1
Introduction Le sentiment
de
l’Europe centrale Un accord sans résolution Il arrive qu’au so
2
ution Il arrive qu’au sortir de Paris le train
de
banlieue qui emmène son chargement de somnambules énervés de fumée et
3
is le train de banlieue qui emmène son chargement
de
somnambules énervés de fumée et qui se cachent dans les journaux du s
4
qui emmène son chargement de somnambules énervés
de
fumée et qui se cachent dans les journaux du soir, soit lentement dou
5
naux du soir, soit lentement doublé par le rapide
de
Bretagne. Ce long passage lumineux des vacances, traînée d’espoirs dé
6
e. Ce long passage lumineux des vacances, traînée
d’
espoirs délivrés qui nous frôle, éveille chez ceux qui restent un sent
7
éveille chez ceux qui restent un sentiment confus
d’
exil et de plaisir dont souvent j’ai cru distinguer la contagion dans
8
ez ceux qui restent un sentiment confus d’exil et
de
plaisir dont souvent j’ai cru distinguer la contagion dans le regard
9
t j’ai cru distinguer la contagion dans le regard
de
mes voisins. Ainsi d’autres fois j’ai vibré au passage des rapides de
10
i d’autres fois j’ai vibré au passage des rapides
de
l’Europe centrale ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais d’u
11
assage des rapides de l’Europe centrale ; non pas
de
cette jubilation nostalgique, mais d’une fièvre brève qui révélait la
12
e ; non pas de cette jubilation nostalgique, mais
d’
une fièvre brève qui révélait la trouble densité de l’atmosphère. La r
13
’une fièvre brève qui révélait la trouble densité
de
l’atmosphère. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée d’Innsbru
14
ait la trouble densité de l’atmosphère. La rumeur
de
l’express Mitropa dans la vallée d’Innsbruck figure dans mes songerie
15
re. La rumeur de l’express Mitropa dans la vallée
d’
Innsbruck figure dans mes songeries le passage du « Sturm and Drang »
16
kilomètres à l’heure. ⁂ L’Europe centrale est une
de
ces réalités qu’on reconnaît d’abord par leur frisson particulier. Ma
17
nt alors des images champêtres, les toits pointus
d’
un bourg au sein d’une vallée de verdure et de vergers — c’est la Soua
18
les toits pointus d’un bourg au sein d’une vallée
de
verdure et de vergers — c’est la Souabe, la Thuringe, la vie bourgeoi
19
tus d’un bourg au sein d’une vallée de verdure et
de
vergers — c’est la Souabe, la Thuringe, la vie bourgeoise ; — puis le
20
Thuringe, la vie bourgeoise ; — puis le contraste
d’
un massif central de sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté
21
rgeoise ; — puis le contraste d’un massif central
de
sapins et de lacs secrets, cœur noir et tourmenté du continent, — cet
22
uis le contraste d’un massif central de sapins et
de
lacs secrets, cœur noir et tourmenté du continent, — cette région esc
23
Prague, qui forme le décor voluptueux et lugubre
de
tant de drames nourris de solitude ; et puis des plaines qui se perde
24
r voluptueux et lugubre de tant de drames nourris
de
solitude ; et puis des plaines qui se perdent en steppes — démesure e
25
lle part la « province ». Elles condensent la vie
de
leur contrée, en donnent la visible formule, petites capitales enraci
26
certaines, selon l’égarement du temps, tentèrent
de
vivre par elles-mêmes. Elles retirent les parcs qui les alliaient à l
27
cs qui les alliaient à la campagne, se ceinturent
d’
usines, et prennent aussitôt cette fièvre caractéristique des organism
28
vre caractéristique des organismes humains isolés
de
la vie végétale. C’est ainsi que Berlin réglemente la circulation de
29
C’est ainsi que Berlin réglemente la circulation
de
ses ferments de tristesses intellectuelles, sur une petite superficie
30
Berlin réglemente la circulation de ses ferments
de
tristesses intellectuelles, sur une petite superficie minérale où la
31
uilibrent, violence et mélancolie, paysages-états
d’
âme imposant tour à tour le cynisme ou la bonhomie, tout cela baigne d
32
la baigne dans une inguérissable nostalgie, celle
d’
un grand accord complexe qui chercherait en vain sa résolution. ⁂ M’at
33
aphie sentimentale, j’avais un temps conçu l’idée
d’
établir une Carte du Tendre de la nouvelle Europe centrale. Il semblai
34
temps conçu l’idée d’établir une Carte du Tendre
de
la nouvelle Europe centrale. Il semblait que les noms des traités de
35
pe centrale. Il semblait que les noms des traités
de
19, Versailles, Trianon, convenaient mieux au rococo des sentiments q
36
re part, flattait un certain goût du graphique et
de
l’imagerie stylisée qu’à la réflexion je trouvai trop spécifiquement
37
i trop spécifiquement français pour rendre compte
d’
une réalité qui, justement, m’attirait comme une étrangère. Néanmoins,
38
esque et défini, au goût du temps, les frontières
de
certains pays dont on venait à peine de reconnaître l’existence légal
39
férai soudain monter dans un express. Pour guérir
de
Descartes, il n’est que d’aimer en voyage : l’on découvre bientôt que
40
n express. Pour guérir de Descartes, il n’est que
d’
aimer en voyage : l’on découvre bientôt que rien n’est comparable. Que
41
t que rien n’est comparable. Quel était ce besoin
de
fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des dé
42
n’est comparable. Quel était ce besoin de fixer,
de
cerner, de localiser dans l’espace des sentiments ou des désirs sans
43
arable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner,
de
localiser dans l’espace des sentiments ou des désirs sans fins, et qu
44
sentiments ou des désirs sans fins, et qui n’ont
de
réalité qu’en un cœur, lorsqu’il aime1 ? Tout devenait incompréhensib
45
chemin, nulle distance mesurable, ne conduisaient
de
Tendre-sur-Noblesse à Saint-Masoch-en-Démonie, mais tout se mêlait gl
46
t « paradoxe », tels sont peut-être les mots-clés
de
l’Europe sentimentale. Pourquoi faut-il que notre langue les traduise
47
ise, en vertu d’une convention qu’il serait temps
de
réviser, par « démesure » et « confusion » ? Car il est trop certain
48
certain que le mot démesure désigne dans l’esprit
d’
un bourgeois cartésien quelque chose dont il convient de se gausser sa
49
ourgeois cartésien quelque chose dont il convient
de
se gausser sans examen. Mais une exacte traduction ne servirait au fo
50
on ne servirait au fond qu’à déplacer le prétexte
d’
un malentendu plus tenace. Lorsqu’on parle de paradoxe, Tartempion se
51
exte d’un malentendu plus tenace. Lorsqu’on parle
de
paradoxe, Tartempion se souvient du café du Commerce, tandis que le p
52
e premier des Doktor phil. venu évoque le concept
d’
ironie selon Jean-Paul, la dialectique selon Hegel, et peut-être la pa
53
dialectique selon Hegel, et peut-être la passion
de
Kierkegaard. Mais alors M. Truc parle des « brumes nordiques » ! Car
54
ques » ! Car la métamorphose a pour effet certain
de
rendre tout légalisme inefficace — il n’y a jugement possible que du
55
sse renaissant au contact des éléments inférieurs
de
deux mondes dont la synthèse constituerait la gloire de ce temps, et,
56
x mondes dont la synthèse constituerait la gloire
de
ce temps, et, accessoirement, notre salut. Parmi les traits tout quot
57
nt, notre salut. Parmi les traits tout quotidiens
de
la mentalité germanique, les plus frappants apparaissent déterminés p
58
morale du titanisme. Or elle implique la réalité
de
la métamorphose. Les autres traits relèvent d’un sentimentalisme part
59
té de la métamorphose. Les autres traits relèvent
d’
un sentimentalisme particulier, synthèse « paradoxale » et jamais suff
60
arguments sanglants. Et s’il est des domaines où
de
nos jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie de nuances vaine
61
jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie
de
nuances vaines et la décision, même brutale, l’on ne saurait ici serr
62
écision, même brutale, l’on ne saurait ici serrer
de
trop près les origines secrètes d’un phénomène qui produit ses effets
63
ait ici serrer de trop près les origines secrètes
d’
un phénomène qui produit ses effets sur tous les plans, celui de la gu
64
qui produit ses effets sur tous les plans, celui
de
la guerre y compris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide d’u
65
ns, celui de la guerre y compris. Mais il est bon
de
préciser, fût-ce à l’aide d’un seul exemple. L’Allemand, dit-on, est
66
ris. Mais il est bon de préciser, fût-ce à l’aide
d’
un seul exemple. L’Allemand, dit-on, est brutal ; le Français malin. D
67
t-on, est brutal ; le Français malin. Deux traits
de
caractère dont les manifestations quotidiennes, dans le domaine du se
68
ent que l’on traduit en s’accusant réciproquement
de
mensonge chronique. Et de fait, la brutalité paraît fausse, parce qu’
69
accusant réciproquement de mensonge chronique. Et
de
fait, la brutalité paraît fausse, parce qu’elle impose un ordre arbit
70
parce qu’elle impose un ordre arbitraire au prix
d’
un désordre. Mais à l’Allemand, cette sorte-là de mensonge n’est guère
71
d’un désordre. Mais à l’Allemand, cette sorte-là
de
mensonge n’est guère sensible : la vérité pour lui étant ce qui s’imp
72
pose. Confusion liée au mouvement le plus profond
de
l’âme allemande, qui la porte à la création volontaire, titanique, du
73
t fausse, parce qu’elle se sert du mensonge comme
d’
une arme normale. La brutalité du moins est loyale jusque dans ses exc
74
n’est pas mythique. Il ne crée ni ne fausse rien
d’
essentiel à la réalité. Le système D n’est pas un système philosophiqu
75
fondamentales divergentes, dont il serait facile
de
suivre les manifestations dans les domaines les plus variés de l’être
76
manifestations dans les domaines les plus variés
de
l’être. Qu’on ne voie pas ici quelque facile généralisation, mais bie
77
facile généralisation, mais bien plutôt un essai
de
spécification. Je pense, comme vous, qu’il existe quantité d’Allemand
78
tion. Je pense, comme vous, qu’il existe quantité
d’
Allemands et de Français pour lesquels la distinction que l’on vient d
79
comme vous, qu’il existe quantité d’Allemands et
de
Français pour lesquels la distinction que l’on vient d’établir ne vau
80
nçais pour lesquels la distinction que l’on vient
d’
établir ne vaut rien : il est même probable qu’ils forment la majorité
81
orment la majorité, car peu de gens sont typiques
de
quoi que ce soit. Il reste que certains tours de pensée ne sont vérit
82
de quoi que ce soit. Il reste que certains tours
de
pensée ne sont véritablement réalisables qu’au sein d’un ensemble org
83
nt réalisables qu’au sein d’un ensemble organique
de
mœurs, de climat et d’ambitions collectives, ensemble que, tout indép
84
bles qu’au sein d’un ensemble organique de mœurs,
de
climat et d’ambitions collectives, ensemble que, tout indépendamment
85
in d’un ensemble organique de mœurs, de climat et
d’
ambitions collectives, ensemble que, tout indépendamment des réalités
86
cesse, ou bien lorsqu’elle grandit soudain. Ainsi
de
la rumeur en nous du sang qui court ; ainsi de la respiration. Il n’y
87
si de la rumeur en nous du sang qui court ; ainsi
de
la respiration. Il n’y a conscience que du discontinu. Il n’y a senti
88
science que du discontinu. Il n’y a sentiment que
de
ce qui nous quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’êtr
89
quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond
de
l’être nous déchire et nous ressuscite. À la naissance du sentiment,
90
e — en vain. Le sentiment mesure une défaillance
de
l’être. Mais ici, deux interprétations deviennent possibles. Selon l’
91
à toute réalité humaine ; elle est la marque même
de
sa validité, la preuve d’humanité pourrait-on dire. (On appelle inhum
92
elle est la marque même de sa validité, la preuve
d’
humanité pourrait-on dire. (On appelle inhumain l’être qui ne sent rie
93
, elle indique seulement un défaut qu’il convient
de
guérir par des moyens appropriés, par une politique ou par une morale
94
part l’on tient la déficience pour essentielle ;
de
l’autre elle apparaît un accident fâcheux. Telles, peut-être, se déli
95
imitent la notion chrétienne et la notion antique
de
l’homme ; telles dans une certaine mesure, la notion germanique et la
96
il garde pour le moraliste latin la signification
d’
un accident social réductible à l’ordre imposé. Passant à la limite du
97
la limite du sentiment, là où il prend une valeur
d’
acte ou de jugement, l’on peut symboliser l’opposition des deux vision
98
du sentiment, là où il prend une valeur d’acte ou
de
jugement, l’on peut symboliser l’opposition des deux visions du monde
99
s deux visions du monde dans celle, plus précise,
de
deux notions du tragique. Le monde latin connaît un tragique aux arêt
100
ue. Le monde latin connaît un tragique aux arêtes
de
pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou de droits ; l’Europe c
101
tragique aux arêtes de pierre taillée : conflits
d’
actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déch
102
aux arêtes de pierre taillée : conflits d’actes,
de
faits ou de droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes »
103
de pierre taillée : conflits d’actes, de faits ou
de
droits ; l’Europe centrale, de ces choses « déchirantes » et sans nom
104
actes, de faits ou de droits ; l’Europe centrale,
de
ces choses « déchirantes » et sans nom qui font dans l’âme un bruit d
105
rantes » et sans nom qui font dans l’âme un bruit
de
vent mortel et caressant ; une qualité métaphysique et passionnée de
106
aressant ; une qualité métaphysique et passionnée
de
l’ « impossible », — qui dans ce sens, vraiment, n’est pas un mot fra
107
ent, n’est pas un mot français. En ceci, le monde
de
l’Europe centrale est plus chrétien que le monde latin — si l’on cons
108
e le monde latin — si l’on considère ses manières
de
sentir et de penser — qu’il est essentiellement antithétique, déchiré
109
tin — si l’on considère ses manières de sentir et
de
penser — qu’il est essentiellement antithétique, déchiré (« déchirant
110
déchiré (« déchirant ») et fondé sur cette vision
de
la réalité humaine : la vie est manque et compensation de ce manque ;
111
alité humaine : la vie est manque et compensation
de
ce manque ; contradictions et dépassement de ces contradictions2. Le
112
tion de ce manque ; contradictions et dépassement
de
ces contradictions2. Le monde latin, en tant que latin, étant un mond
113
Le monde latin, en tant que latin, étant un monde
de
l’unité (en vérité de l’unification à tout prix) est un monde « sécul
114
t que latin, étant un monde de l’unité (en vérité
de
l’unification à tout prix) est un monde « sécularisé » jusque dans se
115
cularisé » jusque dans ses modes les plus intimes
de
souffrir. Car il n’accepte pas la souffrance comme une condition de l
116
l n’accepte pas la souffrance comme une condition
de
la conscience du réel, mais la repousse comme le signe d’un manque à
117
nscience du réel, mais la repousse comme le signe
d’
un manque à la loi. Il y a une contrepartie. Celui que hante le sens d
118
. Celui que hante le sens du péché — c’est-à-dire
de
la réalité humaine — celui-là résiste rarement à la tentation de cult
119
umaine — celui-là résiste rarement à la tentation
de
cultiver le péché. Car de la sorte, il s’imagine que sa réalité spiri
120
rarement à la tentation de cultiver le péché. Car
de
la sorte, il s’imagine que sa réalité spirituelle sera plus vive, son
121
ue essentiel. Calcul faux, comme tous les calculs
de
l’âme : le péché n’est réel que pour celui qui veut s’en arracher. To
122
ssance à une lâcheté singulière devant la vie. Né
d’
un retard dans l’actualisation, il peut tourner alors en un refus chro
123
chronique. Et c’est en quoi le monde latin, monde
de
la spontanéité, est à son tour plus audacieux, et pour tout dire plus
124
eux, et pour tout dire plus chrétien que le monde
de
l’Europe centrale. L’intelligence est sentimentale Le sentiment
125
voici naître la conscience, c’est-à-dire, un état
d’
intensité mortelle de la vie. Car la conscience de vivre implique une
126
ience, c’est-à-dire, un état d’intensité mortelle
de
la vie. Car la conscience de vivre implique une réflexion concrète qu
127
d’intensité mortelle de la vie. Car la conscience
de
vivre implique une réflexion concrète qui exalte la vie ; et dans le
128
tionalisme (mais nous vivons sur des distinctions
de
manuels). Il est même étonnant de constater combien exactement ces at
129
es distinctions de manuels). Il est même étonnant
de
constater combien exactement ces attitudes de l’esprit sont parallèle
130
ant de constater combien exactement ces attitudes
de
l’esprit sont parallèles. Toutes deux ont leur origine dans un perpét
131
leur origine dans un perpétuel et anxieux besoin
de
dire les choses, comme pour s’en assurer à la fois et s’en délecter3.
132
t que la taciturne réflexion romaine, la tournure
d’
esprit sentencieuse et synthétique de l’esprit hindou. Et cela n’est p
133
la tournure d’esprit sentencieuse et synthétique
de
l’esprit hindou. Et cela n’est point trop théorique. Que l’on considè
134
ue l’on considère en effet le devenir dialectique
de
la pensée allemande depuis Goethe : c’est à l’Orient, d’instinct, que
135
ensée allemande depuis Goethe : c’est à l’Orient,
d’
instinct, que cette pensée va demander non point seulement sa revanche
136
evenir. Ne pourrait-on pas voir une autre preuve
de
cette identité formelle dans l’observation suivante : au sortir de l’
137
ser, et borne son désir à l’immédiat. À la limite
de
la puissance, c’est la réaction goethéenne. Goethe en ce sens est bie
138
acte ; le sentiment à la mélancolie, par le refus
de
l’acte. Il en résulte que la sensualité germanique est plus conscient
139
ourne en sentiments dans la mesure où elle refuse
de
s’accomplir pleinement. L’Italien fait l’amour et n’épilogue pas. L’A
140
déchirante et délicieuse comme les secondes voix
de
Schumann. Mais la crainte me prend qu’on aille chercher en ces remarq
141
ercher en ces remarques je ne sais quelle défense
d’
un Occident latin dont justement nous récusons l’idéal d’orgueilleuse
142
cident latin dont justement nous récusons l’idéal
d’
orgueilleuse et stérilisante perfection. L’intelligence latine aurait
143
dées, trop soumises par leur nature et dépourvues
de
coquetteries. À force de se craindre dupe, elle a perdu le goût de se
144
À force de se craindre dupe, elle a perdu le goût
de
se risquer, de découvrir. Et l’impuissance qui déjà la frappe n’est p
145
raindre dupe, elle a perdu le goût de se risquer,
de
découvrir. Et l’impuissance qui déjà la frappe n’est pas même compens
146
entiment : c’est qu’en définitive il détient plus
de
réalité que la sensation4. Le désir et le regret sont plus certains q
147
jours sentimentale. ⁂ Europe du sentiment, patrie
de
la lenteur, — encore un paradis perdu ! C’était bien notre dernier lu
148
ils s’achètent des Bugatti pour brûler les étapes
d’
un destin qu’ils pressentent absurde. Rien désormais ne pourra plus no
149
eur des choses. Derniers refuges, vastes auberges
de
la Souabe où l’on chantait les chœurs de Schubert après boire — et le
150
auberges de la Souabe où l’on chantait les chœurs
de
Schubert après boire — et les hommes parlaient lentement, parlaient p
151
aient lentement, parlaient peu, — c’est le secret
de
votre bienveillance que je voudrais rechercher maintenant. Bienveilla
152
penché »… Contribution à l’archéologie des états
d’
âme. L’Europe du sentiment, c’est notre Europe des adieux. Elle ne vit
153
us déjà, nous la portons encore comme le souvenir
d’
un soir d’adolescence sur la prairie où des filles s’éloignent en chan
154
ous la portons encore comme le souvenir d’un soir
d’
adolescence sur la prairie où des filles s’éloignent en chantant. Voic
155
n chantant. Voici la nuit du souvenir, brève nuit
d’
août et souvenirs de nos enfances. Ce « soir des signes » où des renar
156
nuit du souvenir, brève nuit d’août et souvenirs
de
nos enfances. Ce « soir des signes » où des renards sortirent à la li
157
es signes » où des renards sortirent à la lisière
de
la forêt, des renards qu’on n’avait jamais vus, l’orage s’amassait. M
158
« Il va y avoir une averse. Cours à la rencontre
de
ton père et donne-lui cette pèlerine. » Et quand je le rejoignis dans
159
rmes dans ses yeux, c’était la guerre. Brève nuit
d’
août, le temps d’un peu se souvenir. Et bientôt paraîtra l’aube dure.
160
x, c’était la guerre. Brève nuit d’août, le temps
d’
un peu se souvenir. Et bientôt paraîtra l’aube dure. Alors nous entrer
161
u Grand Jour, où nous irons avec ce qu’il restera
de
bonté dans notre cœur, plus inutile que jamais, dominatrice et bafoué
162
tine, spatiale et statique, qui présida au dessin
de
la Carte du Tendre. C’est le cri d’un poète français, non d’un França
163
ida au dessin de la Carte du Tendre. C’est le cri
d’
un poète français, non d’un Français. 2. Hegel serait le philosophe p
164
du Tendre. C’est le cri d’un poète français, non
d’
un Français. 2. Hegel serait le philosophe par excellence de l’Europe
165
is. 2. Hegel serait le philosophe par excellence
de
l’Europe centrale. Ce qu’il a tenté d’étaler dans l’Histoire, c’est l
166
excellence de l’Europe centrale. Ce qu’il a tenté
d’
étaler dans l’Histoire, c’est l’équation d’existence de l’âme allemand
167
tenté d’étaler dans l’Histoire, c’est l’équation
d’
existence de l’âme allemande. Mais il a voulu que ses moments fussent
168
ler dans l’Histoire, c’est l’équation d’existence
de
l’âme allemande. Mais il a voulu que ses moments fussent successifs :
169
ses moments fussent successifs : c’était un moyen
de
la résoudre. Et c’est justement cette « résolution » que combattra Ki
170
ante… 3. Que l’on pense aux expansions verbeuses
de
Jean-Paul ou du Hölderlin d’Hypérion ; et d’autre part, à la manie d’
171
ölderlin d’Hypérion ; et d’autre part, à la manie
d’
exposition systématique et statistique des professeurs allemands. Autr
172
ple : tous les romantiques allemands sont nourris
de
théorèmes de Spinoza. 4. Seule réalité vivante prise en considératio
173
s romantiques allemands sont nourris de théorèmes
de
Spinoza. 4. Seule réalité vivante prise en considération par l’intel
174
Une « tasse
de
thé » au palais C…5 Il fait fausse route, celui qui considère la
175
e symbolique. Hugo von Hofmannsthal. Un aquarium
de
lumière rose où nagent des phoques à ventre blanc qui sont des minist
176
ènes en lamé qui sont presque des dames, et aussi
de
vrais messieurs et de vraies dames : ils montent et descendent de tou
177
presque des dames, et aussi de vrais messieurs et
de
vraies dames : ils montent et descendent de toutes parts, du haut des
178
iers que décorent trois opulents Tiepolo, du fond
d’
un hall périlleux, pressés, poliment bousculés de salon en salon ; et,
179
d’un hall périlleux, pressés, poliment bousculés
de
salon en salon ; et, plus loin que la rumeur des voix, orchestre du g
180
parfois dans un silence qui s’approfondit au long
de
corridors capitonnés d’amarante, du côté des collections de vieux Ven
181
qui s’approfondit au long de corridors capitonnés
d’
amarante, du côté des collections de vieux Venise, jusqu’au petit salo
182
rs capitonnés d’amarante, du côté des collections
de
vieux Venise, jusqu’au petit salon où il y a deux Bellini. Et que dir
183
dissimulées derrières des cardinaux du xviiie , —
de
cet air mystérieux qu’on prend ici à rester seul. Il faudrait se cac
184
rester seul. Il faudrait se cacher dans les plis
de
ces hauts rideaux dorés, pour écouter Mozart et attendre, qui sait ?
185
iqueurs transfigurantes, — il faudrait un miracle
d’
amour qui fasse pousser un grand cri à un homme qu’on verrait alors s’
186
et rester longtemps, les yeux agrandis, aux pieds
d’
une femme qui ne le regarderait pas, qui aurait l’air seulement d’écou
187
ne le regarderait pas, qui aurait l’air seulement
d’
écouter autre chose… En vérité le monde propose à l’imagination de bie
188
chose… En vérité le monde propose à l’imagination
de
bien étranges spectacles ; pourquoi veut-il qu’on les ignore ou qu’on
189
uoi veut-il qu’on les ignore ou qu’on le feigne ?
D’
un balcon, entre deux hautes colonnes, je vois des jardins florentins
190
irés par dedans. Côté jardin, côté « cour »… Mais
de
quoi s’agit-il dans cette intrigue monotone et serrée, et dont se per
191
elle figuration pour une satire à grand spectacle
de
notre civilisation finissante ! (Vous souriez ? Vous mourrez avec ell
192
souriez ? Vous mourrez avec elle.) Cependant, que
de
belles personnes — en vain ! Et quelle tenue. Ici, plus qu’ailleurs,
193
e. Ici, plus qu’ailleurs, l’originalité est signe
de
sang mêlé. Ici comme ailleurs, il faut être conforme, au moins en app
194
mensonge dans le grand monde : plutôt des règles
de
jeu, et personne n’a l’idée d’y croire. Le pire mensonge est dans la
195
plutôt des règles de jeu, et personne n’a l’idée
d’
y croire. Le pire mensonge est dans la vie réputée pratique, parce qu’
196
e je me dis là, c’est un truisme. Truisme a l’air
d’
être le nom d’une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en
197
, c’est un truisme. Truisme a l’air d’être le nom
d’
une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en souriant de f
198
t un truisme. Truisme a l’air d’être le nom d’une
de
ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en souriant de fauteui
199
es un peu volumineuses qui déambulent en souriant
de
fauteuil en divan, portant de petits animaux au museau pointu sur leu
200
mbulent en souriant de fauteuil en divan, portant
de
petits animaux au museau pointu sur leurs épaules naguère divines. Je
201
x, regardent quelque chose qui se passe au centre
de
la pièce. Il y a là dans un espace vide un piano à l’aile levée, et d
202
vant le piano, assis sur un tabouret bas — le pan
de
l’habit repose sur le parquet — quelqu’un qui ressemble à Richard Str
203
apparaît comme ses œuvres naissent : au carrefour
de
la célébrité, de l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des v
204
s œuvres naissent : au carrefour de la célébrité,
de
l’élégance et d’une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent d
205
: au carrefour de la célébrité, de l’élégance et
d’
une musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la
206
r de la célébrité, de l’élégance et d’une musique
de
Strauss. Il lit des vers sur le vent de printemps : la poésie est dan
207
e musique de Strauss. Il lit des vers sur le vent
de
printemps : la poésie est dans toutes les anthologies, l’habit classi
208
l’habit classique, l’accent profond et nasillard
d’
origine juive ; une main pend sur l’ébène, succombant à ses bagues. On
209
ferme son livre, plie ses lunettes, baise la main
de
la maîtresse de maison qui lui offre son bras et l’entraîne dans le b
210
t intéressant ! Le xxe siècle européen offre ici
de
lui-même l’image la plus flattée : un très grand musicien, des écriva
211
paraît son étrange impuissance : tous ces accords
de
gloire et de génie ne font qu’une rumeur informe, insignifiante. Tout
212
range impuissance : tous ces accords de gloire et
de
génie ne font qu’une rumeur informe, insignifiante. Tout se dégrade e
213
N’oublions pas que l’on a réuni tant de richesses
de
tous les ordres — pour rien. Exactement. Ni plaisir ni profits. Voilà
214
profits. Voilà bien à quels jeux aboutissent tant
d’
ambition et le sérieux dans les affaires : une civilisation qui se don
215
e civilisation qui se donne à elle-même un défilé
de
mannequins. Comme tout ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein
216
n défilé de mannequins. Comme tout ce qui n’a pas
de
raison, voilà qui est plein de significations troublantes. Cela donne
217
out ce qui n’a pas de raison, voilà qui est plein
de
significations troublantes. Cela donne à penser, prête à rire, mais j
218
aîne par le bras vers les jardins. Des ballerines
de
l’opéra dansent autour d’une vasque, dans un théâtre de grands buis t
219
jardins. Des ballerines de l’opéra dansent autour
d’
une vasque, dans un théâtre de grands buis taillés à l’italienne. Un p
220
péra dansent autour d’une vasque, dans un théâtre
de
grands buis taillés à l’italienne. Un projecteur balaie les gazons, l
221
ur balaie les gazons, les terrasses, des amateurs
de
baisers dans l’ombre et des fumeurs isolés qui ont fait le tour de bi
222
’ombre et des fumeurs isolés qui ont fait le tour
de
bien des choses, Hofmannsthal enfin, serré dans un petit manteau, vis
223
rtant, depuis trente ans, qu’il résout par l’acte
d’
écrire… Moi je suis dans les buis, près des basses du petit orchestre,
224
orchestre, avec une écharpe et du sentiment. (Vu
de
près, le sourire éperdu des ballerines est émouvant, masque plus vrai
225
ai que leurs visages.) On éteint. Et c’est alors,
d’
un balcon qui domine les groupes, une voix qui descend avec un tremble
226
groupes, une voix qui descend avec un tremblement
d’
étoile. Richard Strauss a levé la tête, il reçoit sur son bon visage o
227
osée divine fait perler une larme, la bénédiction
de
sa musique. Les petites baronnes ont froid, veulent rentrer, car elle
228
rez-de-chaussée, elles me désignent un des rêves
de
mon adolescence : sur un canapé d’angle, drapée dans une robe longue,
229
t un des rêves de mon adolescence : sur un canapé
d’
angle, drapée dans une robe longue, grise et argent, Henny Porten immo
230
, grise et argent, Henny Porten immobile présente
de
profil son visage un peu plus grand que nature. À 17 ans, du fond d’u
231
e un peu plus grand que nature. À 17 ans, du fond
d’
un cinéma, l’ai-je aimée ? — Je lui sais gré de rester là muette, asse
232
nd d’un cinéma, l’ai-je aimée ? — Je lui sais gré
de
rester là muette, assez absente encore pour ressembler vraiment à son
233
Tout est lumière dans cet espace, jeu silencieux
de
lustres, de glaces et d’acajous polis. On entend le rythme assourdi,
234
mière dans cet espace, jeu silencieux de lustres,
de
glaces et d’acajous polis. On entend le rythme assourdi, mais non la
235
t espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et
d’
acajous polis. On entend le rythme assourdi, mais non la mélodie d’une
236
On entend le rythme assourdi, mais non la mélodie
d’
une danse, au-dessus, et des voix qui passent. Allées et venues dans l
237
environne, ah ! que n’êtes-vous celles des désirs
de
l’amour ! La traîne d’une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil
238
tes-vous celles des désirs de l’amour ! La traîne
d’
une robe tournoie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix de la
239
e l’amour ! La traîne d’une robe tournoie, éclair
de
roses sur un seuil. C’était la voix de la comtesse Adélaïde, — je la
240
ie, éclair de roses sur un seuil. C’était la voix
de
la comtesse Adélaïde, — je la connais à cet écho de joie dans mes pen
241
la comtesse Adélaïde, — je la connais à cet écho
de
joie dans mes pensées. Mais quelle approche me saisit ? Parfois, au c
242
? Parfois, au cœur des grandes fêtes, une sphère
de
silence descend, s’arrête quelques secondes, et ceux qu’elle baigne d
243
’arrête quelques secondes, et ceux qu’elle baigne
d’
une grâce furtive sont pris du désir d’adorer. Du sein de tant de cont
244
lle baigne d’une grâce furtive sont pris du désir
d’
adorer. Du sein de tant de contraintes polies et dans la pose la plus
245
râce furtive sont pris du désir d’adorer. Du sein
de
tant de contraintes polies et dans la pose la plus naturellement élég
246
égante, j’ai vu des yeux lever vers moi un regard
d’
ardente confiance qui était tout ce qu’on ne pouvait dire, — qui était
247
pouvait dire, — qui était, dans un suprême délice
de
libération, une prière pour que l’amour soit bien-aimé… Oh ! qu’il y
248
imé… Oh ! qu’il y ait eu cette joie par un regard
de
jeune fille ! Tout peut encore être sauvé… Un accord brusque de rumeu
249
! Tout peut encore être sauvé… Un accord brusque
de
rumeurs à travers une porte qui s’ouvre ramène le bal dans mes désert
250
es déserts. (Elle est partie. — Des rires en cape
de
velours s’enfuient vers les jardins.) Qu’il y ait eu ce regard, et qu
251
que l’amour seul eût mérité ces fastes ; l’usage
de
leurs politesses imite dérisoirement la gravité sacrée et l’ascèse ad
252
e seule invente la passion. Ils reviennent. Tombé
de
mon silence parmi les bavardages, où irai-je avec peut-être un air de
253
les bavardages, où irai-je avec peut-être un air
de
dégoût, par mégarde… On se presse au bar assourdissant et les visages
254
sages se prennent à vivre, dangereusement. Ô fête
d’
une époque où tout ce qui vaut qu’on aime oscille entre l’ivresse et l
255
’on aime que tout soit exprimé en symboles gantés
de
blanc. Nous sommes fous, mais il y a la manière. Presque tous les tru
256
à rêver à voix haute ? Ébranle un peu ces lambris
d’
or, tu vois bien que tout cède aux regards de l’ivresse. Un coude nu s
257
bris d’or, tu vois bien que tout cède aux regards
de
l’ivresse. Un coude nu s’appuie à mon épaule, je brise des pailles su
258
le verte, l’orchestre russe emmêle des arabesques
de
danseurs et déjà quelques-uns de ces hôtes diaphanes du petit jour. J
259
e des arabesques de danseurs et déjà quelques-uns
de
ces hôtes diaphanes du petit jour. J’en ai vu deux, chaussés d’escarp
260
iaphanes du petit jour. J’en ai vu deux, chaussés
d’
escarpins fins courant comme des reflets sur le parquet, venir par une
261
e des lèvres pour me dire une phrase à l’oreille,
de
leur voix trop naturelle, voix de jour. Paroles aussitôt oubliées, ma
262
se à l’oreille, de leur voix trop naturelle, voix
de
jour. Paroles aussitôt oubliées, mais je sais que la nuit va s’éteind
263
oujours plus ivres. Rosette Anday levant sa coupe
de
champagne rit et déchaîne des opéras. — « Comme elle est laide, mais
264
« Comme elle est laide, mais une voix à faire mal
de
bonheur, mais laide !… ah ! magnifique ! », dit quelqu’un près de moi
265
des vaisseaux qui ramènent Iseut dans le silence
d’
un midi d’été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue…
266
eaux qui ramènent Iseut dans le silence d’un midi
d’
été nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue… Mais une
267
ns le silence d’un midi d’été nordique, à l’heure
de
mourir dans une légèreté éperdue… Mais une main de femme au bord du s
268
e mourir dans une légèreté éperdue… Mais une main
de
femme au bord du sommeil saisie me ramène aux regards. Que sont tous
269
e voient dans la nudité du rêve, oh ! je les hais
de
me voir ! Je tiens la main d’une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde
270
e, oh ! je les hais de me voir ! Je tiens la main
d’
une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde en soie d’aurore, voici l’heu
271
’une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde en soie
d’
aurore, voici l’heure que nous attendions. Les escaliers s’abaissent d
272
ux jardins tendus en tapisserie entre les arcades
d’
un péristyle sombre. Le bleu glacé du petit jour noie les buis qui s’é
273
e jardin monte sans fin dans le frisson désespéré
de
l’aube, — et nous, au bord du péristyle arrêtés, au bord de la nuit q
274
e me tourne vers ce visage très blanc où les yeux
d’
un bleu nocturne se refusent… Quelle tendresse, auprès de cet être sec
275
et être secret, inaccessible et pourtant complice
d’
une angoisse plus bouleversante que l’amour, à la minute où l’on voit
276
uleversante que l’amour, à la minute où l’on voit
de
très près, entre la nuit qui s’évapore et l’aube encore vacillante, l
277
nte, le vide absurde où s’en vont nos plaisirs et
d’
où remonte notre peine. Ah ! surprendre sur un visage décontenancé, et
278
un visage décontenancé, et jusque dans le rythme
d’
une respiration, l’envahissement de cette dure connaissance ! Elle se
279
dans le rythme d’une respiration, l’envahissement
de
cette dure connaissance ! Elle se tait, plus seule que moi. Le jour q
280
à me saisit va-t-il ainsi nous séparer ? Ce corps
de
femme défend encore sa nuit, si nu pourtant dans la soie et le velour
281
fatigue qui le fléchit un peu. Toucher, — guérir
de
l’écœurement de revivre — toucher un corps livré à la violence immobi
282
fléchit un peu. Toucher, — guérir de l’écœurement
de
revivre — toucher un corps livré à la violence immobile de son âme… M
283
e — toucher un corps livré à la violence immobile
de
son âme… Mais les jeunes filles sont parfois trop émouvantes pour qu’
284
arette entre mes lèvres sèches. Le hall s’éclaire
d’
un jour de balayage, il reste deux chapeaux melons au vestiaire, et qu
285
re mes lèvres sèches. Le hall s’éclaire d’un jour
de
balayage, il reste deux chapeaux melons au vestiaire, et quelques val
286
au vestiaire, et quelques valets gris. Une corde
de
violon saute dans sa boîte. Je crois que dans ma tête aussi, des chos
287
paraît, mène parfois bien près de la réalité — et
d’
un mouvement non dépourvu d’élégance, j’entends : par une certaine qua
288
ès de la réalité — et d’un mouvement non dépourvu
d’
élégance, j’entends : par une certaine qualité de déception, qu’il nou
289
d’élégance, j’entends : par une certaine qualité
de
déception, qu’il nous propose. La joie du jour, hélas, la plus forte…
290
ongrie à Albert Gyergyai. Le dormeur au fil
de
l’eau Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes de dormeuses ;
291
l de l’eau Où s’asseoir ? Le pont est encombré
de
jambes de dormeuses ; il faudrait réveiller tant de beautés redoutabl
292
Où s’asseoir ? Le pont est encombré de jambes
de
dormeuses ; il faudrait réveiller tant de beautés redoutables pour at
293
ernière chaise libre. En bas, il y a juste autant
de
vieilles dames et de ministres en retraite que de fauteuils. Et on me
294
En bas, il y a juste autant de vieilles dames et
de
ministres en retraite que de fauteuils. Et on me regarde. J’ai beau f
295
de vieilles dames et de ministres en retraite que
de
fauteuils. Et on me regarde. J’ai beau feindre l’intérêt le plus sing
296
en ont tant vu ! Ils aiment mieux me faire honte
de
mon visage gris ; leurs yeux stupides me demandent où je n’ai pas dor
297
ordages, des chaînes, sur un banc humide, — juste
de
quoi s’étendre, et regarder jaillir sans fin contre soi l’eau de ce b
298
re, et regarder jaillir sans fin contre soi l’eau
de
ce beau Danube jaune qui est le plus inodore des fleuves. Dormir. San
299
. Sans avoir pu retrouver cette mélodie descendue
d’
un balcon où chantait la Schumann ; sans avoir pu retrouver le nom de
300
tait la Schumann ; sans avoir pu retrouver le nom
de
qui l’on a reconduit à sa villa, vers cinq heures à travers ces quart
301
à travers ces quartiers si clairs, arbres et jets
d’
eau ; sans avoir pu retrouver, des conversations de ce bal, autre chos
302
’eau ; sans avoir pu retrouver, des conversations
de
ce bal, autre chose que la phrase, l’unique phrase que Richard Straus
303
t… » C’était au vestiaire, il enfilait une manche
de
pardessus, me donnait l’autre à serrer, la main n’étant pas encore so
304
la main n’étant pas encore sortie… Dormir au fil
de
l’eau, entre l’étrange nuit du bal et cette perspective invraisemblab
305
nuit du bal et cette perspective invraisemblable
d’
un voyage au hasard commencé dans l’insomnie — vrai voyage à dormir de
306
, il reconnaît son rêve. Huit heures aux clochers
de
la capitale qui s’avance dans la lumière fauve d’un soir chaud sur la
307
de la capitale qui s’avance dans la lumière fauve
d’
un soir chaud sur la plaine, avec ses dômes et ses façades exubérantes
308
plaine, avec ses dômes et ses façades exubérantes
de
reflets, — et déjà nous passons sous de hauts ponts sonores, au long
309
ubérantes de reflets, — et déjà nous passons sous
de
hauts ponts sonores, au long d’un quai tout fleuri de terrasses ; on
310
nous passons sous de hauts ponts sonores, au long
d’
un quai tout fleuri de terrasses ; on nous déverse dans cette foule et
311
auts ponts sonores, au long d’un quai tout fleuri
de
terrasses ; on nous déverse dans cette foule et ces musiques, deux vi
312
es qui font des signes pour demain, présentations
de
mes Espoirs aux jeunes Promesses nationales (on n’a pas compris les n
313
ée, des coups d’œil, dans le léger étourdissement
de
l’amitié prochaine). Et la générosité des lumières d’avant le soir, —
314
’amitié prochaine). Et la générosité des lumières
d’
avant le soir, — et cette espèce de tendresse pour tous les possibles,
315
é des lumières d’avant le soir, — et cette espèce
de
tendresse pour tous les possibles, qu’on appelle, je crois bien, jeun
316
bres, qui est un Collège célèbre. La recherche
de
l’Objet inconnu Personne n’a mon adresse, je n’attends rien d’aill
317
emier réveil — délivré. Chez moi je suis la proie
de
l’angoisse du courrier. J’attends la lettre, j’attends je ne sais quo
318
r. J’attends la lettre, j’attends je ne sais quoi
de
très important… Trois déceptions par jour ne peuvent qu’énerver le dé
319
a m’apporter ce Paquet inouï, cadeau annonciateur
d’
une miraculeuse et royale Venue. Dans le silence de l’adoration comblé
320
’une miraculeuse et royale Venue. Dans le silence
de
l’adoration comblée, j’en sortirais de ces objets sans nom, inutilisa
321
le silence de l’adoration comblée, j’en sortirais
de
ces objets sans nom, inutilisables, bouleversants de perfection, gage
322
ces objets sans nom, inutilisables, bouleversants
de
perfection, gages d’un monde que les poètes essaient de décrire sans
323
inutilisables, bouleversants de perfection, gages
d’
un monde que les poètes essaient de décrire sans l’avoir vu, et dont n
324
fection, gages d’un monde que les poètes essaient
de
décrire sans l’avoir vu, et dont nous savons seulement que tout y a s
325
vances, les plus exténuantes, et qui sait si tant
d’
erreurs ne composeront pas un jour une sorte d’incantation capable d’i
326
nt d’erreurs ne composeront pas un jour une sorte
d’
incantation capable d’incliner le Hasard ? Ô décevantes chasses dans l
327
eront pas un jour une sorte d’incantation capable
d’
incliner le Hasard ? Ô décevantes chasses dans les bazars, aux étalage
328
lages des fêtes populaires, au fond des boutiques
de
vieux en province, dans les combles d’un château prussien où tissaien
329
boutiques de vieux en province, dans les combles
d’
un château prussien où tissaient d’incroyables araignées, partout où l
330
ns les combles d’un château prussien où tissaient
d’
incroyables araignées, partout où le désordre naturel des choses pouva
331
her jusque chez nous ? » (En Hongrie, à 20 heures
d’
express, on dit « jusque chez nous », ce qu’on ne dit pas en Amérique.
