1
umée et qui se cachent dans les journaux du soir,
soit
lentement doublé par le rapide de Bretagne. Ce long passage lumineux
2
» à 100 kilomètres à l’heure. ⁂ L’Europe centrale
est
une de ces réalités qu’on reconnaît d’abord par leur frisson particul
3
lles naissent lentement dans ces campagnes qui ne
sont
nulle part la « province ». Elles condensent la vie de leur contrée,
4
r dans un express. Pour guérir de Descartes, il n’
est
que d’aimer en voyage : l’on découvre bientôt que rien n’est comparab
5
imer en voyage : l’on découvre bientôt que rien n’
est
comparable. Quel était ce besoin de fixer, de cerner, de localiser da
6
découvre bientôt que rien n’est comparable. Quel
était
ce besoin de fixer, de cerner, de localiser dans l’espace des sentime
7
dans un humour inénarrable et dans les pleurs… J’
étais
jeune. Le titanisme et la métamorphose « Métamorphose » et « pa
8
orphose « Métamorphose » et « paradoxe », tels
sont
peut-être les mots-clés de l’Europe sentimentale. Pourquoi faut-il qu
9
gue les traduise, en vertu d’une convention qu’il
serait
temps de réviser, par « démesure » et « confusion » ? Car il est trop
10
viser, par « démesure » et « confusion » ? Car il
est
trop certain que le mot démesure désigne dans l’esprit d’un bourgeois
11
apparaît aux yeux de ceux pour qui la religion n’
est
qu’assurance, comme une dérision désespérée. Malentendus sans cesse r
12
peut se traduire en arguments sanglants. Et s’il
est
des domaines où de nos jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économ
13
les plans, celui de la guerre y compris. Mais il
est
bon de préciser, fût-ce à l’aide d’un seul exemple. L’Allemand, dit-o
14
la guerre y compris. Mais il est bon de préciser,
fût
-ce à l’aide d’un seul exemple. L’Allemand, dit-on, est brutal ; le Fr
15
e à l’aide d’un seul exemple. L’Allemand, dit-on,
est
brutal ; le Français malin. Deux traits de caractère dont les manifes
16
le domaine du sentiment et des rapports sociaux,
sont
agaçantes à l’extrême pour l’autre. Agacement que l’on traduit en s’a
17
. Mais à l’Allemand, cette sorte-là de mensonge n’
est
guère sensible : la vérité pour lui étant ce qui s’impose, il la conf
18
ensonge n’est guère sensible : la vérité pour lui
étant
ce qui s’impose, il la confond assez naturellement avec ce qu’il impo
19
e comme d’une arme normale. La brutalité du moins
est
loyale jusque dans ses excès. L’habileté, elle, masque et renie ses m
20
ous-entendu et bien entendu, qu’en soi, la vérité
est
immuable, qu’elle n’est nullement atteinte par un mensonge occasionne
21
ndu, qu’en soi, la vérité est immuable, qu’elle n’
est
nullement atteinte par un mensonge occasionnel ; que ce mensonge, en
22
rien. En d’autres termes, le mensonge français n’
est
pas mythique. Il ne crée ni ne fausse rien d’essentiel à la réalité.
23
sse rien d’essentiel à la réalité. Le système D n’
est
pas un système philosophique. Ainsi se dessineraient, si nous étendio
24
ux « natures » fondamentales divergentes, dont il
serait
facile de suivre les manifestations dans les domaines les plus variés
25
festations dans les domaines les plus variés de l’
être
. Qu’on ne voie pas ici quelque facile généralisation, mais bien plutô
26
nction que l’on vient d’établir ne vaut rien : il
est
même probable qu’ils forment la majorité, car peu de gens sont typiqu
27
bable qu’ils forment la majorité, car peu de gens
sont
typiques de quoi que ce soit. Il reste que certains tours de pensée n
28
ité, car peu de gens sont typiques de quoi que ce
soit
. Il reste que certains tours de pensée ne sont véritablement réalisab
29
ce soit. Il reste que certains tours de pensée ne
sont
véritablement réalisables qu’au sein d’un ensemble organique de mœurs
30
Empédocle, qu’un Zarathoustra, génies titaniques,
sont
devenus des mythes germains par excellence, — et que c’est un Françai
31
e premier, conçut, pour s’en vanter, l’idée qu’il
était
né malin. Paradoxe du sentiment Une rumeur lointaine et continu
32
te, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’
être
nous déchire et nous ressuscite. À la naissance du sentiment, nous tr
33
chose qui vient combler ce vide. Une angoisse qui
est
un appel, et qui crée sa réponse — en vain. Le sentiment mesure une
34
n vain. Le sentiment mesure une défaillance de l’
être
. Mais ici, deux interprétations deviennent possibles. Selon l’une, ce
35
viennent possibles. Selon l’une, cette déficience
est
inhérente à toute réalité humaine ; elle est la marque même de sa val
36
ence est inhérente à toute réalité humaine ; elle
est
la marque même de sa validité, la preuve d’humanité pourrait-on dire.
37
humanité pourrait-on dire. (On appelle inhumain l’
être
qui ne sent rien.) Selon l’autre, elle indique seulement un défaut qu
38
une politique ou par une morale. D’une part l’on
tient
la déficience pour essentielle ; de l’autre elle apparaît un accident
39
’ « impossible », — qui dans ce sens, vraiment, n’
est
pas un mot français. En ceci, le monde de l’Europe centrale est plus
40
français. En ceci, le monde de l’Europe centrale
est
plus chrétien que le monde latin — si l’on considère ses manières de
41
idère ses manières de sentir et de penser — qu’il
est
essentiellement antithétique, déchiré (« déchirant ») et fondé sur ce
42
é sur cette vision de la réalité humaine : la vie
est
manque et compensation de ce manque ; contradictions et dépassement d
43
ntradictions2. Le monde latin, en tant que latin,
étant
un monde de l’unité (en vérité de l’unification à tout prix) est un m
44
l’unité (en vérité de l’unification à tout prix)
est
un monde « sécularisé » jusque dans ses modes les plus intimes de sou
45
la sorte, il s’imagine que sa réalité spirituelle
sera
plus vive, son âme plus fortement engagée dans le tragique essentiel.
46
aux, comme tous les calculs de l’âme : le péché n’
est
réel que pour celui qui veut s’en arracher. Toute délectation détruit
47
en quoi le monde latin, monde de la spontanéité,
est
à son tour plus audacieux, et pour tout dire plus chrétien que le mon
48
le monde de l’Europe centrale. L’intelligence
est
sentimentale Le sentiment : un retard, un regret. Mais c’est aussi
49
gement abstrait, qui la tue. Le sentimentalisme n’
est
pas du tout le contraire du rationalisme (mais nous vivons sur des di
50
nous vivons sur des distinctions de manuels). Il
est
même étonnant de constater combien exactement ces attitudes de l’espr
51
ater combien exactement ces attitudes de l’esprit
sont
parallèles. Toutes deux ont leur origine dans un perpétuel et anxieux
52
euse et synthétique de l’esprit hindou. Et cela n’
est
point trop théorique. Que l’on considère en effet le devenir dialecti
53
, c’est la réaction goethéenne. Goethe en ce sens
est
bien l’antiallemand, ou encore comme le disait Curtius, le premier cl
54
’acte. Il en résulte que la sensualité germanique
est
plus consciente (c’est-à-dire à la fois plus morose et plus débauchée
55
s l’amour et en tire une métaphysique. Le plaisir
est
pour lui rareté, friandise, et devient tout de suite une chose éthéré
56
découvrir. Et l’impuissance qui déjà la frappe n’
est
pas même compensée par une réelle prise de conscience. Car voici bien
57
réalité que la sensation4. Le désir et le regret
sont
plus certains que le plaisir. Seuls ils supportent dans leur sein la
58
té adore la bêtise. Mais l’intelligence véritable
est
toujours sentimentale. ⁂ Europe du sentiment, patrie de la lenteur, —
59
ice et bafouée. (Chevreuse, 1932.) 1. Un seul
être
vous manque et tout est dépeuplé ! Définition même du sentimentalisme
60
e, 1932.) 1. Un seul être vous manque et tout
est
dépeuplé ! Définition même du sentimentalisme subjectif que rend impo
61
d’un poète français, non d’un Français. 2. Hegel
serait
le philosophe par excellence de l’Europe centrale. Ce qu’il a tenté d
62
l’âme allemande. Mais il a voulu que ses moments
fussent
successifs : c’était un moyen de la résoudre. Et c’est justement cett
63
s. Autre exemple : tous les romantiques allemands
sont
nourris de théorèmes de Spinoza. 4. Seule réalité vivante prise en c
