son rôle historique. (J’en ai même beaucoup écr
1499 J’en ai même beaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul cou
1500 eaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul coup le Nord et l
1501 i croisées, n’est pas seulement une position clef de l’Europe, mais aussi, et pour cette raison même, l’origine très préci
1502 et pour cette raison même, l’origine très précise de nos libertés suisses et de notre union fédérale. Quand je n’en saurai
1503 l’origine très précise de nos libertés suisses et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de suppos
1504 n fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de supposer que l’impression ne serait pas moins forte. Toutes les sourc
1505 ts ? Le petit nuage Fin mars 1940 — Au mois d’ août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fa
1506 Le petit nuage Fin mars 1940 — Au mois d’août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fait deux
1507 s aérer. Secundo, j’ai envoyé à un certain nombre de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entrep
1508 e de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entreprise par Julien l’Apostat contre les chrétiens,
1509 e, il passera. » Je viens de recevoir une lettre de « quelque part dans le Proche-Orient » et une autre des États-Unis. L
1510 e raison à l’une ou à l’autre de ces lettres. Pas d’ importance. Ce qui est important, c’est la certitude « qu’il passera »
1511 tude « qu’il passera ». Que sont nos petits accès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avant-printemps suffit à
1512 cès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’ avant-printemps suffit à dissiper en cinq minutes ? Qu’est-ce que cela
1513 au regard de la menace énorme qui domine l’Europe d’ aujourd’hui ? Eh bien, cette menace, à son tour, n’est qu’un tout peti
1514 niversels que sera notre jugement au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes où
1515 érences successives devant un vaste rassemblement de jeunes gens : « Comme chrétiens, nous n’avons à redouter que le Princ
1516 chrétiens, nous n’avons à redouter que le Prince de tous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de te
1517 s, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militaire
1518 vrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits personnages, ce combat, si « total » qu’il soit, ne saurai
1519 doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et
1520 traire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’
1521 mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il pass
1522 n petit nuage, il passera. » Ce mot me fut parole d’ Évangile quand je le lus l’année dernière. À cette heure où Paris…
1523 « À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’ un nuage et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sento
1524 sait : Si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’ être un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éte
1525 e n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur avait prophétisé :
1526 devant le sentiment, devant ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues
1527 ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde
1528 nde : il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’ aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irre
1529 d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais
1530 es. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’ irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut co
1531 é à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la fo
1532 servants des « Panzerdivisionen ». Quelque chose d’ indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tr
1533 appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant victorieux : tout ce qu’il veut saisir se change à son
1534 u’il veut saisir se change à son approche — Midas de l’ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse. N’importe
1535 du, en pierraille lépreuse. N’importe quel badaud d’ un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un coucha
1536 rraille lépreuse. N’importe quel badaud d’un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant sur Ger
1537 e juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’ un couchant sur Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de
1538 chant sur Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de m
1539 rmain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sa
1540 isant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage
1541 foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plu
1542 rc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et pl
1543 aux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu
1544 e grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les t
1545 s pas un conquérant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire com
1546 ant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde
1547 bles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois
1548 s avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils
1549 e. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que le jour de la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun tri
1550 nt.” » Ce texte parut le 17 juin dans la Gazette de Lausanne , entre l’arrivée au pouvoir de Pétain dans la nuit du 16 ju
1551 Gazette de Lausanne , entre l’arrivée au pouvoir de Pétain dans la nuit du 16 juin, et l’appel de Londres lancé par de Ga
1552 oir de Pétain dans la nuit du 16 juin, et l’appel de Londres lancé par de Gaulle le 18 juin. L’article me valut une condam
1553 ’article me valut une condamnation à quinze jours de forteresse, au secret, et « facilita » une mission que je reçus quelq
1554 mission que je reçus quelques semaines plus tard, de conférences sur la Suisse aux USA. Le 20 août, je quittais Genève pou
1555 2 … mais sachez-le : nous n’étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en e
1556 z-le : nous n’étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns c
1557 se en question générale au pire moment, à l’heure de moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous e
1558 heure de moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retour e
1559 r : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retour en France, — dans quelle France, et dans quelle Europe ? N
1560 s quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime que celle de l’occupa
1561 moins brutale, certes, mais plus intime que celle de l’occupation. Un conquérant n’occupe jamais que l’extérieur, mais l’é
1562 e l’extérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur de l’être. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’
1563 us a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’ aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change un peu : vous
1564 s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’ argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vou
1565 r. Et quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout d’ un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vous lui causiez des enn
1566 vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En Fra
1567 trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Su
1568 t la guerre, déjà, on trouvait qu’il y avait trop de Juifs réfugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce soit, il y
1569 sait enviable, à juste titre. Les pires tourments de l’esprit et du cœur ont toujours paru préférables à la torture physiq
1570 Place New York, août 1943 Beekman Place est un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’il
1571 charme, simplement. Mais quand je la vois du haut de mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et de bri
1572 mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée d’ asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est b
1573 étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York…
1574 urne un peu sur ma terrasse, voici la perspective de l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau
1575 l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau. La rivière sillonnée de remorqueurs toussotants, lu
1576 usqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’ eau. La rivière sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat
1577 immense de minéral et d’eau. La rivière sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat d’étain pâli. Les ponts imme
1578 ivière sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’ un éclat d’étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une den
1579 onnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat d’ étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’un
1580 ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’ un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mâts, clochers,
1581 éclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de gr
1582 ’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouettes, et signalés par deux petits phares
1583 — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouettes, et signalés par deux petits phares dont clignotent irréguli
1584 otent irrégulièrement le feu vert — cinq secondes de révolution — et le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embra
1585 es. Tout ce qu’embrasse mon regard, tout est fait de main d’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois écon
1586 ce qu’embrasse mon regard, tout est fait de main d’ homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques
1587 s. Qu’on ne me parle plus des lois économiques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout art
1588 leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’ un monde tout artificiel que nous, les hommes avons bâti selon nos cap
1589 et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne ve
1590 ons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne vers le nord,
1591 t. Si je me tourne vers le nord, je vois un monde de terrasses, du deuxième au trentième étage du River Club, où vivent de
1592 Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeunes femmes en maillot de bain. L’une se penche sur ses géraniums,
1593 uspendus où circulent de jeunes femmes en maillot de bain. L’une se penche sur ses géraniums, l’autre ajuste des lunettes
1594 qu’on entend siffler dans la rue… Je me souviens de ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellera
1595 le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois de retour en Europe. J’en connais par avance la nostalgie. Le soir vient
1596 a nostalgie. Le soir vient dans un luxe américain d’ ocres, de roses, d’argent et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines
1597 ie. Le soir vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’argent et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fum
1598 r vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’ argent et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traîne
1599 un luxe américain d’ocres, de roses, d’argent et d’ éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les pont
1600 américain d’ocres, de roses, d’argent et d’éclats d’ or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteig
1601 ges. Une grande nuit s’ouvre au travail paisible. D’ heure en heure, je me lève et sors. Je me promène sur cette terrasse q
1602 Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour de mes chambres blanches posées sur le onzième étage et festonnées de tu
1603 lanches posées sur le onzième étage et festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous mes pieds nus. À
1604 ucoup plus bas dans les buildings voisins séparés de ma terrasse par un gouffre profond mais étroit, je vois des couples e
1605 tinée en peignoir rose ouvre son frigidaire, sort de la glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud. Des rires vienne
1606 peignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent d’ une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highball
1607 res viennent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Pe
1608 ent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Petits mati
1609 s déjà doux des terrasses, moments les plus aigus de la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’hie
1610 r qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’ hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du
1611 nd toutes choses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand l
1612 oses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premiers
1613 orqueurs se mettent à souffler fort dans la brume d’ été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper
1614 a brume d’été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas, sur la t
1615 r le grand fond sonore à bouche fermée des usines de l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de dés
1616 les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strid
1617 des ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East
1618 saient leur solo de désastre, de faux désastre et d’ appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimot
1619 tre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimoteur argenté passait très haut entre deux to
1620 u ses arbustes. Soudain, passant la tranche ocrée d’ un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue
1621 . Soudain, passant la tranche ocrée d’un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise et ses c
1622 éfilait, tout l’équipage en fête saluant New York d’ adieux, filant pavois au vent vers l’Europe et la guerre… Mémoire d
1623 is au vent vers l’Europe et la guerre… Mémoire de l’Europe New York, fin 1944 Je ne savais pas que tout était si prè
1624 is parmi les signes. Sédiments séculaires, socles de nos patries ! Monuments que l’on ne voit plus, mais qui renvoient l’é
1625 ne voit plus, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée
1626 s qui tournaient doucement vers une place plantée d’ arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me retrouvais… « Je t
1627 . J’aime ! » J’ai tout dit. L’Europe était patrie d’ amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et chaque être
1628 questionnait, répondait. La force était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans la con
1629 ne obscure, ou bien dans la contemplation jalouse d’ un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et not
1630 e d’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait
1631 ce était chanson fredonnée sur le seuil, au matin d’ une journée qui se liait aux autres… (Quand ta force devient visible,
1632 ceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’ un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour… Quand je me
1633 é d’un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour… Quand je me souviens — c’est l’Europe. Parce que l’Europe e
1634 nt de morts dans la présence, elle ne cessera pas d’ engendrer. Elle a maîtrise d’avenir. Nostalgie anticipée Princeton,
1635 elle ne cessera pas d’engendrer. Elle a maîtrise d’ avenir. Nostalgie anticipée Princeton, 27 mars 1946 Entre les d
1636 corridors et dans le vestibule qui sent le fruit de notre ancienne maison de campagne, et mon pied reconnaît cette brique
1637 près de l’escalier, qui basculait un peu du temps de mon enfance. (On ne l’a donc jamais recimentée ?) Pourquoi faire ce v
1638 ui s’éloignent. Un autre sentiment que je connais d’ avance et ne pourrai que retrouver là-bas, c’est celui de ma nostalgie
1639 e et ne pourrai que retrouver là-bas, c’est celui de ma nostalgie de l’Amérique. De ce présent que je vis déjà comme passé
1640 que retrouver là-bas, c’est celui de ma nostalgie de l’Amérique. De ce présent que je vis déjà comme passé dans le futur q
1641 à-bas, c’est celui de ma nostalgie de l’Amérique. De ce présent que je vis déjà comme passé dans le futur que j’anticipe.