332
sseports ? Dussè-je les inventer… Ah ! l’embarras
de
voyager n’est rien auprès de celui d’expliquer pourquoi l’on est part
333
l’embarras de voyager n’est rien auprès de celui
d’
expliquer pourquoi l’on est parti. Cependant, mes regards errant sur u
334
in de s’user, ne tarde pas à devenir notre raison
de
vivre. Mais combien votre sort, ô grands empêtrés ! me paraît enviabl
335
Les désirs les plus incompréhensibles s’emparent
de
moi comme des superstitions. Tout mon avoir se fond dans une loterie
336
ir se fond dans une loterie qui peut-être n’a pas
de
gros lot, et jamais, je crains bien, jamais je ne parviendrai à le re
337
é à peine jalouse que l’on réserve aux égarements
d’
une jeunesse démodée se peignirent sur les traits de mes auditeurs. —
338
une jeunesse démodée se peignirent sur les traits
de
mes auditeurs. — Vous êtes, me dit-on, un amateur de troubles disting
339
mes auditeurs. — Vous êtes, me dit-on, un amateur
de
troubles distingués. Peu de sens du réel. Mais nous vous montrerons n
340
on m’entraîna dans un musée sans sièges. Le Musée
de
Budapest enferme quelques paysages romantiques aux ciels pleins de dé
341
me quelques paysages romantiques aux ciels pleins
de
démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait d’un homme » devant lequel
342
ges romantiques aux ciels pleins de démesure. Et,
de
Giorgione, ce « Portrait d’un homme » devant lequel il faut se taire
343
eins de démesure. Et, de Giorgione, ce « Portrait
d’
un homme » devant lequel il faut se taire pour écouter ce qu’il entend
344
taire pour écouter ce qu’il entend. Au tombeau
de
Gül Baba Dans Bude il y a des ruelles qui sentent encore le Turc.
345
rentrés en Europe. Mais le lendemain, m’échappant
d’
un programme admirable, nourrissant et officiel, il a bien fallu que j
346
. « Vous n’y verrez, m’avait-on dit, qu’une paire
de
babouches dans une mosquée vide que personne n’a plus l’idée de visit
347
ans une mosquée vide que personne n’a plus l’idée
de
visiter. » Mais comment ne pas voir qu’un lieu qui porte un nom parei
348
ne croit pas à la vertu des noms reste prisonnier
de
ses sens ; mais celui-là est véritablement voyageur qui n’a pas renon
349
voyageur qui n’a pas renoncé à convaincre le réel
de
mystère. Montant au Rozsadomb par ce matin brûlant, je savais bien qu
350
pellent une conduite magique. Or il est délicieux
de
réaliser une idée fixe injustifiable : c’est le plaisir même de l’enf
351
e idée fixe injustifiable : c’est le plaisir même
de
l’enfance. Je portais donc ma vision d’Orient et je grimpais gravemen
352
isir même de l’enfance. Je portais donc ma vision
d’
Orient et je grimpais gravement comme je ferai, je pense, au jour de m
353
mpais gravement comme je ferai, je pense, au jour
de
mon pèlerinage au Temple de l’Objet inconnu. Voici ce que j’ai vu. On
354
ai, je pense, au jour de mon pèlerinage au Temple
de
l’Objet inconnu. Voici ce que j’ai vu. On passe une barrière, une cou
355
ardins dont les arbustes sèchent, vers une espèce
de
grande villa ou palais baroque assez décrépit, un décor en pierre bru
356
répit, un décor en pierre brune peu solide, rongé
de
roses crimson. On longe une galerie couverte, on tourne dans un escal
357
n tourne dans un escalier compliqué : c’est plein
de
colonnettes et de statues dégradées et charmantes. (Vue sur des maiso
358
scalier compliqué : c’est plein de colonnettes et
de
statues dégradées et charmantes. (Vue sur des maisons pauvres un peu
359
urs assez hauts dont l’un est peut-être la façade
d’
une chapelle ; mais la porte est fermée. Par une ouverture étroite on
360
vaste, où il y a quelques arbres devant une sorte
de
tour peu élevée, à demi recouverte de rosiers, et qu’il paraît imposs
361
t une sorte de tour peu élevée, à demi recouverte
de
rosiers, et qu’il paraît impossible de situer dans l’ensemble des con
362
recouverte de rosiers, et qu’il paraît impossible
de
situer dans l’ensemble des constructions. C’est là qu’on entre. Murs
363
s. C’est là qu’on entre. Murs nus. Un catafalque
de
bois, au milieu, recouvert d’un très beau tapis mince, ou bannière, a
364
nus. Un catafalque de bois, au milieu, recouvert
d’
un très beau tapis mince, ou bannière, avec des caractères turcs brodé
365
vec des caractères turcs brodés en or. L’histoire
de
Gül Baba est racontée sur un papier jauni encadré et fixé au mur. Gül
366
est le dernier héros musulman qui ait fait parler
de
lui en Hongrie. Il s’appelait en vérité Kehl Baba, ce qui signifie le
367
roses. Moyennant cette naturalisation il continue
de
protéger la ville (en collaboration avec saint Gellert, dont la statu
368
un rocher, les bras levés, dirige la circulation
de
Pest. Gül Baba est moins théâtral). D’ailleurs le tombeau est vide. E
369
leurs le tombeau est vide. Et les babouches ? Pas
de
babouches. Je sais bien que ce n’est pas l’heure de visiter : le Père
370
babouches. Je sais bien que ce n’est pas l’heure
de
visiter : le Père des roses est peut-être allé se promener. Dehors, l
371
ent » étrange que ce lieu — inquiétant à la façon
de
certains regards lucides qu’il arrive qu’on porte sur la vie, tout d’
372
lucides qu’il arrive qu’on porte sur la vie, tout
d’
un coup, à trois heures de l’après-midi par exemple, — non sans angois
373
porte sur la vie, tout d’un coup, à trois heures
de
l’après-midi par exemple, — non sans angoisse. Café amer En Hon
374
n est assailli par le pittoresque, mais il s’agit
de
le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et de scepticismes, don
375
il s’agit de le déjouer au moyen de toutes sortes
de
ruses et de scepticismes, dont le plus simple consiste à traduire ce
376
le déjouer au moyen de toutes sortes de ruses et
de
scepticismes, dont le plus simple consiste à traduire ce que l’on voi
377
s lignes verticales peinturlurées — elle n’a rien
d’
étrange, si l’on songe que nous sommes en Hongrie. Et ce n’est pas que
378
erveilleux, avec quoi l’on est trop souvent tenté
de
confondre l’excès de bizarrerie. C’est le faux merveilleux qui a disc
379
l’on est trop souvent tenté de confondre l’excès
de
bizarrerie. C’est le faux merveilleux qui a discrédité le vrai, leque
380
, moralement microscopique. (Il a tellement l’air
de
rien que nous sommes presque excusables de ne le point apercevoir.) J
381
l’air de rien que nous sommes presque excusables
de
ne le point apercevoir.) Je vais cependant dire quelque chose d’une s
382
apercevoir.) Je vais cependant dire quelque chose
d’
une scène pittoresque. Mais c’est une autre fois que je l’ai vue, à Pe
383
’est une autre fois que je l’ai vue, à Pest, lors
d’
un autre séjour, dans la semaine qui suit Noël, — la plus sombre de l’
384
, dans la semaine qui suit Noël, — la plus sombre
de
l’année par les rues vides sous la pluie étrangère. Une porte basse s
385
ne porte basse s’ouvre sur un long corridor hanté
d’
ombres drapées, qui ne sont pas des nonnes, bien que les voûtes soient
386
pas des nonnes, bien que les voûtes soient celles
d’
un ancien couvent. Nous pénétrons dans une grande salle vivement éclai
387
le vivement éclairée. Murs chaulés, et de nouveau
de
hautes voûtes. Une banquette longe trois des parois, la quatrième est
388
à terre, dans l’attente. Nous sommes assis autour
d’
une table et nous voyons, au milieu de la salle, un arbre de Noël aux
389
e et nous voyons, au milieu de la salle, un arbre
de
Noël aux amples branches rayonnantes, dans une gloire de dorures, — e
390
aux amples branches rayonnantes, dans une gloire
de
dorures, — et massées tout autour, frileuses dans leurs dessous roses
391
gnoir noir et blanc… Je ne puis avaler mon verre
de
ce café trop amer qui pince la gorge. Dehors, nous ne parlons pas : l
392
e prend toute sa hauteur. Silencieuse, solennelle
de
nudité, entre le Palais du Régent et celui d’un des archiducs, quel d
393
lle de nudité, entre le Palais du Régent et celui
d’
un des archiducs, quel décor à rêver le cortège d’un sacre ! J’y ai vu
394
d’un des archiducs, quel décor à rêver le cortège
d’
un sacre ! J’y ai vu défiler la Chambre des Magnats, le jour de l’élec
395
J’y ai vu défiler la Chambre des Magnats, le jour
de
l’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne.
396
ler la Chambre des Magnats, le jour de l’élection
d’
un des quatre gardiens de la Couronne de saint Étienne. Auprès du porc
397
s, le jour de l’élection d’un des quatre gardiens
de
la Couronne de saint Étienne. Auprès du porche du Palais, ils n’étaie
398
’élection d’un des quatre gardiens de la Couronne
de
saint Étienne. Auprès du porche du Palais, ils n’étaient guère qu’une
399
he du Palais, ils n’étaient guère qu’une centaine
de
curieux, et quelques gardes. Traversant dans sa longueur toute l’imme
400
dent que du bout des doigts, crainte, sans doute,
de
troubler l’équilibre toujours instable des huit reflets de leur digni
401
er l’équilibre toujours instable des huit reflets
de
leur dignité. Mais je n’oublierai pas le sourire de ce vieux prince :
402
leur dignité. Mais je n’oublierai pas le sourire
de
ce vieux prince : un vrai sourire, adressé personnellement à l’homme,
403
reprend ici sa noblesse. Mon voisin qui a la tête
de
François-Joseph, dont il fut peut-être valet, nomme à leur passage le
404
remier pont sur le Danube, auteurs ainsi du trait
d’
union de Buda-Pest. Il y a trois semaines, à Freudenau, lors du Derby
405
ont sur le Danube, auteurs ainsi du trait d’union
de
Buda-Pest. Il y a trois semaines, à Freudenau, lors du Derby viennois
406
se tiennent très droits, appuyés sur leurs sabres
d’
or recourbés dont les poignées entre leurs doigts gantés étincellent.
407
urs doigts gantés étincellent. Parfois un collier
de
la Toison d’Or, sur la fourrure du dolman rouge ou jaune, laisse pend
408
ntés étincellent. Parfois un collier de la Toison
d’
Or, sur la fourrure du dolman rouge ou jaune, laisse pendre son petit
409
Mais, ô pathétique dissonance, tangible absurdité
de
notre époque, beaucoup ont dû louer des taxis démodés, au tarif infér
410
f inférieur. Des chauffeurs vautrés, la casquette
de
travers sur leurs idées sociales, pareils aux chauffeurs de toutes le
411
sur leurs idées sociales, pareils aux chauffeurs
de
toutes les villes, conduisent dans la cour d’honneur ces reliques inc
412
urs de toutes les villes, conduisent dans la cour
d’
honneur ces reliques incroyables et les encensent à la benzine industr
413
doigts levés. On se signe. Et voici venir à pied
de
son palais proche, tout seul, un archiduc. On salue profondément, en
414
e profondément, en silence (cliquetis des rangées
de
décorations sur l’uniforme kaki, et du sabre balancé). Une auto encor
415
or. Si le comte Bethlen venait à la SDN en tenue
de
magnat, beaucoup de gens comprendraient mieux sa politique. Les co
416
ue. Les coussins Rothermere Le nationalisme
de
la plupart des États de l’Europe se formule en revendications d’homme
417
es États de l’Europe se formule en revendications
d’
hommes d’affaires. Ce qu’on prétend défendre, c’est son droit, ses int
418
de l’Europe se formule en revendications d’hommes
d’
affaires. Ce qu’on prétend défendre, c’est son droit, ses intérêts. Ma
419
une passion toute nue, qui exprime l’être profond
de
la race. On ne discute pas cet amour, on ne réfute pas cette haine. I
420
pas cette haine. Ici, la sympathie est un devoir
de
politesse. Comment la mesurer sans mauvaise grâce à qui vous a reçu c
421
mauvaise grâce à qui vous a reçu comme un cadeau
de
Dieu. (« C’est Dieu qui vous envoie », dit la formule traditionnelle.
422
oie », dit la formule traditionnelle.) La liqueur
de
pêche rend démonstratif, dont on vide trois verres d’un trait en guis
423
êche rend démonstratif, dont on vide trois verres
d’
un trait en guise de salut. C’est alors que se déplient les cartes de
424
de salut. C’est alors que se déplient les cartes
de
la « Hongrie mutilée ». — « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tie
425
. — « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tiers
de
notre patrie ? » — Ah ! ce n’est pas vous, maintenant, qui allez dema
426
maintenant, qui allez demander raison à vos hôtes
de
la façon dont ils traitaient, au temps de leur puissance, les allogèn
427
que les nombres ont tort au regard de l’antiquité
d’
une civilisation ; qu’il s’agit ici de valeurs ; que si les population
428
l’antiquité d’une civilisation ; qu’il s’agit ici
de
valeurs ; que si les populations des régions perdues étaient parfois
429
eule active et créatrice. Le reste : des porteurs
d’
eau… Dans l’inextricable confusion d’injustices à quoi devait mener le
430
des porteurs d’eau… Dans l’inextricable confusion
d’
injustices à quoi devait mener le wilsonisme schématique qui traça les
431
eur devenant l’opprimé sans y perdre le sentiment
de
sa supériorité de race — sa véritable légitimité — on comprend que le
432
rimé sans y perdre le sentiment de sa supériorité
de
race — sa véritable légitimité — on comprend que le Hongrois n’ait po
433
nt conservé une extrême sensibilité aux arguments
de
« droit » qui autorisèrent ce chaos. Il lui reste sa foi en la grande
434
aos. Il lui reste sa foi en la grandeur éternelle
de
la Hongrie — intemporelle, n’ayant cure des statistiques — et sa doul
435
e des statistiques — et sa douleur aussi, douleur
d’
orgueil blessé, mais qui emporte la sympathie : car l’orgueil hongrois
436
la sympathie : car l’orgueil hongrois n’est point
de
ce que l’on gagne sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point d’u
437
n’est point de ce que l’on gagne sur autrui, mais
de
ce que l’on est ; non point d’un parvenu, mais d’un aristocrate. Tous
438
e sur autrui, mais de ce que l’on est ; non point
d’
un parvenu, mais d’un aristocrate. Tous dangers égaux d’ailleurs, préf
439
de ce que l’on est ; non point d’un parvenu, mais
d’
un aristocrate. Tous dangers égaux d’ailleurs, préférons cet impériali
440
gers égaux d’ailleurs, préférons cet impérialisme
de
l’âme à l’impérialisme de la surproduction des machines et des enfant
441
férons cet impérialisme de l’âme à l’impérialisme
de
la surproduction des machines et des enfants. C’est parce que les Hon
442
erne. Voilà ce qu’on ne dit pas dans les dépêches
d’
agence : les journalistes, une fois de plus, passent à côté de l’essen
443
rs. Songez à ce qui forme l’opinion, cet ensemble
de
mythes sentimentaux qui gouverne les arguments. Songez combien souven
444
à celle des individus, pour ce qui est du moins,
de
mentir à soi-même. Mais les Hongrois ne renient pas leur romantisme.
445
ongrie, sur une Carte du Tendre d’après le traité
de
Trianon ! Ces choses, je les ai rêvées sur un divan, à cause d’un cou
446
es choses, je les ai rêvées sur un divan, à cause
d’
un coussin où s’étalait le sourire optimiste de Lord Rothermere, en so
447
se d’un coussin où s’étalait le sourire optimiste
de
Lord Rothermere, en soie blanche sur fond noir. Quelques articles fav
448
r ce peuple turbulent et déchu, suffirent à faire
d’
un affairiste anglais l’idole du nationalisme magyar. Son portrait aff
449
universitaires, brodé aux devantures des magasins
de
mode, et son nom en lettres géantes sur une montagne chauve, voisine
450
lettres géantes sur une montagne chauve, voisine
de
Budapest, témoignent des espérances démesurées qu’il sut entretenir a
451
espérances démesurées qu’il sut entretenir autour
d’
une action certes méritoire, mais plus symbolique qu’efficace. Et sans
452
Et sans lendemain. Ce mélange, en toutes choses,
d’
enfantillage et de grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances
453
. Ce mélange, en toutes choses, d’enfantillage et
de
grandeur, d’imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce
454
en toutes choses, d’enfantillage et de grandeur,
d’
imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’est-ce point le clim
455
illage et de grandeur, d’imaginations absurdes et
de
souffrances vraies, n’est-ce point le climat de la passion ? — C’est
456
t de souffrances vraies, n’est-ce point le climat
de
la passion ? — C’est celui de la Hongrie.6 Une lettre de Matthias
457
-ce point le climat de la passion ? — C’est celui
de
la Hongrie.6 Une lettre de Matthias Corvin « Matthias, par la
458
on ? — C’est celui de la Hongrie.6 Une lettre
de
Matthias Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi de Hongrie. B
459
re de Matthias Corvin « Matthias, par la grâce
de
Dieu roi de Hongrie. Bonjour, citoyens ! Si vous ne venez pas tous vo
460
as Corvin « Matthias, par la grâce de Dieu roi
de
Hongrie. Bonjour, citoyens ! Si vous ne venez pas tous vous présenter
461
bits Personne, à ma connaissance, ne se plaint
de
ce qu’il y ait peu de poètes par le monde. C’est dans l’ordre des cho
462
ans l’ordre des choses, et l’on sait qu’il suffit
de
très peu de sel pour rendre mangeable beaucoup de nouilles. Mais voic
463
ais voici, par exemple, ce qu’il faudrait essayer
d’
obtenir : que la grande majorité des gens ne deviennent pas enragés dè
464
s ne deviennent pas enragés dès qu’ils perçoivent
de
la poésie dans l’air. Espoir sans doute chimérique, mais qu’on peut c
465
oute chimérique, mais qu’on peut croire bien près
d’
être comblé dans ce pays où les courtiers ne donnent pas encore le ton
466
nnue à l’étranger que par quelques pièces légères
de
Molnar, qui n’ont de hongrois que l’auteur, d’ailleurs israélite. Il
467
par quelques pièces légères de Molnar, qui n’ont
de
hongrois que l’auteur, d’ailleurs israélite. Il y a, bien entendu, un
468
à remplir les revues bien pensantes. Elle traite
de
sujets « bien hongrois » dans un style académique qui me paraît être
469
extrême gauche, et sa revue Documentum (une sorte
d’
Esprit nouveau troublé de surréalisme), groupée autour de Louis Kassak
470
ue Documentum (une sorte d’Esprit nouveau troublé
de
surréalisme), groupée autour de Louis Kassak, nettement international
471
tour de Louis Kassak, nettement internationaliste
de
doctrine, au lyrisme neuf et parfois sauvage, social ou futuriste, et
472
plus libre et la plus vivante du génie littéraire
de
cette race me paraît bien avoir été donnée par le groupe important du
473
r anime encore ces écrivains profondément magyars
de
sensibilité, bien que souvent européens de goûts et de curiosités, et
474
agyars de sensibilité, bien que souvent européens
de
goûts et de curiosités, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef
475
nsibilité, bien que souvent européens de goûts et
de
curiosités, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef de file. De
476
és, et dont Michel Babits est aujourd’hui le chef
de
file. Des amis m’emmènent le voir à Esztergom, où il passe ses étés.
477
ses étés. Esztergom est la plus vieille capitale
de
la Hongrie. Attila, me dit-on, y régna. Aujourd’hui c’est la résidenc
478
a résidence du Prince Primat. Au-dessus du palais
de
l’archevêché, sur une colline que le Danube contourne, la Basilique é
479
Danube contourne, la Basilique élève une coupole
d’
ocre éclatant, immense et froide, dominant cette plaine onduleuse dont
480
ue nous devons rencontrer le poète. Cheveux noirs
d’
aigle collés sur son large front, belle carrure ruisselante, il nous s
481
u’à mi-corps, mythologique. Nous sortons ensemble
de
la petite ville aux rues de terre brûlante, aux maisons jaunes basses
482
Nous sortons ensemble de la petite ville aux rues
de
terre brûlante, aux maisons jaunes basses, ville sans ombre, sans arb
483
us montons vers la maison du poète, sur un coteau
de
vignes. Trois chambres boisées entourées d’une large galerie d’où l’o
484
oteau de vignes. Trois chambres boisées entourées
d’
une large galerie d’où l’on voit le Danube gris-jaune, brillant, sans
485
is chambres boisées entourées d’une large galerie
d’
où l’on voit le Danube gris-jaune, brillant, sans rides, la petite vil
486
bourdonnante, — trois petites chambres et un pan
de
toit par-dessus, cela fait une baraque à peine visible dans les vigne
487
isible dans les vignes, à peine détachée du flanc
de
la colline pour que les vents ne l’emportent pas, un beau nid de poèt
488
our que les vents ne l’emportent pas, un beau nid
de
poète : car demeurer ici, c’est demeurer vraiment en « pleine nature
489
r vraiment en « pleine nature », un peu au-dessus
de
la plaine, pas tout à fait dans le ciel, là où doivent vivre ceux qui
490
orizon est aussi lointain qu’on l’imagine, tout a
de
belles couleurs, le poète sourit en lui-même, il y a une enfance dans
491
même, il y a une enfance dans l’air… Le retour
d’
Esztergom Il faut se pencher aux portières et laisser l’air furieux
492
e et appuyer au front comme une caresse indéfinie
de
la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conq
493
comme une caresse indéfinie de la puissance. Soir
de
voyage, tout enfiévré d’orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce
494
ie de la puissance. Soir de voyage, tout enfiévré
d’
orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renon
495
. Soir de voyage, tout enfiévré d’orgueil errant,
de
conquêtes vagues… Tout ce qui est de la terre renonce à s’affirmer en
496
ueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui est
de
la terre renonce à s’affirmer en détail précis, se masse dans une con
497
mer en détail précis, se masse dans une confusion
de
violet sombre, et par la seule ligne dure de l’horizon s’oppose au ci
498
sion de violet sombre, et par la seule ligne dure
de
l’horizon s’oppose au ciel qui retire ses lueurs. Ciel blanc, où très
499
el qui retire ses lueurs. Ciel blanc, où très peu
d’
or rose s’évanouit… Le train serpente dans un de ces paysages de nulle
500
u d’or rose s’évanouit… Le train serpente dans un
de
ces paysages de nulle part qui sont les plus émouvants, entre des col
501
anouit… Le train serpente dans un de ces paysages
de
nulle part qui sont les plus émouvants, entre des collines basses gra
502
e heure on sent bien que poursuivre est une sorte
d’
enivrant péché. — Nous aurions une maison dans ce désert aux formes te
503
cause de l’éloignement en nous-mêmes. À l’entrée
d’
un tunnel tu vois que la veilleuse brûle toujours — et moi, parmi les
504
rûle toujours — et moi, parmi les reflets fuyants
de
toutes sortes de faces et de paysages soudainement invisibles, je dis
505
t moi, parmi les reflets fuyants de toutes sortes
de
faces et de paysages soudainement invisibles, je distingue le doux fe
506
les reflets fuyants de toutes sortes de faces et
de
paysages soudainement invisibles, je distingue le doux feu bleu de mo
507
inement invisibles, je distingue le doux feu bleu
de
mon obsession. L’Objet inconnu, — quand je pense à ce qu’en imaginera
508
autres, si je leur en parlais… Il leur suffirait
de
l’image d’un bibelot d’une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un c
509
je leur en parlais… Il leur suffirait de l’image
d’
un bibelot d’une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un certain arra
510
arlais… Il leur suffirait de l’image d’un bibelot
d’
une sorte bizarre. Alors que c’est plutôt un certain arrangement des c
511
oses qui rende un certain son spirituel… Un objet
de
musique et de couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfi
512
un certain son spirituel… Un objet de musique et
de
couleurs, mais aussi une forme symbolique de tout… Enfin, tellement i
513
e et de couleurs, mais aussi une forme symbolique
de
tout… Enfin, tellement inconnu et tellement fascinant à la fois, qu’i
514
tellement fascinant à la fois, qu’il me préserve
de
tout amour pour quelque bien particulier où je serais tenté de me com
515
pour quelque bien particulier où je serais tenté
de
me complaire. Oh ! je sais ! — Je ne sais plus. — Le train s’attarde
516
lors tout s’allume et voici la nuit des faubourgs
de
Pest, au-dessous de nous. Un bal, ou de l’ivresse considérée comme
517
bourgs de Pest, au-dessous de nous. Un bal, ou
de
l’ivresse considérée comme un des beaux-arts Ils n’ont plus de nom
518
sidérée comme un des beaux-arts Ils n’ont plus
de
noms, ils ne sont qu’une ivresse aux cent visages, lorsque j’entre da
519
vant un bras, la main à la nuque ; frapper le sol
de
l’autre talon en changeant de main ; saisir la danseuse sous le bras
520
ue ; frapper le sol de l’autre talon en changeant
de
main ; saisir la danseuse sous le bras (elle pose alors ses mains sur
521
ules du cavalier) et la faire pirouetter un quart
de
tour à droite, un quart de tour à gauche ; pirouetter seuls sur place
522
re pirouetter un quart de tour à droite, un quart
de
tour à gauche ; pirouetter seuls sur place ; de nouveau frapper le so
523
ment ; saisir la danseuse, tourbillonner, pousser
de
grands cris ; tourbillonner en sens inverse ; frapper des talons touj
524
aux yeux de plaine, comme les autres ont des yeux
de
mer. Des grâces d’amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu
525
comme les autres ont des yeux de mer. Des grâces
d’
amazones avec un coup de talon qui les secoue jusqu’à la chevelure. Gr
526
s yeux de mer. Des grâces d’amazones avec un coup
de
talon qui les secoue jusqu’à la chevelure. Graves entre leurs éclats
527
s chantent, les moires et l’ondulation des rubans
de
vents chauds sur la plaine, avec des éloignements et des retours, des
528
e les gestes sont gouvernées par la seule logique
d’
un rythme constamment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que de s’
529
d’un rythme constamment imprévu. Il s’agit moins
de
comprendre que de s’abandonner d’une certaine manière. En France, cha
530
amment imprévu. Il s’agit moins de comprendre que
de
s’abandonner d’une certaine manière. En France, chacun parle pour son
531
Il s’agit moins de comprendre que de s’abandonner
d’
une certaine manière. En France, chacun parle pour son compte, paraphe
532
ou. Ici, le sens des mots et des choses est celui
d’
un courant musical qui domine l’ensemble et le compose selon les lois
533
ui domine l’ensemble et le compose selon les lois
d’
une plastique exubérante. Quand je dis que j’observe, je n’observe rie
534
anières. Et quant à ceux qui n’ont pas le pouvoir
de
s’enivrer, ils auront toujours raison, mais n’auront que cela, car c’
535
c’est l’ivresse7 seulement qui permet à l’esprit
de
passer d’une forme dans l’autre, — et c’est même en ce passage qu’ell
536
vresse7 seulement qui permet à l’esprit de passer
d’
une forme dans l’autre, — et c’est même en ce passage qu’elle consiste
537
e passage qu’elle consiste — ô Danses ! avènement
de
l’âme aux gestes ! Vous voici, longs coups d’ailes en silence au-dess
538
ent de l’âme aux gestes ! Vous voici, longs coups
d’
ailes en silence au-dessus du gouffre. Je vole sur place, mais tout se
539
et l’amour du vertige). Qu’est-ce qu’il y aurait
de
l’autre côté ? Se laisser choir dans le Gris ? Rejoindre ?… Derrière
540
ise ne rappelle la nostalgie traînante des lieder
de
l’Oberland : ici la mélancolie même est passionnée. Elles chantent av
541
es mouvements vifs du buste, et des mains pleines
de
drôleries ou de supplication. Je ne sais ce que disent les paroles. J
542
fs du buste, et des mains pleines de drôleries ou
de
supplication. Je ne sais ce que disent les paroles. Je vois des cheva
543
uvenir des pays désertés enfièvre encore un désir
de
perdition illimitée… Les Hongrois se sont arrêtés dans cette plaine.