64
ère rose où nagent des phoques à ventre blanc qui
sont
des ministres, des sirènes en lamé qui sont presque des dames, et aus
65
c qui sont des ministres, des sirènes en lamé qui
sont
presque des dames, et aussi de vrais messieurs et de vraies dames : i
66
? Ils improvisent tous un rôle, mais le ton seul
est
convenu ; et l’on en reste indéfiniment à la présentation des acteurs
67
uelle tenue. Ici, plus qu’ailleurs, l’originalité
est
signe de sang mêlé. Ici comme ailleurs, il faut être conforme, au moi
68
t signe de sang mêlé. Ici comme ailleurs, il faut
être
conforme, au moins en apparence. Mais ce n’est pas à une routine que
69
t être conforme, au moins en apparence. Mais ce n’
est
pas à une routine que l’on sacrifie, à une morale, à je ne sais quel
70
personne n’a l’idée d’y croire. Le pire mensonge
est
dans la vie réputée pratique, parce qu’il n’y est pas avoué. — Ce que
71
est dans la vie réputée pratique, parce qu’il n’y
est
pas avoué. — Ce que je me dis là, c’est un truisme. Truisme a l’air d
72
je me dis là, c’est un truisme. Truisme a l’air d’
être
le nom d’une de ces sirènes un peu volumineuses qui déambulent en sou
73
quelqu’un qui ressemble à Richard Strauss, et qui
est
Richard Strauss. Il touche quelques accords, l’acteur Moissi tourne l
74
lit des vers sur le vent de printemps : la poésie
est
dans toutes les anthologies, l’habit classique, l’accent profond et n
75
s. Comme tout ce qui n’a pas de raison, voilà qui
est
plein de significations troublantes. Cela donne à penser, prête à rir
76
nte ans, qu’il résout par l’acte d’écrire… Moi je
suis
dans les buis, près des basses du petit orchestre, avec une écharpe e
77
nt. (Vu de près, le sourire éperdu des ballerines
est
émouvant, masque plus vrai que leurs visages.) On éteint. Et c’est al
78
es baronnes ont froid, veulent rentrer, car elles
sont
sages. Dans les salons désertés du rez-de-chaussée, elles me désignen
79
ressembler vraiment à son image. Je m’éloigne, je
suis
seul, comme ceux qui se souviennent. Tout est lumière dans cet espace
80
je suis seul, comme ceux qui se souviennent. Tout
est
lumière dans cet espace, jeu silencieux de lustres, de glaces et d’ac
81
ans la fête invisible qui m’environne, ah ! que n’
êtes
-vous celles des désirs de l’amour ! La traîne d’une robe tournoie, éc
82
ondes, et ceux qu’elle baigne d’une grâce furtive
sont
pris du désir d’adorer. Du sein de tant de contraintes polies et dans
83
lever vers moi un regard d’ardente confiance qui
était
tout ce qu’on ne pouvait dire, — qui était, dans un suprême délice de
84
ce qui était tout ce qu’on ne pouvait dire, — qui
était
, dans un suprême délice de libération, une prière pour que l’amour so
85
délice de libération, une prière pour que l’amour
soit
bien-aimé… Oh ! qu’il y ait eu cette joie par un regard de jeune fill
86
e par un regard de jeune fille ! Tout peut encore
être
sauvé… Un accord brusque de rumeurs à travers une porte qui s’ouvre r
87
resses déchirantes, — mais ici l’on aime que tout
soit
exprimé en symboles gantés de blanc. Nous sommes fous, mais il y a la
88
ut soit exprimé en symboles gantés de blanc. Nous
sommes
fous, mais il y a la manière. Presque tous les truismes se sont évano
89
s il y a la manière. Presque tous les truismes se
sont
évanouis ; restent les paradoxes : peut-être vont-ils se mettre à rêv
90
avec un reproche… Moi aussi, j’ai perdu pied. Ils
sont
toujours plus ivres. Rosette Anday levant sa coupe de champagne rit e
91
mpagne rit et déchaîne des opéras. — « Comme elle
est
laide, mais une voix à faire mal de bonheur, mais laide !… ah ! magni
92
ux qui ramènent Iseut dans le silence d’un midi d’
été
nordique, à l’heure de mourir dans une légèreté éperdue… Mais une mai
93
bord du sommeil saisie me ramène aux regards. Que
sont
tous ces gestes rythmés ? Anday chante. Ils me voient dans la nudité
94
nudité du rêve, oh ! je les hais de me voir ! Je
tiens
la main d’une femme qui tremble… Comtesse Adélaïde en soie d’aurore,
95
urne se refusent… Quelle tendresse, auprès de cet
être
secret, inaccessible et pourtant complice d’une angoisse plus bouleve
96
lence immobile de son âme… Mais les jeunes filles
sont
parfois trop émouvantes pour qu’on ose les embrasser. — Je tenais sa
97
rop émouvantes pour qu’on ose les embrasser. — Je
tenais
sa main, — ho ! qui l’a retirée des miennes ? … Sans se retourner, av
98
la plus forte… Vienne, 1928. 5. C’est ainsi qu’
était
formulée l’invitation au bal du célèbre banquier Castiglioni.
99
dormeur au fil de l’eau Où s’asseoir ? Le pont
est
encombré de jambes de dormeuses ; il faudrait réveiller tant de beaut
100
me demandent où je n’ai pas dormi. Le seul refuge
est
à l’avant, parmi des cordages, des chaînes, sur un banc humide, — jus
101
fin contre soi l’eau de ce beau Danube jaune qui
est
le plus inodore des fleuves. Dormir. Sans avoir pu retrouver cette mé
102
s adressée en cette vie : « Bonsoir, Monsieur, je
suis
fatigué, je vais au lit… » C’était au vestiaire, il enfilait une manc
103
pardessus, me donnait l’autre à serrer, la main n’
étant
pas encore sortie… Dormir au fil de l’eau, entre l’étrange nuit du ba
104
es, qu’on appelle, je crois bien, jeunesse… Je me
suis
endormi dans une grande maison calme aux voûtes sombres, qui est un C
105
s une grande maison calme aux voûtes sombres, qui
est
un Collège célèbre. La recherche de l’Objet inconnu Personne n’
106
roise en ce premier réveil — délivré. Chez moi je
suis
la proie de l’angoisse du courrier. J’attends la lettre, j’attends je
107
emps cette angoisse. J’irai chercher moi-même, me
suis
-je dit, je ferai toutes les avances, les plus exténuantes, et qui sai
108
ion terrible, tout de suite : « Mais qui, mais qu’
êtes
-vous venu chercher jusque chez nous ? » (En Hongrie, à 20 heures d’ex
109
ssè-je les inventer… Ah ! l’embarras de voyager n’
est
rien auprès de celui d’expliquer pourquoi l’on est parti. Cependant,
110
Peter Schlemihl, et vous, A. O. Barnabooth, vous
êtes
, m’écrié-je, mes frères ! Nous traînons tous notre sabot, qui, loin d
111
eignirent sur les traits de mes auditeurs. — Vous
êtes
, me dit-on, un amateur de troubles distingués. Peu de sens du réel. M
112
nous avons repassé un grand pont vibrant et nous
sommes
rentrés en Europe. Mais le lendemain, m’échappant d’un programme admi
113
nt ne pas voir qu’un lieu qui porte un nom pareil
est
par là même extraordinaire. Celui qui ne croit pas à la vertu des nom
114
noms reste prisonnier de ses sens ; mais celui-là
est
véritablement voyageur qui n’a pas renoncé à convaincre le réel de my
115
sychologues appellent une conduite magique. Or il
est
délicieux de réaliser une idée fixe injustifiable : c’est le plaisir
116
surchauffée, entre des murs assez hauts dont l’un
est
peut-être la façade d’une chapelle ; mais la porte est fermée. Par un
117
eut-être la façade d’une chapelle ; mais la porte
est
fermée. Par une ouverture étroite on passe ensuite à une seconde terr
118
ctères turcs brodés en or. L’histoire de Gül Baba
est
racontée sur un papier jauni encadré et fixé au mur. Gül Baba est le
119
un papier jauni encadré et fixé au mur. Gül Baba
est
le dernier héros musulman qui ait fait parler de lui en Hongrie. Il s
120
as levés, dirige la circulation de Pest. Gül Baba
est
moins théâtral). D’ailleurs le tombeau est vide. Et les babouches ? P
121
l Baba est moins théâtral). D’ailleurs le tombeau
est
vide. Et les babouches ? Pas de babouches. Je sais bien que ce n’est
122
bouches ? Pas de babouches. Je sais bien que ce n’
est
pas l’heure de visiter : le Père des roses est peut-être allé se prom
123
n’est pas l’heure de visiter : le Père des roses
est
peut-être allé se promener. Dehors, les roses crimson sentent le souf
124
. Trente degrés à l’ombre. Ce sanctuaire indigent
est
plutôt inexplicable que mystérieux. Aussi, la confusion des noms ne c
125
s le quotidien. Car, en somme, le Prophète Chauve
est
devenu le jardinier du Rozsadomb… Mais qu’eussè-je pu contempler de p
126
on sans angoisse. Café amer En Hongrie l’on
est