1642 déjà quitté, récapitulant mes regrets… Nostalgie de cette avenue, à telle heure du jour ou de la nuit, j’y vais encore un
1643 stalgie de cette avenue, à telle heure du jour ou de la nuit, j’y vais encore une fois, pour la retrouver déjà… Que signif
1644 l’on aime un être ? Voici longtemps qu’on a cessé de penser qu’il est meilleur ou plus beau que tout autre, mais avec lui
1645 ache ? Et s’il est vrai, s’il n’est pas le masque d’ une haine, s’il m’ouvre à l’Être au lieu de me refermer sur quelque ob
1646 Être au lieu de me refermer sur quelque obsession de l’Avoir, chaque amour enrichit tout l’amour. Entre deux mondes aimés
1647 plus tard, nous avons rejoint l’hiver, un ouragan de neige horizontale sur le désert des forêts canadiennes aux lacs gelés
1648 sser toute la nuit dans les lugubres baraquements de la base de Gander, à Terre-Neuve. Une aurore boréale nous avait arrêt
1649 la nuit dans les lugubres baraquements de la base de Gander, à Terre-Neuve. Une aurore boréale nous avait arrêtés, non poi
1650 quait des tempêtes magnétiques qui ont pour effet d’ aveugler les avions aux appareils plus délicats que les sens de l’homm
1651 s avions aux appareils plus délicats que les sens de l’homme. Cette belle crise radio-poétique s’étant heureusement dénoué
1652 nous montâmes en spirale à 5000 mètres, au-dessus d’ une mer morte de glace. J’allais écrire : « L’avion s’élance pour fran
1653 spirale à 5000 mètres, au-dessus d’une mer morte de glace. J’allais écrire : « L’avion s’élance pour franchir l’Océan d’u
1654 écrire : « L’avion s’élance pour franchir l’Océan d’ un seul bond. Nous volons à tire-d’aile vers l’Irlande ». Mais ce clic
1655 ncore, une fois installé dans le fauteuil profond de l’avion, attendre que la boule au-dessous de nous ait tourné jusqu’au
1656 y descendre et s’y poser. Rien ne donne une idée de l’immobilité comme ce vol sans repères en plein ciel, à 150 mètres à
1657 50 mètres à la seconde, sans vibration ni courant d’ air, et sans nul signe apparent de mouvement. Les uns écrivent, d’autr
1658 tion ni courant d’air, et sans nul signe apparent de mouvement. Les uns écrivent, d’autres déjeunent. Je regarde par mon h
1659 blanche, un peu houleuse et cotonneuse. Mais tout d’ un coup elle se déchire : ce n’était qu’une couche de nuages. Trois-mi
1660 n coup elle se déchire : ce n’était qu’une couche de nuages. Trois-mille mètres plus bas paraît une surface bleue, comme u
1661 une surface bleue, comme un papier grenu ponctué de défauts blancs. Un petit fuseau clair y traîne sa fumée, c’est un paq
1662 en trois heures. Nous sommes partis tout au début de la matinée. Voici déjà l’après-midi, voici le soir, nous volons contr
1663 re. Des cumulus élèvent des tours et des créneaux d’ un rose feu sur l’horizon follement lointain, tandis que nous survolon
1664 s survolons des profondeurs multipliées, cavernes d’ ombre et gonflements majestueux où la lumière fait ses grands jeux, de
1665 ts majestueux où la lumière fait ses grands jeux, de tous les rouges au bleu de plomb. Aux approches de l’Irlande vient la
1666 fait ses grands jeux, de tous les rouges au bleu de plomb. Aux approches de l’Irlande vient la nuit. Derrière nous, tout
1667 e tous les rouges au bleu de plomb. Aux approches de l’Irlande vient la nuit. Derrière nous, tout est flamme et or. Mais u
1668 errière nous, tout est flamme et or. Mais un toit d’ ombre épaisse descend obliquement, rejoint la mer, ferme le monde deva
1669 e devant nous. En deux minutes nous sommes passés de la gloire aux ténèbres denses. Il n’y a plus, tout près sur nos têtes
1670 ux. Shannon, Irlande. Le restaurant ne manque pas d’ élégance. Une dame qui vient de passer le temps de la guerre en Amériq
1671 d’élégance. Une dame qui vient de passer le temps de la guerre en Amérique frémit de toutes ses fourrures et se récrie : «
1672 e passer le temps de la guerre en Amérique frémit de toutes ses fourrures et se récrie : « Quel goût ! Voilà l’Europe enfi
1673 le, je retrouve l’Europe ! Ce n’est pas le moment d’ être objectif ! » Elle adore ces rideaux rouges, ces meubles blancs, e
1674 s, et ce grape-fruit. Ils la vengent, croit-elle, d’ une Amérique « où tout est laid », mais d’où ils viennent. 2 avril
1675 t-elle, d’une Amérique « où tout est laid », mais d’ où ils viennent. 2 avril 1946 Les oiseaux de Paris. — Nous roul
1676 ’où ils viennent. 2 avril 1946 Les oiseaux de Paris. — Nous roulons dans un petit autobus, du terrain d’Orly vers P
1677 — Nous roulons dans un petit autobus, du terrain d’ Orly vers Paris. Sept ans bientôt, depuis que je l’ai quitté… Par quel
1678 e cherche à voir, le nez contre la vitre, et tout d’ un coup : rue Claude-Bernard, — en plein cinquième arrondissement : —
1679 ar nous dépose, j’ai retrouvé les grandes mesures de Paris. Dans quel silence, à quatre heures du matin. Trouverons-nous q
1680 . Trouverons-nous quelques chambres pour le reste de la nuit ? Deux jeunes Américains du convoi m’interrogent. Cet hôtel
1681 hôtel ne leur plaît qu’à moitié. Je les décourage d’ aller chercher ailleurs. Crise des logements. — Est-ce que Paris a été
1682 nt immédiatement à ressembler à ce que l’on pense d’ eux en Europe.) Il y a des chambres et même des salles de bains. Mais
1683 n Europe.) Il y a des chambres et même des salles de bains. Mais comment dormirais-je cette nuit ? J’arrive au rendez-vous
1684 dez-vous après sept ans, furtivement, à la faveur d’ une nuit déserte. Un rendez-vous dont j’avais bien souvent désespéré,
1685 oir… Tout d’abord je n’ai distingué qu’un paysage de toits bleus, médiéval. Et voici qu’une cloche très fine a sonné cinq
1686 eurs en écho. Je ne savais plus, après ces années de New York, qu’il y a des cloches qui sonnent les heures aux villes, et
1687 vité aiguë du petit jour. Et cette rumeur soudain de cris menus et de sifflets, de tous côtés, comme les premières gouttes
1688 it jour. Et cette rumeur soudain de cris menus et de sifflets, de tous côtés, comme les premières gouttes d’une averse, ce
1689 ette rumeur soudain de cris menus et de sifflets, de tous côtés, comme les premières gouttes d’une averse, ce sont bien de
1690 flets, de tous côtés, comme les premières gouttes d’ une averse, ce sont bien des oiseaux ! Dans une ville ! Point d’autres
1691 et des murs couleur du temps, où quelques taches de rose clair ou de noir achèvent de composer une harmonie qui fait veni
1692 eur du temps, où quelques taches de rose clair ou de noir achèvent de composer une harmonie qui fait venir les larmes aux
1693 quelques taches de rose clair ou de noir achèvent de composer une harmonie qui fait venir les larmes aux yeux. Premier bru
1694 qui fait venir les larmes aux yeux. Premier bruit de pas dans la rue. Semelles de bois. Une femme de ménage sort ses clés,
1695 yeux. Premier bruit de pas dans la rue. Semelles de bois. Une femme de ménage sort ses clés, ouvre une porte de service à
1696 t de pas dans la rue. Semelles de bois. Une femme de ménage sort ses clés, ouvre une porte de service à côté du portail d’
1697 ne femme de ménage sort ses clés, ouvre une porte de service à côté du portail d’un ministère. Un vieux monsieur très gran
1698 lés, ouvre une porte de service à côté du portail d’ un ministère. Un vieux monsieur très grand, vêtu de noir, aux pantalon
1699 ’un ministère. Un vieux monsieur très grand, vêtu de noir, aux pantalons étroits, aux longs souliers pointus, sort d’un xi
1700 ntalons étroits, aux longs souliers pointus, sort d’ un xixe siècle d’illustrés de mon enfance. Des jeunes gens en chandai
1701 ux longs souliers pointus, sort d’un xixe siècle d’ illustrés de mon enfance. Des jeunes gens en chandail, portant de gros
1702 liers pointus, sort d’un xixe siècle d’illustrés de mon enfance. Des jeunes gens en chandail, portant de grosses valises,
1703 mon enfance. Des jeunes gens en chandail, portant de grosses valises, se hâtent vers la gare d’Orsay. Paris a reculé d’un
1704 ortant de grosses valises, se hâtent vers la gare d’ Orsay. Paris a reculé d’un siècle, en direction d’une beauté oubliée.
1705 s, se hâtent vers la gare d’Orsay. Paris a reculé d’ un siècle, en direction d’une beauté oubliée. Plus Suisse que natur
1706 d’Orsay. Paris a reculé d’un siècle, en direction d’ une beauté oubliée. Plus Suisse que nature 7 avril 1946 — Que la
1707 isse m’a paru proprement incroyable. Je ne trouve d’ autre sujet de m’étonner que de n’en point trouver justement. Tout est
1708 proprement incroyable. Je ne trouve d’autre sujet de m’étonner que de n’en point trouver justement. Tout est pareil à mes
1709 able. Je ne trouve d’autre sujet de m’étonner que de n’en point trouver justement. Tout est pareil à mes souvenirs, à pein
1710 reils pour tous », non point avec votre situation d’ usager perplexe ou anxieux. La bonhomie des mêmes employés intacte, un
1711 és intacte, une fois qu’on leur a laissé le temps de revenir à leur naturel. (Et ce n’est pas toujours au galop.) Les quar
1712 ut-être, c’est le mythe helvétique par excellence d’ une décence fondamentale. Il se peut que la Suisse ait seule gagné la
1713 cet égard. Mais le reste du monde se charge bien de rétablir un équilibre « humain », sur les modèles récemment présentés
1714 cident. Je vois des Suisses qui se disent honteux de n’avoir pas souffert comme les autres, comme les Français, les Hollan
1715 Il me semble que ces scrupules ne sont pas dignes de la tragédie moderne. Et tout d’abord, ils sont prématurés. Ils révèle
1716 illusion que le drame est terminé et que le temps de faire des comptes est arrivé. Or le drame continue, c’est trop clair.