544
s c’est le soir au camp, perpétuel. Une lassitude
de
steppe brûlante, des ondulations longues… Mais un cheval se cabre ; e
545
ambours et des cris modulés, et toute la frénésie
d’
un grand souffle qui se serait mis à tourbillonner sur place. L’amo
546
ngrois t’emportera dans une inénarrable confusion
de
sentimentalisme et de passion, et c’est là son miracle. Si tu n’as pa
547
s une inénarrable confusion de sentimentalisme et
de
passion, et c’est là son miracle. Si tu n’as pas le sens de la musiqu
548
, et c’est là son miracle. Si tu n’as pas le sens
de
la musique, conserve quelque espoir de t’en tirer. Sinon… je t’envier
549
as le sens de la musique, conserve quelque espoir
de
t’en tirer. Sinon… je t’envierais presque. Celui qui part pour la Ho
550
t plus. La plaine et la musique L’ouverture
de
Stravinsky exécutée par l’express de Transylvanie au sortir de la gar
551
L’ouverture de Stravinsky exécutée par l’express
de
Transylvanie au sortir de la gare de Budapest, devient avec la plaine
552
ar l’express de Transylvanie au sortir de la gare
de
Budapest, devient avec la plaine une Symphonie-Dichtung borodinesque,
553
e hongroise n’est pas monotone, parce qu’elle est
d’
un seul tenant. Rien qui fasse répétition. C’est ici le premier pays q
554
. C’est ici le premier pays que je n’ai pas envie
d’
élaguer ; dont je ne me compose pas de morceaux choisis8. Il y a une g
555
i pas envie d’élaguer ; dont je ne me compose pas
de
morceaux choisis8. Il y a une grande ville, un grand lac, une plaine
556
ille, un grand lac, une plaine et une seule vigne
de
véritable Tokay. Et point de ces endroits déprimants, à plusieurs mil
557
e et une seule vigne de véritable Tokay. Et point
de
ces endroits déprimants, à plusieurs milliers d’exemplaires, tels que
558
de ces endroits déprimants, à plusieurs milliers
d’
exemplaires, tels que : banlieue française, village suisse, gare allem
559
çaise, village suisse, gare allemande grouillante
de
questions sociales. La Puszta est une terre vierge, je veux dire que
560
andue. Il y a peu de bourgeois en Hongrie. Il y a
de
petits nobles déclassés, des juifs, des paysans, des communistes, de
561
classés, des juifs, des paysans, des communistes,
de
grands nobles, et des Tziganes. D’ailleurs, le bourgeois supporterait
562
mpleur qu’ont ici toutes choses, cette atmosphère
de
nomadisme, et ces vents vastes ; et cette passion de vivre « au-dessu
563
nomadisme, et ces vents vastes ; et cette passion
de
vivre « au-dessus de ses moyens » — c’est-à-dire au-dessus du Moyen —
564
ts vastes ; et cette passion de vivre « au-dessus
de
ses moyens » — c’est-à-dire au-dessus du Moyen — qui est caractéristi
565
rgement ? » demande certaine hargne à cet artiste
de
la prodigalité. — « Ah ! répond-il, j’aimerais bien pouvoir vivre com
566
yptien, « car c’est la langue qu’elles apprennent
de
leurs mères ». Combien j’aime ces sœurs des Tziganes ! Les Tziganes v
567
t le bridge et la bohème, c’est-à-dire un symbole
de
la servitude et un symbole de la liberté. Si la Hongrie tout de même
568
t-à-dire un symbole de la servitude et un symbole
de
la liberté. Si la Hongrie tout de même a quelque chose de « moderne »
569
berté. Si la Hongrie tout de même a quelque chose
de
« moderne », dans un sens vaste et mystique, elle le doit au charme é
570
ns une ère égyptienne. Mais que dire des pouvoirs
de
la plaine qui s’agrandit pendant des heures ? — Ce qu’en raconte la m
571
usique — tu vas l’entendre à toutes les terrasses
de
Debrecen. Debrecen est une sorte de grande ville indescriptible, à de
572
les terrasses de Debrecen. Debrecen est une sorte
de
grande ville indescriptible, à demi mêlée aux sables de la plaine de
573
nde ville indescriptible, à demi mêlée aux sables
de
la plaine de Hortobágy, aux longues maisons jaunes immensément aligné
574
escriptible, à demi mêlée aux sables de la plaine
de
Hortobágy, aux longues maisons jaunes immensément alignées, autour d’
575
ngues maisons jaunes immensément alignées, autour
d’
une place rectangulaire qui ressemble à un jardin public, flanquée d’u
576
ulaire qui ressemble à un jardin public, flanquée
d’
un temple blanc à deux clochers baroques, d’hôtels modernes, de statue
577
nquée d’un temple blanc à deux clochers baroques,
d’
hôtels modernes, de statues, de pylônes plantés dans un grand désordre
578
lanc à deux clochers baroques, d’hôtels modernes,
de
statues, de pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de c
579
clochers baroques, d’hôtels modernes, de statues,
de
pylônes plantés dans un grand désordre de piétons et de chars à bœufs
580
tatues, de pylônes plantés dans un grand désordre
de
piétons et de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrece
581
ônes plantés dans un grand désordre de piétons et
de
chars à bœufs parmi les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent
582
t de chars à bœufs parmi les trams. Les habitants
de
Debrecen se plaignent de n’avoir pas ce faux confort que nous n’avons
583
les trams. Les habitants de Debrecen se plaignent
de
n’avoir pas ce faux confort que nous n’avons qu’au prix de tout ce qu
584
les Hongrois comme on aime l’enfance : or le rêve
de
l’enfant, c’est de devenir une grande personne. On me l’a dit, c’est
585
on aime l’enfance : or le rêve de l’enfant, c’est
de
devenir une grande personne. On me l’a dit, c’est vrai : cette ville
586
ique est aussi l’autre « Rome protestante ». Mais
d’
avoir vu ses profondes bibliothèques et son quartier universitaire tou
587
euni dans des jardins luisants ne n’empêchera pas
de
m’y sentir au bout d’un monde, au bord extrême de l’Europe. Je ne sai
588
de m’y sentir au bout d’un monde, au bord extrême
de
l’Europe. Je ne sais quel hasard a voulu que j’y entende, un soir, un
589
rd a voulu que j’y entende, un soir, une audition
de
musiques hongroises, turques et chinoises, commentées et comparées pa
590
Plaine, et que par sa musique j’étais aux marches
de
l’Asie. En sortant du concert, j’ai erré aux terrasses des hôtels, da
591
ent en jouant ? Qu’est-ce qu’ils écoutent au-delà
de
leur musique — car aussitôt donnée la phrase, voici qu’une autre vien
592
nt sonore qui l’étire et l’égare, et l’enroule et
d’
un coup la subtilise, ne laissant plus qu’un long silence soutenu, com
593
rne avec une vertigineuse docilité dans les voies
d’
un amour ineffable et se perd avec lui vers le désert et ses mirages.
594
vec lui vers le désert et ses mirages. On ne sait
d’
où tu viens, tu ne sais où tu vas, peuple de perdition, Peuple inconnu
595
sait d’où tu viens, tu ne sais où tu vas, peuple
de
perdition, Peuple inconnu, — mais c’est toi, c’est toi qui l’as caché
596
eur aux femmes, cet objet dont parfois, au comble
de
la turbulence de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’une
597
et objet dont parfois, au comble de la turbulence
de
tes jeux, un violon décrit vite quelque chose, d’une ligne nette, ins
598
de tes jeux, un violon décrit vite quelque chose,
d’
une ligne nette, insaisissable, déjà perdue (comme le rêve pendant que
599
(comme le rêve pendant que bat la paupière lourde
de
celui qui succombe à l’excès du sommeil) — et me voici plus seul, ave
600
ici plus seul, avec une nostalgie qui ne veut pas
de
la romance à mon oreille de violoneux qui me croit triste. Ils l’ont
601
algie qui ne veut pas de la romance à mon oreille
de
violoneux qui me croit triste. Ils l’ont amené du fond d’une Inde. Il
602
neux qui me croit triste. Ils l’ont amené du fond
d’
une Inde. Ils l’ont égaré, comme ils égarent tout d’un monde où si peu
603
une Inde. Ils l’ont égaré, comme ils égarent tout
d’
un monde où si peu vaut qu’on le conserve, au long d’un chemin effacé
604
n monde où si peu vaut qu’on le conserve, au long
d’
un chemin effacé par le vent sur la plaine… Ils l’ont perdu comme un r
605
sans vider ton verre — il n’y a pure ivresse que
de
l’abandon —, car voici qu’à son tour il s’égare au bras d’une erreur
606
don —, car voici qu’à son tour il s’égare au bras
d’
une erreur inconnue, ton fantôme éternel, ton « Désir désiré ». Les
607
rudentes avec aux jambes l’imperceptible angoisse
de
rencontrer une onde trop légère. Mais pour connaître un lac, il faut
608
eau, en faire le tour, mais voilà qui est affaire
de
pur caprice, tandis que s’y baigner est une règle de savoir-vivre ave
609
pur caprice, tandis que s’y baigner est une règle
de
savoir-vivre avec la Nature. Lac doré, horizon de collines pointues,
610
de savoir-vivre avec la Nature. Lac doré, horizon
de
collines pointues, rives basses, verdoyantes, toutes fraîches de musi
611
ntues, rives basses, verdoyantes, toutes fraîches
de
musiquettes et de baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances b
612
s, verdoyantes, toutes fraîches de musiquettes et
de
baigneuses ; quais de Balaton-Füred aux élégances bourgeoises et mili
613
fraîches de musiquettes et de baigneuses ; quais
de
Balaton-Füred aux élégances bourgeoises et militaires, idylles de jar
614
aux élégances bourgeoises et militaires, idylles
de
jardins publics à l’écart d’un concert du samedi soir, petits profess
615
militaires, idylles de jardins publics à l’écart
d’
un concert du samedi soir, petits professeurs entourés de leur famille
616
ncert du samedi soir, petits professeurs entourés
de
leur famille, et toutes ces Magda, toutes ces Maritza rieuses et déjà
617
r quelques jours ? On ferait connaissance à table
d’
hôte, on irait ensemble à Tihany — elle a l’air d’être en Italie sur s
618
d’hôte, on irait ensemble à Tihany — elle a l’air
d’
être en Italie sur sa presqu’île — par cet instable bateau-mouche qui
619
plutôt emmener ce désir, comme un tendre souvenir
de
voyage, et partir en croyant qu’ici la vie a parfois moins de hargne,
620
t partir en croyant qu’ici la vie a parfois moins
de
hargne, et les petites gens plus de bonté… Déjà je suis repris par le
621
parfois moins de hargne, et les petites gens plus
de
bonté… Déjà je suis repris par le malaise que m’infligent les lieux f
622
! C’est devant une glace panachée qu’il m’arrive
de
douter de la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nu
623
evant une glace panachée qu’il m’arrive de douter
de
la vie, comme d’autres aux approches du mal de mer. À la nuit, j’ai r
624
er de la vie, comme d’autres aux approches du mal
de
mer. À la nuit, j’ai rôdé dans la campagne aux collines basses, d’app
625
, j’ai rôdé dans la campagne aux collines basses,
d’
apparence rocheuse — ce sont des restes de volcans — blanches sous la
626
basses, d’apparence rocheuse — ce sont des restes
de
volcans — blanches sous la Lune et toutes lustrées de rêches végétati
627
olcans — blanches sous la Lune et toutes lustrées
de
rêches végétations. J’ai traversé l’angoisse lunaire des villages vid
628
vides aux portes aveugles (j’avais peur du bruit
de
mes pas). Au hasard, j’ai suivi des sentiers dans les champs de maïs,
629
u hasard, j’ai suivi des sentiers dans les champs
de
maïs, épiant la venue d’une joie inconnue. Joie d’être n’importe où…
630
sentiers dans les champs de maïs, épiant la venue
d’
une joie inconnue. Joie d’être n’importe où… évadé ? Mais soudain, c’e
631
e maïs, épiant la venue d’une joie inconnue. Joie
d’
être n’importe où… évadé ? Mais soudain, c’est au silence que je me he
632
que je me heurte, comme réveillé dans l’absurdité
d’
être n’importe où. Une panique balaye la nuit déserte jusqu’à l’horizo
633
maintenant, maintenant, où tu n’es pas — et tant
d’
amour perdu… Un train dormait devant la gare campagnarde. Je me suis é
634
un compartiment obscur, stores baissés, à l’abri
de
la lune. Le contrôleur a dû jouer un rôle dans mes cauchemars. L’aube
635
eveux en désordre, pantalon plissé, et cet abruti
de
contrôleur qui rit et me dit je ne sais quoi, — alors que justement j
636
rs que justement j’allais rattraper, comme un pan
de
la nuit fuyante, un songe où j’ai dû voir l’objet pour la première fo
637
ais la lampe et la veilleuse me rendait compagnon
d’
une momie bleuâtre, mais peut-on se reposer vraiment à 100 km/h. Par-d
638
Lune faire des bonds courts sur la plaine inondée
de
nuit. J’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné de cette hur
639
courts sur la plaine inondée de nuit. J’essayais
de
penser par-dessous le rythme obstiné de cette hurlante bousculade sur
640
’essayais de penser par-dessous le rythme obstiné
de
cette hurlante bousculade sur place qu’est un voyage en express. Mais
641
yage en express. Mais je ne trouvais pas la pente
de
mon esprit, et tout en le parcourant avec une soif qui annonçait le d
642
oif qui annonçait le désert, je traçais des plans
d’
œuvres sablonneuses. Je composais un traité des voyages : les titres e
643
ais un traité des voyages : les titres en étaient
de
Sénèque ou de Swift, et je voyais très bien ce qu’en eussent tiré Ste
644
des voyages : les titres en étaient de Sénèque ou
de
Swift, et je voyais très bien ce qu’en eussent tiré Sterne ou Goethe,
645
e à Gérard de Nerval, je sentais qu’il s’agissait
d’
autre chose. — Il s’agit toujours d’autre chose que de ce qu’on dit. (
646
il s’agissait d’autre chose. — Il s’agit toujours
d’
autre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’in
647
tre chose. — Il s’agit toujours d’autre chose que
de
ce qu’on dit. (L’imprudence que de penser dans l’insomnie ! Cela tour
648
utre chose que de ce qu’on dit. (L’imprudence que
de
penser dans l’insomnie ! Cela tourne tout de suite à la débauche. Not
649
tourne tout de suite à la débauche. Notre liberté
de
penser est absurde au regard des contraintes que subissent nos gestes
650
élevait la Morale du domaine des actions à celui
de
la pensée, de l’Apparence à l’Essence. D’un coup, tous les refoulés q
651
rale du domaine des actions à celui de la pensée,
de
l’Apparence à l’Essence. D’un coup, tous les refoulés qui explosent,
652
à celui de la pensée, de l’Apparence à l’Essence.
D’
un coup, tous les refoulés qui explosent, le chômage dans la gendarmer
653
eures désorientées ; le sentiment du « non-sens »
de
la vie n’est-il pas comparable à ce que les mystiques appellent leur
654
Entre « déjà plus » et « pas encore »… Bon point
de
vue pour déconsidérer nos raisons de vivre. La maladie aussi. Rien ne
655
»… Bon point de vue pour déconsidérer nos raisons
de
vivre. La maladie aussi. Rien ne ressemble au voyage comme la maladie
656
part, le même dépaysement au retour. « Il revient
de
loin » signifie : qu’il vient d’être très malade. Si dans ta chambre,
657
ur. « Il revient de loin » signifie : qu’il vient
d’
être très malade. Si dans ta chambre, en plein jour, tu t’endors, et q
658
voyage est un état d’âme et non pas une question
de
transport. Un vrai voyage, on ne sait jamais où cela mène, c’est une
659
amais où cela mène, c’est une aventure qui relève
de
la métaphysique plus que de la psychologie. — Une vaste licence poéti
660
e aventure qui relève de la métaphysique plus que
de
la psychologie. — Une vaste licence poétique… (Voici bien la fatigue
661
ien la fatigue avec son jeu des définitions)… Pas
de
but. — C’est vous qui le dites ! — Vous, naturellement… (Encore un qu
662
voyage on la regarde mieux. — La vie… (une sorte
de
cauchemar pensé, qui ne peut plus s’arrêter de penser). Se peut-il qu
663
te de cauchemar pensé, qui ne peut plus s’arrêter
de
penser). Se peut-il qu’on cherche le sens de la vie ! Je sais seuleme
664
êter de penser). Se peut-il qu’on cherche le sens
de
la vie ! Je sais seulement que ma vie a un but. M’approcher de mon êt
665
e sais seulement que ma vie a un but. M’approcher
de
mon être véritable. Seul au milieu des miens, j’oubliais ma race, j’a
666
des miens, j’oubliais ma race, j’avais l’illusion
de
n’être rien que… moi-même. Identique à mon centre. Ici, comparé à tan
667
Mais en même temps, j’ai découvert mes puissances
d’
évasion intérieure. Et souvent je pressens qu’il existe une clef : dél
668
uvent je pressens qu’il existe une clef : délivré
de
moi-même j’entrerais en plein Moi… Une clef ? Plutôt « cela » qui me
669
oi… Une clef ? Plutôt « cela » qui me permettrait
de
combler l’écart entre moi et Moi qui est la seule réalité absolument
670
s dans mes pensées ? La veilleuse fleurit soudain
d’
un éclat bleu douloureux, le train ralentit. Hegyeshalom, petite gare
671
Cependant, « rien à déclarer » après des semaines
de
voyage ? Cela va paraître improbable. On a dû voir sur moi que je le
672
cherche, c’est pourquoi l’œil est implacable… Pas
de
clefs dans mes onze poches. Seulement ce papier timbré d’un ministère
673
dans mes onze poches. Seulement ce papier timbré
d’
un ministère… mais déjà l’œil s’éteint, le corps se plie, fait demi-to
674
tristesse. Mais qu’a-t-on jamais pu « déclarer »
d’
important ? Je ne sais pas parler en vers et la prose n’indique que le
675
us évidentes. C’est bien pourquoi l’Objet n’a pas
de
nom. Parfois je me suis demandé s’il n’était pas une sorte de pierre
676
ois je me suis demandé s’il n’était pas une sorte
de
pierre philosophale. Peut-être ces deux mots suffiraient-ils à l’indi
677
e m’en parle ? Tout en donnant le change à celles
de
mes pensées qui exigent des apparences positives. Ainsi donc j’ai che
678
aiment elle n’existe plus, l’Hermétique Société10
de
ceux qui ne désespèrent pas encore du Grand’Œuvre ? Cela seul est cer
679
seulement qu’aux yeux de ceux qui surent désirer
de
la voir, apparaît la « Loge invisible ». J’attends quelqu’un qui vien
680
out ce qu’elle m’a donné ? Cette notion plus vive
d’
un univers où la présence de l’Objet deviendrait plus probable ? Ou bi
681
ette notion plus vive d’un univers où la présence
de
l’Objet deviendrait plus probable ? Ou bien n’ai-je su voir autre cho
682
u bien n’ai-je su voir autre chose que la Hongrie
de
mes rêves, ma Hongrie intérieure ? Il est vrai que l’on connaît depui
683
sout dans une synthèse, comme toujours : au point
de
perfection, aimer et connaître sont un seul et même acte. Peut-être l
684
ont un seul et même acte. Peut-être l’ai-je aimée
d’
un amour égoïste, comme un être dont on a besoin et de qui l’on chérit
685
amour égoïste, comme un être dont on a besoin et
de
qui l’on chérit surtout ce dont on manque : touchantes annexions, pie
686
s’il fallait attendre pour aimer ! Je me souviens
de
ces terrains de sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre
687
endre pour aimer ! Je me souviens de ces terrains
de
sable noir, piqués de petits arbres et d’un désordre de maisons basse
688
me souviens de ces terrains de sable noir, piqués
de
petits arbres et d’un désordre de maisons basses, les dernières de la
689
errains de sable noir, piqués de petits arbres et
d’
un désordre de maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen,
690
le noir, piqués de petits arbres et d’un désordre
de
maisons basses, les dernières de la ville de Debrecen, au bord de la
691
et d’un désordre de maisons basses, les dernières
de
la ville de Debrecen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de
692
rdre de maisons basses, les dernières de la ville
de
Debrecen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre de soleil couc
693
cen, au bord de la Grande Plaine encore rougeâtre
de
soleil couchant. J’y suis venu par hasard, en flânant ; je me suis sa
694
autres semblables, en voyage, je me dis que c’est
de
là que j’ai tiré le sentiment d’absurdité foncière qu’il m’arrive d’é
695
me dis que c’est de là que j’ai tiré le sentiment
d’
absurdité foncière qu’il m’arrive d’éprouver en face d’une action pure
696
le sentiment d’absurdité foncière qu’il m’arrive
d’
éprouver en face d’une action purement raisonnable. Ah ! quelle raison
697
ison ici t’attirait donc, sinon l’espoir bien fou
d’
y retrouver l’émotion d’un miracle imminent. Ou moins encore : l’image
698
, sinon l’espoir bien fou d’y retrouver l’émotion
d’
un miracle imminent. Ou moins encore : l’image née en rêve d’une plain
699
e imminent. Ou moins encore : l’image née en rêve
d’
une plaine, d’un couchant plus grandiose au ciel et sur la terre plus
700
moins encore : l’image née en rêve d’une plaine,
d’
un couchant plus grandiose au ciel et sur la terre plus secret que dan
701
ton pays. Tu attendais une révélation, non point
de
cet endroit, ni même par lui, — mais à cet endroit, en ce temps. Qui
702
s cette vie et dans d’autres vies, pour approcher
de
tous côtés un But dont tu ne sais rien d’autre que sa fuite : n’est-i
703
procher de tous côtés un But dont tu ne sais rien
d’
autre que sa fuite : n’est-il pas cet objet qui n’ait rien de commun a
704
sa fuite : n’est-il pas cet objet qui n’ait rien
de
commun avec que ce que tu sais de toi-même en cette vie ? Mais le voi
705
qui n’ait rien de commun avec que ce que tu sais
de
toi-même en cette vie ? Mais le voir, ce serait mourir dans la totali
706
nière différence, — car on ne voit que ce qui est
de
soi-même, et conscient. Et c’est à cause d’un pari peut-être fou, et
707
i est de soi-même, et conscient. Et c’est à cause
d’
un pari peut-être fou, et qui porte sur des sentiments indéfinis, à ca
708
resses, tu serres des mains, — tu perds les clefs
de
tes valises… (Cela encore : m’arrêter à Vienne à cause des serrures.
709
eut-être y passer une nuit — rôder à la recherche
de
Gérard par les rues noires aux palais vides mais hantés, et dans les
710
uve. 1929. 6. Parce que j’« exalte les valeurs
de
passion » — pour parler comme le seul clerc qui n’ait pas trahi — qui
711
it pas trahi — qui me paraissent être la grandeur
de
la Hongrie, on m’expliquera que je suis pour la guerre, puisque enfin
712
aix par la mutilation des passions sont disciples
d’
Origène. Il doit y avoir d’autres solutions… [NdE] Cette note avait di
713
autres solutions… [NdE] Cette note avait disparue
de
la version publiée en 1968 dans le Journal d’une époque , base de ce
714
ue de la version publiée en 1968 dans le Journal
d’
une époque , base de cette édition numérique. Elle a été manifestement
715
liée en 1968 dans le Journal d’une époque , base
de
cette édition numérique. Elle a été manifestement réintégrée par Deni
716
tégrée par Denis de Rougemont en vue de l’édition
de
1982. 7. Toute l’échelle des ivresses : ivresses de la faim, de l’al
717
1982. 7. Toute l’échelle des ivresses : ivresses
de
la faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 8. E
718
ute l’échelle des ivresses : ivresses de la faim,
de
l’alcool, de la foule, de la solitude, de l’extase. 8. Expression où
719
des ivresses : ivresses de la faim, de l’alcool,
de
la foule, de la solitude, de l’extase. 8. Expression où va se réfugi
720
: ivresses de la faim, de l’alcool, de la foule,
de
la solitude, de l’extase. 8. Expression où va se réfugier le dernier
721
a faim, de l’alcool, de la foule, de la solitude,
de
l’extase. 8. Expression où va se réfugier le dernier vestige de la s
722
. Expression où va se réfugier le dernier vestige
de
la sensualité des érudits. 9. La fameuse marche de Rakoczy est l’œuv
723
la sensualité des érudits. 9. La fameuse marche
de
Rakoczy est l’œuvre d’une Tzigane. 10. L’or n’était qu’un prétexte.
724
its. 9. La fameuse marche de Rakoczy est l’œuvre
d’
une Tzigane. 10. L’or n’était qu’un prétexte. Encore une blague de pa
725
0. L’or n’était qu’un prétexte. Encore une blague
de
passeport.
726
ent très peu, gris sur le blanc doucement luisant
de
la surface ; mais le silence a des vagues profondes. L’eau clapote av
727
te avec tendresse, et se retient… Et l’air chargé
d’
attente. Nos têtes immobiles sont près de se toucher, nos regards s’en
728
se toucher, nos regards s’en vont à la rencontre
de
ce qui est voilé. Retiens ton souffle, retiens ton envie de fermer le
729
est voilé. Retiens ton souffle, retiens ton envie
de
fermer les yeux contre une épaule, attends encore un peu plus fort, é
730
s la brume où nous sommes perdus avec ce clapotis
d’
une eau étrangement vivante et qui rêve ; et rien que nos yeux qui bri
731
formes confondent leur ombre et leur songe… Odeur
de
l’eau, — pour toute la vie. Bogliaco, lac de Garde, 1928.
732
deur de l’eau, — pour toute la vie. Bogliaco, lac
de
Garde, 1928.
733
ciel paraissait plus grand que la terre. Des bois
de
pins s’approchaient, s’écartaient, livrant passage à la chaussée impé
734
portées blanches sur les ondulations sablonneuses
de
la plaine. Des prairies doucement soulevées s’arrêtaient au bord du c
735
ciel, devant la lumière maritime ; puis cédaient
de
l’épaule et l’on voyait le golfe violacé écumer sous la masse du sole
736
, nous fit front, et il n’y eut plus qu’une piste
de
terre entre les sapins noirs, la rumeur du rivage et du soleil derriè
737
e et du soleil derrière nous décroissant, tumulte
d’
un matin d’été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeu
738
eil derrière nous décroissant, tumulte d’un matin
d’
été. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la fo
739
multe d’un matin d’été. Maintenant une odeur fine
de
benzine traverse les odeurs de la forêt, et le moteur halète au ralen
740
ant une odeur fine de benzine traverse les odeurs
de
la forêt, et le moteur halète au ralenti, dans la fraîcheur sobre. L’
741
e enfin du long voyage nocturne, les yeux cessent
de
cligner, le corps se détend. Là devant, un chauffeur immobile guette
742
fois avec un cahot mou. Le silence grandit ; cris
de
pics, vibration basse des cylindres. On voit paraître de plus hauts a
743
et bientôt un vaste portail, aux piles couronnées
de
grands cerfs de bronze. La piste se fait plane, la forêt s’ordonne. É
744
ste portail, aux piles couronnées de grands cerfs
de
bronze. La piste se fait plane, la forêt s’ordonne. Échappée sur des
745
forêt s’ordonne. Échappée sur des étangs couverts
de
mousse jaune. (Tout à fait réveillé et attentif, maintenant.) Jardin
746
piquées au loin de massifs éclatants, le gravier
d’
une allée fait son bruit luxueux, tout s’éclaire : cent fenêtres, sur
747
e : cent fenêtres, sur la gauche, dans une façade
de
grès Louis XV. Nous la longeons, nous montons une rampe pavée qui s’e
748
sous un porche couvert aux colonnes enguirlandées
de
roses. Toute une famille de géants, debout sur un seuil solennel, me
749
olonnes enguirlandées de roses. Toute une famille
de
géants, debout sur un seuil solennel, me regarde piquer du nez à l’ar
750
lus ancien, mais le dernier « burgrave et comte »
de
la Prusse-Orientale. Journées À huit heures, tout le monde se ré
751
nce dans la grande salle du château. Une douzaine
de
domestiques, hommes et femmes, pénètrent par le fond, s’alignent debo
752
e. Puis on chante et ce sont parfois des strophes
de
Novalis, des mélodies de Bach. Après le Notre Père, chacun s’en va, s
753
ont parfois des strophes de Novalis, des mélodies
de
Bach. Après le Notre Père, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le r
754
ch. Après le Notre Père, chacun s’en va, sérieux,
de
son côté. Le reste de la matinée se passe à cheval au bord de la mer.
755
e, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le reste
de
la matinée se passe à cheval au bord de la mer. Jeux du rivage : sur
756
dunes éblouissantes, autour du « Haff »11 coloré
de
traînées d’algues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de no
757
issantes, autour du « Haff »11 coloré de traînées
d’
algues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de nos bras, et n
758
ues pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent
de
nos bras, et nous les poursuivons, le long des grèves, dans les blés.
759
le long des grèves, dans les blés. Midi. Au haut
de
l’escalier monumental — une armature de fer forgé supportant des marc
760
. Au haut de l’escalier monumental — une armature
de
fer forgé supportant des marches de marbre —, un cortège se forme. La
761
une armature de fer forgé supportant des marches
de
marbre —, un cortège se forme. La porte de la salle à manger s’ouvre
762
arches de marbre —, un cortège se forme. La porte
de
la salle à manger s’ouvre à deux battants et le comte entre le premie
763
tre la sienne : car à peine arrivé il crie le nom
d’
un des enfants et celui-ci récite une courte prière, durant laquelle i
764
te prière, durant laquelle il n’est plus question
de
bouger. La table immense est chargée des produits du domaine. On boit
765
un peu de bière, mais surtout du lait froid dans
de
grands verres : il n’est pas de boisson plus rafraîchissante, ni qui
766
u lait froid dans de grands verres : il n’est pas
de
boisson plus rafraîchissante, ni qui se marie mieux avec le goût du c
767
tes, à travers la forêt —, nous gagnons la maison
de
l’inspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse de pierre parmi
768
agnons la maison de l’inspecteur. On la distingue
de
loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes de brique au toit de c
769
nspecteur. On la distingue de loin, seule bâtisse
de
pierre parmi les fermes de brique au toit de chaume. Un appel : l’ins
770
de loin, seule bâtisse de pierre parmi les fermes
de
brique au toit de chaume. Un appel : l’inspecteur paraît sur son seui
771
isse de pierre parmi les fermes de brique au toit
de
chaume. Un appel : l’inspecteur paraît sur son seuil au garde à vous,
772
uipes très nombreuses, à grand renfort de chevaux
de
trait, car la nature marécageuse du sol rend les transports malaisés.
773
t qui rôde autour de la faisanderie. Les couchers
de
soleil à cette saison se prolongent jusque vers onze heures, en des j
774
es ondulations des terres. À l’horizon, des ailes
de
moulin tournent, ou scintille une mer dorée. Tout impose un silence h
775
t à 40 km, plus loin vers la Russie, dans un pays
de
lacs, de forêts maigres et de pâturages à perte de vue. Nous sommes p
776
, plus loin vers la Russie, dans un pays de lacs,
de
forêts maigres et de pâturages à perte de vue. Nous sommes pour trois
777
ussie, dans un pays de lacs, de forêts maigres et
de
pâturages à perte de vue. Nous sommes pour trois jours les hôtes d’un
778
te de vue. Nous sommes pour trois jours les hôtes
d’
une immense demeure en briques roses et jaunes, entourée de prairies a
779
ense demeure en briques roses et jaunes, entourée
de
prairies aux bosquets vaporeux. Des parterres de fleurs descendent ju
780
de prairies aux bosquets vaporeux. Des parterres
de
fleurs descendent jusqu’à la rivière immobile, élargie en un lac sinu
781
sage peint à l’aquarelle. Le château, salmigondis
de
styles, résume, si l’on peut dire, une enquête que poursuivit son con
782
tructeur parmi les grandes demeures seigneuriales
d’
Europe, aux fins de réunir les éléments les plus comfortable des diver
783
: voilà sans doute la figuration la plus concrète
de
l’égarement des esprits au siècle dernier. Qui dit style d’abord dit
784
er. Qui dit style d’abord dit sacrifice à une vue
de
l’esprit. Qui dit confort d’abord dit refus de tout style. Cette mais
785
ue de l’esprit. Qui dit confort d’abord dit refus
de
tout style. Cette maison qui offre les commodités du plus luxueux hom
786
es. Les maîtres du lieu sourient un peu de « ceux
de
W. qui ne boivent que du lait ». Et nous servent du thé bouillant où
787
s servent du thé bouillant où nagent des morceaux
de
glace. À ces détails près, le même train de vie bottée. Les écuries r
788
ceaux de glace. À ces détails près, le même train
de
vie bottée. Les écuries résonnent sous les coups de pied des étalons
789
ries résonnent sous les coups de pied des étalons
de
course, géants aux longs fessiers noirs luisants. Sur la plaine éblou
790
isants. Sur la plaine éblouissante, des troupeaux
de
chevaux pâturent en liberté. Le meuglement des bœufs ne s’apaise pas
791
fs ne s’apaise pas sous le soleil et nous entoure
d’
une rumeur animale tenace comme toutes ces odeurs de la terre, des her
792
une rumeur animale tenace comme toutes ces odeurs
de
la terre, des herbes et des bêtes. Parfois souffle le vent marin ; et
793
mais on ne voit pas la mer. Dans la bibliothèque
de
Waldburg, qui sent encore le cuir, la chasse, j’ai trouvé tous les cl
794
. Même, un petit Voltaire dépareillé, « ex-libris
de
la Malmaison ». (Une négligence sans doute, on l’aura retrouvé dans l
795
ce sans doute, on l’aura retrouvé dans les poches
d’
un uniforme au retour de la campagne de France.) Les mémoires, en fran
796
retrouvé dans les poches d’un uniforme au retour
de
la campagne de France.) Les mémoires, en français, d’un des burgraves
797
les poches d’un uniforme au retour de la campagne
de
France.) Les mémoires, en français, d’un des burgraves zu D. qui fut
798
a campagne de France.) Les mémoires, en français,
d’
un des burgraves zu D. qui fut gouverneur d’Orange, et eut pour précep
799
çais, d’un des burgraves zu D. qui fut gouverneur
d’
Orange, et eut pour précepteur Pierre Bayle en personne, dont il se mo
800
onvient. Ensuite, tout Schleiermacher, un protégé
de
la famille. Mais à partir de cette date, il n’y a plus que les Gothas
801
rler nos pédagogues. Mais elle s’unit à un régime
de
responsabilités concrètes qui sauvegarde l’initiative personnelle plu
802
risque et la violence physique jouent dans la vie
de
chaque jour leur rôle naturel et tonique. On lâche les garçons à chev
803
des poulains à dresser — et ce n’est pas commode
de
se trouver devant une bête en liberté qu’on doit saisir d’abord, puis
804
ts, des décisions pratiques, tout l’apprentissage
de
la conduite des hommes, des animaux et des éléments naturels. Pour no
805
Pour nous, nous développons un sens plutôt fictif
de
la responsabilité. Nous développons au vrai un hamlétisme. Notre prép
806
ai un hamlétisme. Notre préparation à l’autonomie
de
l’individu demeure théorique, et son application est indéfiniment ret
807
et par toute notre ambiance éducatrice, un organe
de
l’autonomie qui ne trouve nulle part où s’exercer : d’où les conflits
808
autonomie qui ne trouve nulle part où s’exercer :
d’
où les conflits purement « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà
809
ment « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà
de
nos adolescences. Jeux des enfants prussiens : s’asseoir à six ou sep
810
rminablement à table. — Cruauté franche est signe
de
santéa. Ebo, l’aîné des fils, 19 ans, joue de l’accordéon dans sa cha
811
gne de santéa. Ebo, l’aîné des fils, 19 ans, joue
de
l’accordéon dans sa chambre à côté de la mienne. Tout à l’heure, une
812
suis allé lui demander ce que c’était. « L’hymne
d’
un mouvement clandestin, dont le chef est en prison depuis quelques an
813
o a un autre secret : il sait que l’un des frères
de
sa mère complote avec l’ex-kronprinz pour une restauration de l’Empir
814
omplote avec l’ex-kronprinz pour une restauration
de
l’Empire. Voilà qui serait presque aussi mal vu de l’excellent burgra
815
e l’Empire. Voilà qui serait presque aussi mal vu
de
l’excellent burgrave, lequel me disait en me montrant les armoiries d
816
des Hohenzollern-Hechingen, couplées avec celles
de
sa grand-mère Waldburg au plafond à caissons du grand salon : « Une m
817
n auf Waldburg touchaient encore en 1914 un droit
de
péage sur le grand pont de Dresde que leurs ancêtres avaient fait con
818
ncore en 1914 un droit de péage sur le grand pont
de
Dresde que leurs ancêtres avaient fait construire vers l’an 950, cepe
819
nd que l’élan est un animal aux jambes dépourvues
d’
articulations, en sorte qu’il ne peut se coucher et doit dormir appuyé
820
bête se trouve sans défense. Tacite n’a jamais vu
d’
élan. Ces animaux d’allure fantastique déambulent à la tombée de la nu
821
défense. Tacite n’a jamais vu d’élan. Ces animaux
d’
allure fantastique déambulent à la tombée de la nuit dans les clairièr
822
imaux d’allure fantastique déambulent à la tombée
de
la nuit dans les clairières, comme des arbres qui se mettraient en ma
823
membres ne se déboîtent. On a vu des élans gagner
de
vitesse les automobiles le long de la chaussée de Königsberg. Combien
824
de vitesse les automobiles le long de la chaussée
de
Königsberg. Combien j’aime ces randonnées interminables dans les forê
825
aime ces randonnées interminables dans les forêts
de
chasse, l’arme en ballant, durant des heures sans dire un mot, — car
826
ut pas effrayer le gibier sensible au moindre son
de
voix humaine. (Tout cela pour préparer quelque battue prochaine.) Vis
827
ils trouvent leur plaisir dans ces longs mutismes
de
guetteurs, dont on ressort ivre et comme possédé par les génies du mo
828
par les génies du monde végétal. Il y a une sorte
de
violence aussi dans ces bains de silence forestier. Qui peut en calcu
829
Il y a une sorte de violence aussi dans ces bains
de
silence forestier. Qui peut en calculer le bienfait d’énergie ? Les j
830
lence forestier. Qui peut en calculer le bienfait
d’
énergie ? Les journées, même de vacances, baignent ici dans une atmosp
831
lculer le bienfait d’énergie ? Les journées, même
de
vacances, baignent ici dans une atmosphère goethéenne d’utilité, — au
832
nces, baignent ici dans une atmosphère goethéenne
d’
utilité, — au sens élevé et civilisateur du terme. La notion moderne d
833
élevé et civilisateur du terme. La notion moderne
de
superflu, qui donne aux plaisirs mondains l’aspect absurde que nous l
834
ent dans une activité qui tire son unité foncière
de
la nature même des choses. Le rythme perpétuellement syncopé du trava
835
défendrai pas les junkers… J’entends les gens
de
villes : « Ça ne doit pas être bien drôle à la longue ! » Avec cela q
836
amusent tant ! La neurasthénie n’est-elle pas une
de
vos inventions ? Et toute votre littérature est occupée à décrire vos
837
vos satiétés, quand elle ne se met pas au service
d’
un régime de surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle c
838
, quand elle ne se met pas au service d’un régime
de
surenchère désespérée des sensations de luxe, dont elle constitue la
839
un régime de surenchère désespérée des sensations
de
luxe, dont elle constitue la publicité. Mais il s’agit bien de plaisi
840
elle constitue la publicité. Mais il s’agit bien
de
plaisirs ! Il s’agirait plutôt du seul plaisir de vivre. Que demander
841
de plaisirs ! Il s’agirait plutôt du seul plaisir
de
vivre. Que demander à un milieu social ? Qu’il vous laisse la franchi
842
naïvement qu’ailleurs. On ne vous cache pas, pour
de
ténébreuses habiletés salonnardes, l’intérêt et la sympathie qu’on a
843
e qu’on a pour vous, ou qu’on n’a pas. Nulle gêne
d’
aucune sorte. Le confort véritable de vivre, comment le concevoir aill
844
. Nulle gêne d’aucune sorte. Le confort véritable
de
vivre, comment le concevoir ailleurs qu’au sein d’une nature qui, san
845
urs qu’au sein d’une nature qui, sans cesse exige
de
l’homme la maîtrise et le déploiement de ses instincts ? Ici, pas d’a
846
se exige de l’homme la maîtrise et le déploiement
de
ses instincts ? Ici, pas d’autres empêchements que ceux-là justement
847
ments que ceux-là justement qui donnent sa raison
d’
être au labeur des journées. Nous voici délivrés de la grande bourgeoi
848
’être au labeur des journées. Nous voici délivrés
de
la grande bourgeoisie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir.