assailli par le pittoresque, mais il s’agit de le déjouer au moyen de
127
— elle n’a rien d’étrange, si l’on songe que nous
sommes
en Hongrie. Et ce n’est pas que je trouve ce raisonnement fin, encore
128
si l’on songe que nous sommes en Hongrie. Et ce n’
est
pas que je trouve ce raisonnement fin, encore que juste, mais si je m
129
juste, mais si je me défends du pittoresque, ce n’
est
qu’amour jaloux du merveilleux, avec quoi l’on est trop souvent tenté
130
st qu’amour jaloux du merveilleux, avec quoi l’on
est
trop souvent tenté de confondre l’excès de bizarrerie. C’est le faux
131
faux merveilleux qui a discrédité le vrai, lequel
est
quotidien, circonspect, souvent microscopique, moralement microscopiq
132
oscopique. (Il a tellement l’air de rien que nous
sommes
presque excusables de ne le point apercevoir.) Je vais cependant dire
133
r un long corridor hanté d’ombres drapées, qui ne
sont
pas des nonnes, bien que les voûtes soient celles d’un ancien couvent
134
, qui ne sont pas des nonnes, bien que les voûtes
soient
celles d’un ancien couvent. Nous pénétrons dans une grande salle vive
135
ne banquette longe trois des parois, la quatrième
est
occupée en partie par le comptoir (un écriteau porte simplement ce ta
136
eux ou trois tables avec des verres et bouteilles
sont
placées au hasard dans l’espace où tourne la fumée des cigares. Assis
137
tte fumée, les yeux à terre, dans l’attente. Nous
sommes
assis autour d’une table et nous voyons, au milieu de la salle, un ar
138
gnats en taxis La place Saint-Georges, à Bude,
est
une place vraiment royale. Vide, elle prend toute sa hauteur. Silenci
139
saint Étienne. Auprès du porche du Palais, ils n’
étaient
guère qu’une centaine de curieux, et quelques gardes. Traversant dans
140
voisin qui a la tête de François-Joseph, dont il
fut
peut-être valet, nomme à leur passage les Karolyi, les Festetic, les
141
et fils, revêtus des couleurs familiales. Ils se
tiennent
très droits, appuyés sur leurs sabres d’or recourbés dont les poignée
142
, ses intérêts. Mais, en Hongrie, le nationalisme
est
une passion toute nue, qui exprime l’être profond de la race. On ne d
143
onalisme est une passion toute nue, qui exprime l’
être
profond de la race. On ne discute pas cet amour, on ne réfute pas cet
144
, on ne réfute pas cette haine. Ici, la sympathie
est
un devoir de politesse. Comment la mesurer sans mauvaise grâce à qui
145
lé les deux tiers de notre patrie ? » — Ah ! ce n’
est
pas vous, maintenant, qui allez demander raison à vos hôtes de la faç
146
eurs ; que si les populations des régions perdues
étaient
parfois en majorité roumaines ou slovaques, la minorité hongroise y c
147
é hongroise y comptait cependant pour plus ; elle
était
seule active et créatrice. Le reste : des porteurs d’eau… Dans l’inex
148
i emporte la sympathie : car l’orgueil hongrois n’
est
point de ce que l’on gagne sur autrui, mais de ce que l’on est ; non
149
ce que l’on gagne sur autrui, mais de ce que l’on
est
; non point d’un parvenu, mais d’un aristocrate. Tous dangers égaux d
150
les Hongrois n’ont pas perdu le sentiment qu’ils
sont
en scandale au monde moderne. Voilà ce qu’on ne dit pas dans les dépê
151
is de plus, passent à côté de l’essentiel. Rien n’
est
grave, que le sentiment, — en politique comme ailleurs. Songez à ce q
152
ples ressemble à celle des individus, pour ce qui
est
du moins, de mentir à soi-même. Mais les Hongrois ne renient pas leur
153
imaginations absurdes et de souffrances vraies, n’
est
-ce point le climat de la passion ? — C’est celui de la Hongrie.6
154
te chimérique, mais qu’on peut croire bien près d’
être
comblé dans ce pays où les courtiers ne donnent pas encore le ton. La
155
ent pas encore le ton. La littérature hongroise n’
est
guère connue à l’étranger que par quelques pièces légères de Molnar,
156
hongrois » dans un style académique qui me paraît
être
le contraire du style hongrois. Il y a aussi une extrême gauche, et s
157
auvage, social ou futuriste, et dont la « furia »
serait
assez hongroise… Mais l’expression la plus libre et la plus vivante d
158
nie littéraire de cette race me paraît bien avoir
été
donnée par le groupe important du Nyugât (l’Occident), revue fondée p
159
y et Michel Babits. Ady, le sombre et pathétique,
est
mort à 35 ans, mais sa ferveur anime encore ces écrivains profondémen
160
de goûts et de curiosités, et dont Michel Babits
est
aujourd’hui le chef de file. Des amis m’emmènent le voir à Esztergom,
161
voir à Esztergom, où il passe ses étés. Esztergom
est
la plus vieille capitale de la Hongrie. Attila, me dit-on, y régna. A
162
doivent vivre ceux qui « chantent ». L’après-midi
est
immense. Nous buvons des vins dorés et doux que nous verse Ilonka Bab
163
dorés et doux que nous verse Ilonka Babits (elle
est
aussi poète, et très belle), nous inscrivons nos noms au charbon sur
164
fouille la plaine à la longue-vue et rêve qu’il y
est
, je grimpe au cerisier sauvage, derrière la maison, un peintre tout e
165
les vignes, ah ! qu’il fait beau temps, l’horizon
est
aussi lointain qu’on l’imagine, tout a de belles couleurs, le poète s
166
’orgueil errant, de conquêtes vagues… Tout ce qui
est
de la terre renonce à s’affirmer en détail précis, se masse dans une
167
erpente dans un de ces paysages de nulle part qui
sont
les plus émouvants, entre des collines basses grattées par les vents,
168
imes qu’à cette heure on sent bien que poursuivre
est
une sorte d’enivrant péché. — Nous aurions une maison dans ce désert
169
de tout amour pour quelque bien particulier où je
serais
tenté de me complaire. Oh ! je sais ! — Je ne sais plus. — Le train s
170
des beaux-arts Ils n’ont plus de noms, ils ne
sont
qu’une ivresse aux cent visages, lorsque j’entre dans l’atelier du pe
171
lier du peintre. Je ne tarde pas à oublier ce qui
est
lent ou fixe ou pas-à-pas. Tout s’épanouit dans un monde rythmé, fusa
172
. J’observe que les paroles autant que les gestes
sont
gouvernées par la seule logique d’un rythme constamment imprévu. Il s
173
etit caillou. Ici, le sens des mots et des choses
est
celui d’un courant musical qui domine l’ensemble et le compose selon
174
la sciure ou dans le gâtisme. On trouve que ça n’
est
pas distingué, et en effet, que serait un lyrisme distingué ? Il faut
175
ouve que ça n’est pas distingué, et en effet, que
serait
un lyrisme distingué ? Il faut choisir entre les bonnes manières et l
176
t… Le vertige (la peur et l’amour du vertige). Qu’
est
-ce qu’il y aurait de l’autre côté ? Se laisser choir dans le Gris ? R
177
e ! Mais vous, derrière ma tête, Sans Noms, ça ne
sera
pas encore pour cette fois. Chansons hongroises Les Suisses cha
178
des lieder de l’Oberland : ici la mélancolie même
est
passionnée. Elles chantent avec le corps entier — non pas avec les br
179
un désir de perdition illimitée… Les Hongrois se
sont
arrêtés dans cette plaine. Mais c’est le soir au camp, perpétuel. Une
180
s, et toute la frénésie d’un grand souffle qui se
serait
mis à tourbillonner sur place. L’amour en Hongrie (généralités)
181
t les saucisses ou les catastrophes, selon qu’ils
sont
techniciens ou intellectuels. Les Français aiment par goût du bavarda
182
nscience. À Vienne on voit des couples qui savent
être
à la fois cocasses et fades. En Italie… Mais l’amour hongrois t’empor
183
Symphonie-Dichtung borodinesque, mais l’erreur n’
est
imputable qu’à mon instabilité rythmique. (Trop souvent ce que je voi
184
traverse ce que j’entends.) La plaine hongroise n’
est
pas monotone, parce qu’elle est d’un seul tenant. Rien qui fasse répé
185
laine hongroise n’est pas monotone, parce qu’elle
est
d’un seul tenant. Rien qui fasse répétition. C’est ici le premier pay
186
ande grouillante de questions sociales. La Puszta
est
une terre vierge, je veux dire que la bourgeoisie ne s’y est pas enco
187
re vierge, je veux dire que la bourgeoisie ne s’y
est
pas encore répandue. Il y a peu de bourgeois en Hongrie. Il y a de pe
188
moyens » — c’est-à-dire au-dessus du Moyen — qui
est
caractéristique du Hongrois. — « Comment peux-tu vivre si largement ?