1717 u cours du dernier épisode, on ne leur demande ni de s’en féliciter ni de s’en plaindre, mais de se préparer pour la suite
1718 isode, on ne leur demande ni de s’en féliciter ni de s’en plaindre, mais de se préparer pour la suite, pour l’heure où ils
1719 de ni de s’en féliciter ni de s’en plaindre, mais de se préparer pour la suite, pour l’heure où ils devront « donner ». Le
1720 eure où ils devront « donner ». Le premier devoir d’ une réserve est de maintenir ses forces intactes et alertées. Intacts
1721 t « donner ». Le premier devoir d’une réserve est de maintenir ses forces intactes et alertées. Intacts nous le sommes, re
1722 et bien tenu, trait dont s’égayent les étrangers de passage, un peu comme ces paysans qui se poussent du coude quand on l
1723 , à tout propos, cinq ou six fois pendant l’achat d’ un timbre, par exemple, avec une gratitude émue qui dépasse curieuseme
1724 nt on sent que le surplus peut entretenir ce fond de bienveillance universelle dont l’existence rassure les Suisses… L’enn
1725 es Suisses… L’ennui c’est qu’il n’y a pas du tout de bienveillance universelle. Et que la Suisse est mal préparée, par sa
1726 sa probité même, à faire face aux gangsters. Rien de moins suisse que le cynisme, honoré dans le reste du monde. Rien de p
1727 este du monde. Rien de plus suisse que le réflexe de critiquer sèchement tout ce qui dépasse, alors que l’on tolère très b
1728 r par excès. On ne saurait exagérer la profondeur d’ une telle révolution dans la patrie du moralisme à la fois puritain et
1729 nsidérant l’histoire du monde, et le rythme vital d’ un Nicolas Manuel : c’est vers quoi je reviens, après six ans, prendre
1730 quoi je reviens, après six ans, prendre une leçon de style de l’âme pour affronter les mauvais temps qui viennent. Ils le
1731 eviens, après six ans, prendre une leçon de style de l’âme pour affronter les mauvais temps qui viennent. Ils le savaient,
1732 face de lui comme un défi manifestant la vocation de l’homme : le fond de la réalité n’est pas l’ordre mais le chaos. Voil
1733 défi manifestant la vocation de l’homme : le fond de la réalité n’est pas l’ordre mais le chaos. Voilà qui étonne encore t
1734 ordre mais le chaos. Voilà qui étonne encore trop de braves gens, nés dans un monde où presque tout allait de soi. Voilà q
1735 de soi. Voilà qui éclate aux yeux dès qu’on sort de l’île Suisse et qu’on navigue en pleine débâcle printanière des valeu
1736 tanière des valeurs civiques et morales. L’esprit d’ Hitler encore, peut-être pour longtemps, tyrannise les Européens, la p
1737 tez plus sur vos épargnes, ni sur la seule valeur de l’inertie pour sauver ce qui tient encore debout. Certes, les apparen
1738 debout. Certes, les apparences, les subsistances de l’ordre masquent à nos vues immédiates toute l’ampleur de la catastro
1739 re masquent à nos vues immédiates toute l’ampleur de la catastrophe. Il y a des trains qui marchent et qui arrivent à l’he
1740 , la poste fonctionne, on nous promet un peu plus de charbon pour cet hiver ; des millions de femmes ont été violées dans
1741 peu plus de charbon pour cet hiver ; des millions de femmes ont été violées dans toute l’Europe centrale et orientale, des
1742 rope centrale et orientale, des millions séparées de leur mari pendant cinq ans, mais le tabou de l’inceste, par exemple,
1743 rées de leur mari pendant cinq ans, mais le tabou de l’inceste, par exemple, résiste encore ; les traités ne sont guère re
1744 n pour régler leurs consommations. C’est beaucoup d’ ordre encore, si l’on y pense : mais le fait est que déjà l’on y pense
1745 u’on voit ces déchirures. J’ai donc pris le parti de circuler, malgré les résistances multipliées par une époque qui sembl
1746 sciences et beaucoup de pays, parfois à la faveur de la détresse des masses déracinées et déportées, parfois aussi à la fa
1747 éracinées et déportées, parfois aussi à la faveur d’ un acte de raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre
1748 et déportées, parfois aussi à la faveur d’un acte de raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre unie, comm
1749 s, parfois aussi à la faveur d’un acte de raison, d’ un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre unie, comme contraint
1750 aussi à la faveur d’un acte de raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre unie, comme contrainte à se fédé
1751 de raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir d’ une terre unie, comme contrainte à se fédérer par la menace de la guer
1752 unie, comme contrainte à se fédérer par la menace de la guerre atomique. On m’assure que le monde n’est pas prêt pour cela
1753 acun peut à chaque instant choisir, et s’efforcer de mieux comprendre quelles sont les suites nécessaires de son choix, qu
1754 ux comprendre quelles sont les suites nécessaires de son choix, quel est l’enjeu, ce qu’il implique… Contre les risques qu
1755 lique… Contre les risques qui se lèvent, l’esprit de risque est la seule assurance. Les valeurs de demain, s’il y en a, se
1756 rit de risque est la seule assurance. Les valeurs de demain, s’il y en a, seront maintenues ou reposées par les hommes qui
1757 ur compte, s’équilibrer dans le chaos, aussi loin d’ ignorer son étendue que de céder à ses vertiges. 18. Il s’agit de l
1758 ns le chaos, aussi loin d’ignorer son étendue que de céder à ses vertiges. 18. Il s’agit de la pièce que m’avait comman
1759 due que de céder à ses vertiges. 18. Il s’agit de la pièce que m’avait commandée l’Institut neuchâtelois pour l’Exposit
1760 Institut neuchâtelois pour l’Exposition nationale de Zurich, et dont Arthur Honegger écrivit la musique au fur et à mesure
9 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — I
1761 On se trompe en croyant qu’un voyageur à longueur de chemin perd sa patrie : c’est souvent elle qu’il découvre le mieux qu
1762 jamais fait en y restant. Dans sa cité, il était d’ une famille, et pour sa famille un prénom ; à l’étranger, il devient t
1763 n’est plus curieux des apparences et des secrets de son pays. Il songe : c’est là-bas que le mystère m’attend, et que ne
1764  ? On lui dit : — Vous êtes Suisse ? Vous en avez de la chance ! Mais vous avez si peu l’air suisse. — C’est qu’il n’y a p
1765 avez si peu l’air suisse. — C’est qu’il n’y a pas d’ air suisse, ou qu’il en a vingt-deux. — De quelle région de la Suisse
1766 y a pas d’air suisse, ou qu’il en a vingt-deux. — De quelle région de la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuch
1767 sse, ou qu’il en a vingt-deux. — De quelle région de la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuchâtel, rappelez-mo
1768 deux. — De quelle région de la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuchâtel, rappelez-moi… Ainsi je me demandais
1769 moi… Ainsi je me demandais parfois ce qu’on sait de Neuchâtel dans le vaste monde. Je trouvais à peu près ceci : la Bible
1770 ste monde. Je trouvais à peu près ceci : la Bible d’ Ostervald, le chocolat Suchard, les montres, et le séjour de Rousseau.
1771 d, le chocolat Suchard, les montres, et le séjour de Rousseau. Certains ont entendu parler du juriste Emer de Vattel, ou d
1772 parler du juriste Emer de Vattel, ou des travaux de Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant. Le seul vin suisse qui se
1773 ou des travaux de Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant. Le seul vin suisse qui se vende à New York, mais à quel pri
1774 Neuchâtel blanc. (On voit sur l’étiquette le Trou de Bourgogne et la descente des vignes vers le lac. Je pouvais dire à me
1775 is dire à mes amis : là, dans ces arbres, au pied de cette colline, j’ai passé mon adolescence.) Voilà donc ce qui atteint
1776 s épars ne font pas un portrait. Dès qu’on essaie de définir l’originalité de notre canton, tout devient si complexe et so
1777 rtrait. Dès qu’on essaie de définir l’originalité de notre canton, tout devient si complexe et souvent si bizarre aux yeux
1778 raditions aristocratiques à peine éteintes (moins de cent ans) dans la plus vieille démocratie du monde19 ; tant de cultur
1779 peu de littérature ; tant de bon sens professé et de fous à soigner ; tout un petit monde de contrastes intenses, entre l’
1780 ofessé et de fous à soigner ; tout un petit monde de contrastes intenses, entre l’austérité des montagnes au nord et les r
1781 — tout un petit monde si bien cerné, si conscient de lui-même, et si distinct… Je me disais qu’un jour je voudrais en écri
1782 ecret du « Service étranger ». Ceux qui ont envie de se battre avec la vie s’en vont ailleurs brasser leur sang, plutôt qu
1783 s’en vont ailleurs brasser leur sang, plutôt que de troubler la pax helvetica, merveille inaperçue du monde moderne. Le v
1784 r en son cœur le cirque proche des crêtes dentées de sapins noirs, fermer les yeux pendant les treize tunnels, dans le lon
1785 pendant les treize tunnels, dans le long courant d’ air des gorges, sentir qu’on descendait vers la lumière, vers le grand
1786 et secrets, vers tout un monde intimidant, peuplé d’ angoisses et de facilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’a
1787 s tout un monde intimidant, peuplé d’angoisses et de facilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’aventure, sur le
1788 acilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’ aventure, sur lequel je repasse en express, n’est plus que les quinze
1789 s quinze dernières minutes, la dernière cigarette d’ une nuit mal dormie, le moment de refermer les valises entre deux coup
1790 rnière cigarette d’une nuit mal dormie, le moment de refermer les valises entre deux coups d’œil par la fenêtre. Tout va t
1791 ite pour le souvenir. Voici les toits, le clocher de Couvet, la petite gare qu’on traverse en trois secondes — disparus sa
1792 raverse en trois secondes — disparus sans laisser de traces, sans rejoindre en moi leur image. Un jour, il faudra s’arrête
1793 i vient. Et voici les brumes sur le lac, les murs de vignes séculaires, et ce toit qui demande aux voyageurs, en grandes l
1794 oit qui demande aux voyageurs, en grandes lettres de tuiles blanches : êtes-vous sauvés du péché ? Tout de suite les quest
1795 de suite les questions personnelles, et ce besoin de réformer le prochain… Est-ce que ceux qui vivent sous ce toit sont te
1796 ceux qui vivent sous ce toit sont tellement sûrs de leur affaire ? 19. La première charte des libertés civiques a été o
1797 libertés civiques a été obtenue par les bourgeois de Neuchâtel et signée par leur comte souverain en 1214.