849
es. Nous voici délivrés de la grande bourgeoisie,
de
ces gens qui croient devoir, ou se devoir. De ces gens grossièrement
850
ie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir.
De
ces gens grossièrement distingués qui ne vous ont pas vu, qui détourn
851
détournent la tête avec une expression méprisable
de
gêne et de morgue. Et dire que ce sont ces gens-là — cette tourbe — q
852
la tête avec une expression méprisable de gêne et
de
morgue. Et dire que ce sont ces gens-là — cette tourbe — qui se perme
853
nt ces gens-là — cette tourbe — qui se permettent
de
juger la noblesse terrienne. Dire que ce sont ces bourgeois-là, basse
854
ue ce sont ces bourgeois-là, bassement incapables
de
brutalité ou d’orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités mor
855
ourgeois-là, bassement incapables de brutalité ou
d’
orgueil physiques, en revanche hérissés de vanités morales et de provo
856
lité ou d’orgueil physiques, en revanche hérissés
de
vanités morales et de provocantes civilités, qui viennent vous dire,
857
iques, en revanche hérissés de vanités morales et
de
provocantes civilités, qui viennent vous dire, entre deux bridges, qu
858
modés. Bien joli quand ils ne leur reprochent pas
d’
ignorer Proust. Mais quoi, je ne défendrai pas les junkers, dont le no
859
’elle désigne12. Un tel milieu ne sollicite guère
de
l’étranger je ne sais quelle admiration sentimentale ou esthétique. Q
860
tion sentimentale ou esthétique. Que feraient-ils
de
mes éloges, même sincères ? Ils n’ont jamais mis en question la néces
861
s ? Ils n’ont jamais mis en question la nécessité
de
leur genre de vie, et verraient une sorte d’inconvenance dans l’appro
862
jamais mis en question la nécessité de leur genre
de
vie, et verraient une sorte d’inconvenance dans l’approbation que je
863
sité de leur genre de vie, et verraient une sorte
d’
inconvenance dans l’approbation que je pourrais leur en témoigner. Bon
864
s des villes, toujours inquiets, toujours doutant
de
leurs raisons d’être et de leur actualité, de quêter chez autrui des
865
jours inquiets, toujours doutant de leurs raisons
d’
être et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, de
866
iets, toujours doutant de leurs raisons d’être et
de
leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, des flatteri
867
ant de leurs raisons d’être et de leur actualité,
de
quêter chez autrui des confirmations, des flatteries, toutes choses q
868
ries, toutes choses qui impliquent la possibilité
d’
un doute. Il n’y a d’aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de
869
ui impliquent la possibilité d’un doute. Il n’y a
d’
aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire : de droit divin, c’est e
870
d’aristocratie qu’inévitable. On pourrait dire :
de
droit divin, c’est encore à dire : du droit des choses telles que Die
871
choses telles que Dieu les a créées. Aristocratie
de
l’être et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste d
872
que Dieu les a créées. Aristocratie de l’être et
de
la fonction, non de la considération. Et tout le reste de l’Europe bo
873
es. Aristocratie de l’être et de la fonction, non
de
la considération. Et tout le reste de l’Europe bourgeoise fait nouvea
874
nction, non de la considération. Et tout le reste
de
l’Europe bourgeoise fait nouveau riche, en regard de cette seule clas
875
. Non, je ne peux rien voir dans la « féodalité »
de
ces junkers, qui soit plus répugnant pour notre humanité que tant de
876
ains » peu contestables : des rapports personnels
de
maître à serviteur, des rapports personnels de l’homme à la nature so
877
ls de maître à serviteur, des rapports personnels
de
l’homme à la nature sous toutes ses formes, animales, végétales, dome
878
e croiser dans la rue sans se connaître un patron
d’
usine et l’un de ses mécanos. Ou encore, quand le patron salue avec ce
879
a rue sans se connaître un patron d’usine et l’un
de
ses mécanos. Ou encore, quand le patron salue avec ce mélange de haut
880
Ou encore, quand le patron salue avec ce mélange
de
hauteur, de méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mél
881
quand le patron salue avec ce mélange de hauteur,
de
méfiance et de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crai
882
salue avec ce mélange de hauteur, de méfiance et
de
gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange de crainte, de colère
883
de gêne auquel répond chez l’inférieur un mélange
de
crainte, de colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pa
884
el répond chez l’inférieur un mélange de crainte,
de
colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pas scandalisé
885
z l’inférieur un mélange de crainte, de colère et
de
gêne guère moins ignoble. Mais je ne suis pas scandalisé quand le bur
886
le ? La question me paraît, au concret, dépourvue
de
sens. Mais au nom de la dignité humaine, je demande que les journalis
887
humaine, je demande que les journalistes cessent
de
déverser sur une classe qu’ils ne peuvent connaître une haine convent
888
nçaient récemment encore, dans un grand quotidien
de
Paris, ces junkers qui, d’après eux, constituent la fraction d’humani
889
junkers qui, d’après eux, constituent la fraction
d’
humanité la plus dangereuse pour la paix du monde. Quoi ! cette centai
890
euse pour la paix du monde. Quoi ! cette centaine
de
familles écartées du pouvoir dans leur propre patrie depuis la chute
891
u pouvoir dans leur propre patrie depuis la chute
de
Bismarck, coupées de tous liens politiques avec une Europe bourgeoise
892
ropre patrie depuis la chute de Bismarck, coupées
de
tous liens politiques avec une Europe bourgeoise, résignée à « laisse
893
te race désarmée qui ne subsiste que par la force
d’
une vertu sans égale, sans espoir —, péril pour le monde ! Fable énorm
894
Fable énorme et qui étonne de la part d’écrivains
d’
ordinaire consciencieux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant
895
d’écrivains d’ordinaire consciencieux. Les canons
de
Shanghai, qui rapportèrent tant d’argent aux propriétaires de la pres
896
ux. Les canons de Shanghai, qui rapportèrent tant
d’
argent aux propriétaires de la presse qui publie ces articles, me para
897
qui rapportèrent tant d’argent aux propriétaires
de
la presse qui publie ces articles, me paraissaient en ce temps-là plu
898
ient en ce temps-là plus inquiétants que le fusil
de
chasse de mes hôtes prussiens. Quant à savoir si cette classe justifi
899
temps-là plus inquiétants que le fusil de chasse
de
mes hôtes prussiens. Quant à savoir si cette classe justifie sa fonct
900
llectuels, les ouvriers, les exploités ont besoin
de
tels mythes. Mais au regard de la nature, cela n’a point de sens. Ou
901
thes. Mais au regard de la nature, cela n’a point
de
sens. Ou bien alors : cela désigne une nouvelle répartition des terr
902
ure du sol résoudra seule durablement. Les landes
de
la Prusse-Orientale sont très irrégulièrement fertiles ; seules les g
903
les grandes entreprises « tiennent le coup » lors
d’
une inondation ou d’une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres d
904
ses « tiennent le coup » lors d’une inondation ou
d’
une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres de Waldburg un villag
905
’une sécheresse partielle. J’ai vu sur les terres
de
Waldburg un village que le burgrave a de son propre chef « libéré ».
906
s terres de Waldburg un village que le burgrave a
de
son propre chef « libéré ». C’est de tous le plus misérable. Le morce
907
e burgrave a de son propre chef « libéré ». C’est
de
tous le plus misérable. Le morcellement des terres, le stade démocrat
908
us visiblement qu’ailleurs une utopie. Impossible
de
passer du latifundium au pavillon de banlieue. Au « majorat » succéde
909
. Impossible de passer du latifundium au pavillon
de
banlieue. Au « majorat » succédera sans doute un organisme du type de
910
nés par la guerre, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus
de
monnaie : cela n’a rien changé à l’organisation de leur vie sociale.
911
e monnaie : cela n’a rien changé à l’organisation
de
leur vie sociale. Ils vivent en paysans de leurs produits. Ils consom
912
sation de leur vie sociale. Ils vivent en paysans
de
leurs produits. Ils consomment fort peu d’idéologies importées. Les c
913
aysans de leurs produits. Ils consomment fort peu
d’
idéologies importées. Les cadets de famille, ceux qu’on envoyait à l’a
914
mment fort peu d’idéologies importées. Les cadets
de
famille, ceux qu’on envoyait à l’armée, font parfois de la politique
915
ille, ceux qu’on envoyait à l’armée, font parfois
de
la politique : Hitler essaie de les flatterb mais ne vainc pas souven
916
mée, font parfois de la politique : Hitler essaie
de
les flatterb mais ne vainc pas souvent leurs méfiances. Certains se s
917
ces. Certains se sont faits communistes, par goût
de
l’énergie peut-être. J’ai vu des membres d’un parti national-marxiste
918
goût de l’énergie peut-être. J’ai vu des membres
d’
un parti national-marxiste dont le rêve est de restaurer la Prusse du
919
res d’un parti national-marxiste dont le rêve est
de
restaurer la Prusse du grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Rac
920
urer la Prusse du grand Frédéric par les méthodes
de
Lénine… Race de colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe d
921
u grand Frédéric par les méthodes de Lénine… Race
de
colonisateurs, dominant sur ces marches de l’Europe depuis des siècle
922
… Race de colonisateurs, dominant sur ces marches
de
l’Europe depuis des siècles, mais séculairement menacés par l’Asie :
923
ils lui résistent par leur pauvreté. Les magnats
de
Hongrie sont déjà des pachas, et l’Occident ne peut rien en attendre,
924
l’Occident ne peut rien en attendre, qu’un corps
de
janissaires tout au plus. Mais ces hommes durs, silencieux, servants
925
e redoute encore, mais qui forge sa loi au secret
de
son désespoir… Bastions de l’Occident ? — Duquel ? Ou bien race liée
926
forge sa loi au secret de son désespoir… Bastions
de
l’Occident ? — Duquel ? Ou bien race liée au seul goût de sa puissanc
927
ident ? — Duquel ? Ou bien race liée au seul goût
de
sa puissance ? Il y a plus qu’un passé d’héroïsme dans ces châteaux p
928
ul goût de sa puissance ? Il y a plus qu’un passé
d’
héroïsme dans ces châteaux perdus, dans ce Waldburg gardien de quels s
929
ans ces châteaux perdus, dans ce Waldburg gardien
de
quels secrets longuement, lentement fortifiés… La nuit, les moustique
930
nt une rumeur dans l’obscurité profonde. Des cris
de
chouettes se poursuivent, s’éloignent, reprennent tout proches. Les é
931
nt agenouillés, aussi hauts que les jeunes arbres
de
la lande. Et la mer respire fort contre les grèves, soulagée de la pe
932
t la mer respire fort contre les grèves, soulagée
de
la pesante lumière. Mais dans cette chambre élevée du château, l’air
933
e mêler à celle des vieilles boiseries. Enveloppé
de
gaze je sors sur mon balcon, je me penche sur le parc incertain. Palp
934
la crête des forêts, une rougissante lueur avance
de
l’Occident vers l’Orient. 1927c. En 1945, tous les châteaux de la Pru
935
vers l’Orient. 1927c. En 1945, tous les châteaux
de
la Prusse-Orientale ont été rasés par les Russes, sous prétexte de co
936
ce crime, nul n’en ayant tiré profit. 11. Bras
de
mer intérieur qui s’avance jusqu’à Königsberg. 12. Je m’étonne d’avo
937
qui s’avance jusqu’à Königsberg. 12. Je m’étonne
d’
avoir commis moi-même une erreur moins pardonnable que celle que je dé
938
désigner qu’un propriétaire terrien, un hobereau
de
petite ou de nulle noblesse, pas un instant les grandes familles de l
939
un propriétaire terrien, un hobereau de petite ou
de
nulle noblesse, pas un instant les grandes familles de la « noblesse
940
lle noblesse, pas un instant les grandes familles
de
la « noblesse primitive » (Uradel) d’avant 1350 selon le Gotha. a. L
941
es familles de la « noblesse primitive » (Uradel)
d’
avant 1350 selon le Gotha. a. La version parue en 1968 dans le Journa
942
tha. a. La version parue en 1968 dans le Journal
d’
une époque, sur laquelle se fonde pour l’essentiel cette publication,
943
ine ainsi la phrase : « Cruauté franche est signe
de
santé, dirait Nietzsche ». Nous signalons l’écart, probablement une v
944
Nous signalons l’écart, probablement une volonté
de
l’auteur pour la présente édition. b. La version parue en 1968 dans
945
on. b. La version parue en 1968 dans le Journal
d’
une époque indique : « Le mouvement national-socialiste les flatte ».
946
Nous signalons l’écart, probablement une volonté
de
l’auteur pour la présente édition. c. La version parue en 1968 dans
947
ion. c. La version parue en 1968 dans le Journal
d’
une époque indique « 1926 ». Nous signalons l’écart, probablement une
948
Nous signalons l’écart, probablement une volonté
de
l’auteur pour la présente édition.
949
La tour
de
Hölderlin « Je lui ai raconté qu’il habite une chaumière au bord d’
950
nt des heures récite des odes grecques au murmure
de
l’eau ; la princesse de Homburg lui a fait cadeau d’un piano dont il
951
l’eau ; la princesse de Homburg lui a fait cadeau
d’
un piano dont il a coupé les cordes, mais pas toutes, en sorte que plu
952
ont il a cassé les cordes, c’est vraiment l’image
de
son âme ; j’ai voulu attirer là-dessus l’attention du médecin, mais i
953
’attention du médecin, mais il est plus difficile
de
se faire comprendre par un sot que par un fou. » L’hiver dernier, m’o
954
u. » L’hiver dernier, m’occupant assez longuement
d’
un des poètes auxquels notre temps doit vouer l’attention la plus grav
955
ion la plus grave — car il vécut dans ces marches
de
l’esprit humain qui confinent peut-être à l’Esprit et dont certains d
956
u tenter le climat, — j’avais rêvé sur ce passage
de
l’émouvante Bettina, rêvé sans doute assez profondément pour qu’aujou
957
nt un hasard… Hier, c’était la Pentecôte. La fête
de
la plus haute poésie. Mais dans ce siècle, où tant de voix l’appellen
958
où tant de voix l’appellent, combien sont dignes
de
s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue de feu qui s’est po
959
s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue
de
feu qui s’est posée sur Hölderlin et qui l’a consumé… Digne ? — Un ad
960
ui l’a consumé… Digne ? — Un adolescent au visage
de
jeune fille qui rimait sagement des odes à la liberté… Et voici dans
961
e premier, quand Hölderlin doit quitter la maison
de
Mme Gontard14, déchirement à peine sensible dans son œuvre. Car ce po
962
n œuvre. Car ce poète n’est peut-être que le lieu
de
sa poésie, — d’une poésie, l’on dirait, qui ne connaît pas son auteur
963
poète n’est peut-être que le lieu de sa poésie, —
d’
une poésie, l’on dirait, qui ne connaît pas son auteur. Qui parle par
964
ité presque effrayante. Vient le temps où le sens
de
son monologue entre terre et ciel lui échappe. Il jette encore quelqu
965
au moment où meurt Diotima, Hölderlin errant loin
d’
elle (dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé d’insolation ; s
966
ima, Hölderlin errant loin d’elle (dans la région
de
Bordeaux croit-on) est frappé d’insolation ; sa folie d’un coup l’env
967
(dans la région de Bordeaux croit-on) est frappé
d’
insolation ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillar
968
eaux croit-on) est frappé d’insolation ; sa folie
d’
un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillard qui reparaît en Allema
969
n ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte
de
vieillard qui reparaît en Allemagne. Et durant trente années, ce pauv
970
pauvre corps abandonné vivra dans la petite tour
de
Tubingue, chez un charpentier — vivra très doucement, inexplicablemen
971
rès doucement, inexplicablement, une vie monotone
de
vieux maniaque. Le buisson ardent quitté par le feu se dessèche. Ce q
972
ne aux visiteurs venus pour contempler la victime
d’
un miracle. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descend
973
ime d’un miracle. — C’était l’époque des amateurs
de
ruines. Je suis descendu au bord de l’eau, un peu au-dessous de la ma
974
peu au-dessous de la maison, en attendant l’heure
d’
ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite déco
975
endant l’heure d’ouverture. Il y a là une station
de
canots de louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à
976
eure d’ouverture. Il y a là une station de canots
de
louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’un
977
vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté
d’
un « Hypérion ». En cherchant, je trouverais bien aussi un « Nietzsche
978
vers l’eau lente. Sur l’autre rive qui est celle
d’
une longue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un roman jaun
979
à la main. L’un après l’autre, dans cette paresse
de
jour férié, les clochers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un
980
e, dans cette paresse de jour férié, les clochers
de
la ville sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille
981
chers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un
de
ces corridors de vieille maison souabe, hauts et sombres, qui paraîtr
982
sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors
de
vieille maison souabe, hauts et sombres, qui paraîtraient immenses s’
983
traient immenses s’ils n’étaient à demi encombrés
d’
armoires. Un couloir, la chambre. L’homme qui me conduit est le propri
984
? — (et comme je considère un ravissant médaillon
de
marbre) — Ça, c’est Diotima ». On rougirait à moins. — « Je ne puis p
985
. On rougirait à moins. — « Je ne puis pas parler
de
lui, ici à Francfort, écrivait Bettina, car aussitôt l’on se met à ra
986
menade, et le guide désigne familièrement l’image
d’
une femme par le nom qu’elle portait au mystère de l’amour. Trois peti
987
d’une femme par le nom qu’elle portait au mystère
de
l’amour. Trois petites fenêtres ornées de cactus miséreux, une pipe q
988
mystère de l’amour. Trois petites fenêtres ornées
de
cactus miséreux, une pipe qui traîne sur l’appui ; le jardinet avec s
989
Trente-sept ans dans cette chambre, avec le bruit
de
l’eau et cette complainte de malade épuisé après un grand accès de fi
990
ambre, avec le bruit de l’eau et cette complainte
de
malade épuisé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce mond
991
complainte de malade épuisé après un grand accès
de
fièvre… L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeune
992
uisé après un grand accès de fièvre… L’agrément
de
ce monde, je l’ai vécu. Les joies de la jeunesse, voilà si longtemps,
993
L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les joies
de
la jeunesse, voilà si longtemps, si longtemps qu’elles ont fui. Avril
994
en, je n’aime plus vivre. Il y avait encore plus
de
paix que maintenant. La grande allée sur l’île n’existait pas, en fac
995
s. Il voyait des prairies et des collines basses,
de
l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel est donc ce sommeil « dans
996
prairies et des collines basses, de l’autre côté
de
l’eau jaune et verte… Quel est donc ce sommeil « dans la nuit de la v
997
et verte… Quel est donc ce sommeil « dans la nuit
de
la vie » — et cet aveu mystérieux : « …la perfection n’a pas de plain
998
et cet aveu mystérieux : « …la perfection n’a pas
de
plainte… » Vivait-il encore ? Ce lieu soudain m’angoisse. Mais le gar
999
. Il ne vient pas tant de visiteurs, et seulement
de
2 à 4. Une rue étouffée entre des maisons pointues et les contreforts
1000
fée entre des maisons pointues et les contreforts
de
l’Église du Chapitre : je vois s’y engager chaque jour le fou au prof
1001
je vois s’y engager chaque jour le fou au profil
de
vieille femme qui promène doucement dans cette calme Tubingue le secr
1002
ène doucement dans cette calme Tubingue le secret
d’
une épouvantable mélancolie. Les étudiants le rencontrent, qui montent
1003
ui montent au Séminaire protestant : il leur fait
de
profondes révérences… La rumeur et le cliquetis d’une grande terrasse
1004
e profondes révérences… La rumeur et le cliquetis
d’
une grande terrasse de café au bord du Neckar, sous les marronniers. À
1005
… La rumeur et le cliquetis d’une grande terrasse
de
café au bord du Neckar, sous les marronniers. À quatre heures, l’orch
1006
mélodies charmantes, jazz et clarinette, chansons
de
mai. Les bateaux qui dérivent dans le voisinage se rapprochent, tourn
1007
ime pas les jeunes Doktors à lunettes, en costume
de
bain, qui pagayent vigoureusement, les dents serrées. « Weg zur Kraft
1008
pas bien ramer et qui lisent des magazines au fil
de
l’onde, au comble des vacances. D’une table voisine, des adolescents
1009
gazines au fil de l’onde, au comble des vacances.
D’
une table voisine, des adolescents balafrés font des signes énergiques
1010
lafrés font des signes énergiques à une compagnie
de
cavaliers qui passe sur le pont devant la statue d’Eberhard-en-Barbe.
1011
cavaliers qui passe sur le pont devant la statue
d’
Eberhard-en-Barbe. Des bourgeois se rient contre par-dessus leurs chop
1012
tout cela existe dans le même monde ? (Il est bon
de
poser parfois de ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vécu dans
1013
dans le même monde ? (Il est bon de poser parfois
de
ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vécu dans cette ville, tou
1014
t seuls… Et puis, il lui est arrivé quelque chose
de
terrible, où il a perdu son âme. Et puis il n’est revenu qu’un vieux
1015
out le monde s’accorde à trouver malsain ce genre
de
tentatives : cela ne peut que mal finir. Ceux du bon sens hochent la
1016
a tête et citent la phrase la plus malencontreuse
de
Pascal : le « Qui veut faire l’ange… » a autorisé des générations de
1017
i veut faire l’ange… » a autorisé des générations
de
bourgeois cultivés à faire la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la
1018
urgeois cultivés à faire la bête dès qu’il s’agit
de
l’âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air de je ne sais que
1019
la bête dès qu’il s’agit de l’âme. Dans la bouche
de
certains, cela prend l’air de je ne sais quelle revanche du médiocre
1020
âme. Dans la bouche de certains, cela prend l’air
de
je ne sais quelle revanche du médiocre dont ils se sentent bénéficiai
1021
mme cela on est mieux pour donner le coup de pied
de
l’âne… Écoutons plutôt Bettina — la vérité est plus humaine, est plus
1022
» O cette chambre, où pénètre la facilité atroce
de
la fin d’un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d
1023
chambre, où pénètre la facilité atroce de la fin
d’
un après-midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et d’eau… elle
1024
n d’un après-midi, ces musiquettes et ces parfums
de
fleurs et d’eau… elle est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un
1025
midi, ces musiquettes et ces parfums de fleurs et
d’
eau… elle est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux soi
1026
urs… Faut-il donc que l’un des deux soit absurde,
de
ces mondes à mes yeux soudain simultanés ?… Le tragique de la facilit
1027
ndes à mes yeux soudain simultanés ?… Le tragique
de
la facilité, c’est qu’elle n’est qu’un oubli. Et pourtant, comme elle
1028
à beau fixe. Pourquoi troubler le miroir innocent
de
ces eaux, ces âmes indulgentes à leur banalité ? Est-ce qu’ils ne sou
1029
our leur donne une petite fièvre, — cette semaine
de
leur jeunesse où ils ont cru pressentir de grandes choses généreuses
1030
emaine de leur jeunesse où ils ont cru pressentir
de
grandes choses généreuses autour d’eux… Cela s’oublie. Et l’amour, to
1031
ru pressentir de grandes choses généreuses autour
d’
eux… Cela s’oublie. Et l’amour, tout justement, nous fait comprendre,
1032
e : déjà je leur échappe — je t’échappe ô douceur
de
vivre ! Tout redevient autour de moi insuffisant, transitoire, allusi
1033
Petit journal
de
Souabe À la tombée d’une nuit froide, en avril, le voyageur descend
1034
Petit journal de Souabe À la tombée
d’
une nuit froide, en avril, le voyageur descend dans un vieux bourg de
1035
en avril, le voyageur descend dans un vieux bourg
de
Souabe, — quelques lumières au milieu d’une étroite vallée où le trai
1036
re, des forêts. Les rues sont vides jusqu’au cœur
de
la ville, où l’attend une ample demeure. Et maintenant le chien s’est
1037
le chien s’est tu ; des pas s’éloignent. Un trait
de
lumière sous la porte disparaît. Il aime sentir autour de lui vivre l
1038
i vivre la grande maisonnée, cet espace cloisonné
de
murailles respectables, plein de présences et d’absences, — la chambr
1039
espace cloisonné de murailles respectables, plein
de
présences et d’absences, — la chambre principale où une lampe arrose
1040
de murailles respectables, plein de présences et
d’
absences, — la chambre principale où une lampe arrose la pesante nappe
1041
ssins brodés, des verres, des coudes et des pipes
de
méditation, — des pièces vides où la Lune avance comme un chat sur le
1042
vers l’ombre il distingue les masses confortables
de
meubles volumineux, le poêle blanc à chapiteau rococo et ce lit énorm
1043
nfouit comme s’il était le sommeil même. Le bruit
de
la rivière et de l’écluse proche, — ce sera sa première habitude. 2
1044
était le sommeil même. Le bruit de la rivière et
de
l’écluse proche, — ce sera sa première habitude. 22 avril 1929 M
1045
argie en cet endroit, avant l’écluse qui la prend
de
biais sur la droite. Un nageur passe à travers les reflets jaunes, ro
1046
ts, des maisons à façades triangulaires. Couleurs
d’
un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets d’arbres ; plus près en
1047
à façades triangulaires. Couleurs d’un crépuscule
de
pluie. Plus près, des reflets d’arbres ; plus près encore, des nuages
1048
d’un crépuscule de pluie. Plus près, des reflets
d’
arbres ; plus près encore, des nuages troués de petits poissons. À gau
1049
ts d’arbres ; plus près encore, des nuages troués
de
petits poissons. À gauche je domine un pesant pont de pierre rougeâtr
1050
etits poissons. À gauche je domine un pesant pont
de
pierre rougeâtre, trois arches dont les piles s’avancent en éperons.
1051
s le parapet, une petite chapelle bossue, nourrie
de
poussière depuis le Moyen Âge, propose humblement son anachronisme de
1052
le Moyen Âge, propose humblement son anachronisme
de
plain-pied avec les passants, les voitures. (Ils l’aiment bien, — ne
1053
etite est jolie, très brune, avec un gros collier
de
verre bleu… Elle lève les yeux tout droit vers moi, une seconde, parl
1054
ent et s’en vont, et avant de disparaître au coin
d’
une maison jaune, se retournent. Ce petit monde enclos par le pont et
1055
vraiment mal ? 24 avril 1929 Les habitants
de
la maison me paraissent peu nombreux, mais sait-on d’où il peut en so
1056
a maison me paraissent peu nombreux, mais sait-on
d’
où il peut en sortir encore — sans compter les fantômes, probables ? L
1057
ation, partage sa vie entre la vente des articles
de
sport et les joies de l’esprit. Quand le négoce installé au rez-de-ch
1058
entre la vente des articles de sport et les joies
de
l’esprit. Quand le négoce installé au rez-de-chaussée de sa demeure p
1059
prit. Quand le négoce installé au rez-de-chaussée
de
sa demeure patricienne souffre par le fait des menées impérialistes d
1060
enne souffre par le fait des menées impérialistes
de
la France, il cherche une revanche sournoise et désintéressée dans l’
1061
vanche sournoise et désintéressée dans l’activité
d’
un jugement qui domine la médiocrité du monde. Le père Reinecke est un
1062
r où il me confiera quelques fragments du « livre
de
sa vie », dont il compose chaque matin deux pages à la machine. Il y
1063
ages à la machine. Il y juge du monde en général,
de
la religion, des mœurs, de l’histoire, et de ses voisins en particuli
1064
e du monde en général, de la religion, des mœurs,
de
l’histoire, et de ses voisins en particulier. La « Gnädige » fait ave
1065
ral, de la religion, des mœurs, de l’histoire, et
de
ses voisins en particulier. La « Gnädige » fait avec bonne humeur la
1066
r la meilleure cuisine possible au Wurtemberg, et
de
ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’un quatrain de bienvenue. Elle
1067
emberg, et de ces gâteaux compliqués qu’elle orne
d’
un quatrain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en
1068
ces gâteaux compliqués qu’elle orne d’un quatrain
de
bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive de rêver en vers. Chacun s
1069
ain de bienvenue. Elle me confie qu’il lui arrive
de
rêver en vers. Chacun son petit talent dans la famille. Le gros Fritz
1070
dans la famille. Le gros Fritz est un blond géant
de
25 ans, qui rit avec bonté et se distingue dans les concours de gymna
1071
rit avec bonté et se distingue dans les concours
de
gymnastes. La domestique a cet air de victime attristée que prennent
1072
es concours de gymnastes. La domestique a cet air
de
victime attristée que prennent souvent les servantes de la bourgeoisi
1073
time attristée que prennent souvent les servantes
de
la bourgeoisie. Quant au chien, de l’espèce dite « schnauzer », il mo
1074
les servantes de la bourgeoisie. Quant au chien,
de
l’espèce dite « schnauzer », il montre un poil de couleur neutre, et
1075
de l’espèce dite « schnauzer », il montre un poil
de
couleur neutre, et quelque bienveillance lorsqu’il a compris. Est-ce
1076
a compris. Est-ce tout ? Il y a encore l’absence
de
la fille, élément considérable dans l’atmosphère et dans l’économie d
1077
ière, et les galants qui passent sans avoir l’air
de
rien sur le pont Saint-Nikolaus sont bien capots de voir à sa fenêtre
1078
rien sur le pont Saint-Nikolaus sont bien capots
de
voir à sa fenêtre la silhouette de l’Étranger. On a laissé sa photo d
1079
nt bien capots de voir à sa fenêtre la silhouette
de
l’Étranger. On a laissé sa photo dans ma chambre, « pour que vous aye
1080
s font, pas trop tôt. 28 avril 1929 Ils ont
de
la peine à comprendre pourquoi je suis venu vivre dans ce bourg, chez
1081
en rond entre les collines, secrète sous un voile
de
brume bleue, dans une grande paix. Vue de la hauteur, sous un ciel pâ
1082
n voile de brume bleue, dans une grande paix. Vue
de
la hauteur, sous un ciel pâle avec des nuages blancs qui s’en vont. U
1083
ent froid, mais quelques douceurs aux abris, près
d’
une de ces maisons isolées où je ne l’amènerai jamais, à cette heure q
1084
oid, mais quelques douceurs aux abris, près d’une
de
ces maisons isolées où je ne l’amènerai jamais, à cette heure qui ser
1085
l’amènerai jamais, à cette heure qui serait celle
de
rentrer chez nous s’asseoir auprès d’un feu… — Mais non. 7 mai 192
1086
erait celle de rentrer chez nous s’asseoir auprès
d’
un feu… — Mais non. 7 mai 1929 « J’ai mes brouillards et mon bea
1087
de moi », remarque Pascal, asservi au seul climat
de
l’âme. Pour moi, c’est ma jeunesse et ma vieillesse que je porte ains
1088
lesse que je porte ainsi tour à tour. Entre l’âge
de
mes humeurs et le chiffre de mes années, « peu de liaison ». C’est à
1089
à tour. Entre l’âge de mes humeurs et le chiffre
de
mes années, « peu de liaison ». C’est à l’intimité de mon regard avec
1090
es années, « peu de liaison ». C’est à l’intimité
de
mon regard avec les choses que je mesure ma jeunesse : dans ces campa
1091
choisissant parfois pour y sommeiller une lisière
d’
où l’on voie de lointains horizons, puis de nouveau m’enfonçant au has
1092
fois pour y sommeiller une lisière d’où l’on voie
de
lointains horizons, puis de nouveau m’enfonçant au hasard dans la for
1093
ère montait vers la cime des arbres, aux lisières
d’
une forêt de Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clar
1094
vers la cime des arbres, aux lisières d’une forêt
de
Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient de clarté devant le
1095
Parsifal, et les plus hauts feuillages exultaient
de
clarté devant le ciel pâli. Tout vivait autour de moi dans une sorte
1096
el pâli. Tout vivait autour de moi dans une sorte
d’
ivresse lente et majestueuse, et bientôt je me pris à composer des phr
1097
attant, que poursuis-tu dans le mystère des orées
d’
ombre ? » Et l’on me répondait : « Ici, la jeune fille Aurore a surpri
1098
sous la futaie.) J’avançais à travers une nature
de
divagation. Les lisières sont des lieux de l’esprit où circulent des
1099
nature de divagation. Les lisières sont des lieux
de
l’esprit où circulent des bêtes nées du rêve. Et l’Archer vierge y co
1100
r vierge y court en vain sur la trace des figures
de
son désir. (« Oh ! qu’il garde ses flèches, il ne tuerait qu’un songe
1101
dis qu’ici j’écris, je me sens tout baigné encore
de
cette fièvre amoureuse ; et tout est mythe de nouveau. Mythes de l’om
1102
amoureuse ; et tout est mythe de nouveau. Mythes
de
l’ombre et des frontières, sortis de la forêt occidentale : je retrou
1103
veau. Mythes de l’ombre et des frontières, sortis
de
la forêt occidentale : je retrouve en eux mon enfance entourée de pré
1104
dentale : je retrouve en eux mon enfance entourée
de
présences obscures, mon enfance, cette foi anxieuse en je ne sais que
1105
lus là. —J’ai poursuivi longtemps le reflet rouge
de
ses yeux parmi les troncs qui luisaient, faiblement, vers le cœur pro
1106
e croyais m’enfoncer et me perdre dans le silence
d’
une mémoire bienheureuse. 17 mai 1929 Rentré hier de Tubingue. (
1107
moire bienheureuse. 17 mai 1929 Rentré hier
de
Tubingue. (La tour de Hölderlin.) Dès demain, discipline de travail.