189
ndre à toutes les terrasses de Debrecen. Debrecen
est
une sorte de grande ville indescriptible, à demi mêlée aux sables de
190
n me l’a dit, c’est vrai : cette ville historique
est
aussi l’autre « Rome protestante ». Mais d’avoir vu ses profondes bib
191
compris la Grande Plaine, et que par sa musique j’
étais
aux marches de l’Asie. En sortant du concert, j’ai erré aux terrasses
192
els, dans le grandiose bavardage des Tziganes. Qu’
est
-ce qu’ils regardent en jouant ? Qu’est-ce qu’ils écoutent au-delà de
193
iganes. Qu’est-ce qu’ils regardent en jouant ? Qu’
est
-ce qu’ils écoutent au-delà de leur musique — car aussitôt donnée la p
194
vague toujours un peu plus haute que profonde ne
fut
l’attente, et lâche tout. C’est l’âme qui joue aux montagnes russes,
195
ous a paru beau, en faire le tour, mais voilà qui
est
affaire de pur caprice, tandis que s’y baigner est une règle de savoi
196
st affaire de pur caprice, tandis que s’y baigner
est
une règle de savoir-vivre avec la Nature. Lac doré, horizon de collin
197
hôte, on irait ensemble à Tihany — elle a l’air d’
être
en Italie sur sa presqu’île — par cet instable bateau-mouche qui nagu
198
argne, et les petites gens plus de bonté… Déjà je
suis
repris par le malaise que m’infligent les lieux faciles. Ô tristesse
199
ne aux collines basses, d’apparence rocheuse — ce
sont
des restes de volcans — blanches sous la Lune et toutes lustrées de r
200
maïs, épiant la venue d’une joie inconnue. Joie d’
être
n’importe où… évadé ? Mais soudain, c’est au silence que je me heurte
201
e je me heurte, comme réveillé dans l’absurdité d’
être
n’importe où. Une panique balaye la nuit déserte jusqu’à l’horizon. O
202
t’appelle là-bas, maintenant, maintenant, où tu n’
es
pas — et tant d’amour perdu… Un train dormait devant la gare campagna
203
n train dormait devant la gare campagnarde. Je me
suis
étendu dans un compartiment obscur, stores baissés, à l’abri de la lu
204
i dû voir l’objet pour la première fois — ou bien
était
-ce un être ? Insomnie J’éteignais la lampe et la veilleuse me r
205
objet pour la première fois — ou bien était-ce un
être
? Insomnie J’éteignais la lampe et la veilleuse me rendait comp
206
obstiné de cette hurlante bousculade sur place qu’
est
un voyage en express. Mais je ne trouvais pas la pente de mon esprit,
207
e composais un traité des voyages : les titres en
étaient
de Sénèque ou de Swift, et je voyais très bien ce qu’en eussent tiré
208
t de suite à la débauche. Notre liberté de penser
est
absurde au regard des contraintes que subissent nos gestes. Imaginer
209
isie s’en tire avec une volte-face.) Quelle heure
est
-il ? La Lune se tient assez bien depuis un moment, c’est que la ligne
210
une volte-face.) Quelle heure est-il ? La Lune se
tient
assez bien depuis un moment, c’est que la ligne est droite. Je ne sai
211
t assez bien depuis un moment, c’est que la ligne
est
droite. Je ne sais plus dans quel sens je roule. J’aime ces heures dé
212
entées ; le sentiment du « non-sens » de la vie n’
est
-il pas comparable à ce que les mystiques appellent leur désert, — cet
213
. « Il revient de loin » signifie : qu’il vient d’
être
très malade. Si dans ta chambre, en plein jour, tu t’endors, et que,
214
hant plus en quel endroit du temps tu vis, — c’en
est
fait, toutes choses ont revêtu cet air inaccoutumé qui signale que tu
215
naccoutumé qui signale que tu es parti. Voyager —
serait
-ce brouiller les horaires ? Le voyage est un état d’âme et non pas un
216
er — serait-ce brouiller les horaires ? Le voyage
est
un état d’âme et non pas une question de transport. Un vrai voyage, o
217
r pour découvrir ce sens ! — Qu’as-tu vu que tu n’
étais
prêt à voir ? — Mais il fallait aller le voir ! — La vie est presque
218
voir ? — Mais il fallait aller le voir ! — La vie
est
presque partout la même… — Mais en voyage on la regarde mieux. — La v
219
seulement que ma vie a un but. M’approcher de mon
être
véritable. Seul au milieu des miens, j’oubliais ma race, j’avais l’il
220
iens, j’oubliais ma race, j’avais l’illusion de n’
être
rien que… moi-même. Identique à mon centre. Ici, comparé à tant d’aut
221
écouvre localisé dans un type humain. Immobile, j’
étais
presque infiniment variable, indéterminé. Et c’est le voyage qui me f
222
rmettrait de combler l’écart entre moi et Moi qui
est
la seule réalité absolument tragique… Une chose ? Un être ? L’Objet ?
223
seule réalité absolument tragique… Une chose ? Un
être
? L’Objet ? — Est-ce que je dors dans mes pensées ? La veilleuse fleu
224
ument tragique… Une chose ? Un être ? L’Objet ? —
Est
-ce que je dors dans mes pensées ? La veilleuse fleurit soudain d’un é
225
faudrait sortir à l’air frais, mais chaque porte
est
obstruée par un douanier, tant qu’à la fin on me refoule dans mon com
226
qu’à la fin on me refoule dans mon compartiment.
Est
-ce encore un rêve ? Je comprends bien qu’il faudrait ouvrir ces valis
227
des aveux complets. J’ai le feu à la tête mais je
suis
innocent : puisqu’enfin il n’est pas dans ma valise, ce n’est que tro
228
la tête mais je suis innocent : puisqu’enfin il n’
est
pas dans ma valise, ce n’est que trop certain. Cependant, « rien à dé
229
: puisqu’enfin il n’est pas dans ma valise, ce n’
est
que trop certain. Cependant, « rien à déclarer » après des semaines d
230
r sur moi que je le cherche, c’est pourquoi l’œil
est
implacable… Pas de clefs dans mes onze poches. Seulement ce papier ti
231
en pourquoi l’Objet n’a pas de nom. Parfois je me
suis
demandé s’il n’était pas une sorte de pierre philosophale. Peut-être
232
n’a pas de nom. Parfois je me suis demandé s’il n’
était
pas une sorte de pierre philosophale. Peut-être ces deux mots suffira
233
désespèrent pas encore du Grand’Œuvre ? Cela seul
est
certain : qu’il existe des signes. Peut-être faut-il d’abord les déco
234
prendre par la main. Ainsi je quitte la Hongrie.
Serait
-ce là tout ce qu’elle m’a donné ? Cette notion plus vive d’un univers
235
Hongrie de mes rêves, ma Hongrie intérieure ? Il
est
vrai que l’on connaît depuis toujours ce qu’une fois l’on aimera. Et
236
ours : au point de perfection, aimer et connaître
sont
un seul et même acte. Peut-être l’ai-je aimée d’un amour égoïste, com
237
t-être l’ai-je aimée d’un amour égoïste, comme un
être
dont on a besoin et de qui l’on chérit surtout ce dont on manque : to
238
e et dont personne ne vit. Et certes un tel amour
est
un amour mineur. Mais qui saura jamais la vérité sur aucun être ? Et
239
mineur. Mais qui saura jamais la vérité sur aucun
être
? Et s’il fallait attendre pour aimer ! Je me souviens de ces terrain
240
e Plaine encore rougeâtre de soleil couchant. J’y
suis
venu par hasard, en flânant ; je me suis sans doute perdu et pourtant
241
ant. J’y suis venu par hasard, en flânant ; je me
suis
sans doute perdu et pourtant je n’éprouve qu’une étrange sécurité. Pr
242
dresse, quelque similitude… Oh ! si peu ! Mais qu’
est
-ce que ce voyage, si tu songes à tous les espaces à parcourir encore
243
But dont tu ne sais rien d’autre que sa fuite : n’
est
-il pas cet objet qui n’ait rien de commun avec que ce que tu sais de
244
sais de toi-même en cette vie ? Mais le voir, ce
serait
mourir dans la totalité du monde, effacer ta dernière différence, — c
245
dernière différence, — car on ne voit que ce qui
est
de soi-même, et conscient. Et c’est à cause d’un pari peut-être fou,
246
tu n’as vu l’enjeu qu’un seul instant — nos rêves
sont
instantanés — que tu es parti ; et maintenant tu joues ce rôle, tu t’
247
— lit-on dans les upanishads. — Or si un homme n’
est
pas satisfait dans la lune, celle-ci le libère (le laisse aller chez
248
le laisse aller chez Brahma) ; mais si un homme y
est
satisfait, la Lune le renvoie sur terre en forme de pluie. » Si je tr
249
uire. (Aussitôt je commence à comprendre ce qu’il
est
: cela qui me rendrait acceptable ce monde.) Malheur à celui qui ne c
250
eul clerc qui n’ait pas trahi — qui me paraissent
être
la grandeur de la Hongrie, on m’expliquera que je suis pour la guerre
251
la grandeur de la Hongrie, on m’expliquera que je
suis
pour la guerre, puisque enfin cet état d’esprit que j’admire est, ent
252
rre, puisque enfin cet état d’esprit que j’admire
est
, entre autres, belliqueux. Or je suis pacifiste. Comment ne pas l’êtr
253
que j’admire est, entre autres, belliqueux. Or je
suis
pacifiste. Comment ne pas l’être ! Mais je crois que les pacifistes q
254
elliqueux. Or je suis pacifiste. Comment ne pas l’
être
! Mais je crois que les pacifistes qui veulent assurer la paix par la
255
nt assurer la paix par la mutilation des passions
sont
disciples d’Origène. Il doit y avoir d’autres solutions… [NdE] Cette
256
époque , base de cette édition numérique. Elle a
été
manifestement réintégrée par Denis de Rougemont en vue de l’édition d
257
ité des érudits. 9. La fameuse marche de Rakoczy
est
l’œuvre d’une Tzigane. 10. L’or n’était qu’un prétexte. Encore une b
258
de Rakoczy est l’œuvre d’une Tzigane. 10. L’or n’
était
qu’un prétexte. Encore une blague de passeport.