10 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — II
1798 ption du souvenir est aussi mystérieuse que celle de l’invention, dans notre esprit. Peu s’en faut, si j’y pense, que je n
1799 it soudain quelque forme que vient emplir le flot de l’émotion, mais n’est-ce pas le même piège que posera l’invention, en
1800 ournant dans l’autre sens, comme pour se souvenir de ce qui vient ? D’où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce
1801 re sens, comme pour se souvenir de ce qui vient ? D’ où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud d’idées, où
1802 enir de ce qui vient ? D’où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud d’idées, où je ne reconnais rien de déj
1803 tent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud d’ idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et de quel ciel me tombent
1804 pithète, ce nœud d’idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et de quel ciel me tombent ces visions surprenantes, où je
1805 d’idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et de quel ciel me tombent ces visions surprenantes, où je reconnais bientô
1806 cas, c’est moi que je découvre, puisqu’il s’agit d’ un souvenir, d’une invention, sans autre précédent que moi. Mais la vo
1807 que je découvre, puisqu’il s’agit d’un souvenir, d’ une invention, sans autre précédent que moi. Mais la volonté n’y peut
1808 onc fait par mégarde, qui m’accorde à la longueur d’ ondes d’un passé, d’un avenir toujours présents ? Proust a surpris le
1809 par mégarde, qui m’accorde à la longueur d’ondes d’ un passé, d’un avenir toujours présents ? Proust a surpris le mécanism
1810 , qui m’accorde à la longueur d’ondes d’un passé, d’ un avenir toujours présents ? Proust a surpris le mécanisme du souveni
1811 ascule sous la semelle. Mais les grands accidents de la vie raniment de tout autres mystères. Ils nous font découvrir plus
1812 lle. Mais les grands accidents de la vie raniment de tout autres mystères. Ils nous font découvrir plus que nous-mêmes. J
1813 mêmes. Je l’ignorais encore quand on m’a proposé d’ écrire ces pages sur mon pays natal. On insistait amicalement : je ven
1814 tout en moi se tourne vers ses origines, au-delà de ma propre mémoire. Ces mouvements les plus profonds de l’être nous se
1815 propre mémoire. Ces mouvements les plus profonds de l’être nous semblent déclenchés par un destin absurde, et nous les su
1816 i survivra ; quelque chose que l’on peut désigner d’ un mot simple, et qui figure dans l’ordre naturel comme un reflet de l
1817 t qui figure dans l’ordre naturel comme un reflet de la communion des saints : notre histoire, le passé qui passe en chacu
1818 ts : notre histoire, le passé qui passe en chacun de nous ; qui par nous, maintenant, se passe, lié à toute l’histoire des
1819 tres hommes ; et sans lequel il n’y aurait jamais de plénitude du présent. Dans le silence d’une vaste pièce où j’étais se
1820 t jamais de plénitude du présent. Dans le silence d’ une vaste pièce où j’étais seul devant l’admirable visage, debout au p
1821 u lit, prolongeant le gisant, j’ai su que j’étais d’ une lignée. 20. Principauté souveraine depuis le Moyen Âge, Neuchâte
1822 ouveraine depuis le Moyen Âge, Neuchâtel a choisi de se confédérer avec la Suisse le 1er mai 1848, après une brève révolut
11 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — III
1823 III C’est l’un des traits les moins connus de notre pays que la continuité de ses familles, ailleurs rompue par des
1824 les moins connus de notre pays que la continuité de ses familles, ailleurs rompue par des révolutions ou de fréquents cha
1825 familles, ailleurs rompue par des révolutions ou de fréquents changements de condition sociale. Nos archives sont intacte
1826 e par des révolutions ou de fréquents changements de condition sociale. Nos archives sont intactes, minutieusement tenues
1827 siècles pour une beaucoup plus grande proportion d’ habitants que dans d’autres nations de l’Europe. La plupart des citoye
1828 proportion d’habitants que dans d’autres nations de l’Europe. La plupart des citoyens suisses, qu’ils soient bourgeois, o
1829 n’atteignent, chez nos voisins, que les familles de la noblesse. La Suisse n’est pas démocratique pour avoir tardivement
1830 , au plus grand nombre. Le « Rôle des Bourgeois » de Neuchâtel illustre cette continuité jusqu’au xvie siècle. Au-delà to
1831 ez plutôt ces noms relevés au hasard dans le rôle de 1353 : Malifer, Conoz Bazin, Rollin d’Orouse, Perrod Tornarre, Jeanni
1832 quyrily, Quicu… On dirait des injures en patois ! De tous ces noms, tantôt si proches du latin populaire et tantôt du dial
1833 ard, tandis que la grande majorité des patronymes de consonance moderne et francisée, qui figurent sur le rôle de 1580, on
1834 ce moderne et francisée, qui figurent sur le rôle de 1580, ont subsisté jusqu’à nos jours. Beaucoup d’autres s’y sont ajou
1835 a pudeur… Le gouvernement et la structure sociale de la Principauté de Neuchâtel, du xve siècle jusqu’aux débuts du xixe
1836 rnement et la structure sociale de la Principauté de Neuchâtel, du xve siècle jusqu’aux débuts du xixe , ne manquent pas
1837 siècle jusqu’aux débuts du xixe , ne manquent pas d’ évoquer un mouvement d’horlogerie par leur extrême complication dans u
1838 du xixe , ne manquent pas d’évoquer un mouvement d’ horlogerie par leur extrême complication dans un espace aussi réduit q
1839 possible. William Coxe, voyageur anglais, auteur de Lettres sur l’état politique, civil et naturel de la Suisse, écrit en
1840 de Lettres sur l’état politique, civil et naturel de la Suisse, écrit en 1776 : « La constitution de Neuchâtel est une mon
1841 l de la Suisse, écrit en 1776 : « La constitution de Neuchâtel est une monarchie limitée, dont la machine est mise en mouv
1842 et des rouages si compliqués, qu’il est difficile de distinguer avec quelque exactitude les prérogatives du Souverain des
1843  » Voici ce qu’il a cru démêler, en une vingtaine de pages où perce l’étonnement. Le Prince se fait représenter en son ab
1844 fait il vit à Berlin] par un Gouverneur qui jouit d’ une très-grande considération, et d’une très-petite autorité… Les Troi
1845 eur qui jouit d’une très-grande considération, et d’ une très-petite autorité… Les Trois États de Neuchâtel sont le tribuna
1846 sont le tribunal suprême du pays. Il est composé de douze Juges partagés en trois divisions… Les quatre conseillers d’Éta
1847 rtagés en trois divisions… Les quatre conseillers d’ État les plus anciens forment la première division ; ces conseillers s
1848 nobles. La seconde comprend les quatre Châtelains de Landeron, Boudry, Valtravers et Thielle… Enfin la troisième division
1849 Thielle… Enfin la troisième division est composée de quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à par
1850 sième division est composée de quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à parler régulièrement, qu’
1851 on est composée de quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à parler régulièrement, qu’une cour sup
1852 ’est, à parler régulièrement, qu’une cour suprême de Justice… Le Conseil d’État saisi de l’administration ordinaire du go
1853 ment, qu’une cour suprême de Justice… Le Conseil d’ État saisi de l’administration ordinaire du gouvernement, a l’exercice
1854 cour suprême de Justice… Le Conseil d’État saisi de l’administration ordinaire du gouvernement, a l’exercice de la Puissa
1855 istration ordinaire du gouvernement, a l’exercice de la Puissance exécutrice. Ses membres sont à la nomination du Prince…
1856 la nomination du Prince… Nulle ordonnance émanée de ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant d’avoir été soumise à
1857 nance émanée de ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant d’avoir été soumise à l’examen d’un Comité composé du Cons
1858 e ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant d’ avoir été soumise à l’examen d’un Comité composé du Conseil de Ville e
1859 orce de loi, avant d’avoir été soumise à l’examen d’ un Comité composé du Conseil de Ville et des Députés de Vallengin… La
1860 soumise à l’examen d’un Comité composé du Conseil de Ville et des Députés de Vallengin… La ville de Neuchâtel jouit de pri
1861 Comité composé du Conseil de Ville et des Députés de Vallengin… La ville de Neuchâtel jouit de privilèges très considérabl
1862 il de Ville et des Députés de Vallengin… La ville de Neuchâtel jouit de privilèges très considérables. Elle a la police de
1863 Députés de Vallengin… La ville de Neuchâtel jouit de privilèges très considérables. Elle a la police de son territoire, et
1864 e privilèges très considérables. Elle a la police de son territoire, et n’est gouvernée que par ses propres magistrats, di
1865 cuperai point du détail des diverses subdivisions de ces deux Tribunaux, mais je ne puis m’empêcher de faire mention du co
1866 de ces deux Tribunaux, mais je ne puis m’empêcher de faire mention du corps des Ministraux qui forme le Tiers État toutes
1867 forme le Tiers État toutes les fois qu’il s’agit d’ établir quelque loi nouvelle, ou de faire des changements aux ancienne
1868 s qu’il s’agit d’établir quelque loi nouvelle, ou de faire des changements aux anciennes. Ce corps est une sorte de Comité
1869 changements aux anciennes. Ce corps est une sorte de Comité chargé de l’administration de la police, et dont les membres s
1870 nciennes. Ce corps est une sorte de Comité chargé de l’administration de la police, et dont les membres sont choisis dans
1871 st une sorte de Comité chargé de l’administration de la police, et dont les membres sont choisis dans le Conseil de Ville.
1872 et dont les membres sont choisis dans le Conseil de Ville. Il est composé de deux présidents de ce conseil, de quatre Maî
1873 choisis dans le Conseil de Ville. Il est composé de deux présidents de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis pa
1874 nseil de Ville. Il est composé de deux présidents de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis par le petit Sénat, e
1875 Il est composé de deux présidents de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis par le petit Sénat, et du Banneret o
1876 La Puissance législative est divisée et répartie d’ une manière si compliquée qu’il serait très difficile de dire précisém
1877 manière si compliquée qu’il serait très difficile de dire précisément où elle réside. Le détail suivant… servira peut-être
1878 le résider « à la fois dans le Prince, le Conseil d’ État, et la ville de Neuchâtel, conjointement considérés ; que le Vall
1879 is dans le Prince, le Conseil d’État, et la ville de Neuchâtel, conjointement considérés ; que le Vallengin a une sorte de
1880 ntement considérés ; que le Vallengin a une sorte de voix négative ; et enfin, que c’est aux Trois États qu’il appartient
1881 enfin, que c’est aux Trois États qu’il appartient de proposer et de promulguer une loi ». Quant à l’esprit des lois pénale
1882 t aux Trois États qu’il appartient de proposer et de promulguer une loi ». Quant à l’esprit des lois pénales, Coxe l’estim
1883 uant à l’esprit des lois pénales, Coxe l’estime «  d’ une extrême douceur », et les peines sont appliquées aux différents dé
1884 Juges… En un mot, et pour m’exprimer sur l’esprit de cette législation dans les termes qui l’honorent le plus, je vous dir
1885 a liberté des individus est protégée par les lois de ce pays avec autant de sollicitude et d’efficacité que par celles de
1886 est protégée par les lois de ce pays avec autant de sollicitude et d’efficacité que par celles de notre inestimable const
1887 les lois de ce pays avec autant de sollicitude et d’ efficacité que par celles de notre inestimable constitution. » Qu’atte
1888 ant de sollicitude et d’efficacité que par celles de notre inestimable constitution. » Qu’attendre de plus d’un Anglais ?