1108
17 mai 1929 Rentré hier de Tubingue. (La tour
de
Hölderlin.) Dès demain, discipline de travail. Lire. 21 mai 1929
1109
e. (La tour de Hölderlin.) Dès demain, discipline
de
travail. Lire. 21 mai 1929 Matinées végétales, depuis trois jou
1110
e lève à 7 h, rassemble quelques papiers, un tome
de
Meister, un paquet de tabac, le tout dans une couverture sous mon bra
1111
e quelques papiers, un tome de Meister, un paquet
de
tabac, le tout dans une couverture sous mon bras. La ville s’éveille
1112
brûlantes au matin, dominant la ville, ses bruits
de
chars, ses cris d’enfants. Je traverse l’odeur des groseilliers, écar
1113
dominant la ville, ses bruits de chars, ses cris
d’
enfants. Je traverse l’odeur des groseilliers, écarte des ronces, et v
1114
liers, écarte des ronces, et voici sous une voûte
de
feuillage, la table de pierre et son banc en demi-cercle. L’air est e
1115
s, et voici sous une voûte de feuillage, la table
de
pierre et son banc en demi-cercle. L’air est encore humide dans cette
1116
cercle. L’air est encore humide dans cette grotte
d’
ombre. Sur le banc froid j’étale ma couverture, et mes papiers sur la
1117
urre une pipe. Et alors je ris, je ris du plaisir
de
la matinée vide devant moi. Merveille de penser au fil du désordre le
1118
plaisir de la matinée vide devant moi. Merveille
de
penser au fil du désordre lent de la vie d’un jardin, dans l’odeur de
1119
moi. Merveille de penser au fil du désordre lent
de
la vie d’un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre n
1120
eille de penser au fil du désordre lent de la vie
d’
un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes, de la terre noire, des
1121
d’un jardin, dans l’odeur des feuilles vivantes,
de
la terre noire, des mousses. Des fils d’araignée luisent et des brind
1122
ivantes, de la terre noire, des mousses. Des fils
d’
araignée luisent et des brindilles tombent sur mes mains, écorces, che
1123
nt sur mes mains, écorces, chenilles. Une bouffée
de
pipe enveloppe une guêpe qui rôde autour de ma tête. La volupté de te
1124
une guêpe qui rôde autour de ma tête. La volupté
de
telles heures consiste à n’écrire que quatre ou cinq phrases mais en
1125
que quatre ou cinq phrases mais en tenant compte
de
tout ce qui bouge. Il importe de s’arrêter longuement sous tous les p
1126
en tenant compte de tout ce qui bouge. Il importe
de
s’arrêter longuement sous tous les prétextes, de secouer sa pipe quan
1127
de s’arrêter longuement sous tous les prétextes,
de
secouer sa pipe quand les dernières bouffées deviennent écœurantes, d
1128
and les dernières bouffées deviennent écœurantes,
de
s’étirer alors et de considérer les flaques de soleil sur la table. J
1129
ffées deviennent écœurantes, de s’étirer alors et
de
considérer les flaques de soleil sur la table. Je somnole dans une mé
1130
s, de s’étirer alors et de considérer les flaques
de
soleil sur la table. Je somnole dans une méditation à la fois distrai
1131
es végétales, ces cheminements brisés et délicats
d’
insectes rampants ou volants, ces formes et ces voies qui sont celles
1132
avec tout le mobile et l’ineffable du monde. Cure
de
sommeil, de rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque
1133
mobile et l’ineffable du monde. Cure de sommeil,
de
rêves et de feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi
1134
’ineffable du monde. Cure de sommeil, de rêves et
de
feuillages — et trois heures de tennis chaque après-midi — cure vraim
1135
meil, de rêves et de feuillages — et trois heures
de
tennis chaque après-midi — cure vraiment : il s’agit de dissoudre ces
1136
nis chaque après-midi — cure vraiment : il s’agit
de
dissoudre ces angles droits, ces symétries minérales qu’on instruisit
1137
e répondent, se conviennent et soient signes l’un
de
l’autre. Dans le bonheur de cette matinée, la pensée s’abandonne à la
1138
et soient signes l’un de l’autre. Dans le bonheur
de
cette matinée, la pensée s’abandonne à la séduction des ramures, et v
1139
tinguer dans leur dessin des formes particulières
de
son activité. En même temps elle se peuple d’arbres, de germes lents,
1140
res de son activité. En même temps elle se peuple
d’
arbres, de germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à trave
1141
activité. En même temps elle se peuple d’arbres,
de
germes lents, de passages ailés. Le vent qui glisse à travers ce jard
1142
e temps elle se peuple d’arbres, de germes lents,
de
passages ailés. Le vent qui glisse à travers ce jardin éveille en ell
1143
te. Elle fraie des pistes délicates dans l’esprit
de
qui sait l’entendre, et celui-là peut-être, si plus tard il remonte j
1144
era des choses nouvelles dans l’espace. (Au poète
de
les nommer.) 22 mai 1929 (Après avoir relu ce que j’écrivais hi
1145
u ce que j’écrivais hier.) Il s’agirait, au fond,
d’
amener la pensée à la plus insistante vénération du réel. Tel serait l
1146
tante vénération du réel. Tel serait le fondement
d’
une morale des idées « par-delà le logique et l’absurde ». Ah bien ! j
1147
dans la tête et dans la peau toute cette matinée
d’
air, l’odeur de hautes tiges croissantes et de fourmis rouges. Dès 9 h
1148
t dans la peau toute cette matinée d’air, l’odeur
de
hautes tiges croissantes et de fourmis rouges. Dès 9 heures j’ai pu t
1149
née d’air, l’odeur de hautes tiges croissantes et
de
fourmis rouges. Dès 9 heures j’ai pu travailler en costume de bain. B
1150
ouges. Dès 9 heures j’ai pu travailler en costume
de
bain. Buffon préférait les manchettes et le jabot. C’est bien l’un de
1151
l’un des auteurs les plus constamment provoquants
de
son siècle, — il faudra s’y remettre. Mais ici je m’adonne aux seuls
1152
s romans modernes.) Le pasteur suédois et le mage
d’
Einsiedeln représentent assez bien à eux deux, par un hasard qui ne m’
1153
hasard qui ne m’étonne guère, ce double mouvement
de
matérialisation du spirituel et d’intellectualisation du physique qui
1154
uble mouvement de matérialisation du spirituel et
d’
intellectualisation du physique qui justement m’apparaît comme le thèm
1155
physique qui justement m’apparaît comme le thème
de
mes songeries souabes. Mettons un peu cela au net. Paracelse s’occupa
1156
Mettons un peu cela au net. Paracelse s’occupait
d’
extraire l’ens des corps, tandis que Swedenborg se complaît à décrire
1157
anges. L’un découvre l’univers dans chaque organe
de
la machine humaine. L’autre enseigne que chacun des anges est un miro
1158
ets que nous touchons, — ce mystique avec naturel
de
ce qui nous est invisible. Tous deux orientent la réflexion vers le s
1159
vers le symbole concret. N’est-ce point ce genre
de
démarche que notre « culture » a le plus méprisé ? N’est-ce point à c
1160
nt à cause de ce mépris qu’elle a perdu le secret
de
l’humain ? Car voici bien le monde qu’on nous a fait. Tout encombré d
1161
ci bien le monde qu’on nous a fait. Tout encombré
d’
idées sans corps, de corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si
1162
on nous a fait. Tout encombré d’idées sans corps,
de
corps stupides — de nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout
1163
encombré d’idées sans corps, de corps stupides —
de
nihilistes et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves e
1164
sans corps, de corps stupides — de nihilistes et
de
boxeurs, si vous voulez —, tout encombré de larves et de systèmes qui
1165
es et de boxeurs, si vous voulez —, tout encombré
de
larves et de systèmes qui ne correspondent à rien ni dans le ciel ni
1166
urs, si vous voulez —, tout encombré de larves et
de
systèmes qui ne correspondent à rien ni dans le ciel ni sur la terre.
1167
l’homme ? qu’est-ce donc que ce paradoxal mélange
de
chair et d’âme ? Paracelse et Swedenborg s’accorderaient, je le crois
1168
’est-ce donc que ce paradoxal mélange de chair et
d’
âme ? Paracelse et Swedenborg s’accorderaient, je le crois, pour répon
1169
rg, puisque leur tentation, leur nostalgie, c’est
de
revêtir un corps humain. Or, pour l’être situé en un tel lieu — le l
1170
êtres qui peuplent ces villes, là-bas, que le nom
d’
homme ne saurait plus les désigner sans fraude. Un bel assortiment de
1171
plus les désigner sans fraude. Un bel assortiment
de
monstres ! (J’ai lu le journal après dîner.) Et tous les accessoires
1172
le journal après dîner.) Et tous les accessoires
de
leurs démences, depuis les petites ailes dans le dos jusqu’au groin a
1173
au groin anti-gaz ! Ah ! Diogène, Diogène ! cesse
de
chercher un homme. Tâche plutôt d’en devenir un. — Parmi ces gens d’i
1174
iogène ! cesse de chercher un homme. Tâche plutôt
d’
en devenir un. — Parmi ces gens d’ici, qui prennent leur temps. Parmi
1175
asser pour abstraites ont au contraire le pouvoir
de
rendre à nos sens leur efficacité et leur étonnement. Je regarde les
1176
acité et leur étonnement. Je regarde les feuilles
de
ma salade d’un autre œil, depuis que je lis Paracelse, méditant avec
1177
étonnement. Je regarde les feuilles de ma salade
d’
un autre œil, depuis que je lis Paracelse, méditant avec appétit sur c
1178
ieu des correspondances, qui est le degré suprême
de
la signification. (L’état de l’âme et du corps où tout nous apparaît
1179
est le degré suprême de la signification. (L’état
de
l’âme et du corps où tout nous apparaît en relations concrètes.) 3
1180
.) 31 mai 1929 Personne n’a fabriqué autant
de
mots abstraits que les professeurs allemands, et cependant, par une a
1181
pparente contradiction, la mentalité du bourgeois
de
ce pays est puissamment réaliste. J’en trouve des marques bien curieu
1182
ie » du père Reinecke. Il y est beaucoup question
de
la vie éternelle, et d’expériences vécues avec l’Ange gardien, mais c
1183
l y est beaucoup question de la vie éternelle, et
d’
expériences vécues avec l’Ange gardien, mais c’est toujours en relatio
1184
Mes funérailles devront se dérouler dans le cadre
de
Jésus-Sirach, 38, verset 16-24. Qu’on mange et qu’on boive ferme aprè
1185
lésine pas. Il restera toujours assez, à l’époque
de
ma mort, pour supporter ces frais ; à tout le moins les mille marks q
1186
tout le moins les mille marks que paie la Caisse
de
décès y suffiront. Il faut que chacun des participants s’en retourne
1187
rrement ! » Et de même, ceux qui auront pris soin
de
moi au moment de ma mort et tôt après devront être largement dédommag
1188
l ne sait si je ne flotterai pas encore au-dessus
de
vous, et si je n’éprouverai pas de l’amertume à voir que mes derniers
1189
core au-dessus de vous, et si je n’éprouverai pas
de
l’amertume à voir que mes derniers désirs mêmes ne sont pas accomplis
1190
owatts. Je veux être mis en bière dans mes habits
de
tous les jours, et peu importe si les coudes ou le fond de mon pantal
1191
es jours, et peu importe si les coudes ou le fond
de
mon pantalon brillent. En aucun cas je ne veux être emballé dans une
1192
un cas je ne veux être emballé dans une serviette
de
papier. Je renonce aux couronnes mortuaires et à toute autre marque e
1193
nes mortuaires et à toute autre marque extérieure
de
deuil ; par contre je voudrais que l’on joue sur ma tombe : « Schon d
1194
uin 1929 Tennis avec la jolie fille au collier
de
perles bleues. Après la partie, où l’on s’est renvoyé autant de regar
1195
es. Après la partie, où l’on s’est renvoyé autant
de
regards que de balles : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre
1196
rtie, où l’on s’est renvoyé autant de regards que
de
balles : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre de mon amie, vo
1197
es : — « Je vous ai bien vu, un jour à la fenêtre
de
mon amie, vous étiez si melancholisch ! » — « À ma fenêtre ? Je ne m’
1198
ouviens pas », dis-je, mentant. Une grosse averse
d’
orage nous a fait fuir sous la tonnelle du vestiaire. « N’est-ce pas,
1199
pense : comme elles sont tout de suite en fuite,
de
tout leur maintien, quand elles ne sont pas provocantes). Elle baisse
1200
le baisse les yeux, rougit, respire. Elle a l’air
de
se moquer de moi et d’avoir subi une sorte d’affront, en même temps.
1201
yeux, rougit, respire. Elle a l’air de se moquer
de
moi et d’avoir subi une sorte d’affront, en même temps. — « Ne regard
1202
git, respire. Elle a l’air de se moquer de moi et
d’
avoir subi une sorte d’affront, en même temps. — « Ne regardez donc pa
1203
air de se moquer de moi et d’avoir subi une sorte
d’
affront, en même temps. — « Ne regardez donc pas mes mains, je dois fa
1204
les ongles… ». Elle voudrait ressembler aux girls
de
son magazine, et me voit comme au cinéma. Moi, je crois entendre Gret
1205
qui nous rapproche sous la forme, respectivement,
d’
une carte postale et d’une réminiscence littéraire. Ses deux sœurs son
1206
la forme, respectivement, d’une carte postale et
d’
une réminiscence littéraire. Ses deux sœurs sont venues la chercher, e
1207
me parapluie, jusqu’à leur petite maison couverte
de
roses Crimson. Le père est un colonel en retraite qui déteste les Fra
1208
te qui déteste les Franzosen. On ne me permet pas
d’
entrer. 11 juin 1929 Au rebours des classiques français, livrés
1209
ndément « populaire ». Non seulement l’aubergiste
d’
en face cite ses vers en guise de proverbes à propos du temps ou des a
1210
emps ou des affaires locales ; mais les bourgeois
de
Meister parlent exactement comme mes hôtes, avec les mêmes tours fami
1211
sentencieux, qu’il s’agisse des choses du ciel ou
de
l’ordonnance du ménage. Une fois de plus, je m’émerveille du réalisme
1212
ge. Une fois de plus, je m’émerveille du réalisme
de
ce peuple de rêveurs. Dans les Affinités électives, au moment le plus
1213
de plus, je m’émerveille du réalisme de ce peuple
de
rêveurs. Dans les Affinités électives, au moment le plus dramatique,
1214
és électives, au moment le plus dramatique, celui
de
la noyade pendant le feu d’artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va
1215
lus dramatique, celui de la noyade pendant le feu
d’
artifice, souvenez-vous de la comtesse. Va-t-elle apostropher le desti
1216
a noyade pendant le feu d’artifice, souvenez-vous
de
la comtesse. Va-t-elle apostropher le destin ou pousser de beaux cris
1217
tesse. Va-t-elle apostropher le destin ou pousser
de
beaux cris raciniens ? Elle envoie le capitaine au château puis songe
1218
aine au château puis songe qu’il a oublié la clef
de
l’armoire aux confitures. (Je crois qu’il y a dans cette armoire un c
1219
diqué en l’occurrence.) Ainsi vivait l’Allemagne
d’
hier — celle de cette province encore — dans l’intimité vivante de ses
1220
rrence.) Ainsi vivait l’Allemagne d’hier — celle
de
cette province encore — dans l’intimité vivante de ses classiques. De
1221
e cette province encore — dans l’intimité vivante
de
ses classiques. De là peut-être cette dignité conférée à la vie bourg
1222
core — dans l’intimité vivante de ses classiques.
De
là peut-être cette dignité conférée à la vie bourgeoise, qui fait un
1223
unesse. Il m’y ramène par un tour moins imprudent
de
la réflexion, avec ce même « réalisme » exemplaire, que tout, ici, co
1224
it laisser aucun doute, fussions-nous même privés
de
certains témoignages oraux ou de quelques textes irréfutables. Cepend
1225
nous même privés de certains témoignages oraux ou
de
quelques textes irréfutables. Cependant il possède à un si haut degré
1226
. Cependant il possède à un si haut degré le sens
de
l’enrobement des vérités occultes, de leur symbolisme concret, de leu
1227
gré le sens de l’enrobement des vérités occultes,
de
leur symbolisme concret, de leur incarnation, qu’il est possible de l
1228
des vérités occultes, de leur symbolisme concret,
de
leur incarnation, qu’il est possible de lire les Affinités « sans y r
1229
concret, de leur incarnation, qu’il est possible
de
lire les Affinités « sans y rien voir », comme on dit15. Mais lorsqu’
1230
ain — quelle prise ! Et combien j’aime le paysage
de
cette œuvre, son climat, jusqu’aux détails de l’intendance des domain
1231
age de cette œuvre, son climat, jusqu’aux détails
de
l’intendance des domaines. Là, toute démarche de la pensée s’accorde
1232
de l’intendance des domaines. Là, toute démarche
de
la pensée s’accorde à des pentes variées et réelles, aux collines thu
1233
nnes sous un très grand ciel doux. Une atmosphère
de
réflexion confiante et substantielle… Qu’irai-je demander d’autre à c
1234
n confiante et substantielle… Qu’irai-je demander
d’
autre à cette « Germanie aimée16 » ? Ah ! les livres nous avaient bien
1235
s livres nous avaient bien trompés. Pas trace ici
de
« merveilleux ». Tout ce qui, sous d’autres climats, fait effervescen
1236
rais-je un jour décrire ma Souabe : comme un état
de
l’âme patiente. Une pensée sensuelle et lente, et qui jouit parfois d
1237
e pensée sensuelle et lente, et qui jouit parfois
de
son objet… 13 juin 1929 Werther. J’ai mis des feuilles de buva
1238
13 juin 1929 Werther. J’ai mis des feuilles
de
buvard entre les pages, à cause de toutes ces larmes. Maintenant, par
1239
mes. Maintenant, parlez-moi du modernisme éternel
de
cette plainte. — Des Werthers aux yeux secs, voilà ce que nous sommes
1240
épassent, et parfois un œil égrillard. Impossible
de
lire Meister ce soir. Je ne sais pas ce qu’il y a, sinon que je dois
1241
, sinon que je dois retenir violemment une espèce
de
joie qui attrape la fièvre dans mon corps. Toute cette journée baigné
1242
ièvre dans mon corps. Toute cette journée baignée
de
l’air des collines, il semble que mon sang ce soir la comprenne et lu
1243
ne maison isolée, la plus secrète dans les arbres
de
son verger… pour… ? Le sais-je même ? La fille au collier bleu… Tout
1244
Le sais-je même ? La fille au collier bleu… Tout
d’
un coup le sommeil me vide les jambes. La nuit se ferme à l’imaginatio
1245
pincer le nerf Réalité avec un sourd gémissement
de
la pensée. J’ai vu la vie, c’est fini, je rentre en moi ; n’ai pas bo
1246
ai pas bougé. Le père Reinecke ferme son magazine
d’
un coup, ôte ses lunettes, me regarde avec des yeux écarquillés. « Mai
1247
voulons aller dormir. Ainsi, dormez bien, faites
de
doux rêves, — il cligne vers son magazine — pas trop doux, hein !… »
1248
doit être ainsi : parfaitement compréhensible et
d’
une vulgarité toute naturelle. Il faut aller dormir. Rose de Tannen
1249
e de Tannenbourg L’esplanade du Brühl, un soir
de
fête, en juin. Il y a dans les marronniers noirs des lampions et des
1250
les marronniers noirs des lampions et des touffes
de
gamins qui regardent avec la bouche ce qui se passe à l’intérieur d’u
1251
dent avec la bouche ce qui se passe à l’intérieur
d’
une enceinte de toiles tendues au-devant d’un petit théâtre. La rampe
1252
uche ce qui se passe à l’intérieur d’une enceinte
de
toiles tendues au-devant d’un petit théâtre. La rampe a des feux stel
1253
érieur d’une enceinte de toiles tendues au-devant
d’
un petit théâtre. La rampe a des feux stellaires, couleur d’Aldébaran.
1254
théâtre. La rampe a des feux stellaires, couleur
d’
Aldébaran. On joue Rose de Tannenbourg, drame en 15 tableaux, un prolo
1255
arton des armures sonne sourdement sous les coups
d’
un Kühnrich à la basse rugissante, plus traître que nature avec sa lar
1256
e avec sa large face mangée par une barbe en crin
de
cheval du diable. L’héroïne est belle comme une ballade de Bürger, ta
1257
du diable. L’héroïne est belle comme une ballade
de
Bürger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil de la prison pat
1258
omme une ballade de Bürger, tandis qu’elle arrose
de
ses larmes le seuil de la prison paternelle, tout en coulant un clin
1259
ger, tandis qu’elle arrose de ses larmes le seuil
de
la prison paternelle, tout en coulant un clin d’œil assassin vers le
1260
ant un clin d’œil assassin vers le parterre agité
de
passions contradictoires. Durant les entractes, une fanfare de paysan
1261
ontradictoires. Durant les entractes, une fanfare
de
paysans bleu de roi joue sur un rythme impeccable, avec toujours les
1262
Durant les entractes, une fanfare de paysans bleu
de
roi joue sur un rythme impeccable, avec toujours les mêmes notes fêlé
1263
es fêlées et l’accompagnement dans les feuillages
de
voix fausses mais aériennes, des chansons du Grand Duché de Bade qui
1264
usses mais aériennes, des chansons du Grand Duché
de
Bade qui sont ce que je connais de plus indiciblement nostalgique. U
1265
nuit est chaude sur les collines. Un grand verre
de
bière à l’auberge déserte, ma pipe et mon chien qui bougonne. La peti
1266
ué son collier à mon poignet : « pour que je rêve
d’
elle ». Son sérieux enfantin devant la vie. « Es ist doch Schicksal, e
1267
et cela signifie d’ailleurs qu’il n’y a pas lieu
de
résister. 22 juin 1929 Rencontre avec la jeune fille tzigane.
1268
rai-je ici comme un rêve ? ou comme quelque chose
de
bien vrai et qui s’est passé cette nuit ? Plusieurs choses sont douce
1269
ette nuit ? Plusieurs choses sont douces au désir
de
celui qui marche dans une campagne nocturne. Mais plus douce que tout
1270
toutes choses est la rencontre sous un arbre noir
d’
une femme abandonnée dans sa tristesse. Par moments il y a la Lune et
1271
se. Par moments il y a la Lune et le visage blanc
de
la femme debout contre le tronc. (Pour moi je demeure dans l’ombre.)
1272
les yeux clos. L’arbre, en sa nuit vivante, rêve
de
nous. Plus tard, nous nous sommes regardés sans fin. (Ah ! comment di
1273
Je reconnus la jeune fille tzigane, ma Rose noire
de
Tannenbourg. La lumière délirait doucement, au sein du silence et du
1274
egard. Et nous sommes demeurés des heures au-delà
de
ce que l’on ignore d’un être, dans le domaine sans frontière où l’on
1275
demeurés des heures au-delà de ce que l’on ignore
d’
un être, dans le domaine sans frontière où l’on connaît profondément.
1276
ntière où l’on connaît profondément. Par les yeux
d’
une femme étrangère, mes yeux possédaient sans mesure tout ce que l’an
1277
eux possédaient sans mesure tout ce que l’anxiété
de
la vie nous dérobe : la nudité, la plénitude et la violence infinimen
1278
ce infiniment comblée. Oui, j’ai su que l’échange
de
deux regards est infini, est indéfiniment grandiose et musical. Ainsi
1279
che. Maintenant la journée commence, avec les pas
de
la servante au corridor.) 30 juin 1929 Hier soir sur la route d
1280
enade d’après dîner avec mes hôtes, nous parlions
de
prémonitions, et je venais de raconter comment parfois j’ai su qui m’
1281
ment parfois j’ai su qui m’attendait à la lisière
de
cette forêt tel soir d’été, quel sujet d’examen venait de m’être rése
1282
m’attendait à la lisière de cette forêt tel soir
d’
été, quel sujet d’examen venait de m’être réservé, ou quelles lettres
1283
lisière de cette forêt tel soir d’été, quel sujet
d’
examen venait de m’être réservé, ou quelles lettres j’allais recevoir
1284
pieds dans le bourg, et le père Reinecke refusait
de
croire à mes histoires. Soudain j’ai dit : « Voilà que ça me prend, t
1285
ent ! Attendez que je vous dise… Sur mon assiette
de
petit déjeuner, demain matin, il y a une grande enveloppe jaune, une
1286
lair, et une plus petite enveloppe blanche bordée
de
noir. » (Sentiment de certitude tranquille, ces objets vus dans une l
1287
te enveloppe blanche bordée de noir. » (Sentiment
de
certitude tranquille, ces objets vus dans une lumière sobre et mate.)
1288
ès nettement perçus, mais rien de plus, donc rien
d’
utilisable éventuellement. Ce matin, en trouvant les trois lettres sur
1289
siette, j’ai dit : « C’est bien cela », sans plus
d’
étonnement que les autres fois. Le père Reinecke, survenu peu après, n
1290
que je savais qui allait m’écrire, et que j’avais
d’
assez bonnes chances de deviner juste. Mais je n’ai rien deviné du tou
1291
t m’écrire, et que j’avais d’assez bonnes chances
de
deviner juste. Mais je n’ai rien deviné du tout, puisque j’ai vu ! C’
1292
u tout, puisque j’ai vu ! C’est là tout l’intérêt
de
l’affaire : cette perception soudaine, ce regard par mégarde sur un p
1293
» dans le temps. Les trois lettres sont timbrées
d’
hier, deux à Genève dans la matinée, une à Neuchâtel à sept heures du
1294
hâtel à sept heures du soir. Celle qui est bordée
de
noir est d’un ami aîné qui mentionne en passant la mort de sa belle-m
1295
heures du soir. Celle qui est bordée de noir est
d’
un ami aîné qui mentionne en passant la mort de sa belle-mère, survenu
1296
st d’un ami aîné qui mentionne en passant la mort
de
sa belle-mère, survenue il y a quelques jours. La lettre bleue est de
1297
rvenue il y a quelques jours. La lettre bleue est
de
Pierre Girard, personnage imprévisible s’il en fut, et je n’avais auc
1298
évisible s’il en fut, et je n’avais aucune raison
d’
attendre qu’il m’écrive. Quant à l’enveloppe jaune, elle contenait un
1299
enait un article où l’on revient sur mon pamphlet
de
l’hiver dernier17. Lorsque j’ai vu ces enveloppes hier soir, un peu a
1300
soir, un peu après neuf heures, sans rien deviner
de
leur contenu que je ne pouvais voir à travers l’enveloppe, ni de leur
1301
que je ne pouvais voir à travers l’enveloppe, ni
de
leur expéditeur (je n’ai pas vu l’écriture des adresses), elles roula
1302
dre effet ni sur leur rédaction, ni sur le moment
de
leur arrivée, ni sur ma conduite : la vision n’a « servi » exactement
1303
vi » exactement à rien. (Était-ce là sa condition
de
possibilité ?) Mais elle m’est signe d’un certain état d’accueil aux
1304
condition de possibilité ?) Mais elle m’est signe
d’
un certain état d’accueil aux choses, d’une rupture des enchaînements
1305
bilité ?) Mais elle m’est signe d’un certain état
d’
accueil aux choses, d’une rupture des enchaînements utiles, d’une dist
1306
est signe d’un certain état d’accueil aux choses,
d’
une rupture des enchaînements utiles, d’une distraction des évidences
1307
x choses, d’une rupture des enchaînements utiles,
d’
une distraction des évidences rationnelles, à la faveur de quoi c’est
1308
straction des évidences rationnelles, à la faveur
de
quoi c’est la « vraie vie » qui se laissera peut-être approcher. D
1309
e » qui se laissera peut-être approcher. Début
de
juillet 1929 « Écrivez donc une nouvelle allemande pleine de myoso
1310
9 « Écrivez donc une nouvelle allemande pleine
de
myosotis, de Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de c
1311
z donc une nouvelle allemande pleine de myosotis,
de
Gérard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la
1312
llemande pleine de myosotis, de Gérard de Nerval,
de
victoria égarée dans la forêt, de chasseur à la redingote verte, de j
1313
rard de Nerval, de victoria égarée dans la forêt,
de
chasseur à la redingote verte, de jeunes filles qui jouent du violon
1314
dans la forêt, de chasseur à la redingote verte,
de
jeunes filles qui jouent du violon dans les champs de myrtilles et d’
1315
eunes filles qui jouent du violon dans les champs
de
myrtilles et d’impératrices qui prient dans des chapelles envahies pa
1316
jouent du violon dans les champs de myrtilles et
d’
impératrices qui prient dans des chapelles envahies par les sapins. »
1317
elles envahies par les sapins. » C’est une lettre
de
l’auteur de la Rose de Thuringe, Pierre Girard. J’ai répondu : « Je n
1318
es par les sapins. » C’est une lettre de l’auteur
de
la Rose de Thuringe, Pierre Girard. J’ai répondu : « Je ne sais pas s
1319
sais pas si vous avez connu ce contentement large
de
tout l’être devant un verre de vin allemand que l’on boit à petites g
1320
contentement large de tout l’être devant un verre
de
vin allemand que l’on boit à petites gorgées, entre des bouffées de p
1321
e l’on boit à petites gorgées, entre des bouffées
de
pipe, à l’auberge. Le charme se compose de voluptés du goût et de l’o
1322
uffées de pipe, à l’auberge. Le charme se compose
de
voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissan
1323
erge. Le charme se compose de voluptés du goût et
de
l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se c
1324
me se compose de voluptés du goût et de l’odorat,
de
lenteur et d’une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans
1325
de voluptés du goût et de l’odorat, de lenteur et
d’
une certaine puissance de l’esprit qui se concentre dans un désir ou d
1326
l’odorat, de lenteur et d’une certaine puissance
de
l’esprit qui se concentre dans un désir ou dans un rêve. Le vin de So
1327
e concentre dans un désir ou dans un rêve. Le vin
de
Souabe grise insensiblement, c’est plutôt qu’une fièvre une jubilatio
1328
bonhomme qui commence par le cœur et se contente
de
ralentir doucement les idées. C’est un attendrissement plein de force
1329
ucement les idées. C’est un attendrissement plein
de
force et de dignité. Alors si l’on est quelques-uns, on se met à chan
1330
idées. C’est un attendrissement plein de force et
de
dignité. Alors si l’on est quelques-uns, on se met à chanter des chos
1331
l y a de plus pur dans la nature et toutes sortes
de
sensualités et de gourmandises qui s’éveillent, en sont comme sanctif
1332
dans la nature et toutes sortes de sensualités et
de
gourmandises qui s’éveillent, en sont comme sanctifiées. Mais c’est l
1333
, en sont comme sanctifiées. Mais c’est le moment
d’
entamer le jambon et les cornichons que dépose sur la table une servan
1334
ueuse des plaisirs des hommes, et peut-être aussi
de
leurs familiarités. » J’étais attablé ce soir-là dans l’Auberge du Ce
1335
qu’apportent dans leurs démonstrations les chiens
de
tous les pays). Au bout d’un certain temps, et sans doute à cause de
1336
temps, et sans doute à cause de ce que je venais
d’
écrire, la faim me prit et je demandai une paire de saucisses croquant
1337
’écrire, la faim me prit et je demandai une paire
de
saucisses croquantes et de la moutarde douce. Le journal local m’avai
1338
je demandai une paire de saucisses croquantes et
de
la moutarde douce. Le journal local m’avait apporté cette ration de b
1339
ce. Le journal local m’avait apporté cette ration
de
bouleversements, locaux aussi à leur manière, et très éloignés, qui c
1340
t se poser devant moi. La servante à l’autre coin
de
la pièce brodait, baillait, se sentait seule aussi. Ah ! pensai-je —
1341
j’écris ici, c’était alors une soudaine virulence
de
ma pensée, un élan contenu de certitude et de tendre lucidité, — je s
1342
soudaine virulence de ma pensée, un élan contenu
de
certitude et de tendre lucidité, — je sais pourquoi je puis rester da
1343
nce de ma pensée, un élan contenu de certitude et
de
tendre lucidité, — je sais pourquoi je puis rester dans cette Souabe
1344
me félicite sur ma bonne mine, résultat selon lui
de
l’excellente cuisine que nous sert la Gnädige. Je n’aurais plus l’air
1345
icitons l’hôtesse. Au reste il s’agit bel et bien
d’
une question de nourriture, — la question fondamentale, et non point s
1346
se. Au reste il s’agit bel et bien d’une question
de
nourriture, — la question fondamentale, et non point seulement pour l
1347
e corps. J’ai pensé aux gens des villes, au décor
de
leur « vie ». J’ai vu clairement qu’ils sont en péril d’inanition spi
1348
« vie ». J’ai vu clairement qu’ils sont en péril
d’
inanition spirituelle. Ils ne dorment plus assez pour se rendre compte
1349
. Ils ne dorment plus assez pour se rendre compte
de
la décadence de leurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’
1350
plus assez pour se rendre compte de la décadence
de
leurs rêves et des possessions en rêve — ce signal d’alarme —, et l’a
1351
eurs rêves et des possessions en rêve — ce signal
d’
alarme —, et l’amour qu’ils essaient encore le samedi soir n’est plus
1352
corps dans l’onde apaisée du souvenir. Sois riche
d’
avoir ce que tu es, comme ils sont pauvres de n’avoir que ce qu’ils on
1353
iche d’avoir ce que tu es, comme ils sont pauvres
de
n’avoir que ce qu’ils ont. 19 juillet 1929 Ces mois de Souabe m
1354
que ce qu’ils ont. 19 juillet 1929 Ces mois
de
Souabe m’apparaissent de plus en plus comme une retraite sensuelle. N
1355
plus comme une retraite sensuelle. N’est-ce point
de
cela que l’homme des villes a besoin de nos jours ? On parle toujours
1356
-ce point de cela que l’homme des villes a besoin
de
nos jours ? On parle toujours de son appétit de plaisir. C’est un cli
1357
villes a besoin de nos jours ? On parle toujours
de
son appétit de plaisir. C’est un cliché d’un autre âge, et trompeur.