259
Le balcon sur l’eau Tu
es
appuyée debout contre moi, et nous regardons à nos pieds l’eau vivant
260
ous regardons à nos pieds l’eau vivante. La brume
est
proche. Une haute muraille derrière nous ferme le monde. Tu ne trembl
261
t… Et l’air chargé d’attente. Nos têtes immobiles
sont
près de se toucher, nos regards s’en vont à la rencontre de ce qui es
262
r, nos regards s’en vont à la rencontre de ce qui
est
voilé. Retiens ton souffle, retiens ton envie de fermer les yeux cont
263
se, écoute, attends… Peut-être que déjà la parole
fut
dite et reçue quelque part en nous-mêmes, dans la brume où nous somme
264
quelque part en nous-mêmes, dans la brume où nous
sommes
perdus avec ce clapotis d’une eau étrangement vivante et qui rêve ; e
265
l derrière nous décroissant, tumulte d’un matin d’
été
. Maintenant une odeur fine de benzine traverse les odeurs de la forêt
266
pé ; les hôtes dans leurs fauteuils ; la comtesse
est
à l’harmonium ; le comte en face d’elle lit l’Écriture. Puis on chant
267
face d’elle lit l’Écriture. Puis on chante et ce
sont
parfois des strophes de Novalis, des mélodies de Bach. Après le Notre
268
ci récite une courte prière, durant laquelle il n’
est
plus question de bouger. La table immense est chargée des produits du
269
l n’est plus question de bouger. La table immense
est
chargée des produits du domaine. On boit un peu de bière, mais surtou
270
urtout du lait froid dans de grands verres : il n’
est
pas de boisson plus rafraîchissante, ni qui se marie mieux avec le go
271
, dont on mange presque chaque jour. L’après-midi
est
consacré à l’inspection des terres. Chaque jour nous partons en break
272
Le fusil déposé sur nos genoux, par habitude, ce
sera
pour tirer un chat qui rôde autour de la faisanderie. Les couchers de
273
rêts maigres et de pâturages à perte de vue. Nous
sommes
pour trois jours les hôtes d’une immense demeure en briques roses et
274
ffre les commodités du plus luxueux home anglais,
est
monstrueuse jusqu’à l’impudeur. Apparemment, l’on est ici plus à la p
275
monstrueuse jusqu’à l’impudeur. Apparemment, l’on
est
ici plus à la page que chez mes burgraves. Les maîtres du lieu sourie
276
moires, en français, d’un des burgraves zu D. qui
fut
gouverneur d’Orange, et eut pour précepteur Pierre Bayle en personne,
277
date, il n’y a plus que les Gothas. Les modernes
sont
fous et ridicules. Ils ont mis un sellier à la tête du Reich, et seul
278
d on leur confie des poulains à dresser — et ce n’
est
pas commode de se trouver devant une bête en liberté qu’on doit saisi
279
aisir d’abord, puis seller et dompter. Ou bien ce
sont
des tâches précises, dans l’organisation des domaines ou des chasses
280
l’individu demeure théorique, et son application
est
indéfiniment retardée, contrecarrée, découragée sournoisement. Nous c
281
ntera interminablement à table. — Cruauté franche
est
signe de santéa. Ebo, l’aîné des fils, 19 ans, joue de l’accordéon da
282
à l’heure, une étrange mélodie, lente et pesante,
est
revenue avec insistance : il la joue chaque soir, plusieurs fois. Je
283
ance : il la joue chaque soir, plusieurs fois. Je
suis
allé lui demander ce que c’était. « L’hymne d’un mouvement clandestin
284
« L’hymne d’un mouvement clandestin, dont le chef
est
en prison depuis quelques années. Il veut la renaissance du Reich all
285
rinz pour une restauration de l’Empire. Voilà qui
serait
presque aussi mal vu de l’excellent burgrave, lequel me disait en me
286
aissons du grand salon : « Une mésalliance ! » Il
est
vrai que les princes, burgraves et comtes zu Dohna-Schlobitten auf Wa
287
siècle, — ces parvenus. Tacite prétend que l’élan
est
un animal aux jambes dépourvues d’articulations, en sorte qu’il ne pe
288
comme des arbres qui se mettraient en marche, et
sont
tellement articulés qu’on craint à chaque pas que leurs membres ne se
289
nous leur connaissons, cette superstition ne leur
est
nullement nécessaire. Leurs plaisirs ne contredisent pas leurs travau
290
J’entends les gens de villes : « Ça ne doit pas
être
bien drôle à la longue ! » Avec cela que vos plaisirs vous amusent ta
291
os plaisirs vous amusent tant ! La neurasthénie n’
est
-elle pas une de vos inventions ? Et toute votre littérature est occup
292
ne de vos inventions ? Et toute votre littérature
est
occupée à décrire vos satiétés, quand elle ne se met pas au service d
293
nts que ceux-là justement qui donnent sa raison d’
être
au labeur des journées. Nous voici délivrés de la grande bourgeoisie,
294
n méprisable de gêne et de morgue. Et dire que ce
sont
ces gens-là — cette tourbe — qui se permettent de juger la noblesse t
295
ttent de juger la noblesse terrienne. Dire que ce
sont
ces bourgeois-là, bassement incapables de brutalité ou d’orgueil phys
296
ous dire, entre deux bridges, que les « terreux »
sont
démodés. Bien joli quand ils ne leur reprochent pas d’ignorer Proust.
297
je ne défendrai pas les junkers, dont le nom seul
est
une injure dans tant de bouches, — une injure dans le vide, d’ailleur
298
urs inquiets, toujours doutant de leurs raisons d’
être
et de leur actualité, de quêter chez autrui des confirmations, des fl
299
s telles que Dieu les a créées. Aristocratie de l’
être
et de la fonction, non de la considération. Et tout le reste de l’Eur
300
en voir dans la « féodalité » de ces junkers, qui
soit
plus répugnant pour notre humanité que tant de systèmes prônés par le
301
s, végétales, domestiquées ou catastrophiques. Je
suis
scandalisé quand je vois se croiser dans la rue sans se connaître un
302
colère et de gêne guère moins ignoble. Mais je ne
suis
pas scandalisé quand le burgrave salue cordialement et franchement de
303
ment des paysans qui s’inclinent sans contrainte.
Est
-ce là dire que le « retour » à tel état soit souhaitable ? La questio
304
inte. Est-ce là dire que le « retour » à tel état
soit
souhaitable ? La question me paraît, au concret, dépourvue de sens. M
305
ée à « laisser ce monde aux Juifs », puisque tout
est
perdu, mais héroïquement attachées à leur terre, à leur grandeur — ce
306
le durablement. Les landes de la Prusse-Orientale
sont
très irrégulièrement fertiles ; seules les grandes entreprises « tien
307
ement fertiles ; seules les grandes entreprises «
tiennent
le coup » lors d’une inondation ou d’une sécheresse partielle. J’ai v
308
e morcellement des terres, le stade démocratique,
est
ici plus visiblement qu’ailleurs une utopie. Impossible de passer du
309
te étrangère au capital. Comme les autres ils ont
été
ruinés par la guerre, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus de monnaie : cel
310
ne vainc pas souvent leurs méfiances. Certains se
sont
faits communistes, par goût de l’énergie peut-être. J’ai vu des membr
311
membres d’un parti national-marxiste dont le rêve
est
de restaurer la Prusse du grand Frédéric par les méthodes de Lénine…
312
sistent par leur pauvreté. Les magnats de Hongrie
sont
déjà des pachas, et l’Occident ne peut rien en attendre, qu’un corps
313
945, tous les châteaux de la Prusse-Orientale ont
été
rasés par les Russes, sous prétexte de communisme. Personne n’a dénon
314
tion, termine ainsi la phrase : « Cruauté franche
est
signe de santé, dirait Nietzsche ». Nous signalons l’écart, probablem
315
attirer là-dessus l’attention du médecin, mais il
est
plus difficile de se faire comprendre par un sot que par un fou. » L’
316
u’aujourd’hui le hasard qui m’amène à Tubingue ne
soit
pas seulement un hasard… Hier, c’était la Pentecôte. La fête de la pl
317
s ce siècle, où tant de voix l’appellent, combien
sont
dignes de s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue de feu qu
318
don du langage sacré ? Cette langue de feu qui s’
est
posée sur Hölderlin et qui l’a consumé… Digne ? — Un adolescent au vi
319
e Grand Jeu. Dix années où le génie tourmente cet
être
faible, humilié par le monde. L’amour s’éloigne le premier, quand Höl
320
t à peine sensible dans son œuvre. Car ce poète n’
est
peut-être que le lieu de sa poésie, — d’une poésie, l’on dirait, qui
321
loin d’elle (dans la région de Bordeaux croit-on)
est
frappé d’insolation ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte d
322
sson ardent quitté par le feu se dessèche. Ce qui
fut
Hölderlin signe maintenant Scardanelli des quatrains qu’il donne aux
323
le. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je
suis
descendu au bord de l’eau, un peu au-dessous de la maison, en attenda
324
e penchent vers l’eau lente. Sur l’autre rive qui
est
celle d’une longue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un r
325
uts et sombres, qui paraîtraient immenses s’ils n’
étaient
à demi encombrés d’armoires. Un couloir, la chambre. L’homme qui me c
326
s. Un couloir, la chambre. L’homme qui me conduit
est
le propriétaire. « Monsieur connaît Hölderlin ? questionne-t-il, méfi
327
nt — bon, bon, parce qu’il y en a qui viennent, n’
est
-ce pas, ils ne savent pas trop qui c’était… Alors vous devez connaîtr
328
son banc et ses lilas fleuris qui trempent. Tout
est
familier, paisible au soleil. Il passait des heures devant cette fenê
329
ngtemps qu’elles ont fui. Avril et mai et juillet
sont
lointains, Je ne suis plus rien, je n’aime plus vivre. Il y avait en
330
ui. Avril et mai et juillet sont lointains, Je ne
suis
plus rien, je n’aime plus vivre. Il y avait encore plus de paix que
331
es, de l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel
est
donc ce sommeil « dans la nuit de la vie » — et cet aveu mystérieux :
332
e lieu soudain m’angoisse. Mais le gardien : il y
est
comme chez lui. — Dormez-vous dans ce lit ? — Oh ! répond-il, je pour
333
s les marronniers. À quatre heures, l’orchestre s’
est
mis à jouer des mélodies charmantes, jazz et clarinette, chansons de
334
ie normale. Il y a pourtant cette petite chambre…
Est
-ce que tout cela existe dans le même monde ? (Il est bon de poser par
335
-ce que tout cela existe dans le même monde ? (Il
est
bon de poser parfois de ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vé
336
rts, qui se promènent tout seuls… Et puis, il lui
est
arrivé quelque chose de terrible, où il a perdu son âme. Et puis il n
337
de terrible, où il a perdu son âme. Et puis il n’
est
revenu qu’un vieux corps radotant. — Qu’en pensez-vous, bonnes gens ?
338
éféré faire tout de suite la bête : comme cela on
est
mieux pour donner le coup de pied de l’âne… Écoutons plutôt Bettina —
339
ied de l’âne… Écoutons plutôt Bettina — la vérité
est
plus humaine, est plus divine quand c’est une telle femme qui la conf
340
tons plutôt Bettina — la vérité est plus humaine,
est
plus divine quand c’est une telle femme qui la confesse : « Celui qui
341
siquettes et ces parfums de fleurs et d’eau… elle
est
tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux soit absurde, de
342
lement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux
soit
absurde, de ces mondes à mes yeux soudain simultanés ?… Le tragique d
343
és ?… Le tragique de la facilité, c’est qu’elle n’
est
qu’un oubli. Et pourtant, comme elle paraît ici bien établie, triomph
344
ces eaux, ces âmes indulgentes à leur banalité ?