1889 e inestimable constitution. » Qu’attendre de plus d’ un Anglais ? N’oublions pas que les Trois États, le Conseil d’État, le
1890  ? N’oublions pas que les Trois États, le Conseil d’ État, le Grand Conseil, le Petit Conseil, les Quatre-Ministraux, les M
1891 considérés » avec les Trois États et les députés de Valangin, les vingt et une Cours de justice locales, les Châtelains e
1892 t les députés de Valangin, les vingt et une Cours de justice locales, les Châtelains et les Maires de districts, et cent a
1893 de justice locales, les Châtelains et les Maires de districts, et cent autres emplois ou dignités, exerçaient leurs pouvo
1894 rés mais jalousement distincts, dans une capitale de trois-mille habitants, un pays de quarante mille bons et fidèles suje
1895 ns une capitale de trois-mille habitants, un pays de quarante mille bons et fidèles sujets… « En 1818 déjà — écrit M. Arth
1896 rit M. Arthur Piaget dans sa remarquable Histoire de la révolution neuchâteloise — le Procureur général de Rougemont… cons
1897 242). « Il jugeait ridicule et dangereux l’esprit de caste et de famille qui régnait à Neuchâtel. Dieu nous préserve, écri
1898 ugeait ridicule et dangereux l’esprit de caste et de famille qui régnait à Neuchâtel. Dieu nous préserve, écrivait-il, des
1899 ous préserve, écrivait-il, des parvenus par droit de naissance et de fortune qui clabaudent contre ceux qui parviennent pa
1900 rivait-il, des parvenus par droit de naissance et de fortune qui clabaudent contre ceux qui parviennent par droits de tale
1901 clabaudent contre ceux qui parviennent par droits de talents et de vertus. Il estimait ces prétentions déplacées dans un p
1902 tre ceux qui parviennent par droits de talents et de vertus. Il estimait ces prétentions déplacées dans un pays où la plus
1903 oblesse n’est pas chapitrale, où les trois quarts de la noblesse trouvent des paysans aux quatrième et cinquième échelons
1904 l’un des principaux artisans du « cantonnement » de Neuchâtel, c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer de régime
1905 ns du « cantonnement » de Neuchâtel, c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer de régime, dans le Corps helvétique.
1906 c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer de régime, dans le Corps helvétique. Dès la chute de Napoléon, et malgré
1907 de régime, dans le Corps helvétique. Dès la chute de Napoléon, et malgré la Restauration, l’on s’aperçut que ce beau mouve
1908 estauration, l’on s’aperçut que ce beau mouvement d’ horlogerie fine retardait sans espoir sur l’heure du siècle, avancée p
1909 poir sur l’heure du siècle, avancée pour le reste de l’Europe par la Révolution, puis par l’Empire, dans le sens des droit
1910 l’Empire, dans le sens des droits individuels et de la tyrannie collective. La population s’accroissait, le commerce pros
1911 les radicaux triomphaient partout. Il était temps d’ adopter l’heure de Berne. Et ce fut 1848.
1912 phaient partout. Il était temps d’adopter l’heure de Berne. Et ce fut 1848.
12 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — IV
1913 famille parmi d’autres, et qui n’a guère cherché d’ illustration en dehors des limites de la communauté qu’elle a servie p
1914 uère cherché d’illustration en dehors des limites de la communauté qu’elle a servie pendant cinq siècles. Dans l’ascendanc
1915 e pendant cinq siècles. Dans l’ascendance directe de mon père, je trouve d’abord, dès la Réforme, deux « ministres du sain
1916 des Assises, membres du Petit Conseil, conseiller d’ État, enfin Procureur général de la Principauté. Puis survient la révo
1917 centenaire, et le dessaisissement du patriciat ; de là cette notice symbolique : Denis-François-Henry, rentier. (Un renti
1918 hômeur riche.) Suivent mon grand-père, professeur de théologie, et mon père, pasteur. Cela fait, au début et à la fin, pas
1919 pasteur. Cela fait, au début et à la fin, pas mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps p
1920 a fait, au début et à la fin, pas mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux
1921 et à la fin, pas mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de parti
1922 mal de robes et de rabats, soit de justice, soit d’ église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation continue
1923 t de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation continuelle au gouvernement du pays. A
1924 it d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation continuelle au gouvernement du pays. Au xixe siècle,
1925 du pays. Au xixe siècle, Neuchâtel ayant cessé d’ être ce qu’il conviendrait de nommer une aristocratie républicaine au
1926 euchâtel ayant cessé d’être ce qu’il conviendrait de nommer une aristocratie républicaine au Prince lointain, cette dynast
1927 e républicaine au Prince lointain, cette dynastie de conseillers d’État se tourne vers la vie intellectuelle. D’où septant
1928 au Prince lointain, cette dynastie de conseillers d’ État se tourne vers la vie intellectuelle. D’où septante-six ouvrages
1929 lers d’État se tourne vers la vie intellectuelle. D’ où septante-six ouvrages publiés par des Rougemont en Suisse, en Franc
1930 e et en Allemagne, entre 1830 et 1900. Et cela va d’ un essai sur Socrate et Jésus-Christ jusqu’à des Observations sur l’or
1931 du Brachinus crepitans, en passant par un Précis de géographie comparée et Quelques mots sur les nombres rythmiques de la
1932 parée et Quelques mots sur les nombres rythmiques de la prophétie… « L’ennui que j’aime à trouver au fond de l’histoire n’
1933 prophétie… « L’ennui que j’aime à trouver au fond de l’histoire n’est pas du goût de chacun », notait Chateaubriand dans s
1934 à trouver au fond de l’histoire n’est pas du goût de chacun », notait Chateaubriand dans ses Mémoires. Mais c’est par le d
1935 n connaît une famille, par une famille l’histoire d’ un pays, et surtout d’un petit pays. Ainsi l’on répète volontiers que
1936 par une famille l’histoire d’un pays, et surtout d’ un petit pays. Ainsi l’on répète volontiers que la Suisse est le « car
1937 épète volontiers que la Suisse est le « carrefour de l’Europe ». Pour vérifier ce lieu commun, examinons deux prises micro
1938 prises microscopiques prélevées dans les archives de ma famille. Sur les trente-deux ancêtres de mon père à la cinquième g
1939 hives de ma famille. Sur les trente-deux ancêtres de mon père à la cinquième génération, je compte quatorze Neuchâtelois,
1940 puis une Allemande. Et des trois autres branches de leur famille, au milieu du xviiie siècle, deux sont en train de deve
1941 t en commun presque toutes les anciennes familles de ce pays manque à la mienne : très peu de militaires parmi les ascenda
1942 de militaires parmi les ascendants directs du nom de mon père. Par les femmes, on en trouve davantage, mais là encore les
1943 a petite-fille du « Grand Ostervald », traducteur de la Bible admiré par Fénelon, auteur de vingt traités sur la morale, l
1944 traducteur de la Bible admiré par Fénelon, auteur de vingt traités sur la morale, la liturgie et la théologie qui furent t
1945 i le firent appeler par Newton « le plus chrétien de tous les hommes », vir omnium christianissimus. Mon trisaïeul, le Pro
1946 pouse Charlotte d’Ostervald, arrière-petite-fille de l’illustre pasteur. Le fils du Procureur épouse Marie-Philippine du B
1947 arie-Philippine du Buat-Nançay, dans l’ascendance de laquelle je trouve deux mathématiciens et ingénieurs, un diplomate et
1948 iplomate et historien, une alliance avec la fille de Corneille, et plus haut, dès le xiie siècle, de fréquents donateurs
1949 de Corneille, et plus haut, dès le xiie siècle, de fréquents donateurs à l’Abbaye de la Trappe. « N’oublie jamais », me
1950 e xiie siècle, de fréquents donateurs à l’Abbaye de la Trappe. « N’oublie jamais », me disait un de mes oncles, « que plu
1951 e de la Trappe. « N’oublie jamais », me disait un de mes oncles, « que plus l’ancêtre dont on se réclame est éloigné, moin
1952 ncêtre dont on se réclame est éloigné, moins on a de chances de tenir de lui ». Et que valent en effet ces noms, ces souve
1953 on se réclame est éloigné, moins on a de chances de tenir de lui ». Et que valent en effet ces noms, ces souvenirs, ces a
1954 clame est éloigné, moins on a de chances de tenir de lui ». Et que valent en effet ces noms, ces souvenirs, ces ascendance
1955 s arbres les plus nobles, au lieu d’un demi-dieu, d’ un héros ou d’un saint, un singe au naturel, en guise d’armes parlante
1956 lus nobles, au lieu d’un demi-dieu, d’un héros ou d’ un saint, un singe au naturel, en guise d’armes parlantes du beau myth
1957 naturel, en guise d’armes parlantes du beau mythe de l’Égalité… Et pourtant si le « grand Ostervald », si Corneille, si la
1958 sont — que dire du Singe ? Je me répète la phrase de mon oncle. En revanche, comment ne pas croire à l’influence des profe
1959 es fonctions ecclésiastiques, l’idée du serviteur de la cité, c’est qu’en lui durait toute une race consacrée à la chose p
1960 né toutes les « preuves » qui n’étaient pas celle de l’obligation. Je crois que toute autre considération sur ce sujet sem
1961 ur ce sujet semblait aux yeux de mon père indigne d’ une pensée. Et certes, il n’en parlait jamais. Le peu que j’en dis l’e
1962 Mais ce sens naturel du service, il lui fut donné de l’exercer dans d’autres dimensions humaines que celles du petit État
1963 tres dimensions humaines que celles du petit État de ses aïeux, aussi riche en coutumes fort sages qu’en préjugés invétéré
1964 vétérés. Il trouvait dans son héritage des vertus de prudence, d’ordre et d’autorité, un goût marqué pour l’argumentation
1965 rouvait dans son héritage des vertus de prudence, d’ ordre et d’autorité, un goût marqué pour l’argumentation et la dialect
1966 s son héritage des vertus de prudence, d’ordre et d’ autorité, un goût marqué pour l’argumentation et la dialectique légali
1967 ent conduit, en d’autres temps, vers une carrière d’ homme politique ou d’homme de loi, dans un style dignified à l’anglais
1968 res temps, vers une carrière d’homme politique ou d’ homme de loi, dans un style dignified à l’anglaise. Le ministère pasto
1969 s, vers une carrière d’homme politique ou d’homme de loi, dans un style dignified à l’anglaise. Le ministère pastoral le c
1970 tâches, en Dieu plus grandes, et vers la liberté de l’esprit. Sa première allégeance était l’Église, et par là même l’uni
1971 eut le comprendre. Sa tradition, cependant, était d’ autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction sec
1972 endre. Sa tradition, cependant, était d’autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction secrète de sa v
1973 ndant, était d’autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction secrète de sa vie et source de sa vraie
1974 rtions et de raison gardée. Contradiction secrète de sa vie et source de sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, s
1975 gardée. Contradiction secrète de sa vie et source de sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, sa tolérance acquise
1976 secrète de sa vie et source de sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, sa tolérance acquise non sans luttes, mais
1977 brusques indignations. Il avait le goût classique de la claire ordonnance, mais non moins de la justice sociale, et quand
1978 classique de la claire ordonnance, mais non moins de la justice sociale, et quand il le fallait, de la protestation sobre,
1979 ns de la justice sociale, et quand il le fallait, de la protestation sobre, efficace et désintéressée. Toujours saisi d’un
1980 sobre, efficace et désintéressée. Toujours saisi d’ un mouvement de retrait devant une charge honorifique, jamais devant l
1981 e et désintéressée. Toujours saisi d’un mouvement de retrait devant une charge honorifique, jamais devant les risques et l
1982 ifique, jamais devant les risques et les déboires d’ un témoignage vigilant ; père, citoyen, pasteur de ses troupeaux, et v
1983 d’un témoignage vigilant ; père, citoyen, pasteur de ses troupeaux, et vibrant défenseur de l’honneur protestant, il était
1984 n, pasteur de ses troupeaux, et vibrant défenseur de l’honneur protestant, il était au plein sens du mot l’homme engagé, c
1985 ause », comme il aimait à dire. Quand il m’arrive de louer dans mes ouvrages le civisme des protestants, c’est à l’exemple
1986 l’exemple de mon père que j’ai pensé ; et ce mot d’ engagement, dont on abuse, d’où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie
1987 ai pensé ; et ce mot d’engagement, dont on abuse, d’ où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies
1988 dont on abuse, d’où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies d’homme que j’ai connues de près,
1989 si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies d’ homme que j’ai connues de près, qui commandât mon absolu respect. Au-d
1990 ’une des très rares vies d’homme que j’ai connues de près, qui commandât mon absolu respect. Au-delà de l’exemple vivant d
1991 e près, qui commandât mon absolu respect. Au-delà de l’exemple vivant du destin vécu de mon père, qu’irais-je encore cherc
1992 spect. Au-delà de l’exemple vivant du destin vécu de mon père, qu’irais-je encore chercher dans le passé ? Si j’y suis rem
1993 remonté, c’était pour mieux saisir l’enseignement d’ une vie où s’est fondée ma vie. Sur le fond d’une tradition qui la rel
1994 ent d’une vie où s’est fondée ma vie. Sur le fond d’ une tradition qui la reliait à notre histoire et à l’ancienne communau
1995 encore comme il disait jour après jour : « Aller de l’avant ! ») L’honneur à rendre au père, selon le Décalogue, n’est pa
1996 r mourir centenaire !) Prolongés vers cet au-delà de la mémoire individuelle, le passé qui se passe en nous, et sans leque
1997 asse en nous, et sans lequel il n’y aurait jamais de plénitude du présent. Jours prolongés comme un accord qui réveille au
1998 avenir aussi, parce qu’il ouvre l’attente ardente de sa résolution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute ét
1999 qu’il ouvre l’attente ardente de sa résolution —  de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolon
2000 e ardente de sa résolution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de pié
2001 ution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de piété à la durée des siè
2002 ptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de piété à la durée des siècles écoulés et futurs de ce « pays que Dieu
2003 de piété à la durée des siècles écoulés et futurs de ce « pays que Dieu nous donne ».
13 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — V
2004 s, comme à l’écoute clandestine, l’oreille au son d’ un passé qui faiblit mais qui n’a pas terminé son message. Il me parle
2005 né son message. Il me parle ce soir de plus loin, d’ au-delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps d’une plus vaste
2006 sage. Il me parle ce soir de plus loin, d’au-delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps d’une plus vaste patrie. Le
2007 delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps d’ une plus vaste patrie. Les perspectives changent à vue, vertige et gri
2008 je croyais tenir ? Où vont se perdre les sentiers de la mémoire, ces voies ouvertes à l’imagination ? Il y a la petite pat
2009 u’on peut parcourir en une journée et chaque jour de la vie sans se lasser, celle qu’un regard embrasse et détaille à lois
2010 ’un regard embrasse et détaille à loisir. Au-delà de ses paysages et de sa proche histoire, il n’y a que l’imaginaire. Les
2011 et détaille à loisir. Au-delà de ses paysages et de sa proche histoire, il n’y a que l’imaginaire. Les nations, les plus
2012 ntre l’autre, et qu’entre ces amours il n’est que de la haine. Comment un Suisse le croirait-il ? Si je me sens presque pa
2013 Pour moi comme pour tant d’autres Suisses, passer de la petite patrie à la plus vaste, ce n’est pas infidélité à ma race,
2014 sens. Ainsi, pour me sentir Européen, nul besoin de quitter ce salon campagnard où je suis revenu m’asseoir : il me suffi
2015 agnard où je suis revenu m’asseoir : il me suffit de méditer sur ses images, de remonter par elles à des sources lointaine
2016 asseoir : il me suffit de méditer sur ses images, de remonter par elles à des sources lointaines. Grands portraits un peu
2017 , gravures piquées et daguerréotypes. Que sais-je d’ eux, qui me regardent ? Cette aïeule au visage émacié, coiffé de longu
2018 regardent ? Cette aïeule au visage émacié, coiffé de longues boucles noires, j’ai lu ses lettres. Dernière d’une lignée tr
2019 ues boucles noires, j’ai lu ses lettres. Dernière d’ une lignée très catholique, elle cachait ses messages au fiancé suisse
2020 chait ses messages au fiancé suisse dans l’écorce d’ un arbre, au fond du parc, et devenait protestante en secret. J’ai lu
2021 devenait protestante en secret. J’ai lu ces pages de confidences pudiques, pleines d’idéal et de mélancolie, mais sans y r
2022 ’ai lu ces pages de confidences pudiques, pleines d’ idéal et de mélancolie, mais sans y retrouver la trace des larmes dont
2023 pages de confidences pudiques, pleines d’idéal et de mélancolie, mais sans y retrouver la trace des larmes dont elle écrit
2024 s furent baignées. L’on était vers 1830. Portrait de son grand-père, un chevalier de Malte, membre correspondant de l’Inst
2025 rs 1830. Portrait de son grand-père, un chevalier de Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils fut décap
2026 père, un chevalier de Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire d
2027 e Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la
2028 titut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la Terreur, deux ans après que sa petite
2029 e ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la Terreur, deux ans après que sa petite cousine Charl
2030 né à Boudry, tout près d’ici. Que sais-je encore de cette famille éteinte ? Du fond des âges et de la forêt normande, il
2031 re de cette famille éteinte ? Du fond des âges et de la forêt normande, il m’en revient un nom de Table ronde : Lucrèce d’
2032 s et de la forêt normande, il m’en revient un nom de Table ronde : Lucrèce d’Aubray, Dame de l’Aigle et du Lac… Cette aïeu
2033 te aïeule qui me sourit dans sa mantille, retenue d’ une main sur la gorge opulente, vint de Béziers au temps des dragonnad
2034 agonnades. Parmi ses ancêtres : Mirman, défenseur de la foi huguenote ; et plus haut des seigneurs dont certains furent ca
2035 nt cathares, Miramon, Cabrol et Vestric… Portrait d’ un général de la Garde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et d
2036 éral de la Garde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et de Bavière… On se trompe en croyant qu’un voyageur, à longu
2037 rde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et de Bavière… On se trompe en croyant qu’un voyageur, à longueur de chemin
2038 n se trompe en croyant qu’un voyageur, à longueur de chemin, perd ses ancêtres : c’est eux parfois qu’il s’en va visiter,
2039 il s’interroge : comment l’eussent-ils reçu, gens de leur terre, lui le nomade ? Qu’y a-t-il encore entre eux et lui ? Peu
2040 et lui ? Peu de chose, ou rien si l’on veut. Rien d’ autre qu’un pouvoir sans doute fictif, et que peut-être ils négligèren
2041 e fictif, et que peut-être ils négligèrent, celui de se sentir chez soi dans leurs légendes. Les forêts enchantées où chev
2042 où chevauchait Lancelot, sous les ciels méditants de l’Ouest celtique ; le Midi sec et enfiévré des troubadours ; et de l’
2043 ue ; le Midi sec et enfiévré des troubadours ; et de l’autre côté de l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la
2044 et enfiévré des troubadours ; et de l’autre côté de l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la Prusse-Oriental
2045 e l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la Prusse-Orientale, — tant de générations aux fortunes diverses ne m
2046 qu’elles m’y lient ? Nous ne savons presque rien de l’hérédité. Mais quand on m’aura démontré que le sentiment d’obscure
2047 é. Mais quand on m’aura démontré que le sentiment d’ obscure reconnaissance qui m’a toujours saisi dans ces provinces ne do
2048 mystères du sang, une idée chimérique ne cessera de me plaire : sur ces lieux où jadis des hommes dont je descends exercè
2049 s hommes dont je descends exercèrent leurs droits de seigneurs, je garde encore un droit de rêve, d’imaginaire intimité. V
2050 urs droits de seigneurs, je garde encore un droit de rêve, d’imaginaire intimité. Voilà un privilège qui ne peut gêner per
2051 s de seigneurs, je garde encore un droit de rêve, d’ imaginaire intimité. Voilà un privilège qui ne peut gêner personne ! P
2052 i ceux qui vivent pour l’avenir et dans les voies de l’ambition jalouseraient-ils ceux qui parfois se plaisent à remonter
14 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — VI
2053 VI Ces retours sur l’histoire d’ un pays, où je cherchais à mieux situer les miens, m’ont proposé chemi
2054 roposé chemin faisant quelques énigmes, et permis d’ entrevoir quelques réponses. Voici pourtant un fait que je m’explique
2055 nt de culture, pour tant de livres lus, relus, et de bon choix, accumulés depuis des siècles dans les maisons publiques et
2056 roduit qui marque dans la langue, à part la Bible d’ Ostervald. Les ouvrages distingués ne manquent pas. Mais les seuls qui
2057 les seuls qui aient franchi nos limites sont ceux de nos théologiens, Ostervald encore, puis Godet ; et le Droit des gens
2058 tervald encore, puis Godet ; et le Droit des gens de Vattel. Nous avons eu d’excellents historiens : l’auteur de la Chroni
2059 t ; et le Droit des gens de Vattel. Nous avons eu d’ excellents historiens : l’auteur de la Chronique des Chanoines (apocry
2060 Nous avons eu d’excellents historiens : l’auteur de la Chronique des Chanoines (apocryphe), Chambrier pour l’ancien régim
2061 it du terme — le roman, le poème, l’essai, le jeu d’ idées — est restée chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré d
2062 chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’émouvant d’une culture solide et variée, d’une nature cont
2063 uvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’ émouvant d’une culture solide et variée, d’une nature contrastée de ch
2064 le. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’émouvant d’ une culture solide et variée, d’une nature contrastée de charme et de
2065 and ou d’émouvant d’une culture solide et variée, d’ une nature contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension
2066 culture solide et variée, d’une nature contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension des contraintes morales
2067 e et variée, d’une nature contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension des contraintes morales, dont vécut
2068 ure contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension des contraintes morales, dont vécut le roman victorien. Fa
2069 s ? J’ai vu percer quelques poètes à nos vitrines de libraires… Les Vaudois ont produit ou toléré Constant, Alexandre Vine
2070 nt, Alexandre Vinet, Ramuz ; les Genevois Calvin, de Bèze, Rousseau, Madame de Staël, Töpffer, Amiel… Je ne parle pas des
2071 urope, connaît au moins le nom. Nous n’avons rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Colo
2072 m. Nous n’avons rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éc
2073 ns rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éclatants et pa
2074 Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éclatants et parfois scandaleux. Mais
2075 de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éclatants et parfois scandaleux. Mais la « petite hi
2076 e se borne à mentionner chez nous des rendez-vous de voyageurs discrets, inaperçus et bientôt disparus. Un seul s’est fait
2077 marquer, ce fut le premier en date, et les gamins de Môtiers lui jetèrent des cailloux. Avertis par ce précédent, dont le
2078 nt le bruit s’élargit à l’Europe, les successeurs de l’Arménien ne sont venus chez nous qu’à pas feutrés. Certains d’aille
2079 ous qu’à pas feutrés. Certains d’ailleurs avaient de bonnes raisons de ne point publier leur séjour. Benjamin Constant s’e
2080 és. Certains d’ailleurs avaient de bonnes raisons de ne point publier leur séjour. Benjamin Constant s’enfermait dans le m
2081 our. Benjamin Constant s’enfermait dans le manoir de Madame de Charrière, pour échapper aux cousines de Lausanne et à son
2082 e Madame de Charrière, pour échapper aux cousines de Lausanne et à son mariage en Allemagne. Chateaubriand, qui se souvena
2083 magne. Chateaubriand, qui se souvenait sans doute d’ avoir été jadis, pour la police française, un dénommé « Lassagne, Neuc
2084 gne, Neuchâtelois », vint s’enfermer au lendemain de sa chute « dans une cabane au bord du lac ». Brève retraite, dont une
2085 c ». Brève retraite, dont une phrase des Mémoires d’ outre-tombe lui suffit pour décrire l’ennui : « Un maigre chat noir, d
2086 « Un maigre chat noir, demi-sauvage, qui pêchait de petits poissons en plongeant sa patte dans un grand seau rempli de l’