1358
n de nos jours ? On parle toujours de son appétit
de
plaisir. C’est un cliché d’un autre âge, et trompeur. Car l’argent n’
1359
ujours de son appétit de plaisir. C’est un cliché
d’
un autre âge, et trompeur. Car l’argent n’est pas le plaisir et ne s’o
1360
humaine et sans but divin. C’est pourquoi l’usage
d’
une sensualité consciente redevient une conquête de la sagesse. Fin j
1361
’une sensualité consciente redevient une conquête
de
la sagesse. Fin juillet. Promenades sous la pluie, à la tombée du jo
1362
es désirs qu’auparavant il dédiait à quelque amie
de
haut parage spirituel. Le corps même y trouve sa part, car l’inventio
1363
s en conversant avec les pensées et les êtres nés
de
la marche et du bonheur de respirer. Combien j’aime ces ciels bas et
1364
nsées et les êtres nés de la marche et du bonheur
de
respirer. Combien j’aime ces ciels bas et traînants. Le beau temps n’
1365
’il figure le contraire du « mauvais ». Les jours
de
pluie dans les campagnes ont un charme consolant et secret qui favori
1366
e intérieure. Longues randonnées sur les plateaux
de
la Souabe, vous resterez pour moi comme une introduction à la vie len
1367
us grands spectacles naturels sont des spectacles
de
lenteur ou d’immobilité dans le mouvement. Et c’est par là qu’ils pa
1368
tacles naturels sont des spectacles de lenteur ou
d’
immobilité dans le mouvement. Et c’est par là qu’ils parlent à notre
1369
9 Vraiment la rapidité ne saurait être le fait
d’
un esprit incarné, mais seulement de son imagination pervertie. Les ef
1370
être le fait d’un esprit incarné, mais seulement
de
son imagination pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine de l
1371
eulement de son imagination pervertie. Les effets
de
vitesse sont du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber
1372
pervertie. Les effets de vitesse sont du domaine
de
la matière abandonnée à sa manie de tomber. Dès que l’esprit entre da
1373
nt du domaine de la matière abandonnée à sa manie
de
tomber. Dès que l’esprit entre dans le jeu, il provoque des lenteurs
1374
s le jeu, il provoque des lenteurs et des retards
d’
où naissent le désir et la conscience. De là des pertes de temps ; mai
1375
retards d’où naissent le désir et la conscience.
De
là des pertes de temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’
1376
ssent le désir et la conscience. De là des pertes
de
temps ; mais de là aussi les inventions destinées d’abord à les combl
1377
t la conscience. De là des pertes de temps ; mais
de
là aussi les inventions destinées d’abord à les combler et qui toujou
1378
les combler et qui toujours dépassent le but. Et
de
la sorte, une ère de vitesse est une ère où la matière l’emporte. Pro
1379
oujours dépassent le but. Et de la sorte, une ère
de
vitesse est une ère où la matière l’emporte. Provisoirement ; car il
1380
’emporte. Provisoirement ; car il se produit ceci
d’
étrange que la matière à certaines très grandes vitesses commence à se
1381
e. C’est ainsi que dans le monde spirituel, l’ère
de
la vitesse préparerait l’ère des Illuminés… L’extrême tension de l’es
1382
réparerait l’ère des Illuminés… L’extrême tension
de
l’esprit peut aboutir à des matérialisations, cependant que l’extrême
1383
matérialisations, cependant que l’extrême tension
de
la matière explose en subtilité. Double mouvement dont l’axe se nomme
1384
oit arriver vers huit heures. J’ai d’abord essayé
de
me confiner dans cette petite édition cartonnée d’Andersen, mais sans
1385
e me confiner dans cette petite édition cartonnée
d’
Andersen, mais sans cesse des hommes entrent, cherchent une place, ouv
1386
moment. Ce train paraît destiné à la réquisition
de
l’élément minable des populations qu’il traverse. À chaque station no
1387
se. À chaque station nous débarquons un peu moins
de
paysans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ouvriers, cas
1388
tation nous débarquons un peu moins de paysans et
de
paniers ventrus, embarquons un peu plus d’ouvriers, casquettes et bou
1389
ans et de paniers ventrus, embarquons un peu plus
d’
ouvriers, casquettes et bouts de cigares. Des ouvrières aussi, au rega
1390
quons un peu plus d’ouvriers, casquettes et bouts
de
cigares. Des ouvrières aussi, au regard irrité. Deux d’entre elles on
1391
u regard irrité. Deux d’entre elles ont fait mine
de
s’asseoir, en face et à côté de moi, mais je n’ai pas retiré ma valis
1392
se sont assises plus loin en maugréant. La misère
de
tous ces regards me paralyse. Comment répondre à leur hostilité, comm
1393
accueillir avec un cœur viril et bon le spectacle
de
ces corps amaigris, énervés ? Un cœur viril et bon comme celui d’Ande
1394
igris, énervés ? Un cœur viril et bon comme celui
d’
Andersen, un tel cœur ne se fermerait pas devant la haine qui sourd de
1395
œur ne se fermerait pas devant la haine qui sourd
de
tant d’anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage cont
1396
e fermerait pas devant la haine qui sourd de tant
d’
anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair de voyage contre leurs
1397
d’anxiétés. J’aimerais échanger mon costume clair
de
voyage contre leurs vêtements et leur casquette, me prouver que vraim
1398
asquette, me prouver que vraiment je n’aurais pas
d’
envie… Nouvel arrêt. Mais cette fois c’est une fée qui monte, une gran
1399
de jeune fille nette aux yeux bleu-vert, au teint
de
princesse d’Andersen. Oh ! qu’elle vienne s’asseoir ici ! Mais je n’o
1400
op choisir, ni surtout me choisir, — va s’asseoir
de
l’autre côté du couloir, tout au bord d’une banquette. Mais je la voi
1401
ant moi. J’ai honte. Comme nous sommes incapables
de
nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous te
1402
nte. Comme nous sommes incapables de nous libérer
de
barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous tenions pour nulle
1403
capables de nous libérer de barrières sociales ou
de
pudeurs qu’en pensée nous tenions pour nulles. Si j’étais vraiment li
1404
athie ?… Les hommes parlent une langue brusque et
de
mauvaise humeur, les yeux mornes ou trop brillants ; ou lisent des fe
1405
interminablement, crache sa fumée dans des gares
de
banlieue qui ne sont plus fleuries. Il règne dans ce wagon un malaise
1406
auvre interrogation des visages devant l’atrocité
de
notre vie sociale ! Je baisse les yeux sur mon livre. « Et la foule m
1407
Et la foule menaçante se pressait autour du char
de
la princesse qu’on menait au bûcher. Alors vinrent d’un seul vol onze
1408
a princesse qu’on menait au bûcher. Alors vinrent
d’
un seul vol onze grands cygnes blancs. Ils se posèrent autour d’elle e
1409
onze grands cygnes blancs. Ils se posèrent autour
d’
elle et battirent de leurs grandes ailes. Et le peuple effrayé recula.
1410
lancs. Ils se posèrent autour d’elle et battirent
de
leurs grandes ailes. Et le peuple effrayé recula. » Mais la princesse
1411
ula. » Mais la princesse jette sur eux les cottes
d’
orties qu’elle tissait de ses mains, et voici onze princes qui se tien
1412
jette sur eux les cottes d’orties qu’elle tissait
de
ses mains, et voici onze princes qui se tiennent autour d’elle. « Ell
1413
ins, et voici onze princes qui se tiennent autour
d’
elle. « Elle est innocente ! » s’écrient-ils, et le peuple s’agenouill
1414
res racontait tout ce qui était arrivé, un parfum
de
millions de roses se répandit dans les airs, tandis qu’au sommet du b
1415
t tout ce qui était arrivé, un parfum de millions
de
roses se répandit dans les airs, tandis qu’au sommet du bûcher parais
1416
vitre sale, retenir des larmes ? Un soudain excès
de
l’amour s’est libéré dans tout mon être et s’élance vers ces vies pro
1417
’ai compris que la grandeur du cœur humain, c’est
de
donner sans mesure un amour dont notre vie, peut-être, n’a que faire.
1418
t notre vie, peut-être, n’a que faire. ⁂ Le reste
de
la vie, c’est toujours entre deux voyages d’Allemagne. On peut s’épre
1419
este de la vie, c’est toujours entre deux voyages
d’
Allemagne. On peut s’éprendre d’une telle absence, qui vient au lieu d
1420
ntre deux voyages d’Allemagne. On peut s’éprendre
d’
une telle absence, qui vient au lieu d’un temps étrange et plus pesant
1421
us pesant que nulle part. Me voici tout environné
de
ville. Où trouver ici la lenteur des choses ? Où le désir peut-il err
1422
reux du mystère, dans la puissante circonspection
de
l’attente ? Ô journées souabes, répandues dans la fraîcheur et l’âcre
1423
ma vie ! Encore un peu, qu’on me laisse au regret
de
vos paysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir
1424
n peu, qu’on me laisse au regret de vos paysages,
de
vos filles, qu’on me laisse au remords de vous avoir quittées pour ce
1425
ysages, de vos filles, qu’on me laisse au remords
de
vous avoir quittées pour cette ville à présent sans relâche, où les o
1426
e à présent sans relâche, où les orages n’ont pas
d’
odeur, terrains morts où l’on n’a plus peur d’un arbre immense, ni des
1427
pas d’odeur, terrains morts où l’on n’a plus peur
d’
un arbre immense, ni des femmes, mais de soi-même, sourdement, dans l’
1428
plus peur d’un arbre immense, ni des femmes, mais
de
soi-même, sourdement, dans l’insomnie du petit jour populeux… Avril-a
1429
par Biedermann. 16. Comme dit l’A. O. Barnabooth
de
M. Valéry Larbaud. 17. Il s’agit des Méfaits de l’instruction publi
1430
de M. Valéry Larbaud. 17. Il s’agit des Méfaits
de
l’instruction publique , petit ouvrage publié à tirage limité à Lausa
1431
age limité à Lausanne en mars 1929. d. L’édition
de
1982 mentionnait par erreur 1931.
1432
ope Ces pages sont nées à des dates différentes
d’
un même état de sensibilité, dont j’ai remarqué qu’il se révèle en moi
1433
sont nées à des dates différentes d’un même état
de
sensibilité, dont j’ai remarqué qu’il se révèle en moi par une même a
1434
marqué qu’il se révèle en moi par une même allure
d’
écriture, toutes les fois que se trouve atteint le seuil de ce que j’a
1435
e, toutes les fois que se trouve atteint le seuil
de
ce que j’ai nommé le sentiment européen. Nom de code, mais aussi vrai
1436
l de ce que j’ai nommé le sentiment européen. Nom
de
code, mais aussi vrai nom — par cela même précisé — de mon Europe. Et
1437
de, mais aussi vrai nom — par cela même précisé —
de
mon Europe. Et vrai sujet, tout au moins manifeste, de cette suite d’
1438
n Europe. Et vrai sujet, tout au moins manifeste,
de
cette suite d’entrevisions des temps mêlés — « Ce présent que je vis
1439
ai sujet, tout au moins manifeste, de cette suite
d’
entrevisions des temps mêlés — « Ce présent que je vis déjà comme un p
1440
e conduire à une action : celle que je n’ai cessé
de
mener depuis, pour l’avenir du sens de nos vies. Le bon vieux temps
1441
n’ai cessé de mener depuis, pour l’avenir du sens
de
nos vies. Le bon vieux temps présent 19 mars 1939 « Le Führer a
1442
qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie
de
nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis
1443
mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie
de
tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais
1444
ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs
de
Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à
1445
l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et
de
Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où somb
1446
vois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée
d’
un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirant
1447
ever rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir
d’
été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délic
1448
déchirante et délicieuse comme les secondes voix
de
Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastr
1449
nn. Un mythe nouveau prend son essor au sein même
de
la catastrophe. Tout un âge, un climat de musique, soudain se fixe en
1450
in même de la catastrophe. Tout un âge, un climat
de
musique, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux
1451
, ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs
de
notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encor
1452
notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout
d’
un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier,
1453
is oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris
de
mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de s
1454
derniers jours du bon vieux temps européen. Jours
de
sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’el
1455
ours du bon vieux temps européen. Jours de sursis
d’
une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était n
1456
parce qu’elle était notre manière toute naturelle
de
respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis,
1457
tait notre manière toute naturelle de respirer et
de
penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs pe
1458
manière toute naturelle de respirer et de penser,
d’
aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. C
1459
le de respirer et de penser, d’aller et venir, et
d’
entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encor
1460
enir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien
de
temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et s
1461
sirs personnels. Combien de temps encore, combien
de
semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeon
1462
ns une existence que nos fils appelleront douceur
de
vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrang
1463
sé dans une ère étrange et brutale, où ces formes
de
vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin.
1464
ais aussi bien chez les voisins qu’elles secouent
d’
un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car ell
1465
d’un défi grossier. La liberté ne peut survivre à
de
tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l
1466
vec aisance, gardant parfois l’arrière-conscience
d’
un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmos
1467
r : il y faut ce climat sentimental, cette espèce
de
naturel qui naît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’une
1468
mat sentimental, cette espèce de naturel qui naît
d’
une entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance… C’est
1469
espèce de naturel qui naît d’une entente tacite,
d’
une confiance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de
1470
ît d’une entente tacite, d’une confiance, presque
d’
une insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usu
1471
lle et goûte encore quelques instants les délices
d’
un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, l
1472
it bien que c’est fini. Brève dispense, le temps
d’
un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans l
1473
réservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit
d’
aimer, cette bonté humaine, plus inutile que jamais, dominatrice et ba
1474
guerre ! Le soir du 28 août 1939, je finissais
de
dîner dans un hôtel de La Chaux-de-Fonds, et comme je me préparais à
1475
toire pour y assister à une répétition des chœurs
de
Nicolas de Flue 18, la radio brusquement interrompit les conversati
1476
rrompit les conversations. Nous entendîmes la fin
d’
une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hymne national. Le spea
1477
néral en chef, mobilisation immédiate des troupes
de
couverture-frontières. Au conservatoire, le grand chœur entonna le ré
1478
— tremble dans l’attente orageuse — sous un ciel
d’
angoisse et de haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommei
1479
s l’attente orageuse — sous un ciel d’angoisse et
de
haine ! — Malheur sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’
1480
sur nous ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée
d’
armes martelées — meute folle, meurtrière — ô rumeur irréparable — que
1481
, la guerre ! Le directeur n’était pas satisfait
de
son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile de chante
1482
le. Une femme du chœur me dit : « C’est difficile
de
chanter ça ce soir. Les mots vous restent dans la gorge… » Le drame n
1483
és cinq jours plus tard, comme je le fus. Cœur
de
l’Europe Berne, février 1940 Monté hier au Gothard, pour affaire d
1484
vrier 1940 Monté hier au Gothard, pour affaire
de
service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m
1485
au Gothard, pour affaire de service. Ce haut lieu
de
la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en suis jamais approché
1486
service. Ce haut lieu de la Suisse, ce vrai cœur
de
l’Europe, je ne m’en suis jamais approché sans ressentir une émotion
1487
é sans ressentir une émotion que j’essaie en vain
de
qualifier ; elle ne ressemble à aucune autre. Je devais avoir 13 ou 1
1488
j’y vins pour la première fois, descendant à pied
d’
Andermatt et passant par le Pont du diable. Et ce qui me saisit ne fut
1489
grandeur presque lugubre du paysage, mais au fond
de
la vallée cet express obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpenta
1490
obstiné dans sa vitesse régulière, qui serpentait
d’
un flanc à l’autre, disparaissait, reparaissait, contournait la collin
1491
sparaissait, reparaissait, contournait la colline
de
Wassen surmontée d’une église blanche, montait encore par des lacets
1492
ssait, contournait la colline de Wassen surmontée
d’
une église blanche, montait encore par des lacets immenses, passait en
1493
courait s’engouffrer dans les rochers, à la base
d’
une paroi verticale, noircie d’eau. J’avais pu lire sur les longs wago
1494
rochers, à la base d’une paroi verticale, noircie
d’
eau. J’avais pu lire sur les longs wagons bruns : Amsterdam-Basel-Mila
1495
Il neigeait, on ne voyait guère que quelques pans
de
rochers sombres dans les déchirures de la brume. Mais de nouveau j’ai
1496
lques pans de rochers sombres dans les déchirures
de
la brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation de pénétrer dans
1497
brume. Mais de nouveau j’ai éprouvé la sensation
de
pénétrer dans une aire « sacrée », dans un territoire réservé pour qu
1498
elle. Il est vrai qu’aujourd’hui, je sais pas mal
de
choses sur ce lieu et son rôle historique. (J’en ai même beaucoup écr
1499
J’en ai même beaucoup écrit.) Je sais que ce nœud
de
fleuves et de montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul cou
1500
eaucoup écrit.) Je sais que ce nœud de fleuves et
de
montagnes percé par le seul col qui relie d’un seul coup le Nord et l
1501
i croisées, n’est pas seulement une position clef
de
l’Europe, mais aussi, et pour cette raison même, l’origine très préci
1502
et pour cette raison même, l’origine très précise
de
nos libertés suisses et de notre union fédérale. Quand je n’en saurai
1503
l’origine très précise de nos libertés suisses et
de
notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de suppos
1504
n fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu
de
supposer que l’impression ne serait pas moins forte. Toutes les sourc
1505
ts ? Le petit nuage Fin mars 1940 — Au mois
d’
août de l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fa
1506
Le petit nuage Fin mars 1940 — Au mois d’août
de
l’année dernière, le jour du pacte germano-soviétique, j’ai fait deux
1507
s aérer. Secundo, j’ai envoyé à un certain nombre
de
mes amis la phrase suivante : « Au plus fort de la persécution entrep
1508
e de mes amis la phrase suivante : « Au plus fort
de
la persécution entreprise par Julien l’Apostat contre les chrétiens,
1509
e, il passera. » Je viens de recevoir une lettre
de
« quelque part dans le Proche-Orient » et une autre des États-Unis. L
1510
e raison à l’une ou à l’autre de ces lettres. Pas
d’
importance. Ce qui est important, c’est la certitude « qu’il passera »
1511
tude « qu’il passera ». Que sont nos petits accès
de
découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avant-printemps suffit à
1512
cès de découragement, ces brumes qu’un léger vent
d’
avant-printemps suffit à dissiper en cinq minutes ? Qu’est-ce que cela
1513
au regard de la menace énorme qui domine l’Europe
d’
aujourd’hui ? Eh bien, cette menace, à son tour, n’est qu’un tout peti
1514
niversels que sera notre jugement au dernier jour
de
tous les temps. Karl Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes où
1515
érences successives devant un vaste rassemblement
de
jeunes gens : « Comme chrétiens, nous n’avons à redouter que le Princ
1516
chrétiens, nous n’avons à redouter que le Prince
de
tous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de te
1517
s, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue
de
temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militaire
1518
vrons peut-être engager militairement contre l’un
de
ces petits personnages, ce combat, si « total » qu’il soit, ne saurai
1519
doivent au contraire nous donner la vraie mesure
de
nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et
1520
traire nous donner la vraie mesure de nos soucis,
de
nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’
1521
mesure de nos soucis, de nos misérables cafards,
de
nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il pass
1522
n petit nuage, il passera. » Ce mot me fut parole
d’
Évangile quand je le lus l’année dernière. À cette heure où Paris…
1523
« À cette heure où Paris exsangue voile sa face
d’
un nuage et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sento
1524
sait : Si Paris est détruit, j’en perdrai le goût
d’
être un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éte
1525
e n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert
de
hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur avait prophétisé :
1526
devant le sentiment, devant ce qui fait la valeur
de
la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues
1527
ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef
de
guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde
1528
nde : il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que
d’
aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irre
1529
d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais
de
quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais
1530
es. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose
d’
irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut co
1531
é à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable,
de
quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la fo
1532
servants des « Panzerdivisionen ». Quelque chose
d’
indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tr
1533
appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique
de
ce conquérant victorieux : tout ce qu’il veut saisir se change à son
1534
u’il veut saisir se change à son approche — Midas
de
l’ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse. N’importe
1535
du, en pierraille lépreuse. N’importe quel badaud
d’
un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un coucha
1536
rraille lépreuse. N’importe quel badaud d’un soir
de
juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant sur Ger
1537
e juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur
d’
un couchant sur Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de
1538
chant sur Germain-des-Prés, le grisant glissement
de
la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de m
1539
rmain-des-Prés, le grisant glissement de la foule
de
l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sa
1540
isant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux
de
Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage
1541
foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles
de
grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plu
1542
rc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur,
de
misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et pl
1543
aux de Marly, les siècles de grandeur, de misère,
de
sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu
1544
e grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage
de
cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les t
1545
s pas un conquérant. La confrontation stupéfiante
de
cet homme et de cette ville était peut-être nécessaire pour faire com
1546
ant. La confrontation stupéfiante de cet homme et
de
cette ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde
1547
bles. On ne conquiert pas avec des chars les dons
de
l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois
1548
s avec des chars les dons de l’âme et les raisons
de
vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils
1549
e. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que le jour
de
la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun tri
1550
nt.” » Ce texte parut le 17 juin dans la Gazette
de
Lausanne , entre l’arrivée au pouvoir de Pétain dans la nuit du 16 ju
1551
Gazette de Lausanne , entre l’arrivée au pouvoir
de
Pétain dans la nuit du 16 juin, et l’appel de Londres lancé par de Ga
1552
oir de Pétain dans la nuit du 16 juin, et l’appel
de
Londres lancé par de Gaulle le 18 juin. L’article me valut une condam
1553
’article me valut une condamnation à quinze jours
de
forteresse, au secret, et « facilita » une mission que je reçus quelq
1554
mission que je reçus quelques semaines plus tard,
de
conférences sur la Suisse aux USA. Le 20 août, je quittais Genève pou
1555
2 … mais sachez-le : nous n’étions pas absents
de
vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en e
1556
z-le : nous n’étions pas absents de vous plus que
de
nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns c
1557
se en question générale au pire moment, à l’heure
de
moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous e
1558
heure de moindre résistance. Notre angoisse était
de
penser : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retour e
1559
r : parlerons-nous encore le même langage au jour
de
ce retour en France, — dans quelle France, et dans quelle Europe ? N
1560
s quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion
de
l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime que celle de l’occupa
1561
moins brutale, certes, mais plus intime que celle
de
l’occupation. Un conquérant n’occupe jamais que l’extérieur, mais l’é
1562
e l’extérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur
de
l’être. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’
1563
us a proposé ses façons et usages qu’il convenait
d’
aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change un peu : vous
1564
s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus
d’
argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vou
1565
r. Et quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout
d’
un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vous lui causiez des enn
1566
vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper
de
chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En Fra
1567
trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun
de
vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Su
1568
t la guerre, déjà, on trouvait qu’il y avait trop
de
Juifs réfugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce soit, il y
1569
sait enviable, à juste titre. Les pires tourments
de
l’esprit et du cœur ont toujours paru préférables à la torture physiq
1570
Place New York, août 1943 Beekman Place est un
de
ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’il
1571
charme, simplement. Mais quand je la vois du haut
de
mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et de bri
1572
mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée
d’
asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est b
1573
étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et
de
brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York…
1574
urne un peu sur ma terrasse, voici la perspective
de
l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau
1575
l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense
de
minéral et d’eau. La rivière sillonnée de remorqueurs toussotants, lu
1576
usqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et
d’
eau. La rivière sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat
1577
immense de minéral et d’eau. La rivière sillonnée
de
remorqueurs toussotants, luit d’un éclat d’étain pâli. Les ponts imme
1578
ivière sillonnée de remorqueurs toussotants, luit
d’
un éclat d’étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une den
1579
onnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat
d’
étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’un
1580
ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle
d’
un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mâts, clochers,
1581
éclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige
de
nature — car l’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de gr
1582
’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots
de
granit noir couverts de mouettes, et signalés par deux petits phares
1583
— ce sont ces trois îlots de granit noir couverts
de
mouettes, et signalés par deux petits phares dont clignotent irréguli
1584
otent irrégulièrement le feu vert — cinq secondes
de
révolution — et le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embra
1585
es. Tout ce qu’embrasse mon regard, tout est fait
de
main d’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois écon
1586
ce qu’embrasse mon regard, tout est fait de main
d’
homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques
1587
s. Qu’on ne me parle plus des lois économiques et
de
leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout art
1588
leurs fatales réalités : car ce sont les réalités
d’
un monde tout artificiel que nous, les hommes avons bâti selon nos cap
1589
et nos raisons folles. Si nous changions un jour
de
goûts et d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne ve
1590
ons folles. Si nous changions un jour de goûts et
d’
ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne vers le nord,
1591
t. Si je me tourne vers le nord, je vois un monde
de
terrasses, du deuxième au trentième étage du River Club, où vivent de
1592
Et tout près, ces jardins suspendus où circulent
de
jeunes femmes en maillot de bain. L’une se penche sur ses géraniums,
1593
uspendus où circulent de jeunes femmes en maillot
de
bain. L’une se penche sur ses géraniums, l’autre ajuste des lunettes
1594
qu’on entend siffler dans la rue… Je me souviens
de
ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellera
1595
le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois
de
retour en Europe. J’en connais par avance la nostalgie. Le soir vient
1596
a nostalgie. Le soir vient dans un luxe américain
d’
ocres, de roses, d’argent et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines
1597
ie. Le soir vient dans un luxe américain d’ocres,
de
roses, d’argent et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fum
1598
r vient dans un luxe américain d’ocres, de roses,
d’
argent et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traîne
1599
un luxe américain d’ocres, de roses, d’argent et
d’
éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les pont
1600
américain d’ocres, de roses, d’argent et d’éclats
d’
or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteig
1601
ges. Une grande nuit s’ouvre au travail paisible.
D’
heure en heure, je me lève et sors. Je me promène sur cette terrasse q
1602
Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour
de
mes chambres blanches posées sur le onzième étage et festonnées de tu
1603
lanches posées sur le onzième étage et festonnées
de
tuiles provençales. La brique est chaude encore sous mes pieds nus. À
1604
ucoup plus bas dans les buildings voisins séparés
de
ma terrasse par un gouffre profond mais étroit, je vois des couples e
1605
tinée en peignoir rose ouvre son frigidaire, sort
de
la glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud. Des rires vienne
1606
peignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent
d’
une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highball
1607
res viennent d’une terrasse obscure, un cliquetis
de
tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Pe
1608
ent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges
de
verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Petits mati
1609
s déjà doux des terrasses, moments les plus aigus
de
la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’hie
1610
r qui point, quand toutes choses et les souvenirs
d’
hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du
1611
nd toutes choses et les souvenirs d’hier changent
de
poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand l
1612
oses et les souvenirs d’hier changent de poids et
de
millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premiers
1613
orqueurs se mettent à souffler fort dans la brume
d’
été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper
1614
a brume d’été flottant sur la rivière… Une langue
de
lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas, sur la t
1615
r le grand fond sonore à bouche fermée des usines
de
l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de dés
1616
les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo
de
désastre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strid
1617
des ferry-boats poussaient leur solo de désastre,
de
faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East
1618
saient leur solo de désastre, de faux désastre et
d’
appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimot
1619
tre et d’appel commercial, dans le matin strident
de
l’East River. Un quadrimoteur argenté passait très haut entre deux to
1620
u ses arbustes. Soudain, passant la tranche ocrée
d’
un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue
1621
. Soudain, passant la tranche ocrée d’un bâtiment
de
trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise et ses c
1622
éfilait, tout l’équipage en fête saluant New York
d’
adieux, filant pavois au vent vers l’Europe et la guerre… Mémoire d
1623
is au vent vers l’Europe et la guerre… Mémoire
de
l’Europe New York, fin 1944 Je ne savais pas que tout était si prè
1624
is parmi les signes. Sédiments séculaires, socles
de
nos patries ! Monuments que l’on ne voit plus, mais qui renvoient l’é
1625
ne voit plus, mais qui renvoient l’écho familier
de
nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée
1626
s qui tournaient doucement vers une place plantée
d’
arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me retrouvais… « Je t
1627
. J’aime ! » J’ai tout dit. L’Europe était patrie
d’
amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et chaque être
1628
questionnait, répondait. La force était au secret
de
nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans la con
1629
ne obscure, ou bien dans la contemplation jalouse
d’
un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et not
1630
e d’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps
de
notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait
1631
ce était chanson fredonnée sur le seuil, au matin
d’
une journée qui se liait aux autres… (Quand ta force devient visible,
1632
ceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté
d’
un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour… Quand je me
1633
é d’un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs
de
l’amour… Quand je me souviens — c’est l’Europe. Parce que l’Europe e
1634
nt de morts dans la présence, elle ne cessera pas
d’
engendrer. Elle a maîtrise d’avenir. Nostalgie anticipée Princeton,
1635
elle ne cessera pas d’engendrer. Elle a maîtrise
d’
avenir. Nostalgie anticipée Princeton, 27 mars 1946 Entre les d
1636
corridors et dans le vestibule qui sent le fruit
de
notre ancienne maison de campagne, et mon pied reconnaît cette brique
1637
près de l’escalier, qui basculait un peu du temps
de
mon enfance. (On ne l’a donc jamais recimentée ?) Pourquoi faire ce v
1638
ui s’éloignent. Un autre sentiment que je connais
d’
avance et ne pourrai que retrouver là-bas, c’est celui de ma nostalgie
1639
e et ne pourrai que retrouver là-bas, c’est celui
de
ma nostalgie de l’Amérique. De ce présent que je vis déjà comme passé
1640
que retrouver là-bas, c’est celui de ma nostalgie
de
l’Amérique. De ce présent que je vis déjà comme passé dans le futur q
1641
à-bas, c’est celui de ma nostalgie de l’Amérique.
De
ce présent que je vis déjà comme passé dans le futur que j’anticipe.
1642
déjà quitté, récapitulant mes regrets… Nostalgie
de
cette avenue, à telle heure du jour ou de la nuit, j’y vais encore un
1643
stalgie de cette avenue, à telle heure du jour ou
de
la nuit, j’y vais encore une fois, pour la retrouver déjà… Que signif
1644
l’on aime un être ? Voici longtemps qu’on a cessé
de
penser qu’il est meilleur ou plus beau que tout autre, mais avec lui
1645
ache ? Et s’il est vrai, s’il n’est pas le masque
d’
une haine, s’il m’ouvre à l’Être au lieu de me refermer sur quelque ob
1646
Être au lieu de me refermer sur quelque obsession
de
l’Avoir, chaque amour enrichit tout l’amour. Entre deux mondes aimés
1647
plus tard, nous avons rejoint l’hiver, un ouragan
de
neige horizontale sur le désert des forêts canadiennes aux lacs gelés
1648
sser toute la nuit dans les lugubres baraquements
de
la base de Gander, à Terre-Neuve. Une aurore boréale nous avait arrêt
1649
la nuit dans les lugubres baraquements de la base
de
Gander, à Terre-Neuve. Une aurore boréale nous avait arrêtés, non poi
1650
quait des tempêtes magnétiques qui ont pour effet
d’
aveugler les avions aux appareils plus délicats que les sens de l’homm
1651
s avions aux appareils plus délicats que les sens
de
l’homme. Cette belle crise radio-poétique s’étant heureusement dénoué
1652
nous montâmes en spirale à 5000 mètres, au-dessus
d’
une mer morte de glace. J’allais écrire : « L’avion s’élance pour fran
1653
spirale à 5000 mètres, au-dessus d’une mer morte
de
glace. J’allais écrire : « L’avion s’élance pour franchir l’Océan d’u
1654
écrire : « L’avion s’élance pour franchir l’Océan
d’
un seul bond. Nous volons à tire-d’aile vers l’Irlande ». Mais ce clic
1655
ncore, une fois installé dans le fauteuil profond
de
l’avion, attendre que la boule au-dessous de nous ait tourné jusqu’au
1656
y descendre et s’y poser. Rien ne donne une idée
de
l’immobilité comme ce vol sans repères en plein ciel, à 150 mètres à
1657
50 mètres à la seconde, sans vibration ni courant
d’
air, et sans nul signe apparent de mouvement. Les uns écrivent, d’autr
1658
tion ni courant d’air, et sans nul signe apparent
de
mouvement. Les uns écrivent, d’autres déjeunent. Je regarde par mon h
1659
blanche, un peu houleuse et cotonneuse. Mais tout
d’
un coup elle se déchire : ce n’était qu’une couche de nuages. Trois-mi
1660
n coup elle se déchire : ce n’était qu’une couche
de
nuages. Trois-mille mètres plus bas paraît une surface bleue, comme u
1661
une surface bleue, comme un papier grenu ponctué
de
défauts blancs. Un petit fuseau clair y traîne sa fumée, c’est un paq
1662
en trois heures. Nous sommes partis tout au début
de
la matinée. Voici déjà l’après-midi, voici le soir, nous volons contr
1663
re. Des cumulus élèvent des tours et des créneaux
d’
un rose feu sur l’horizon follement lointain, tandis que nous survolon
1664
s survolons des profondeurs multipliées, cavernes
d’
ombre et gonflements majestueux où la lumière fait ses grands jeux, de
1665
ts majestueux où la lumière fait ses grands jeux,
de
tous les rouges au bleu de plomb. Aux approches de l’Irlande vient la
1666
fait ses grands jeux, de tous les rouges au bleu
de
plomb. Aux approches de l’Irlande vient la nuit. Derrière nous, tout
1667
e tous les rouges au bleu de plomb. Aux approches
de
l’Irlande vient la nuit. Derrière nous, tout est flamme et or. Mais u
1668
errière nous, tout est flamme et or. Mais un toit
d’
ombre épaisse descend obliquement, rejoint la mer, ferme le monde deva
1669
e devant nous. En deux minutes nous sommes passés
de
la gloire aux ténèbres denses. Il n’y a plus, tout près sur nos têtes
1670
ux. Shannon, Irlande. Le restaurant ne manque pas
d’
élégance. Une dame qui vient de passer le temps de la guerre en Amériq
1671
d’élégance. Une dame qui vient de passer le temps
de
la guerre en Amérique frémit de toutes ses fourrures et se récrie : «
1672
e passer le temps de la guerre en Amérique frémit
de
toutes ses fourrures et se récrie : « Quel goût ! Voilà l’Europe enfi
1673
le, je retrouve l’Europe ! Ce n’est pas le moment
d’
être objectif ! » Elle adore ces rideaux rouges, ces meubles blancs, e
1674
s, et ce grape-fruit. Ils la vengent, croit-elle,
d’
une Amérique « où tout est laid », mais d’où ils viennent. 2 avril
1675
t-elle, d’une Amérique « où tout est laid », mais
d’
où ils viennent. 2 avril 1946 Les oiseaux de Paris. — Nous roul
1676
’où ils viennent. 2 avril 1946 Les oiseaux
de
Paris. — Nous roulons dans un petit autobus, du terrain d’Orly vers P
1677
— Nous roulons dans un petit autobus, du terrain
d’
Orly vers Paris. Sept ans bientôt, depuis que je l’ai quitté… Par quel
1678
e cherche à voir, le nez contre la vitre, et tout
d’
un coup : rue Claude-Bernard, — en plein cinquième arrondissement : —
1679
ar nous dépose, j’ai retrouvé les grandes mesures
de
Paris. Dans quel silence, à quatre heures du matin. Trouverons-nous q
1680
. Trouverons-nous quelques chambres pour le reste
de
la nuit ? Deux jeunes Américains du convoi m’interrogent. Cet hôtel
1681
hôtel ne leur plaît qu’à moitié. Je les décourage
d’
aller chercher ailleurs. Crise des logements. — Est-ce que Paris a été
1682
nt immédiatement à ressembler à ce que l’on pense
d’
eux en Europe.) Il y a des chambres et même des salles de bains. Mais
1683
n Europe.) Il y a des chambres et même des salles
de
bains. Mais comment dormirais-je cette nuit ? J’arrive au rendez-vous
1684
dez-vous après sept ans, furtivement, à la faveur
d’
une nuit déserte. Un rendez-vous dont j’avais bien souvent désespéré,
1685
oir… Tout d’abord je n’ai distingué qu’un paysage
de
toits bleus, médiéval. Et voici qu’une cloche très fine a sonné cinq
1686
eurs en écho. Je ne savais plus, après ces années
de
New York, qu’il y a des cloches qui sonnent les heures aux villes, et
1687
vité aiguë du petit jour. Et cette rumeur soudain
de
cris menus et de sifflets, de tous côtés, comme les premières gouttes
1688
it jour. Et cette rumeur soudain de cris menus et
de
sifflets, de tous côtés, comme les premières gouttes d’une averse, ce
1689
ette rumeur soudain de cris menus et de sifflets,
de
tous côtés, comme les premières gouttes d’une averse, ce sont bien de
1690
flets, de tous côtés, comme les premières gouttes
d’
une averse, ce sont bien des oiseaux ! Dans une ville ! Point d’autres
1691
et des murs couleur du temps, où quelques taches
de
rose clair ou de noir achèvent de composer une harmonie qui fait veni
1692
eur du temps, où quelques taches de rose clair ou
de
noir achèvent de composer une harmonie qui fait venir les larmes aux
1693
quelques taches de rose clair ou de noir achèvent
de
composer une harmonie qui fait venir les larmes aux yeux. Premier bru
1694
qui fait venir les larmes aux yeux. Premier bruit
de
pas dans la rue. Semelles de bois. Une femme de ménage sort ses clés,
1695
yeux. Premier bruit de pas dans la rue. Semelles
de
bois. Une femme de ménage sort ses clés, ouvre une porte de service à
1696
t de pas dans la rue. Semelles de bois. Une femme
de
ménage sort ses clés, ouvre une porte de service à côté du portail d’
1697
ne femme de ménage sort ses clés, ouvre une porte
de
service à côté du portail d’un ministère. Un vieux monsieur très gran
1698
lés, ouvre une porte de service à côté du portail
d’
un ministère. Un vieux monsieur très grand, vêtu de noir, aux pantalon
1699
’un ministère. Un vieux monsieur très grand, vêtu
de
noir, aux pantalons étroits, aux longs souliers pointus, sort d’un xi
1700
ntalons étroits, aux longs souliers pointus, sort
d’
un xixe siècle d’illustrés de mon enfance. Des jeunes gens en chandai
1701
ux longs souliers pointus, sort d’un xixe siècle
d’
illustrés de mon enfance. Des jeunes gens en chandail, portant de gros
1702
liers pointus, sort d’un xixe siècle d’illustrés
de
mon enfance. Des jeunes gens en chandail, portant de grosses valises,
1703
mon enfance. Des jeunes gens en chandail, portant
de
grosses valises, se hâtent vers la gare d’Orsay. Paris a reculé d’un
1704
ortant de grosses valises, se hâtent vers la gare
d’
Orsay. Paris a reculé d’un siècle, en direction d’une beauté oubliée.