Est
-ce qu’ils ne soupçonnent jamais rien ? Ou bien, peut-être, seulement,
345
e temps même qu’il nous entr’ouvre le ciel, qu’il
est
bon qu’il y ait la terre… Mais que cette musique vulgaire, par quel h
346
na von Arnim-Brentano : Die Günderode. 14. Où il
était
précepteur. Mme Gontard est la Diotima de l’Hypérion et des poèmes.
347
nderode. 14. Où il était précepteur. Mme Gontard
est
la Diotima de l’Hypérion et des poèmes.
348
ongtemps côtoya une rivière, des forêts. Les rues
sont
vides jusqu’au cœur de la ville, où l’attend une ample demeure. Et ma
349
ttend une ample demeure. Et maintenant le chien s’
est
tu ; des pas s’éloignent. Un trait de lumière sous la porte disparaît
350
moires monumentales. Dans une chambre froide il s’
est
couché en grelottant. Mais à travers l’ombre il distingue les masses
351
ux édredons rebondis où l’on s’enfouit comme s’il
était
le sommeil même. Le bruit de la rivière et de l’écluse proche, — ce s
352
e bruit de la rivière et de l’écluse proche, — ce
sera
sa première habitude. 22 avril 1929 Mes fenêtres donnent sur la
353
ntir que je les regarde ? Vraiment la plus petite
est
jolie, très brune, avec un gros collier de verre bleu… Elle lève les
354
et séparé », ces deux mots que rythmait le train,
est
-ce qu’ils font encore vraiment mal ? 24 avril 1929 Les habitant
355
i domine la médiocrité du monde. Le père Reinecke
est
un esprit « caustique » — il aime à me le répéter en français —, et j
356
n son petit talent dans la famille. Le gros Fritz
est
un blond géant de 25 ans, qui rit avec bonté et se distingue dans les
357
re, et quelque bienveillance lorsqu’il a compris.
Est
-ce tout ? Il y a encore l’absence de la fille, élément considérable d
358
ns avoir l’air de rien sur le pont Saint-Nikolaus
sont
bien capots de voir à sa fenêtre la silhouette de l’Étranger. On a la
359
9 Ils ont de la peine à comprendre pourquoi je
suis
venu vivre dans ce bourg, chez eux justement… Comment leur confesser
360
u quelconque et paisiblement habité ? Cette ville
est
pour eux la moins quelconque du monde. Je prétexte des écritures — qu
361
ées où je ne l’amènerai jamais, à cette heure qui
serait
celle de rentrer chez nous s’asseoir auprès d’un feu… — Mais non.
362
nfonçant au hasard dans la forêt. Vers le soir, j’
étais
bien perdu. La lumière montait vers la cime des arbres, aux lisières
363
à travers une nature de divagation. Les lisières
sont
des lieux de l’esprit où circulent des bêtes nées du rêve. Et l’Arche
364
baigné encore de cette fièvre amoureuse ; et tout
est
mythe de nouveau. Mythes de l’ombre et des frontières, sortis de la f
365
nstant merveilleux que je veux noter ici. Le ciel
est
encore plus blanc, et la prairie s’embrume. Soudain, à dix pas devant
366
au ras des herbes, se lève, saute sur place, — n’
est
plus là. —J’ai poursuivi longtemps le reflet rouge de ses yeux parmi
367
hes enfouies sous les branches folles : le jardin
est
abandonné depuis des années, sur ses terrasses étroites, déjà brûlant
368
table de pierre et son banc en demi-cercle. L’air
est
encore humide dans cette grotte d’ombre. Sur le banc froid j’étale ma
369
rampants ou volants, ces formes et ces voies qui
sont
celles mêmes par où la pensée entre en contact avec tout le mobile et
370
ivant, de nouveau se répondent, se conviennent et
soient
signes l’un de l’autre. Dans le bonheur de cette matinée, la pensée s
371
des hautes branches. L’architecture, dit Goethe,
est
une musique glacée. Mais l’arborescence est une musique vivante, une
372
ethe, est une musique glacée. Mais l’arborescence
est
une musique vivante, une musique infiniment lente. Elle fraie des pis
373
nsée à la plus insistante vénération du réel. Tel
serait
le fondement d’une morale des idées « par-delà le logique et l’absurd
374
que et l’absurde ». Ah bien ! je connais quelques
êtres
entièrement en substance grise qui n’eussent pas mieux dit cela, — ma
375
ne humaine. L’autre enseigne que chacun des anges
est
un miroir du ciel entier. C’est parce qu’ils savent les correspondanc
376
uchons, — ce mystique avec naturel de ce qui nous
est
invisible. Tous deux orientent la réflexion vers le sens et vers le s
377
lexion vers le sens et vers le symbole concret. N’
est
-ce point ce genre de démarche que notre « culture » a le plus méprisé
378
arche que notre « culture » a le plus méprisé ? N’
est
-ce point à cause de ce mépris qu’elle a perdu le secret de l’humain ?
379
en ni dans le ciel ni sur la terre. Car enfin, qu’
est
-ce que l’homme ? qu’est-ce donc que ce paradoxal mélange de chair et
380
r la terre. Car enfin, qu’est-ce que l’homme ? qu’
est
-ce donc que ce paradoxal mélange de chair et d’âme ? Paracelse et Swe
381
ccorderaient, je le crois, pour répondre. L’homme
est
un point de vue central et médiateur entre les corps et les esprits.
382
ie, c’est de revêtir un corps humain. Or, pour l’
être
situé en un tel lieu — le lieu humain par excellence —, il devient au
383
le a sa correspondance dans la matière, ou bien n’
est
qu’une duperie. Correspondances à vrai dire tellement invisibles et d
384
peries tellement respectables pour la plupart des
êtres
qui peuplent ces villes, là-bas, que le nom d’homme ne saurait plus l
385
l’amour des anges et des humains, — l’amour, qui
est
le lieu des correspondances, qui est le degré suprême de la significa
386
l’amour, qui est le lieu des correspondances, qui
est
le degré suprême de la signification. (L’état de l’âme et du corps où
387
ntradiction, la mentalité du bourgeois de ce pays
est
puissamment réaliste. J’en trouve des marques bien curieuses dans les
388
onsidérations sur ma vie » du père Reinecke. Il y
est
beaucoup question de la vie éternelle, et d’expériences vécues avec l
389
e et qu’on boive ferme après ma mort, tant que je
serai
encore dans la maison, et qu’on ne lésine pas. Il restera toujours as
390
ipants s’en retourne avec cette conviction : « Ce
fut
un bel enterrement ! » Et de même, ceux qui auront pris soin de moi a
391
de moi au moment de ma mort et tôt après devront
être
largement dédommagés. Nul ne sait si je ne flotterai pas encore au-de
392
’amertume à voir que mes derniers désirs mêmes ne
sont
pas accomplis. Tant que je serai étendu dans la maison, je veux que l
393
s désirs mêmes ne sont pas accomplis. Tant que je
serai
étendu dans la maison, je veux que la lumière brille dans ma chambre
394
’on n’y regarde pas à quelques kilowatts. Je veux
être
mis en bière dans mes habits de tous les jours, et peu importe si les
395
de mon pantalon brillent. En aucun cas je ne veux
être
emballé dans une serviette de papier. Je renonce aux couronnes mortua
396
lier de perles bleues. Après la partie, où l’on s’
est
renvoyé autant de regards que de balles : — « Je vous ai bien vu, un
397
i bien vu, un jour à la fenêtre de mon amie, vous
étiez
si melancholisch ! » — « À ma fenêtre ? Je ne m’en souviens pas », di
398
us a fait fuir sous la tonnelle du vestiaire. « N’
est
-ce pas, les Français sont terribles avec les filles ? » (je pense : c
399
nnelle du vestiaire. « N’est-ce pas, les Français
sont
terribles avec les filles ? » (je pense : comme elles sont tout de su
400
ibles avec les filles ? » (je pense : comme elles
sont
tout de suite en fuite, de tout leur maintien, quand elles ne sont pa
401
e en fuite, de tout leur maintien, quand elles ne
sont
pas provocantes). Elle baisse les yeux, rougit, respire. Elle a l’air
402
et d’une réminiscence littéraire. Ses deux sœurs
sont
venues la chercher, et nous sommes rentrés sous le même parapluie, ju
403
. Ses deux sœurs sont venues la chercher, et nous
sommes
rentrés sous le même parapluie, jusqu’à leur petite maison couverte d
404
petite maison couverte de roses Crimson. Le père
est
un colonel en retraite qui déteste les Franzosen. On ne me permet pas
405
ssiques français, livrés à l’Enseignement, Goethe
est
profondément « populaire ». Non seulement l’aubergiste d’en face cite
406
a vie bourgeoise, qui fait un peu sourire, et qui
est
si réconfortante. 12 juin 1929 Paracelse et Swedenborg : Goethe
407
tout, ici, conspire à m’inculquer. Que Goethe ait
été
« initié », ne saurait laisser aucun doute, fussions-nous même privés
408
t été « initié », ne saurait laisser aucun doute,
fussions
-nous même privés de certains témoignages oraux ou de quelques textes
409
ur symbolisme concret, de leur incarnation, qu’il
est
possible de lire les Affinités « sans y rien voir », comme on dit15.