2087 s en plongeant sa patte dans un grand seau rempli de l’eau du lac, était toute ma distraction. » Au même endroit de la vil
2088 ac, était toute ma distraction. » Au même endroit de la ville, neuf ans plus tard, Balzac rencontrera cette inconnue qui v
2089 nie. Et l’on dit qu’Andersen écrivit quelques-uns de ses plus beaux contes pendant le séjour qu’il fit au Locle, dans la n
2090 t, à ces conjonctions clandestines, à l’incognito de la gloire. Je voudrais qu’on y élève un monument dédié à l’Illustre I
2091 Il serait en forme de banc. Qui sait quel Balzac de l’avenir, quelle Étrangère venue du bout du monde, ne seraient point
2092 venue du bout du monde, ne seraient point tentés de s’y asseoir un jour, pour quelques heures, en face du lac ? Et certes
2093 ac ? Et certes, j’ai pensé à Gide, le plus fidèle de tous nos hôtes, en écrivant ces phrases sur le banc. Je viens de repr
2094 prendre son Journal, pour vérifier s’il y parlait de Neuchâtel. Et je tombe sur ce court passage, à la date de 1913 : « Co
2095 âtel. Et je tombe sur ce court passage, à la date de 1913 : « Combien j’aime ce lac tranquille aux rives basses, peuplé de
2096 j’aime ce lac tranquille aux rives basses, peuplé de mouettes, où mon regard ni ma pensée ne se heurte à rien d’accidentel
2097 s, où mon regard ni ma pensée ne se heurte à rien d’ accidentel ou d’étranger. Comment, moi si frileux, n’éprouvai-je ce ma
2098 ni ma pensée ne se heurte à rien d’accidentel ou d’ étranger. Comment, moi si frileux, n’éprouvai-je ce matin que bien-êtr
2099 à peine au-dessus du gel, n’ayant devant moi que de l’eau et de la brume ? J’habiterais ici volontiers. » Il a fallu le p
2100 dessus du gel, n’ayant devant moi que de l’eau et de la brume ? J’habiterais ici volontiers. » Il a fallu le prix Nobel po
2101 s. Puis on lit à haute voix les deux papiers. Jeu de hasard, ou de télépathie. J’avais écrit, dernière question : — Qu’est
2102 à haute voix les deux papiers. Jeu de hasard, ou de télépathie. J’avais écrit, dernière question : — Qu’est-ce que le sty
2103  : — Qu’est-ce que le style ? Catherine, la fille de Gide, lut sa dernière réponse : — L’originalité de mon père. Gide s’é
2104 e Gide, lut sa dernière réponse : — L’originalité de mon père. Gide s’éclaircit la voix pour observer que le jeu devenait
15 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — VII
2105 ien j’aimai ce lac aux rives glauques ! sans rien d’ alpestre, et dont les eaux, comme celles d’un marécage, longtemps se m
2106 s rien d’alpestre, et dont les eaux, comme celles d’ un marécage, longtemps se mêlent à la terre et filtrent entre les rose
2107 Et depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’eau — pour toute la vie », écrivait un Paysan du Danube, et vingt a
2108 nheur à ces souvenirs. Non qu’ils me parlent tous de jours heureux, mais la mémoire des plus amers ou des plus seuls a gar
2109 lac n’est jamais sans quelque douceur ? Cherchant d’ où vient cet agrément, et pourquoi dans le monde lacustre on ressent l
2110 ux ciels changeants, et si profonds ses lointains de lumière. La pente derrière moi, l’horizon des collines, sont le cadre
2111 où les cris des oiseaux dans la brume s’occupent d’ une vie bien différente… Enfin la variété des objets, des lumières, de
2112 satisfait comme nul autre paysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’
2113 me nul autre paysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, d
2114 ysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de
2115 rofond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de bo
2116 oser, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux,
2117 ler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler
2118 couvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l
2119 plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconn
2120 née, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il
2121 rter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il aime à s’y r
2122 à Baveno dans l’eau tiède et dorée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux
2123 ée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux,
2124 -midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, passagers immobiles, un bra
2125 ella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, passagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac de Garde un
2126 assagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac de Garde un palais délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de
2127 bite au lac de Garde un palais délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneu
2128 délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneux du village viennent donner la
2129 brusque sauvagerie des hautes pentes, échevelées de châtaigniers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige,
2130 ers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige, sur l’autre rive, un orage s’illumine par moments, et dans l’é
2131 où l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nou
2132 hare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nous allions ramer vers minuit, heure où le crép
2133 n se meurt dans l’aube, à l’horizon des landes et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient
2134 des et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plai
2135 ù tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plaine aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses au
2136 Balaton, lac de plaine aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses aux jardins publics — là j’étais seul…
2137 aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par un b
2138 alses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par un beau temps cruel, qui faisait fête à des adieux… Petits
2139 es adieux… Petits déjeuners suisses sur un balcon d’ hôtel à Vevey, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air
2140 y, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scintillement d
2141 e le monde venait de s’éveiller, luisant et neuf, de la première nuit… Et ces deux grands étés américains, dans les demeur
2142 ds étés américains, dans les demeures trop vastes de Lake George, nommé jadis lac du Saint-Sacrement « pour la pureté lust
2143 lac du Saint-Sacrement « pour la pureté lustrale de ses eaux »… Il me rappelait un peu de tous mes autres lacs, mais il é
2144 tous mes autres lacs, mais il était surtout celui d’ Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvai
2145 es autres lacs, mais il était surtout celui d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien
2146 celui d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pourquoi l’ai-je quitté ? …Et
2147 i l’ai-je quitté ? …Et nous n’irons jamais au lac d’ Amatitlán, au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte
2148 is au lac d’Amatitlán, au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte avec les autres sans remords, s’il est v
2149 e avec les autres sans remords, s’il est vrai que d’ aucun je n’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes sec
2150 emords, s’il est vrai que d’aucun je n’ai su tant d’ histoires et qu’il détient certains de mes secrets. Je dénombre mes la
2151 ’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes secrets. Je dénombre mes lacs, et la mémoire encore investit du c
2152 ce même, aux chagrins taciturnes. Souffrir auprès d’ un lac n’est jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar
2153 que mon cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’i
2154 cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation
2155 . Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’une socié
2156 t de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’ initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant
2157 nversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’ une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout
2158 ens de subir l’épreuve d’initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonnea
2159 itiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonneau comme le veut la coutume,
2160 r un tonneau comme le veut la coutume, l’histoire de mes Premières Amours. On m’a conspué. J’ai 16 ans. C’est horrible. Mo
2161 descend dans le cortège des jeunes filles sortant de l’école des Terreaux. Nous, les garçons, tenons notre « colloque » su
2162 s garçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de
2163 lace de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’ un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais
2164 de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’ un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois veni
2165 Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois venir de loin
2166 nir de loin. Elle porte un grand chapeau flottant d’ un rose sombre. Tout la distingue infiniment du troupeau bavardant de
2167 out la distingue infiniment du troupeau bavardant de ses compagnes. Si je rencontrais ses yeux, que deviendrais-je, et si
2168 semaine prochaine, l’épreuve recommencera. Odeur de l’eau qui dort, pénétrante, amicale. Un poisson saute et ride un mome
2169 out à fait comme avant.) Ce soir, elle est encore d’ une présence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bou
2170 nvoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague
2171 ourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague vers l’autre rive. Elle caresse en passant l’épaule de
2172 des collines, elle monte, elle embrase longtemps d’ une sereine incandescence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets
2173 ence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets d’ où l’on voit l’Italie… Et le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de
2174 horizon. Paysage emphatique et sombre, tout cerné de prodiges sévères, et l’œil ne s’en évade au bas du ciel — vers l’oues
2175 r lointain que l’eau n’a point doublé, déjà prise de nuit, rêvant jusqu’à mes pieds. Par une chaude soirée du mois d’août
2176 jusqu’à mes pieds. Par une chaude soirée du mois d’ août 192., un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle g
2177 mois d’août 192., un jeune homme, simplement vêtu d’ un pantalon de flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à
2178 2., un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à longues pesées
2179 implement vêtu d’un pantalon de flanelle grise et d’ un chandail au col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la
2180 col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage est imminent. No
2181 L’orage est imminent. Notre héros, qui paraît âgé d’ une vingtaine d’années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les
2182 nent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine d’ années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les peupliers, et d
2183 ues limoneuses accablent sans relâche les roseaux de la baie. Des nuées menaçantes courent très bas, tirant des pluies au
2184 Il roule maintenant dans l’ombre tiède et abritée d’ un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés p
2185 aintenant dans l’ombre tiède et abritée d’un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés par le crép
2186 Quelle est cette hâte inconnue, qu’il se flattait de n’éprouver jamais, bien au contraire, avant un rendez-vous ? Cette en
2187 au contraire, avant un rendez-vous ? Cette envie de crier : « J’accours ! Attends !… » Ah ! mais qu’est-ce qu’il m’arrive
2188 cœur net. (Tout son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pie
2189 t son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol,
2190 en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la ma
2191 Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’at
2192 pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’ un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’attente du pays sous l
2193 œur, le sang plus vite, le soulèvement plus ample de la respiration. Tout ce que disent les poètes qu’il dédaigne, tous le
2194 quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’ un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient d
2195 t d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient dans la nue, et le jeune homme savait en repartan
16 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — VIII
2196 à des lieux plus sévères. Mais plutôt il convient d’ alterner ces agréments et ces vertus. Qui nous parlera des forêts ? Po
2197 s sont celles où l’on naît à l’amour. Un portrait de notre pays, peint de là-haut, ne ressemblerait guère à mes esquisses.