1705
s, se hâtent vers la gare d’Orsay. Paris a reculé
d’
un siècle, en direction d’une beauté oubliée. Plus Suisse que natur
1706
d’Orsay. Paris a reculé d’un siècle, en direction
d’
une beauté oubliée. Plus Suisse que nature 7 avril 1946 — Que la
1707
isse m’a paru proprement incroyable. Je ne trouve
d’
autre sujet de m’étonner que de n’en point trouver justement. Tout est
1708
proprement incroyable. Je ne trouve d’autre sujet
de
m’étonner que de n’en point trouver justement. Tout est pareil à mes
1709
able. Je ne trouve d’autre sujet de m’étonner que
de
n’en point trouver justement. Tout est pareil à mes souvenirs, à pein
1710
reils pour tous », non point avec votre situation
d’
usager perplexe ou anxieux. La bonhomie des mêmes employés intacte, un
1711
és intacte, une fois qu’on leur a laissé le temps
de
revenir à leur naturel. (Et ce n’est pas toujours au galop.) Les quar
1712
ut-être, c’est le mythe helvétique par excellence
d’
une décence fondamentale. Il se peut que la Suisse ait seule gagné la
1713
cet égard. Mais le reste du monde se charge bien
de
rétablir un équilibre « humain », sur les modèles récemment présentés
1714
cident. Je vois des Suisses qui se disent honteux
de
n’avoir pas souffert comme les autres, comme les Français, les Hollan
1715
Il me semble que ces scrupules ne sont pas dignes
de
la tragédie moderne. Et tout d’abord, ils sont prématurés. Ils révèle
1716
illusion que le drame est terminé et que le temps
de
faire des comptes est arrivé. Or le drame continue, c’est trop clair.
1717
u cours du dernier épisode, on ne leur demande ni
de
s’en féliciter ni de s’en plaindre, mais de se préparer pour la suite
1718
isode, on ne leur demande ni de s’en féliciter ni
de
s’en plaindre, mais de se préparer pour la suite, pour l’heure où ils
1719
de ni de s’en féliciter ni de s’en plaindre, mais
de
se préparer pour la suite, pour l’heure où ils devront « donner ». Le
1720
eure où ils devront « donner ». Le premier devoir
d’
une réserve est de maintenir ses forces intactes et alertées. Intacts
1721
t « donner ». Le premier devoir d’une réserve est
de
maintenir ses forces intactes et alertées. Intacts nous le sommes, re
1722
et bien tenu, trait dont s’égayent les étrangers
de
passage, un peu comme ces paysans qui se poussent du coude quand on l
1723
, à tout propos, cinq ou six fois pendant l’achat
d’
un timbre, par exemple, avec une gratitude émue qui dépasse curieuseme
1724
nt on sent que le surplus peut entretenir ce fond
de
bienveillance universelle dont l’existence rassure les Suisses… L’enn
1725
es Suisses… L’ennui c’est qu’il n’y a pas du tout
de
bienveillance universelle. Et que la Suisse est mal préparée, par sa
1726
sa probité même, à faire face aux gangsters. Rien
de
moins suisse que le cynisme, honoré dans le reste du monde. Rien de p
1727
este du monde. Rien de plus suisse que le réflexe
de
critiquer sèchement tout ce qui dépasse, alors que l’on tolère très b
1728
r par excès. On ne saurait exagérer la profondeur
d’
une telle révolution dans la patrie du moralisme à la fois puritain et
1729
nsidérant l’histoire du monde, et le rythme vital
d’
un Nicolas Manuel : c’est vers quoi je reviens, après six ans, prendre
1730
quoi je reviens, après six ans, prendre une leçon
de
style de l’âme pour affronter les mauvais temps qui viennent. Ils le
1731
eviens, après six ans, prendre une leçon de style
de
l’âme pour affronter les mauvais temps qui viennent. Ils le savaient,
1732
face de lui comme un défi manifestant la vocation
de
l’homme : le fond de la réalité n’est pas l’ordre mais le chaos. Voil
1733
défi manifestant la vocation de l’homme : le fond
de
la réalité n’est pas l’ordre mais le chaos. Voilà qui étonne encore t
1734
ordre mais le chaos. Voilà qui étonne encore trop
de
braves gens, nés dans un monde où presque tout allait de soi. Voilà q
1735
de soi. Voilà qui éclate aux yeux dès qu’on sort
de
l’île Suisse et qu’on navigue en pleine débâcle printanière des valeu
1736
tanière des valeurs civiques et morales. L’esprit
d’
Hitler encore, peut-être pour longtemps, tyrannise les Européens, la p
1737
tez plus sur vos épargnes, ni sur la seule valeur
de
l’inertie pour sauver ce qui tient encore debout. Certes, les apparen
1738
debout. Certes, les apparences, les subsistances
de
l’ordre masquent à nos vues immédiates toute l’ampleur de la catastro
1739
re masquent à nos vues immédiates toute l’ampleur
de
la catastrophe. Il y a des trains qui marchent et qui arrivent à l’he
1740
, la poste fonctionne, on nous promet un peu plus
de
charbon pour cet hiver ; des millions de femmes ont été violées dans
1741
peu plus de charbon pour cet hiver ; des millions
de
femmes ont été violées dans toute l’Europe centrale et orientale, des
1742
rope centrale et orientale, des millions séparées
de
leur mari pendant cinq ans, mais le tabou de l’inceste, par exemple,
1743
rées de leur mari pendant cinq ans, mais le tabou
de
l’inceste, par exemple, résiste encore ; les traités ne sont guère re
1744
n pour régler leurs consommations. C’est beaucoup
d’
ordre encore, si l’on y pense : mais le fait est que déjà l’on y pense
1745
u’on voit ces déchirures. J’ai donc pris le parti
de
circuler, malgré les résistances multipliées par une époque qui sembl
1746
sciences et beaucoup de pays, parfois à la faveur
de
la détresse des masses déracinées et déportées, parfois aussi à la fa
1747
éracinées et déportées, parfois aussi à la faveur
d’
un acte de raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre
1748
et déportées, parfois aussi à la faveur d’un acte
de
raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre unie, comm
1749
s, parfois aussi à la faveur d’un acte de raison,
d’
un accès de bon sens. C’est l’espoir d’une terre unie, comme contraint
1750
aussi à la faveur d’un acte de raison, d’un accès
de
bon sens. C’est l’espoir d’une terre unie, comme contrainte à se fédé
1751
de raison, d’un accès de bon sens. C’est l’espoir
d’
une terre unie, comme contrainte à se fédérer par la menace de la guer
1752
unie, comme contrainte à se fédérer par la menace
de
la guerre atomique. On m’assure que le monde n’est pas prêt pour cela
1753
acun peut à chaque instant choisir, et s’efforcer
de
mieux comprendre quelles sont les suites nécessaires de son choix, qu
1754
ux comprendre quelles sont les suites nécessaires
de
son choix, quel est l’enjeu, ce qu’il implique… Contre les risques qu
1755
lique… Contre les risques qui se lèvent, l’esprit
de
risque est la seule assurance. Les valeurs de demain, s’il y en a, se
1756
rit de risque est la seule assurance. Les valeurs
de
demain, s’il y en a, seront maintenues ou reposées par les hommes qui
1757
ur compte, s’équilibrer dans le chaos, aussi loin
d’
ignorer son étendue que de céder à ses vertiges. 18. Il s’agit de l
1758
ns le chaos, aussi loin d’ignorer son étendue que
de
céder à ses vertiges. 18. Il s’agit de la pièce que m’avait comman
1759
due que de céder à ses vertiges. 18. Il s’agit
de
la pièce que m’avait commandée l’Institut neuchâtelois pour l’Exposit
1760
Institut neuchâtelois pour l’Exposition nationale
de
Zurich, et dont Arthur Honegger écrivit la musique au fur et à mesure
1761
On se trompe en croyant qu’un voyageur à longueur
de
chemin perd sa patrie : c’est souvent elle qu’il découvre le mieux qu
1762
jamais fait en y restant. Dans sa cité, il était
d’
une famille, et pour sa famille un prénom ; à l’étranger, il devient t
1763
n’est plus curieux des apparences et des secrets
de
son pays. Il songe : c’est là-bas que le mystère m’attend, et que ne
1764
? On lui dit : — Vous êtes Suisse ? Vous en avez
de
la chance ! Mais vous avez si peu l’air suisse. — C’est qu’il n’y a p
1765
avez si peu l’air suisse. — C’est qu’il n’y a pas
d’
air suisse, ou qu’il en a vingt-deux. — De quelle région de la Suisse
1766
y a pas d’air suisse, ou qu’il en a vingt-deux. —
De
quelle région de la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuch
1767
sse, ou qu’il en a vingt-deux. — De quelle région
de
la Suisse êtes-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuchâtel, rappelez-mo
1768
deux. — De quelle région de la Suisse êtes-vous ?
De
Neuchâtel ? Attendez, Neuchâtel, rappelez-moi… Ainsi je me demandais
1769
moi… Ainsi je me demandais parfois ce qu’on sait
de
Neuchâtel dans le vaste monde. Je trouvais à peu près ceci : la Bible
1770
ste monde. Je trouvais à peu près ceci : la Bible
d’
Ostervald, le chocolat Suchard, les montres, et le séjour de Rousseau.
1771
d, le chocolat Suchard, les montres, et le séjour
de
Rousseau. Certains ont entendu parler du juriste Emer de Vattel, ou d
1772
parler du juriste Emer de Vattel, ou des travaux
de
Jean Piaget sur la psychologie de l’enfant. Le seul vin suisse qui se
1773
ou des travaux de Jean Piaget sur la psychologie
de
l’enfant. Le seul vin suisse qui se vende à New York, mais à quel pri
1774
Neuchâtel blanc. (On voit sur l’étiquette le Trou
de
Bourgogne et la descente des vignes vers le lac. Je pouvais dire à me
1775
is dire à mes amis : là, dans ces arbres, au pied
de
cette colline, j’ai passé mon adolescence.) Voilà donc ce qui atteint
1776
s épars ne font pas un portrait. Dès qu’on essaie
de
définir l’originalité de notre canton, tout devient si complexe et so
1777
rtrait. Dès qu’on essaie de définir l’originalité
de
notre canton, tout devient si complexe et souvent si bizarre aux yeux
1778
raditions aristocratiques à peine éteintes (moins
de
cent ans) dans la plus vieille démocratie du monde19 ; tant de cultur
1779
peu de littérature ; tant de bon sens professé et
de
fous à soigner ; tout un petit monde de contrastes intenses, entre l’
1780
ofessé et de fous à soigner ; tout un petit monde
de
contrastes intenses, entre l’austérité des montagnes au nord et les r
1781
— tout un petit monde si bien cerné, si conscient
de
lui-même, et si distinct… Je me disais qu’un jour je voudrais en écri
1782
ecret du « Service étranger ». Ceux qui ont envie
de
se battre avec la vie s’en vont ailleurs brasser leur sang, plutôt qu
1783
s’en vont ailleurs brasser leur sang, plutôt que
de
troubler la pax helvetica, merveille inaperçue du monde moderne. Le v
1784
r en son cœur le cirque proche des crêtes dentées
de
sapins noirs, fermer les yeux pendant les treize tunnels, dans le lon
1785
pendant les treize tunnels, dans le long courant
d’
air des gorges, sentir qu’on descendait vers la lumière, vers le grand
1786
et secrets, vers tout un monde intimidant, peuplé
d’
angoisses et de facilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’a
1787
s tout un monde intimidant, peuplé d’angoisses et
de
facilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet d’aventure, sur le
1788
acilités, vers le bonheur. Aujourd’hui, ce trajet
d’
aventure, sur lequel je repasse en express, n’est plus que les quinze
1789
s quinze dernières minutes, la dernière cigarette
d’
une nuit mal dormie, le moment de refermer les valises entre deux coup
1790
rnière cigarette d’une nuit mal dormie, le moment
de
refermer les valises entre deux coups d’œil par la fenêtre. Tout va t
1791
ite pour le souvenir. Voici les toits, le clocher
de
Couvet, la petite gare qu’on traverse en trois secondes — disparus sa
1792
raverse en trois secondes — disparus sans laisser
de
traces, sans rejoindre en moi leur image. Un jour, il faudra s’arrête
1793
i vient. Et voici les brumes sur le lac, les murs
de
vignes séculaires, et ce toit qui demande aux voyageurs, en grandes l
1794
oit qui demande aux voyageurs, en grandes lettres
de
tuiles blanches : êtes-vous sauvés du péché ? Tout de suite les quest
1795
de suite les questions personnelles, et ce besoin
de
réformer le prochain… Est-ce que ceux qui vivent sous ce toit sont te
1796
ceux qui vivent sous ce toit sont tellement sûrs
de
leur affaire ? 19. La première charte des libertés civiques a été o
1797
libertés civiques a été obtenue par les bourgeois
de
Neuchâtel et signée par leur comte souverain en 1214.
1798
ption du souvenir est aussi mystérieuse que celle
de
l’invention, dans notre esprit. Peu s’en faut, si j’y pense, que je n
1799
it soudain quelque forme que vient emplir le flot
de
l’émotion, mais n’est-ce pas le même piège que posera l’invention, en
1800
ournant dans l’autre sens, comme pour se souvenir
de
ce qui vient ? D’où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce
1801
re sens, comme pour se souvenir de ce qui vient ?
D’
où remontent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud d’idées, où
1802
enir de ce qui vient ? D’où remontent ces rythmes
de
mots, cette épithète, ce nœud d’idées, où je ne reconnais rien de déj
1803
tent ces rythmes de mots, cette épithète, ce nœud
d’
idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et de quel ciel me tombent
1804
pithète, ce nœud d’idées, où je ne reconnais rien
de
déjà lu ? Et de quel ciel me tombent ces visions surprenantes, où je
1805
d’idées, où je ne reconnais rien de déjà lu ? Et
de
quel ciel me tombent ces visions surprenantes, où je reconnais bientô
1806
cas, c’est moi que je découvre, puisqu’il s’agit
d’
un souvenir, d’une invention, sans autre précédent que moi. Mais la vo
1807
que je découvre, puisqu’il s’agit d’un souvenir,
d’
une invention, sans autre précédent que moi. Mais la volonté n’y peut
1808
onc fait par mégarde, qui m’accorde à la longueur
d’
ondes d’un passé, d’un avenir toujours présents ? Proust a surpris le
1809
par mégarde, qui m’accorde à la longueur d’ondes
d’
un passé, d’un avenir toujours présents ? Proust a surpris le mécanism
1810
, qui m’accorde à la longueur d’ondes d’un passé,
d’
un avenir toujours présents ? Proust a surpris le mécanisme du souveni
1811
ascule sous la semelle. Mais les grands accidents
de
la vie raniment de tout autres mystères. Ils nous font découvrir plus
1812
lle. Mais les grands accidents de la vie raniment
de
tout autres mystères. Ils nous font découvrir plus que nous-mêmes. J
1813
mêmes. Je l’ignorais encore quand on m’a proposé
d’
écrire ces pages sur mon pays natal. On insistait amicalement : je ven
1814
tout en moi se tourne vers ses origines, au-delà
de
ma propre mémoire. Ces mouvements les plus profonds de l’être nous se
1815
propre mémoire. Ces mouvements les plus profonds
de
l’être nous semblent déclenchés par un destin absurde, et nous les su
1816
i survivra ; quelque chose que l’on peut désigner
d’
un mot simple, et qui figure dans l’ordre naturel comme un reflet de l
1817
t qui figure dans l’ordre naturel comme un reflet
de
la communion des saints : notre histoire, le passé qui passe en chacu
1818
ts : notre histoire, le passé qui passe en chacun
de
nous ; qui par nous, maintenant, se passe, lié à toute l’histoire des
1819
tres hommes ; et sans lequel il n’y aurait jamais
de
plénitude du présent. Dans le silence d’une vaste pièce où j’étais se
1820
t jamais de plénitude du présent. Dans le silence
d’
une vaste pièce où j’étais seul devant l’admirable visage, debout au p
1821
u lit, prolongeant le gisant, j’ai su que j’étais
d’
une lignée. 20. Principauté souveraine depuis le Moyen Âge, Neuchâte
1822
ouveraine depuis le Moyen Âge, Neuchâtel a choisi
de
se confédérer avec la Suisse le 1er mai 1848, après une brève révolut
1823
III C’est l’un des traits les moins connus
de
notre pays que la continuité de ses familles, ailleurs rompue par des
1824
les moins connus de notre pays que la continuité
de
ses familles, ailleurs rompue par des révolutions ou de fréquents cha
1825
familles, ailleurs rompue par des révolutions ou
de
fréquents changements de condition sociale. Nos archives sont intacte
1826
e par des révolutions ou de fréquents changements
de
condition sociale. Nos archives sont intactes, minutieusement tenues
1827
siècles pour une beaucoup plus grande proportion
d’
habitants que dans d’autres nations de l’Europe. La plupart des citoye
1828
proportion d’habitants que dans d’autres nations
de
l’Europe. La plupart des citoyens suisses, qu’ils soient bourgeois, o
1829
n’atteignent, chez nos voisins, que les familles
de
la noblesse. La Suisse n’est pas démocratique pour avoir tardivement
1830
, au plus grand nombre. Le « Rôle des Bourgeois »
de
Neuchâtel illustre cette continuité jusqu’au xvie siècle. Au-delà to
1831
ez plutôt ces noms relevés au hasard dans le rôle
de
1353 : Malifer, Conoz Bazin, Rollin d’Orouse, Perrod Tornarre, Jeanni
1832
quyrily, Quicu… On dirait des injures en patois !
De
tous ces noms, tantôt si proches du latin populaire et tantôt du dial
1833
ard, tandis que la grande majorité des patronymes
de
consonance moderne et francisée, qui figurent sur le rôle de 1580, on
1834
ce moderne et francisée, qui figurent sur le rôle
de
1580, ont subsisté jusqu’à nos jours. Beaucoup d’autres s’y sont ajou
1835
a pudeur… Le gouvernement et la structure sociale
de
la Principauté de Neuchâtel, du xve siècle jusqu’aux débuts du xixe
1836
rnement et la structure sociale de la Principauté
de
Neuchâtel, du xve siècle jusqu’aux débuts du xixe , ne manquent pas
1837
siècle jusqu’aux débuts du xixe , ne manquent pas
d’
évoquer un mouvement d’horlogerie par leur extrême complication dans u
1838
du xixe , ne manquent pas d’évoquer un mouvement
d’
horlogerie par leur extrême complication dans un espace aussi réduit q
1839
possible. William Coxe, voyageur anglais, auteur
de
Lettres sur l’état politique, civil et naturel de la Suisse, écrit en
1840
de Lettres sur l’état politique, civil et naturel
de
la Suisse, écrit en 1776 : « La constitution de Neuchâtel est une mon
1841
l de la Suisse, écrit en 1776 : « La constitution
de
Neuchâtel est une monarchie limitée, dont la machine est mise en mouv
1842
et des rouages si compliqués, qu’il est difficile
de
distinguer avec quelque exactitude les prérogatives du Souverain des
1843
» Voici ce qu’il a cru démêler, en une vingtaine
de
pages où perce l’étonnement. Le Prince se fait représenter en son ab
1844
fait il vit à Berlin] par un Gouverneur qui jouit
d’
une très-grande considération, et d’une très-petite autorité… Les Troi
1845
eur qui jouit d’une très-grande considération, et
d’
une très-petite autorité… Les Trois États de Neuchâtel sont le tribuna
1846
sont le tribunal suprême du pays. Il est composé
de
douze Juges partagés en trois divisions… Les quatre conseillers d’Éta
1847
rtagés en trois divisions… Les quatre conseillers
d’
État les plus anciens forment la première division ; ces conseillers s
1848
nobles. La seconde comprend les quatre Châtelains
de
Landeron, Boudry, Valtravers et Thielle… Enfin la troisième division
1849
Thielle… Enfin la troisième division est composée
de
quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à par
1850
sième division est composée de quatre conseillers
de
la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à parler régulièrement, qu’
1851
on est composée de quatre conseillers de la ville
de
Neuchâtel. Ce Tribunal n’est, à parler régulièrement, qu’une cour sup
1852
’est, à parler régulièrement, qu’une cour suprême
de
Justice… Le Conseil d’État saisi de l’administration ordinaire du go
1853
ment, qu’une cour suprême de Justice… Le Conseil
d’
État saisi de l’administration ordinaire du gouvernement, a l’exercice
1854
cour suprême de Justice… Le Conseil d’État saisi
de
l’administration ordinaire du gouvernement, a l’exercice de la Puissa
1855
istration ordinaire du gouvernement, a l’exercice
de
la Puissance exécutrice. Ses membres sont à la nomination du Prince…
1856
la nomination du Prince… Nulle ordonnance émanée
de
ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant d’avoir été soumise à
1857
nance émanée de ce Conseil ne peut acquérir force
de
loi, avant d’avoir été soumise à l’examen d’un Comité composé du Cons
1858
e ce Conseil ne peut acquérir force de loi, avant
d’
avoir été soumise à l’examen d’un Comité composé du Conseil de Ville e
1859
orce de loi, avant d’avoir été soumise à l’examen
d’
un Comité composé du Conseil de Ville et des Députés de Vallengin… La
1860
soumise à l’examen d’un Comité composé du Conseil
de
Ville et des Députés de Vallengin… La ville de Neuchâtel jouit de pri
1861
Comité composé du Conseil de Ville et des Députés
de
Vallengin… La ville de Neuchâtel jouit de privilèges très considérabl
1862
il de Ville et des Députés de Vallengin… La ville
de
Neuchâtel jouit de privilèges très considérables. Elle a la police de
1863
Députés de Vallengin… La ville de Neuchâtel jouit
de
privilèges très considérables. Elle a la police de son territoire, et
1864
e privilèges très considérables. Elle a la police
de
son territoire, et n’est gouvernée que par ses propres magistrats, di
1865
cuperai point du détail des diverses subdivisions
de
ces deux Tribunaux, mais je ne puis m’empêcher de faire mention du co
1866
de ces deux Tribunaux, mais je ne puis m’empêcher
de
faire mention du corps des Ministraux qui forme le Tiers État toutes
1867
forme le Tiers État toutes les fois qu’il s’agit
d’
établir quelque loi nouvelle, ou de faire des changements aux ancienne
1868
s qu’il s’agit d’établir quelque loi nouvelle, ou
de
faire des changements aux anciennes. Ce corps est une sorte de Comité
1869
changements aux anciennes. Ce corps est une sorte
de
Comité chargé de l’administration de la police, et dont les membres s
1870
nciennes. Ce corps est une sorte de Comité chargé
de
l’administration de la police, et dont les membres sont choisis dans
1871
st une sorte de Comité chargé de l’administration
de
la police, et dont les membres sont choisis dans le Conseil de Ville.
1872
et dont les membres sont choisis dans le Conseil
de
Ville. Il est composé de deux présidents de ce conseil, de quatre Maî
1873
choisis dans le Conseil de Ville. Il est composé
de
deux présidents de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis pa
1874
nseil de Ville. Il est composé de deux présidents
de
ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois fournis par le petit Sénat, e
1875
Il est composé de deux présidents de ce conseil,
de
quatre Maîtres-Bourgeois fournis par le petit Sénat, et du Banneret o
1876
La Puissance législative est divisée et répartie
d’
une manière si compliquée qu’il serait très difficile de dire précisém
1877
manière si compliquée qu’il serait très difficile
de
dire précisément où elle réside. Le détail suivant… servira peut-être
1878
le résider « à la fois dans le Prince, le Conseil
d’
État, et la ville de Neuchâtel, conjointement considérés ; que le Vall
1879
is dans le Prince, le Conseil d’État, et la ville
de
Neuchâtel, conjointement considérés ; que le Vallengin a une sorte de
1880
ntement considérés ; que le Vallengin a une sorte
de
voix négative ; et enfin, que c’est aux Trois États qu’il appartient
1881
enfin, que c’est aux Trois États qu’il appartient
de
proposer et de promulguer une loi ». Quant à l’esprit des lois pénale
1882
t aux Trois États qu’il appartient de proposer et
de
promulguer une loi ». Quant à l’esprit des lois pénales, Coxe l’estim
1883
uant à l’esprit des lois pénales, Coxe l’estime «
d’
une extrême douceur », et les peines sont appliquées aux différents dé
1884
Juges… En un mot, et pour m’exprimer sur l’esprit
de
cette législation dans les termes qui l’honorent le plus, je vous dir
1885
a liberté des individus est protégée par les lois
de
ce pays avec autant de sollicitude et d’efficacité que par celles de
1886
est protégée par les lois de ce pays avec autant
de
sollicitude et d’efficacité que par celles de notre inestimable const
1887
les lois de ce pays avec autant de sollicitude et
d’
efficacité que par celles de notre inestimable constitution. » Qu’atte
1888
ant de sollicitude et d’efficacité que par celles
de
notre inestimable constitution. » Qu’attendre de plus d’un Anglais ?
1889
e inestimable constitution. » Qu’attendre de plus
d’
un Anglais ? N’oublions pas que les Trois États, le Conseil d’État, le
1890
? N’oublions pas que les Trois États, le Conseil
d’
État, le Grand Conseil, le Petit Conseil, les Quatre-Ministraux, les M
1891
considérés » avec les Trois États et les députés
de
Valangin, les vingt et une Cours de justice locales, les Châtelains e
1892
t les députés de Valangin, les vingt et une Cours
de
justice locales, les Châtelains et les Maires de districts, et cent a
1893
de justice locales, les Châtelains et les Maires
de
districts, et cent autres emplois ou dignités, exerçaient leurs pouvo
1894
rés mais jalousement distincts, dans une capitale
de
trois-mille habitants, un pays de quarante mille bons et fidèles suje
1895
ns une capitale de trois-mille habitants, un pays
de
quarante mille bons et fidèles sujets… « En 1818 déjà — écrit M. Arth
1896
rit M. Arthur Piaget dans sa remarquable Histoire
de
la révolution neuchâteloise — le Procureur général de Rougemont… cons
1897
242). « Il jugeait ridicule et dangereux l’esprit
de
caste et de famille qui régnait à Neuchâtel. Dieu nous préserve, écri
1898
ugeait ridicule et dangereux l’esprit de caste et
de
famille qui régnait à Neuchâtel. Dieu nous préserve, écrivait-il, des
1899
ous préserve, écrivait-il, des parvenus par droit
de
naissance et de fortune qui clabaudent contre ceux qui parviennent pa
1900
rivait-il, des parvenus par droit de naissance et
de
fortune qui clabaudent contre ceux qui parviennent par droits de tale
1901
clabaudent contre ceux qui parviennent par droits
de
talents et de vertus. Il estimait ces prétentions déplacées dans un p
1902
tre ceux qui parviennent par droits de talents et
de
vertus. Il estimait ces prétentions déplacées dans un pays où la plus
1903
oblesse n’est pas chapitrale, où les trois quarts
de
la noblesse trouvent des paysans aux quatrième et cinquième échelons
1904
l’un des principaux artisans du « cantonnement »
de
Neuchâtel, c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer de régime
1905
ns du « cantonnement » de Neuchâtel, c’est-à-dire
de
son inclusion, mais sans changer de régime, dans le Corps helvétique.
1906
c’est-à-dire de son inclusion, mais sans changer
de
régime, dans le Corps helvétique. Dès la chute de Napoléon, et malgré
1907
de régime, dans le Corps helvétique. Dès la chute
de
Napoléon, et malgré la Restauration, l’on s’aperçut que ce beau mouve
1908
estauration, l’on s’aperçut que ce beau mouvement
d’
horlogerie fine retardait sans espoir sur l’heure du siècle, avancée p
1909
poir sur l’heure du siècle, avancée pour le reste
de
l’Europe par la Révolution, puis par l’Empire, dans le sens des droit
1910
l’Empire, dans le sens des droits individuels et
de
la tyrannie collective. La population s’accroissait, le commerce pros
1911
les radicaux triomphaient partout. Il était temps
d’
adopter l’heure de Berne. Et ce fut 1848.
1912
phaient partout. Il était temps d’adopter l’heure
de
Berne. Et ce fut 1848.
1913
famille parmi d’autres, et qui n’a guère cherché
d’
illustration en dehors des limites de la communauté qu’elle a servie p
1914
uère cherché d’illustration en dehors des limites
de
la communauté qu’elle a servie pendant cinq siècles. Dans l’ascendanc
1915
e pendant cinq siècles. Dans l’ascendance directe
de
mon père, je trouve d’abord, dès la Réforme, deux « ministres du sain
1916
des Assises, membres du Petit Conseil, conseiller
d’
État, enfin Procureur général de la Principauté. Puis survient la révo
1917
centenaire, et le dessaisissement du patriciat ;
de
là cette notice symbolique : Denis-François-Henry, rentier. (Un renti
1918
hômeur riche.) Suivent mon grand-père, professeur
de
théologie, et mon père, pasteur. Cela fait, au début et à la fin, pas
1919
pasteur. Cela fait, au début et à la fin, pas mal
de
robes et de rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps p
1920
a fait, au début et à la fin, pas mal de robes et
de
rabats, soit de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux
1921
et à la fin, pas mal de robes et de rabats, soit
de
justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de parti
1922
mal de robes et de rabats, soit de justice, soit
d’
église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation continue
1923
t de justice, soit d’église ; et entre-temps plus
de
deux siècles de participation continuelle au gouvernement du pays. A
1924
it d’église ; et entre-temps plus de deux siècles
de
participation continuelle au gouvernement du pays. Au xixe siècle,
1925
du pays. Au xixe siècle, Neuchâtel ayant cessé
d’
être ce qu’il conviendrait de nommer une aristocratie républicaine au
1926
euchâtel ayant cessé d’être ce qu’il conviendrait
de
nommer une aristocratie républicaine au Prince lointain, cette dynast
1927
e républicaine au Prince lointain, cette dynastie
de
conseillers d’État se tourne vers la vie intellectuelle. D’où septant
1928
au Prince lointain, cette dynastie de conseillers
d’
État se tourne vers la vie intellectuelle. D’où septante-six ouvrages
1929
lers d’État se tourne vers la vie intellectuelle.
D’
où septante-six ouvrages publiés par des Rougemont en Suisse, en Franc
1930
e et en Allemagne, entre 1830 et 1900. Et cela va
d’
un essai sur Socrate et Jésus-Christ jusqu’à des Observations sur l’or
1931
du Brachinus crepitans, en passant par un Précis
de
géographie comparée et Quelques mots sur les nombres rythmiques de la
1932
parée et Quelques mots sur les nombres rythmiques
de
la prophétie… « L’ennui que j’aime à trouver au fond de l’histoire n’
1933
prophétie… « L’ennui que j’aime à trouver au fond
de
l’histoire n’est pas du goût de chacun », notait Chateaubriand dans s
1934
à trouver au fond de l’histoire n’est pas du goût
de
chacun », notait Chateaubriand dans ses Mémoires. Mais c’est par le d
1935
n connaît une famille, par une famille l’histoire
d’
un pays, et surtout d’un petit pays. Ainsi l’on répète volontiers que
1936
par une famille l’histoire d’un pays, et surtout
d’
un petit pays. Ainsi l’on répète volontiers que la Suisse est le « car
1937
épète volontiers que la Suisse est le « carrefour
de
l’Europe ». Pour vérifier ce lieu commun, examinons deux prises micro
1938
prises microscopiques prélevées dans les archives
de
ma famille. Sur les trente-deux ancêtres de mon père à la cinquième g
1939
hives de ma famille. Sur les trente-deux ancêtres
de
mon père à la cinquième génération, je compte quatorze Neuchâtelois,
1940
puis une Allemande. Et des trois autres branches
de
leur famille, au milieu du xviiie siècle, deux sont en train de deve
1941
t en commun presque toutes les anciennes familles
de
ce pays manque à la mienne : très peu de militaires parmi les ascenda
1942
de militaires parmi les ascendants directs du nom
de
mon père. Par les femmes, on en trouve davantage, mais là encore les
1943
a petite-fille du « Grand Ostervald », traducteur
de
la Bible admiré par Fénelon, auteur de vingt traités sur la morale, l
1944
traducteur de la Bible admiré par Fénelon, auteur
de
vingt traités sur la morale, la liturgie et la théologie qui furent t
1945
i le firent appeler par Newton « le plus chrétien
de
tous les hommes », vir omnium christianissimus. Mon trisaïeul, le Pro
1946
pouse Charlotte d’Ostervald, arrière-petite-fille
de
l’illustre pasteur. Le fils du Procureur épouse Marie-Philippine du B
1947
arie-Philippine du Buat-Nançay, dans l’ascendance
de
laquelle je trouve deux mathématiciens et ingénieurs, un diplomate et
1948
iplomate et historien, une alliance avec la fille
de
Corneille, et plus haut, dès le xiie siècle, de fréquents donateurs
1949
de Corneille, et plus haut, dès le xiie siècle,
de
fréquents donateurs à l’Abbaye de la Trappe. « N’oublie jamais », me
1950
e xiie siècle, de fréquents donateurs à l’Abbaye
de
la Trappe. « N’oublie jamais », me disait un de mes oncles, « que plu
1951
e de la Trappe. « N’oublie jamais », me disait un
de
mes oncles, « que plus l’ancêtre dont on se réclame est éloigné, moin
1952
ncêtre dont on se réclame est éloigné, moins on a
de
chances de tenir de lui ». Et que valent en effet ces noms, ces souve
1953
on se réclame est éloigné, moins on a de chances
de
tenir de lui ». Et que valent en effet ces noms, ces souvenirs, ces a
1954
clame est éloigné, moins on a de chances de tenir
de
lui ». Et que valent en effet ces noms, ces souvenirs, ces ascendance
1955
s arbres les plus nobles, au lieu d’un demi-dieu,
d’
un héros ou d’un saint, un singe au naturel, en guise d’armes parlante
1956
lus nobles, au lieu d’un demi-dieu, d’un héros ou
d’
un saint, un singe au naturel, en guise d’armes parlantes du beau myth
1957
naturel, en guise d’armes parlantes du beau mythe
de
l’Égalité… Et pourtant si le « grand Ostervald », si Corneille, si la
1958
sont — que dire du Singe ? Je me répète la phrase
de
mon oncle. En revanche, comment ne pas croire à l’influence des profe
1959
es fonctions ecclésiastiques, l’idée du serviteur
de
la cité, c’est qu’en lui durait toute une race consacrée à la chose p
1960
né toutes les « preuves » qui n’étaient pas celle
de
l’obligation. Je crois que toute autre considération sur ce sujet sem
1961
ur ce sujet semblait aux yeux de mon père indigne
d’
une pensée. Et certes, il n’en parlait jamais. Le peu que j’en dis l’e
1962
Mais ce sens naturel du service, il lui fut donné
de
l’exercer dans d’autres dimensions humaines que celles du petit État
1963
tres dimensions humaines que celles du petit État
de
ses aïeux, aussi riche en coutumes fort sages qu’en préjugés invétéré
1964
vétérés. Il trouvait dans son héritage des vertus
de
prudence, d’ordre et d’autorité, un goût marqué pour l’argumentation
1965
rouvait dans son héritage des vertus de prudence,
d’
ordre et d’autorité, un goût marqué pour l’argumentation et la dialect
1966
s son héritage des vertus de prudence, d’ordre et
d’
autorité, un goût marqué pour l’argumentation et la dialectique légali
1967
ent conduit, en d’autres temps, vers une carrière
d’
homme politique ou d’homme de loi, dans un style dignified à l’anglais
1968
res temps, vers une carrière d’homme politique ou
d’
homme de loi, dans un style dignified à l’anglaise. Le ministère pasto
1969
s, vers une carrière d’homme politique ou d’homme
de
loi, dans un style dignified à l’anglaise. Le ministère pastoral le c
1970
tâches, en Dieu plus grandes, et vers la liberté
de
l’esprit. Sa première allégeance était l’Église, et par là même l’uni
1971
eut le comprendre. Sa tradition, cependant, était
d’
autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction sec
1972
endre. Sa tradition, cependant, était d’autorité,
de
justes proportions et de raison gardée. Contradiction secrète de sa v
1973
ndant, était d’autorité, de justes proportions et
de
raison gardée. Contradiction secrète de sa vie et source de sa vraie
1974
rtions et de raison gardée. Contradiction secrète
de
sa vie et source de sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, s
1975
gardée. Contradiction secrète de sa vie et source
de
sa vraie richesse. De là sa modestie frappante, sa tolérance acquise
1976
secrète de sa vie et source de sa vraie richesse.