410
. — Des Werthers aux yeux secs, voilà ce que nous
sommes
. 14 juin 1929 Je suis assis en face du magazine que lit le père
411
, voilà ce que nous sommes. 14 juin 1929 Je
suis
assis en face du magazine que lit le père Reinecke. Ses grosses patte
412
nuit qu’il eût fallu vivre tout entière et qui n’
est
plus bonne qu’à dormir… Alors j’ai eu ce regard étrangement oblique,
413
son magazine — pas trop doux, hein !… » Tout cela
est
très juste ; la vie doit être ainsi : parfaitement compréhensible et
414
hein !… » Tout cela est très juste ; la vie doit
être
ainsi : parfaitement compréhensible et d’une vulgarité toute naturell
415
une barbe en crin de cheval du diable. L’héroïne
est
belle comme une ballade de Bürger, tandis qu’elle arrose de ses larme
416
ériennes, des chansons du Grand Duché de Bade qui
sont
ce que je connais de plus indiciblement nostalgique. Und solltest du
417
udrait la mélodie.) La fanfare s’éloigne. La nuit
est
chaude sur les collines. Un grand verre de bière à l’auberge déserte,
418
r des rosiers sauvages. Laquelle des trois filles
est
donc la plus jolie ? Sans doute celle qui dort dans la mansarde, et q
419
e d’elle ». Son sérieux enfantin devant la vie. «
Es
ist doch Schicksal, es ist alles Schicksal ! » Avec un soupir c’est i
420
enfantin devant la vie. « Es ist doch Schicksal,
es
ist alles Schicksal ! » Avec un soupir c’est irrésistible, et cela si
421
ve ? ou comme quelque chose de bien vrai et qui s’
est
passé cette nuit ? Plusieurs choses sont douces au désir de celui qui
422
et qui s’est passé cette nuit ? Plusieurs choses
sont
douces au désir de celui qui marche dans une campagne nocturne. Mais
423
pagne nocturne. Mais plus douce que toutes choses
est
la rencontre sous un arbre noir d’une femme abandonnée dans sa triste
424
nuit vivante, rêve de nous. Plus tard, nous nous
sommes
regardés sans fin. (Ah ! comment dire ! Vraiment ce fut cette nuit.)
425
gardés sans fin. (Ah ! comment dire ! Vraiment ce
fut
cette nuit.) Un vent léger écartait une branche et la Lune éclairait
426
ucement, au sein du silence et du regard. Et nous
sommes
demeurés des heures au-delà de ce que l’on ignore d’un être, dans le
427
rés des heures au-delà de ce que l’on ignore d’un
être
, dans le domaine sans frontière où l’on connaît profondément. Par les
428
mblée. Oui, j’ai su que l’échange de deux regards
est
infini, est indéfiniment grandiose et musical. Ainsi coula cette nuit
429
j’ai su que l’échange de deux regards est infini,
est
indéfiniment grandiose et musical. Ainsi coula cette nuit sans partag
430
coula cette nuit sans partage, et nos mains ne s’
étaient
pas touchées, lorsque au point du jour je vis pâlir la jeune femme. E
431
’accueillis dans mes bras. Elle rêvait, ses mains
étaient
très douces, et lorsque mes paupières cédaient au sommeil, je croyais
432
paupières cédaient au sommeil, je croyais qu’elle
était
un arbre, ou bien une prairie. (Je suis rentré sans éveiller le chien
433
qu’elle était un arbre, ou bien une prairie. (Je
suis
rentré sans éveiller le chien. Un chaud soleil pénétrait dans la gran
434
’attendait à la lisière de cette forêt tel soir d’
été
, quel sujet d’examen venait de m’être réservé, ou quelles lettres j’a
435
t tel soir d’été, quel sujet d’examen venait de m’
être
réservé, ou quelles lettres j’allais recevoir le lendemain. Le soir m
436
vus dans une lumière sobre et mate.) Telle a donc
été
ma « vision » : formats et couleurs très nettement perçus, mais rien
437
tres fois. Le père Reinecke, survenu peu après, n’
est
pas encore convaincu. Il prétend que je savais qui allait m’écrire, e
438
de sur un petit fait indifférent en soi, et qui n’
est
pas encore « arrivé » dans le temps. Les trois lettres sont timbrées
439
ncore « arrivé » dans le temps. Les trois lettres
sont
timbrées d’hier, deux à Genève dans la matinée, une à Neuchâtel à sep
440
une à Neuchâtel à sept heures du soir. Celle qui
est
bordée de noir est d’un ami aîné qui mentionne en passant la mort de
441
sept heures du soir. Celle qui est bordée de noir
est
d’un ami aîné qui mentionne en passant la mort de sa belle-mère, surv
442
, survenue il y a quelques jours. La lettre bleue
est
de Pierre Girard, personnage imprévisible s’il en fut, et je n’avais
443
de Pierre Girard, personnage imprévisible s’il en
fut
, et je n’avais aucune raison d’attendre qu’il m’écrive. Quant à l’env
444
ite : la vision n’a « servi » exactement à rien. (
Était
-ce là sa condition de possibilité ?) Mais elle m’est signe d’un certa
445
-ce là sa condition de possibilité ?) Mais elle m’
est
signe d’un certain état d’accueil aux choses, d’une rupture des encha
446
i vous avez connu ce contentement large de tout l’
être
devant un verre de vin allemand que l’on boit à petites gorgées, entr
447
ement plein de force et de dignité. Alors si l’on
est
quelques-uns, on se met à chanter des choses déchirantes qui peuvent
448
ensualités et de gourmandises qui s’éveillent, en
sont
comme sanctifiées. Mais c’est le moment d’entamer le jambon et les co
449
es, et peut-être aussi de leurs familiarités. » J’
étais
attablé ce soir-là dans l’Auberge du Cerf, au premier, les pieds cont
450
sent notre imagerie quotidienne du vaste monde. J’
étais
seul et tranquille, à manger et à soupeser des idées qui venaient se
451
décor de leur « vie ». J’ai vu clairement qu’ils
sont
en péril d’inanition spirituelle. Ils ne dorment plus assez pour se r
452
t l’amour qu’ils essaient encore le samedi soir n’
est
plus cet infini repos dans la puissance et l’être, mais seulement une
453
’est plus cet infini repos dans la puissance et l’
être
, mais seulement une usure des nerfs. Lampe vide, la mèche se consume.
454
collés au corps dans l’onde apaisée du souvenir.
Sois
riche d’avoir ce que tu es, comme ils sont pauvres de n’avoir que ce
455
apaisée du souvenir. Sois riche d’avoir ce que tu
es
, comme ils sont pauvres de n’avoir que ce qu’ils ont. 19 juillet 1
456
venir. Sois riche d’avoir ce que tu es, comme ils
sont
pauvres de n’avoir que ce qu’ils ont. 19 juillet 1929 Ces mois
457
t de plus en plus comme une retraite sensuelle. N’
est
-ce point de cela que l’homme des villes a besoin de nos jours ? On pa
458
liché d’un autre âge, et trompeur. Car l’argent n’
est
pas le plaisir et ne s’obtient pas dans le plaisir. Les affaires mode
459
agnes amies en conversant avec les pensées et les
êtres
nés de la marche et du bonheur de respirer. Combien j’aime ces ciels
460
’aime ces ciels bas et traînants. Le beau temps n’
est
pas toujours le bon, si l’expression veut qu’il figure le contraire d
461
tre et les posséder dans sa force. Car la lenteur
est
chose souveraine, — elle seule domine l’amour. Les plus grands specta
462
mine l’amour. Les plus grands spectacles naturels
sont
des spectacles de lenteur ou d’immobilité dans le mouvement. Et c’es
463
n juillet 1929 Vraiment la rapidité ne saurait
être
le fait d’un esprit incarné, mais seulement de son imagination perver
464
son imagination pervertie. Les effets de vitesse
sont
du domaine de la matière abandonnée à sa manie de tomber. Dès que l’e
465
assent le but. Et de la sorte, une ère de vitesse
est
une ère où la matière l’emporte. Provisoirement ; car il se produit c
466
e moi, mais je n’ai pas retiré ma valise et ne me
suis
pas serré contre la fenêtre. Elles ont senti cette sourde résistance
467
re. Elles ont senti cette sourde résistance et se
sont
assises plus loin en maugréant. La misère de tous ces regards me para
468
e en regardant devant moi. J’ai honte. Comme nous
sommes
incapables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en
469
arrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous
tenions
pour nulles. Si j’étais vraiment libre, j’aurais fait place aux deux
470
deurs qu’en pensée nous tenions pour nulles. Si j’
étais
vraiment libre, j’aurais fait place aux deux ouvrières laides, sans m
471
ou bien à la jeune fille, sans fausse honte. Si j’
étais
vraiment libre, je lui parlerais très doucement… La fumée des cigares
472
crache sa fumée dans des gares de banlieue qui ne
sont
plus fleuries. Il règne dans ce wagon un malaise âcre et oppressant ;
473
issait de ses mains, et voici onze princes qui se
tiennent
autour d’elle. « Elle est innocente ! » s’écrient-ils, et le peuple s
474
nze princes qui se tiennent autour d’elle. « Elle
est
innocente ! » s’écrient-ils, et le peuple s’agenouille comme devant u
475
ndant que l’aîné des frères racontait tout ce qui
était
arrivé, un parfum de millions de roses se répandit dans les airs, tan
476
etenir des larmes ? Un soudain excès de l’amour s’
est
libéré dans tout mon être et s’élance vers ces vies proches. Oh ! s’i
477
udain excès de l’amour s’est libéré dans tout mon
être
et s’élance vers ces vies proches. Oh ! s’ils savaient, s’ils pouvaie
478
ux… Avril-août 1929. Repris en 1932.d 15. Tel
fut
bien, d’ailleurs, son dessein, qu’il avoue dans les entretiens recuei
479
Quand je me souviens — C’est l’Europe Ces pages
sont
nées à des dates différentes d’un même état de sensibilité, dont j’ai
480
encore un paradis perdu ! Mais les vrais paradis
seront
toujours perdus : ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs de
481
er rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’
été
, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délicieu
482
ait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous, ce
fut
simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici q
483
nce. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup,
est
encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier, peut-être mê
484
’est l’an passé, c’est avant-hier, peut-être même
est
-ce — aujourd’hui ? Mais oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Pari
485
ont nous avions à peine conscience, parce qu’elle
était
notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et ve
486
ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui
sont
encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les
487
les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin.