2198 naît à l’amour. Un portrait de notre pays, peint de là-haut, ne ressemblerait guère à mes esquisses. Au lieu de la lumièr
2199 cru, des ombres longues et givrées, des couchants d’ incendie sur les menées moroses des hauts plateaux boisés de noir. Ils
2200 sur les menées moroses des hauts plateaux boisés de noir. Ils vont jusqu’au Tibet, me disait un jour Ramuz (dont la géogr
2201 un jour Ramuz (dont la géographie se passait bien d’ atlas). C’est la même civilisation, les mêmes fumées sur les tourbière
2202 uedoc sont en réalité des musulmans, qu’il suffit de les voir, tout noirs dans leurs cuisines, fatalistes et irréductibles
2203 ent des voies. Je garde ma méfiance pour l’espèce de mensonge qui rend la vie plus petite que nature, sous prétexte d’exac
2204 rend la vie plus petite que nature, sous prétexte d’ exactitude. Pays des horlogers à domicile, des longues veillées, des i
2205 es longues veillées, des inventions pratiques, et de beaucoup de dignité cordiale dans le commerce quotidien, c’est le Nor
2206 kounine présida, me dit-on, les réunions secrètes d’ où devait sortir la Première Internationale, aussitôt confisquée par M
2207 ère Internationale, aussitôt confisquée par Marx. De cette enfance il me reste un cauchemar, l’école primaire, dont j’ai p
2208 ressemble à aucun autre ; une connaissance intime de la neige ; le désir des pays chauds ; et un petit lièvre. Je me souvi
2209 pays chauds ; et un petit lièvre. Je me souviens de ce retour du Creux-du-Van, à travers les grands pâturages parsemés de
2210 x-du-Van, à travers les grands pâturages parsemés de sapins majestueux et coupés çà et là de murs bas faits de grosses pie
2211 parsemés de sapins majestueux et coupés çà et là de murs bas faits de grosses pierres entassées avec art. Nous passions l
2212 s majestueux et coupés çà et là de murs bas faits de grosses pierres entassées avec art. Nous passions les clédars (beau m
2213 soin, pour que les vaches n’aillent point changer de propriétaire. Nous marchions à grandes enjambées, joyeux de sentir no
2214 taire. Nous marchions à grandes enjambées, joyeux de sentir nos gros talons cloutés mordre dans le sol élastique. Soudain
2215 ndis mon pas : au bout de mon pied, dans un creux d’ herbe, un petit lièvre frémissait, immobile et terrorisé. Nous nous so
2216 t terrorisé. Nous nous sommes regardés un moment, de tout près. Un seul geste rapide eût suffi pour l’attraper par les ore
2217 ant. C’était trop beau… Le lièvre détala. Combien d’ occasions merveilleuses ai-je laissées détaler depuis ! Ce sont peut-ê
2218 Chaque fois qu’une chance offerte un instant fuit d’ un bond, parce qu’un scrupule ou un respect, ou quelque obscure sagess
2219 cent. J’entends les mêmes allures, le même accent de l’âme, du cœur et de la poignée de main ; mais hélas ! aussi du langa
2220 êmes allures, le même accent de l’âme, du cœur et de la poignée de main ; mais hélas ! aussi du langage. Et à ce propos… L
2221 i du langage. Et à ce propos… L’opinion publique, de nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les
2222 on publique, de nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les loue sans aucune retenue, et cette v
2223 nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les loue sans aucune retenue, et cette vanité collectiv
2224 it pourquoi, patriotisme ; mais que si l’on parle de soi, on confesse uniquement ses faiblesses, et cela s’appelle sincéri
2225 es, et cela s’appelle sincérité. (Quand il s’agit de la famille, ce moyen terme entre l’individu et la patrie, on ne sait
2226 r quel pied danser.) Pour moi, j’ai pris le parti de laisser les étrangers vanter nos vertus bien connues et découvrir cel
2227 me borne à l’autocritique. Et par exemple, il est de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’élever une solennell
2228 utocritique. Et par exemple, il est de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’élever une solennelle protestation
2229 de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’ élever une solennelle protestation contre l’accent de mes compatriotes
2230 lever une solennelle protestation contre l’accent de mes compatriotes, celui qu’ils ont pris de nos jours et que leurs pèr
2231 accent de mes compatriotes, celui qu’ils ont pris de nos jours et que leurs pères n’ont pas connu, l’accent le plus navran
2232 s pères n’ont pas connu, l’accent le plus navrant de tout le domaine français, de Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou
2233 cent le plus navrant de tout le domaine français, de Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de
2234 de tout le domaine français, de Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de franç
2235 de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de français, elles sont moins graves, et je ne crois pas q
2236 Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de français, elles sont moins graves, et je ne crois pas que nous en com
2237 tu t’encoubles, il aurait meilleur temps, on veut d’ jà bien ça faire, vous voyez pas jour, ils n’en peuvent rien ; dans le
2238 e moque à l’occasion des Auvergnats, mais grimace de douleur à nous entendre. Écoutez les jeunes gens dans la rue (« sur l
2239 ns une bouillasse verbale, où l’on se traîne avec de lourdes brusqueries, pour s’enliser régulièrement avant d’avoir attei
2240 s brusqueries, pour s’enliser régulièrement avant d’ avoir atteint la fin d’une phrase. Je sais bien que l’influence du sui
2241 nliser régulièrement avant d’avoir atteint la fin d’ une phrase. Je sais bien que l’influence du suisse allemand y est pour
2242 beaucoup, et qu’on ne peut pas déplacer le canton de Berne. Mais je me souviens aussi de l’état d’esprit qui entretient ce
2243 cer le canton de Berne. Mais je me souviens aussi de l’état d’esprit qui entretient cet état de choses et qui ne cesse de
2244 qui entretient cet état de choses et qui ne cesse de l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et de la caserne, où l’o
2245 hoses et qui ne cesse de l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et de la caserne, où l’on se moque sans pitié des ga
2246 e l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et de la caserne, où l’on se moque sans pitié des garçons qui « raffinent »
2247 i « raffinent », c’est-à-dire parlent avec un peu d’ aisance. Cette émulation par le bas pourrait être arrêtée par les inst
2248 t être arrêtée par les instituteurs. Il suffirait de renverser la mode, et de statuer qu’à partir d’aujourd’hui l’on va se
2249 stituteurs. Il suffirait de renverser la mode, et de statuer qu’à partir d’aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux
2250 t de renverser la mode, et de statuer qu’à partir d’ aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux qui parlent mal, au li
2251 partir d’aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux qui parlent mal, au lieu de tourner en ridicule ceux qui essaien
2252 au lieu de tourner en ridicule ceux qui essaient de bien dire, d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’express
2253 urner en ridicule ceux qui essaient de bien dire, d’ articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’expression. Le vers f
2254 qui essaient de bien dire, d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’expression. Le vers fameux de Valéry : « Hon
2255 d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’ expression. Le vers fameux de Valéry : « Honneur des Hommes, Saint Lan
2256 îtriser leurs moyens d’expression. Le vers fameux de Valéry : « Honneur des Hommes, Saint Langage ! » serait la devise de
2257 ur des Hommes, Saint Langage ! » serait la devise de cette croisade, dont le succès embellirait notre existence mieux qu’u
2258 arques un peu vives si elles attirent l’attention de nos éducateurs sur une disgrâce que l’habitude risque de rendre insen
2259 éducateurs sur une disgrâce que l’habitude risque de rendre insensible à certains. Dans ce domaine, faire attention suffir
2260 à prévenir et à guérir. Il convenait qu’au terme de ces pages j’apporte aussi ma petite contribution au centenaire que l’
2261 oilà qui est fait selon mes moyens, qui sont ceux d’ un monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage. Cadeau
2262 es moyens, qui sont ceux d’un monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage. Cadeau modeste mais peut-être u
2263 monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage. Cadeau modeste mais peut-être utile, si l’on songe que ce ce
2264 utile, si l’on songe que ce centenaire est celui d’ une libération, et qu’un peuple n’est vraiment libre que s’il possède
2265 d, dans la force et la grâce du terme, la liberté de l’expression. e. Voir Les Méfaits de l’instruction publique .
2266 a liberté de l’expression. e. Voir Les Méfaits de l’instruction publique .