De
là sa modestie frappante, sa tolérance acquise non sans luttes, mais
1977
brusques indignations. Il avait le goût classique
de
la claire ordonnance, mais non moins de la justice sociale, et quand
1978
classique de la claire ordonnance, mais non moins
de
la justice sociale, et quand il le fallait, de la protestation sobre,
1979
ns de la justice sociale, et quand il le fallait,
de
la protestation sobre, efficace et désintéressée. Toujours saisi d’un
1980
sobre, efficace et désintéressée. Toujours saisi
d’
un mouvement de retrait devant une charge honorifique, jamais devant l
1981
e et désintéressée. Toujours saisi d’un mouvement
de
retrait devant une charge honorifique, jamais devant les risques et l
1982
ifique, jamais devant les risques et les déboires
d’
un témoignage vigilant ; père, citoyen, pasteur de ses troupeaux, et v
1983
d’un témoignage vigilant ; père, citoyen, pasteur
de
ses troupeaux, et vibrant défenseur de l’honneur protestant, il était
1984
n, pasteur de ses troupeaux, et vibrant défenseur
de
l’honneur protestant, il était au plein sens du mot l’homme engagé, c
1985
ause », comme il aimait à dire. Quand il m’arrive
de
louer dans mes ouvrages le civisme des protestants, c’est à l’exemple
1986
l’exemple de mon père que j’ai pensé ; et ce mot
d’
engagement, dont on abuse, d’où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie
1987
ai pensé ; et ce mot d’engagement, dont on abuse,
d’
où l’aurais-je pris si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies
1988
dont on abuse, d’où l’aurais-je pris si ce n’est
de
sa vie — l’une des très rares vies d’homme que j’ai connues de près,
1989
si ce n’est de sa vie — l’une des très rares vies
d’
homme que j’ai connues de près, qui commandât mon absolu respect. Au-d
1990
’une des très rares vies d’homme que j’ai connues
de
près, qui commandât mon absolu respect. Au-delà de l’exemple vivant d
1991
e près, qui commandât mon absolu respect. Au-delà
de
l’exemple vivant du destin vécu de mon père, qu’irais-je encore cherc
1992
spect. Au-delà de l’exemple vivant du destin vécu
de
mon père, qu’irais-je encore chercher dans le passé ? Si j’y suis rem
1993
remonté, c’était pour mieux saisir l’enseignement
d’
une vie où s’est fondée ma vie. Sur le fond d’une tradition qui la rel
1994
ent d’une vie où s’est fondée ma vie. Sur le fond
d’
une tradition qui la reliait à notre histoire et à l’ancienne communau
1995
encore comme il disait jour après jour : « Aller
de
l’avant ! ») L’honneur à rendre au père, selon le Décalogue, n’est pa
1996
r mourir centenaire !) Prolongés vers cet au-delà
de
la mémoire individuelle, le passé qui se passe en nous, et sans leque
1997
asse en nous, et sans lequel il n’y aurait jamais
de
plénitude du présent. Jours prolongés comme un accord qui réveille au
1998
avenir aussi, parce qu’il ouvre l’attente ardente
de
sa résolution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute ét
1999
qu’il ouvre l’attente ardente de sa résolution —
de
son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolon
2000
e ardente de sa résolution — de son pardon. Jours
de
nos vies, comptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de pié
2001
ution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés
de
toute éternité, mais prolongés par l’acte de piété à la durée des siè
2002
ptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte
de
piété à la durée des siècles écoulés et futurs de ce « pays que Dieu
2003
de piété à la durée des siècles écoulés et futurs
de
ce « pays que Dieu nous donne ».
2004
s, comme à l’écoute clandestine, l’oreille au son
d’
un passé qui faiblit mais qui n’a pas terminé son message. Il me parle
2005
né son message. Il me parle ce soir de plus loin,
d’
au-delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps d’une plus vaste
2006
sage. Il me parle ce soir de plus loin, d’au-delà
de
mon petit pays, dans l’espace et le temps d’une plus vaste patrie. Le
2007
delà de mon petit pays, dans l’espace et le temps
d’
une plus vaste patrie. Les perspectives changent à vue, vertige et gri
2008
je croyais tenir ? Où vont se perdre les sentiers
de
la mémoire, ces voies ouvertes à l’imagination ? Il y a la petite pat
2009
u’on peut parcourir en une journée et chaque jour
de
la vie sans se lasser, celle qu’un regard embrasse et détaille à lois
2010
’un regard embrasse et détaille à loisir. Au-delà
de
ses paysages et de sa proche histoire, il n’y a que l’imaginaire. Les
2011
et détaille à loisir. Au-delà de ses paysages et
de
sa proche histoire, il n’y a que l’imaginaire. Les nations, les plus
2012
ntre l’autre, et qu’entre ces amours il n’est que
de
la haine. Comment un Suisse le croirait-il ? Si je me sens presque pa
2013
Pour moi comme pour tant d’autres Suisses, passer
de
la petite patrie à la plus vaste, ce n’est pas infidélité à ma race,
2014
sens. Ainsi, pour me sentir Européen, nul besoin
de
quitter ce salon campagnard où je suis revenu m’asseoir : il me suffi
2015
agnard où je suis revenu m’asseoir : il me suffit
de
méditer sur ses images, de remonter par elles à des sources lointaine
2016
asseoir : il me suffit de méditer sur ses images,
de
remonter par elles à des sources lointaines. Grands portraits un peu
2017
, gravures piquées et daguerréotypes. Que sais-je
d’
eux, qui me regardent ? Cette aïeule au visage émacié, coiffé de longu
2018
regardent ? Cette aïeule au visage émacié, coiffé
de
longues boucles noires, j’ai lu ses lettres. Dernière d’une lignée tr
2019
ues boucles noires, j’ai lu ses lettres. Dernière
d’
une lignée très catholique, elle cachait ses messages au fiancé suisse
2020
chait ses messages au fiancé suisse dans l’écorce
d’
un arbre, au fond du parc, et devenait protestante en secret. J’ai lu
2021
devenait protestante en secret. J’ai lu ces pages
de
confidences pudiques, pleines d’idéal et de mélancolie, mais sans y r
2022
’ai lu ces pages de confidences pudiques, pleines
d’
idéal et de mélancolie, mais sans y retrouver la trace des larmes dont
2023
pages de confidences pudiques, pleines d’idéal et
de
mélancolie, mais sans y retrouver la trace des larmes dont elle écrit
2024
s furent baignées. L’on était vers 1830. Portrait
de
son grand-père, un chevalier de Malte, membre correspondant de l’Inst
2025
rs 1830. Portrait de son grand-père, un chevalier
de
Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils fut décap
2026
père, un chevalier de Malte, membre correspondant
de
l’Institut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire d
2027
e Malte, membre correspondant de l’Institut. L’un
de
ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la
2028
titut. L’un de ses fils fut décapité au lendemain
de
l’affaire de Quiberon, sous la Terreur, deux ans après que sa petite
2029
e ses fils fut décapité au lendemain de l’affaire
de
Quiberon, sous la Terreur, deux ans après que sa petite cousine Charl
2030
né à Boudry, tout près d’ici. Que sais-je encore
de
cette famille éteinte ? Du fond des âges et de la forêt normande, il
2031
re de cette famille éteinte ? Du fond des âges et
de
la forêt normande, il m’en revient un nom de Table ronde : Lucrèce d’
2032
s et de la forêt normande, il m’en revient un nom
de
Table ronde : Lucrèce d’Aubray, Dame de l’Aigle et du Lac… Cette aïeu
2033
te aïeule qui me sourit dans sa mantille, retenue
d’
une main sur la gorge opulente, vint de Béziers au temps des dragonnad
2034
agonnades. Parmi ses ancêtres : Mirman, défenseur
de
la foi huguenote ; et plus haut des seigneurs dont certains furent ca
2035
nt cathares, Miramon, Cabrol et Vestric… Portrait
d’
un général de la Garde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et d
2036
éral de la Garde prussienne. Souvenirs des tantes
de
Dresde et de Bavière… On se trompe en croyant qu’un voyageur, à longu
2037
rde prussienne. Souvenirs des tantes de Dresde et
de
Bavière… On se trompe en croyant qu’un voyageur, à longueur de chemin
2038
n se trompe en croyant qu’un voyageur, à longueur
de
chemin, perd ses ancêtres : c’est eux parfois qu’il s’en va visiter,
2039
il s’interroge : comment l’eussent-ils reçu, gens
de
leur terre, lui le nomade ? Qu’y a-t-il encore entre eux et lui ? Peu
2040
et lui ? Peu de chose, ou rien si l’on veut. Rien
d’
autre qu’un pouvoir sans doute fictif, et que peut-être ils négligèren
2041
e fictif, et que peut-être ils négligèrent, celui
de
se sentir chez soi dans leurs légendes. Les forêts enchantées où chev
2042
où chevauchait Lancelot, sous les ciels méditants
de
l’Ouest celtique ; le Midi sec et enfiévré des troubadours ; et de l’
2043
ue ; le Midi sec et enfiévré des troubadours ; et
de
l’autre côté de l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la
2044
et enfiévré des troubadours ; et de l’autre côté
de
l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets de la Prusse-Oriental
2045
e l’Europe, aux marches slaves, ces burgs secrets
de
la Prusse-Orientale, — tant de générations aux fortunes diverses ne m
2046
qu’elles m’y lient ? Nous ne savons presque rien
de
l’hérédité. Mais quand on m’aura démontré que le sentiment d’obscure
2047
é. Mais quand on m’aura démontré que le sentiment
d’
obscure reconnaissance qui m’a toujours saisi dans ces provinces ne do
2048
mystères du sang, une idée chimérique ne cessera
de
me plaire : sur ces lieux où jadis des hommes dont je descends exercè
2049
s hommes dont je descends exercèrent leurs droits
de
seigneurs, je garde encore un droit de rêve, d’imaginaire intimité. V
2050
urs droits de seigneurs, je garde encore un droit
de
rêve, d’imaginaire intimité. Voilà un privilège qui ne peut gêner per
2051
s de seigneurs, je garde encore un droit de rêve,
d’
imaginaire intimité. Voilà un privilège qui ne peut gêner personne ! P
2052
i ceux qui vivent pour l’avenir et dans les voies
de
l’ambition jalouseraient-ils ceux qui parfois se plaisent à remonter
2053
VI Ces retours sur l’histoire
d’
un pays, où je cherchais à mieux situer les miens, m’ont proposé chemi
2054
roposé chemin faisant quelques énigmes, et permis
d’
entrevoir quelques réponses. Voici pourtant un fait que je m’explique
2055
nt de culture, pour tant de livres lus, relus, et
de
bon choix, accumulés depuis des siècles dans les maisons publiques et
2056
roduit qui marque dans la langue, à part la Bible
d’
Ostervald. Les ouvrages distingués ne manquent pas. Mais les seuls qui
2057
les seuls qui aient franchi nos limites sont ceux
de
nos théologiens, Ostervald encore, puis Godet ; et le Droit des gens
2058
tervald encore, puis Godet ; et le Droit des gens
de
Vattel. Nous avons eu d’excellents historiens : l’auteur de la Chroni
2059
t ; et le Droit des gens de Vattel. Nous avons eu
d’
excellents historiens : l’auteur de la Chronique des Chanoines (apocry
2060
Nous avons eu d’excellents historiens : l’auteur
de
la Chronique des Chanoines (apocryphe), Chambrier pour l’ancien régim
2061
it du terme — le roman, le poème, l’essai, le jeu
d’
idées — est restée chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré d
2062
chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré
de
grand ou d’émouvant d’une culture solide et variée, d’une nature cont
2063
uvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou
d’
émouvant d’une culture solide et variée, d’une nature contrastée de ch
2064
le. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’émouvant
d’
une culture solide et variée, d’une nature contrastée de charme et de
2065
and ou d’émouvant d’une culture solide et variée,
d’
une nature contrastée de charme et de tristesse, ni même de la tension
2066
culture solide et variée, d’une nature contrastée
de
charme et de tristesse, ni même de la tension des contraintes morales
2067
e et variée, d’une nature contrastée de charme et
de
tristesse, ni même de la tension des contraintes morales, dont vécut
2068
ure contrastée de charme et de tristesse, ni même
de
la tension des contraintes morales, dont vécut le roman victorien. Fa
2069
s ? J’ai vu percer quelques poètes à nos vitrines
de
libraires… Les Vaudois ont produit ou toléré Constant, Alexandre Vine
2070
nt, Alexandre Vinet, Ramuz ; les Genevois Calvin,
de
Bèze, Rousseau, Madame de Staël, Töpffer, Amiel… Je ne parle pas des
2071
urope, connaît au moins le nom. Nous n’avons rien
de
ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Colo
2072
m. Nous n’avons rien de ce rang-là. Les visiteurs
de
Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éc
2073
ns rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne,
de
Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux, furent éclatants et pa
2074
Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des coteaux
de
Cologny ou de Montreux, furent éclatants et parfois scandaleux. Mais
2075
de Lausanne, de Coppet, des coteaux de Cologny ou
de
Montreux, furent éclatants et parfois scandaleux. Mais la « petite hi
2076
e se borne à mentionner chez nous des rendez-vous
de
voyageurs discrets, inaperçus et bientôt disparus. Un seul s’est fait
2077
marquer, ce fut le premier en date, et les gamins
de
Môtiers lui jetèrent des cailloux. Avertis par ce précédent, dont le
2078
nt le bruit s’élargit à l’Europe, les successeurs
de
l’Arménien ne sont venus chez nous qu’à pas feutrés. Certains d’aille
2079
ous qu’à pas feutrés. Certains d’ailleurs avaient
de
bonnes raisons de ne point publier leur séjour. Benjamin Constant s’e
2080
és. Certains d’ailleurs avaient de bonnes raisons
de
ne point publier leur séjour. Benjamin Constant s’enfermait dans le m
2081
our. Benjamin Constant s’enfermait dans le manoir
de
Madame de Charrière, pour échapper aux cousines de Lausanne et à son
2082
e Madame de Charrière, pour échapper aux cousines
de
Lausanne et à son mariage en Allemagne. Chateaubriand, qui se souvena
2083
magne. Chateaubriand, qui se souvenait sans doute
d’
avoir été jadis, pour la police française, un dénommé « Lassagne, Neuc
2084
gne, Neuchâtelois », vint s’enfermer au lendemain
de
sa chute « dans une cabane au bord du lac ». Brève retraite, dont une
2085
c ». Brève retraite, dont une phrase des Mémoires
d’
outre-tombe lui suffit pour décrire l’ennui : « Un maigre chat noir, d
2086
« Un maigre chat noir, demi-sauvage, qui pêchait
de
petits poissons en plongeant sa patte dans un grand seau rempli de l’
2087
s en plongeant sa patte dans un grand seau rempli
de
l’eau du lac, était toute ma distraction. » Au même endroit de la vil
2088
ac, était toute ma distraction. » Au même endroit
de
la ville, neuf ans plus tard, Balzac rencontrera cette inconnue qui v
2089
nie. Et l’on dit qu’Andersen écrivit quelques-uns
de
ses plus beaux contes pendant le séjour qu’il fit au Locle, dans la n
2090
t, à ces conjonctions clandestines, à l’incognito
de
la gloire. Je voudrais qu’on y élève un monument dédié à l’Illustre I
2091
Il serait en forme de banc. Qui sait quel Balzac
de
l’avenir, quelle Étrangère venue du bout du monde, ne seraient point
2092
venue du bout du monde, ne seraient point tentés
de
s’y asseoir un jour, pour quelques heures, en face du lac ? Et certes
2093
ac ? Et certes, j’ai pensé à Gide, le plus fidèle
de
tous nos hôtes, en écrivant ces phrases sur le banc. Je viens de repr
2094
prendre son Journal, pour vérifier s’il y parlait
de
Neuchâtel. Et je tombe sur ce court passage, à la date de 1913 : « Co
2095
âtel. Et je tombe sur ce court passage, à la date
de
1913 : « Combien j’aime ce lac tranquille aux rives basses, peuplé de
2096
j’aime ce lac tranquille aux rives basses, peuplé
de
mouettes, où mon regard ni ma pensée ne se heurte à rien d’accidentel
2097
s, où mon regard ni ma pensée ne se heurte à rien
d’
accidentel ou d’étranger. Comment, moi si frileux, n’éprouvai-je ce ma
2098
ni ma pensée ne se heurte à rien d’accidentel ou
d’
étranger. Comment, moi si frileux, n’éprouvai-je ce matin que bien-êtr
2099
à peine au-dessus du gel, n’ayant devant moi que
de
l’eau et de la brume ? J’habiterais ici volontiers. » Il a fallu le p
2100
dessus du gel, n’ayant devant moi que de l’eau et
de
la brume ? J’habiterais ici volontiers. » Il a fallu le prix Nobel po
2101
s. Puis on lit à haute voix les deux papiers. Jeu
de
hasard, ou de télépathie. J’avais écrit, dernière question : — Qu’est
2102
à haute voix les deux papiers. Jeu de hasard, ou
de
télépathie. J’avais écrit, dernière question : — Qu’est-ce que le sty
2103
: — Qu’est-ce que le style ? Catherine, la fille
de
Gide, lut sa dernière réponse : — L’originalité de mon père. Gide s’é
2104
e Gide, lut sa dernière réponse : — L’originalité
de
mon père. Gide s’éclaircit la voix pour observer que le jeu devenait
2105
ien j’aimai ce lac aux rives glauques ! sans rien
d’
alpestre, et dont les eaux, comme celles d’un marécage, longtemps se m
2106
s rien d’alpestre, et dont les eaux, comme celles
d’
un marécage, longtemps se mêlent à la terre et filtrent entre les rose
2107
Et depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur
de
l’eau — pour toute la vie », écrivait un Paysan du Danube, et vingt a
2108
nheur à ces souvenirs. Non qu’ils me parlent tous
de
jours heureux, mais la mémoire des plus amers ou des plus seuls a gar
2109
lac n’est jamais sans quelque douceur ? Cherchant
d’
où vient cet agrément, et pourquoi dans le monde lacustre on ressent l
2110
ux ciels changeants, et si profonds ses lointains
de
lumière. La pente derrière moi, l’horizon des collines, sont le cadre
2111
où les cris des oiseaux dans la brume s’occupent
d’
une vie bien différente… Enfin la variété des objets, des lumières, de
2112
satisfait comme nul autre paysage ce goût profond
de
composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’
2113
me nul autre paysage ce goût profond de composer,
de
contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, d
2114
ysage ce goût profond de composer, de contraster,
de
voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de
2115
rofond de composer, de contraster, de voiler puis
de
découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de bo
2116
oser, de contraster, de voiler puis de découvrir,
de
plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux,
2117
ler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée,
de
s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler
2118
couvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter,
de
revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l
2119
plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir,
de
boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconn
2120
née, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux,
de
comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il
2121
rter, de revenir, de boire des yeux, de comparer,
de
contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il aime à s’y r
2122
à Baveno dans l’eau tiède et dorée, c’est la fin
de
l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux
2123
ée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue
de
l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux,
2124
-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau
de
rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, passagers immobiles, un bra
2125
ella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés
de
dieux, passagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac de Garde un
2126
assagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac
de
Garde un palais délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de
2127
bite au lac de Garde un palais délabré, au-dessus
de
jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneu
2128
délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins
de
lucioles à la nuit, quand les violoneux du village viennent donner la
2129
brusque sauvagerie des hautes pentes, échevelées
de
châtaigniers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige,
2130
ers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé
de
neige, sur l’autre rive, un orage s’illumine par moments, et dans l’é
2131
où l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare
de
la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nou
2132
hare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux
de
la Prusse-Orientale, nous allions ramer vers minuit, heure où le crép
2133
n se meurt dans l’aube, à l’horizon des landes et
de
la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient
2134
des et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond
de
la vallée, où tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plai
2135
ù tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac
de
plaine aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses au
2136
Balaton, lac de plaine aux eaux fades, environné
de
collines pointues et de valses aux jardins publics — là j’étais seul…
2137
aux eaux fades, environné de collines pointues et
de
valses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par un b
2138
alses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade
de
Genève par un beau temps cruel, qui faisait fête à des adieux… Petits
2139
es adieux… Petits déjeuners suisses sur un balcon
d’
hôtel à Vevey, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air
2140
y, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu
de
l’air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scintillement d
2141
e le monde venait de s’éveiller, luisant et neuf,
de
la première nuit… Et ces deux grands étés américains, dans les demeur
2142
ds étés américains, dans les demeures trop vastes
de
Lake George, nommé jadis lac du Saint-Sacrement « pour la pureté lust
2143
lac du Saint-Sacrement « pour la pureté lustrale
de
ses eaux »… Il me rappelait un peu de tous mes autres lacs, mais il é
2144
tous mes autres lacs, mais il était surtout celui
d’
Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvai
2145
es autres lacs, mais il était surtout celui d’Œil
de
faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien
2146
celui d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans
de
mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pourquoi l’ai-je quitté ? …Et
2147
i l’ai-je quitté ? …Et nous n’irons jamais au lac
d’
Amatitlán, au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte
2148
is au lac d’Amatitlán, au pied du fabuleux volcan
de
Sant’Anna, mais je l’emporte avec les autres sans remords, s’il est v
2149
e avec les autres sans remords, s’il est vrai que
d’
aucun je n’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes sec
2150
emords, s’il est vrai que d’aucun je n’ai su tant
d’
histoires et qu’il détient certains de mes secrets. Je dénombre mes la
2151
’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains
de
mes secrets. Je dénombre mes lacs, et la mémoire encore investit du c
2152
ce même, aux chagrins taciturnes. Souffrir auprès
d’
un lac n’est jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar
2153
que mon cœur humilié. Dans ce « local » empuanti
de
tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’i
2154
cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de tabac
de
pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation
2155
. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et
de
bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’une socié
2156
t de bière renversée, je viens de subir l’épreuve
d’
initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant
2157
nversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation
d’
une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout
2158
ens de subir l’épreuve d’initiation d’une société
de
collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonnea
2159
itiation d’une société de collégiens. J’ai refusé
de
raconter devant tous, debout sur un tonneau comme le veut la coutume,
2160
r un tonneau comme le veut la coutume, l’histoire
de
mes Premières Amours. On m’a conspué. J’ai 16 ans. C’est horrible. Mo
2161
descend dans le cortège des jeunes filles sortant
de
l’école des Terreaux. Nous, les garçons, tenons notre « colloque » su
2162
s garçons, tenons notre « colloque » sur la place
de
l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de
2163
lace de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous
d’
un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais
2164
de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave,
d’
un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois veni
2165
Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air
de
ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois venir de loin
2166
nir de loin. Elle porte un grand chapeau flottant
d’
un rose sombre. Tout la distingue infiniment du troupeau bavardant de
2167
out la distingue infiniment du troupeau bavardant
de
ses compagnes. Si je rencontrais ses yeux, que deviendrais-je, et si
2168
semaine prochaine, l’épreuve recommencera. Odeur
de
l’eau qui dort, pénétrante, amicale. Un poisson saute et ride un mome
2169
out à fait comme avant.) Ce soir, elle est encore
d’
une présence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bou
2170
nvoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou
de
Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague
2171
ourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée,
de
vague en vague vers l’autre rive. Elle caresse en passant l’épaule de
2172
des collines, elle monte, elle embrase longtemps
d’
une sereine incandescence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets
2173
ence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets
d’
où l’on voit l’Italie… Et le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de
2174
horizon. Paysage emphatique et sombre, tout cerné
de
prodiges sévères, et l’œil ne s’en évade au bas du ciel — vers l’oues
2175
r lointain que l’eau n’a point doublé, déjà prise
de
nuit, rêvant jusqu’à mes pieds. Par une chaude soirée du mois d’août
2176
jusqu’à mes pieds. Par une chaude soirée du mois
d’
août 192., un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle g
2177
mois d’août 192., un jeune homme, simplement vêtu
d’
un pantalon de flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à
2178
2., un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon
de
flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à longues pesées
2179
implement vêtu d’un pantalon de flanelle grise et
d’
un chandail au col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la
2180
col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin
de
la plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage est imminent. No
2181
L’orage est imminent. Notre héros, qui paraît âgé
d’
une vingtaine d’années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les
2182
nent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine
d’
années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les peupliers, et d
2183
ues limoneuses accablent sans relâche les roseaux
de
la baie. Des nuées menaçantes courent très bas, tirant des pluies au
2184
Il roule maintenant dans l’ombre tiède et abritée
d’
un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés p
2185
aintenant dans l’ombre tiède et abritée d’un bois
de
pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés par le crép
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Quelle est cette hâte inconnue, qu’il se flattait
de
n’éprouver jamais, bien au contraire, avant un rendez-vous ? Cette en
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au contraire, avant un rendez-vous ? Cette envie
de
crier : « J’accours ! Attends !… » Ah ! mais qu’est-ce qu’il m’arrive
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cœur net. (Tout son orgueil réside en la maîtrise
de
soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pie
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t son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal
de
sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol,
2190
en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que
de
puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la ma
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Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie
de
la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’at
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pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc
d’
un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’attente du pays sous l
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œur, le sang plus vite, le soulèvement plus ample
de
la respiration. Tout ce que disent les poètes qu’il dédaigne, tous le
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quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était
d’
un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient d
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t d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs
de
chaleur palpitaient dans la nue, et le jeune homme savait en repartan
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à des lieux plus sévères. Mais plutôt il convient
d’
alterner ces agréments et ces vertus. Qui nous parlera des forêts ? Po
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s sont celles où l’on naît à l’amour. Un portrait
de
notre pays, peint de là-haut, ne ressemblerait guère à mes esquisses.
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naît à l’amour. Un portrait de notre pays, peint
de
là-haut, ne ressemblerait guère à mes esquisses. Au lieu de la lumièr
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cru, des ombres longues et givrées, des couchants
d’
incendie sur les menées moroses des hauts plateaux boisés de noir. Ils
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sur les menées moroses des hauts plateaux boisés
de
noir. Ils vont jusqu’au Tibet, me disait un jour Ramuz (dont la géogr
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un jour Ramuz (dont la géographie se passait bien
d’
atlas). C’est la même civilisation, les mêmes fumées sur les tourbière
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uedoc sont en réalité des musulmans, qu’il suffit
de
les voir, tout noirs dans leurs cuisines, fatalistes et irréductibles
2203
ent des voies. Je garde ma méfiance pour l’espèce
de
mensonge qui rend la vie plus petite que nature, sous prétexte d’exac
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rend la vie plus petite que nature, sous prétexte
d’
exactitude. Pays des horlogers à domicile, des longues veillées, des i
2205
es longues veillées, des inventions pratiques, et
de
beaucoup de dignité cordiale dans le commerce quotidien, c’est le Nor
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kounine présida, me dit-on, les réunions secrètes
d’
où devait sortir la Première Internationale, aussitôt confisquée par M
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ère Internationale, aussitôt confisquée par Marx.
De
cette enfance il me reste un cauchemar, l’école primaire, dont j’ai p
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ressemble à aucun autre ; une connaissance intime
de
la neige ; le désir des pays chauds ; et un petit lièvre. Je me souvi
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pays chauds ; et un petit lièvre. Je me souviens
de
ce retour du Creux-du-Van, à travers les grands pâturages parsemés de
2210
x-du-Van, à travers les grands pâturages parsemés
de
sapins majestueux et coupés çà et là de murs bas faits de grosses pie
2211
parsemés de sapins majestueux et coupés çà et là
de
murs bas faits de grosses pierres entassées avec art. Nous passions l
2212
s majestueux et coupés çà et là de murs bas faits
de
grosses pierres entassées avec art. Nous passions les clédars (beau m
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soin, pour que les vaches n’aillent point changer
de
propriétaire. Nous marchions à grandes enjambées, joyeux de sentir no
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taire. Nous marchions à grandes enjambées, joyeux
de
sentir nos gros talons cloutés mordre dans le sol élastique. Soudain
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ndis mon pas : au bout de mon pied, dans un creux
d’
herbe, un petit lièvre frémissait, immobile et terrorisé. Nous nous so
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t terrorisé. Nous nous sommes regardés un moment,
de
tout près. Un seul geste rapide eût suffi pour l’attraper par les ore
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ant. C’était trop beau… Le lièvre détala. Combien
d’
occasions merveilleuses ai-je laissées détaler depuis ! Ce sont peut-ê
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Chaque fois qu’une chance offerte un instant fuit
d’
un bond, parce qu’un scrupule ou un respect, ou quelque obscure sagess
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cent. J’entends les mêmes allures, le même accent
de
l’âme, du cœur et de la poignée de main ; mais hélas ! aussi du langa
2220
êmes allures, le même accent de l’âme, du cœur et
de
la poignée de main ; mais hélas ! aussi du langage. Et à ce propos… L
2221
i du langage. Et à ce propos… L’opinion publique,
de
nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les
2222
on publique, de nos jours, veut que si l’on parle
de
son pays et de son peuple on les loue sans aucune retenue, et cette v
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nos jours, veut que si l’on parle de son pays et
de
son peuple on les loue sans aucune retenue, et cette vanité collectiv
2224
it pourquoi, patriotisme ; mais que si l’on parle
de
soi, on confesse uniquement ses faiblesses, et cela s’appelle sincéri
2225
es, et cela s’appelle sincérité. (Quand il s’agit
de
la famille, ce moyen terme entre l’individu et la patrie, on ne sait
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r quel pied danser.) Pour moi, j’ai pris le parti
de
laisser les étrangers vanter nos vertus bien connues et découvrir cel
2227
me borne à l’autocritique. Et par exemple, il est
de
mon devoir de citoyen conscient et responsable d’élever une solennell
2228
utocritique. Et par exemple, il est de mon devoir
de
citoyen conscient et responsable d’élever une solennelle protestation
2229
de mon devoir de citoyen conscient et responsable
d’
élever une solennelle protestation contre l’accent de mes compatriotes
2230
lever une solennelle protestation contre l’accent
de
mes compatriotes, celui qu’ils ont pris de nos jours et que leurs pèr
2231
accent de mes compatriotes, celui qu’ils ont pris
de
nos jours et que leurs pères n’ont pas connu, l’accent le plus navran
2232
s pères n’ont pas connu, l’accent le plus navrant
de
tout le domaine français, de Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou
2233
cent le plus navrant de tout le domaine français,
de
Québec à Menton, de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de
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de tout le domaine français, de Québec à Menton,
de
Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de franç
2235
de Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper
de
nos fautes de français, elles sont moins graves, et je ne crois pas q
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Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes
de
français, elles sont moins graves, et je ne crois pas que nous en com
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tu t’encoubles, il aurait meilleur temps, on veut
d’
jà bien ça faire, vous voyez pas jour, ils n’en peuvent rien ; dans le
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e moque à l’occasion des Auvergnats, mais grimace
de
douleur à nous entendre. Écoutez les jeunes gens dans la rue (« sur l
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ns une bouillasse verbale, où l’on se traîne avec
de
lourdes brusqueries, pour s’enliser régulièrement avant d’avoir attei
2240
s brusqueries, pour s’enliser régulièrement avant
d’
avoir atteint la fin d’une phrase. Je sais bien que l’influence du sui
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nliser régulièrement avant d’avoir atteint la fin
d’
une phrase. Je sais bien que l’influence du suisse allemand y est pour
2242
beaucoup, et qu’on ne peut pas déplacer le canton
de
Berne. Mais je me souviens aussi de l’état d’esprit qui entretient ce
2243
cer le canton de Berne. Mais je me souviens aussi
de
l’état d’esprit qui entretient cet état de choses et qui ne cesse de
2244
qui entretient cet état de choses et qui ne cesse
de
l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et de la caserne, où l’o
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hoses et qui ne cesse de l’aggraver : c’est celui
de
l’école primaire et de la caserne, où l’on se moque sans pitié des ga
2246
e l’aggraver : c’est celui de l’école primaire et
de
la caserne, où l’on se moque sans pitié des garçons qui « raffinent »
2247
i « raffinent », c’est-à-dire parlent avec un peu
d’
aisance. Cette émulation par le bas pourrait être arrêtée par les inst
2248
t être arrêtée par les instituteurs. Il suffirait
de
renverser la mode, et de statuer qu’à partir d’aujourd’hui l’on va se
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stituteurs. Il suffirait de renverser la mode, et
de
statuer qu’à partir d’aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux
2250
t de renverser la mode, et de statuer qu’à partir
d’
aujourd’hui l’on va se moquer doucement de ceux qui parlent mal, au li
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partir d’aujourd’hui l’on va se moquer doucement
de
ceux qui parlent mal, au lieu de tourner en ridicule ceux qui essaien
2252
au lieu de tourner en ridicule ceux qui essaient
de
bien dire, d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’express
2253
urner en ridicule ceux qui essaient de bien dire,
d’
articuler nettement, de maîtriser leurs moyens d’expression. Le vers f
2254
qui essaient de bien dire, d’articuler nettement,
de
maîtriser leurs moyens d’expression. Le vers fameux de Valéry : « Hon
2255
d’articuler nettement, de maîtriser leurs moyens
d’
expression. Le vers fameux de Valéry : « Honneur des Hommes, Saint Lan
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îtriser leurs moyens d’expression. Le vers fameux
de
Valéry : « Honneur des Hommes, Saint Langage ! » serait la devise de
2257
ur des Hommes, Saint Langage ! » serait la devise
de
cette croisade, dont le succès embellirait notre existence mieux qu’u
2258
arques un peu vives si elles attirent l’attention
de
nos éducateurs sur une disgrâce que l’habitude risque de rendre insen
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éducateurs sur une disgrâce que l’habitude risque
de
rendre insensible à certains. Dans ce domaine, faire attention suffir
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à prévenir et à guérir. Il convenait qu’au terme
de
ces pages j’apporte aussi ma petite contribution au centenaire que l’
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oilà qui est fait selon mes moyens, qui sont ceux
d’
un monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage. Cadeau
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es moyens, qui sont ceux d’un monteur et ajusteur
de
mots, par métier soucieux de langage. Cadeau modeste mais peut-être u
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monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux
de
langage. Cadeau modeste mais peut-être utile, si l’on songe que ce ce
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utile, si l’on songe que ce centenaire est celui
d’
une libération, et qu’un peuple n’est vraiment libre que s’il possède
2265
d, dans la force et la grâce du terme, la liberté
de
l’expression. e. Voir Les Méfaits de l’instruction publique .
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a liberté de l’expression. e. Voir Les Méfaits
de
l’instruction publique .