Soit
que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résis
488
er le destin. Soit que les tyrans nous accablent,
soit
qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer le rythme et
489
iberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle
est
vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l’on circule avec aisance,
490
t parfois l’arrière-conscience d’un miracle. Elle
est
encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosphère, par le charme
491
il nous force au réalisme à sa manière, le charme
est
détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et g
492
anière, le charme est détruit dans nos vies. Nous
sommes
pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instants les d
493
ue dis-tu ? — Demain, la guerre ! Le directeur n’
était
pas satisfait de son ensemble. Une femme du chœur me dit : « C’est di
494
ots vous restent dans la gorge… » Le drame ne put
être
joué, la plupart des acteurs et des choristes ayant été mobilisés cin
495
ué, la plupart des acteurs et des choristes ayant
été
mobilisés cinq jours plus tard, comme je le fus. Cœur de l’Europe
496
t été mobilisés cinq jours plus tard, comme je le
fus
. Cœur de l’Europe Berne, février 1940 Monté hier au Gothard, po
497
e la Suisse, ce vrai cœur de l’Europe, je ne m’en
suis
jamais approché sans ressentir une émotion que j’essaie en vain de qu
498
ant par le Pont du diable. Et ce qui me saisit ne
fut
pas la grandeur presque lugubre du paysage, mais au fond de la vallée
499
la première fois, j’avais senti l’Europe. Hier, j’
étais
dans ce train. Il neigeait, on ne voyait guère que quelques pans de r
500
oire réservé pour quelque fonction solennelle. Il
est
vrai qu’aujourd’hui, je sais pas mal de choses sur ce lieu et son rôl
501
ravers les deux chaînes des Alpes ici croisées, n’
est
pas seulement une position clef de l’Europe, mais aussi, et pour cett
502
s rien, j’ai lieu de supposer que l’impression ne
serait
pas moins forte. Toutes les sources détiennent une puissance radiante
503
émane… Je me disais en redescendant : les Suisses
sont
-ils sensibles à cette qualité ? Savent-ils qu’ils ont au Gothard un h
504
zon bouché, Athanase prononça ces mots : nubicula
est
, transibit, c’est un petit nuage, il passera. » Je viens de recevoir
505
ats-Unis. La première me dit : « Le petit nuage n’
est
pas passé. Il passera, et nous serons encore une fois assis au café d
506
petit nuage n’est pas passé. Il passera, et nous
serons
encore une fois assis au café des Deux Magots. La vie reprendra. Cela
507
l’autre de ces lettres. Pas d’importance. Ce qui
est
important, c’est la certitude « qu’il passera ». Que sont nos petits
508
ortant, c’est la certitude « qu’il passera ». Que
sont
nos petits accès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avan
509
-printemps suffit à dissiper en cinq minutes ? Qu’
est
-ce que cela au regard de la menace énorme qui domine l’Europe d’aujou
510
ujourd’hui ? Eh bien, cette menace, à son tour, n’
est
qu’un tout petit nuage, au regard du Règlement des comptes universels
511
au regard du Règlement des comptes universels que
sera
notre jugement au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le
512
petits personnages, ce combat, si « total » qu’il
soit
, ne saurait figurer pour nous qu’un exercice, une première escarmouch
513
sions réelles qu’il faut oser envisager. Elles ne
sont
pas démesurées. Elles doivent au contraire nous donner la vraie mesur
514
. « C’est un petit nuage, il passera. » Ce mot me
fut
parole d’Évangile quand je le lus l’année dernière. À cette heure
515
oile sa face d’un nuage et se tait, que son deuil
soit
le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints.
516
it le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous
sommes
tous atteints. Quelqu’un disait : Si Paris est détruit, j’en perdrai
517
sommes tous atteints. Quelqu’un disait : Si Paris
est
détruit, j’en perdrai le goût d’être un Européen. La Ville Lumière n’
518
it : Si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’
être
un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte
519
ai le goût d’être un Européen. La Ville Lumière n’
est
pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme,
520
éen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’
est
éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur
521
rerai dans Paris. Il y entre, en effet, mais ce n’
est
plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant l’esprit, dev
522
tre, en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle
est
sa défaite irrémédiable devant l’esprit, devant le sentiment, devant
523
jamais. Il ne verra que d’aveugles façades. Il s’
est
privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chos
524
tation stupéfiante de cet homme et de cette ville
était
peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde entier qu’il est
525
saire pour faire comprendre au monde entier qu’il
est
des victoires impossibles. On ne conquiert pas avec des chars les don
526
e New York, fin 1942 … mais sachez-le : nous n’
étions
pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », n
527
pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous
étiez
« occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’
528
s que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous
étions
en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la déposs
529
, à l’heure de moindre résistance. Notre angoisse
était
de penser : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retou
530
dans quelle France, et dans quelle Europe ? Nous
étions
soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime
531
xtérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur de l’
être
. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord e
532
oit que vous restez là, il change un peu : vous n’
êtes
plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. E
533
d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne
tient
pas à ce que vous lui causiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis,
534
usiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis, vous
êtes
trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est b
535
cuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous
étions
trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, déjà, on
536
ugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce
soit
, il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviab
537
sique, ou même à sa menace. Autant dire qu’on les
tient
pour moins sérieux. Nous étions mal placés pour discuter cela, donc e
538
ant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous
étions
mal placés pour discuter cela, donc en somme pour défendre l’esprit,
539
cela, donc en somme pour défendre l’esprit, — qui
était
pourtant tout ce qu’il restait à défendre par nous, dans l’exil… B
540
eekman Place New York, août 1943 Beekman Place
est
un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce
541
jour. Le seul vestige de nature — car l’eau même
est
canalisée — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouett
542
ige de nature — car l’eau même est canalisée — ce
sont
ces trois îlots de granit noir couverts de mouettes, et signalés par
543
pt secondes. Tout ce qu’embrasse mon regard, tout
est
fait de main d’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des l
544
économiques et de leurs fatales réalités : car ce
sont
les réalités d’un monde tout artificiel que nous, les hommes avons bâ
545
ge et festonnées de tuiles provençales. La brique
est
chaude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas, e
546
queurs se mettent à souffler fort dans la brume d’
été
flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper do
547
our, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube
est
l’heure du pardon délivrant — et je me donne au jour américain ! Sur
548
e New York, fin 1944 Je ne savais pas que tout
était
si près, là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi
549
e ne savais pas que tout était si près, là-bas. J’
étais
baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séc
550
que tout était si près, là-bas. J’étais baigné. J’
étais
fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séculaires, socles
551
… « Je t’aime. J’aime ! » J’ai tout dit. L’Europe
était
patrie d’amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et ch
552
t patrie d’amour. Le silence attendait, l’absence
était
profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force ét
553
ce attendait, l’absence était profonde, et chaque
être
présent questionnait, répondait. La force était au secret de nos vies
554
ue être présent questionnait, répondait. La force
était
au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bie
555
ns la contemplation jalouse d’un vieil arbre — il
était
vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus ten
556
us tenace, il nous réduisait au silence. La force
était
chanson fredonnée sur le seuil, au matin d’une journée qui se liait a
557
evient visible, c’est comme le sang, c’est que tu
es
blessé, ta vie s’en va.) La force était mémoire et allusion. Elle éta
558
c’est que tu es blessé, ta vie s’en va.) La force
était
mémoire et allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la
559
’en va.) La force était mémoire et allusion. Elle
était
ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des
560
allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle
était
la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit
561
me souviens — c’est l’Europe. Parce que l’Europe
est
la mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé,
562
out je porte en moi ? Mais il faut aller vers les
êtres
, car ce sont eux qui changent et qui s’éloignent. Un autre sentiment
563
n moi ? Mais il faut aller vers les êtres, car ce
sont
eux qui changent et qui s’éloignent. Un autre sentiment que je connai
564
déjà… Que signifie tant de puérilité ? Le doute n’
est
plus permis. J’aime l’Amérique. Ils me demanderont pourquoi, je ne sa
565
as répondre. Sait-on jamais pourquoi l’on aime un
être
? Voici longtemps qu’on a cessé de penser qu’il est meilleur ou plus
566
e ? Voici longtemps qu’on a cessé de penser qu’il
est
meilleur ou plus beau que tout autre, mais avec lui l’on se sent bien
567
vous a fait souffrir, on vous démontrera qu’il n’
est
pas fait pour vous, mais près de lui vous éprouvez une liberté. Et ce
568
t encore : « Vous estimez vraiment que l’Amérique
est
si bien ? Vous préférez y vivre ? Vous reniez l’Europe ? » Mais je ne
569
ope ? » Mais je ne sais pas du tout si l’Amérique
est
bien ou mal, si elle vaut mieux que l’Europe, si j’y reviendrai jamai
570
e l’Europe, si j’y reviendrai jamais ! Et l’homme
est
né pour circuler, non pour s’enraciner comme une victime des dieux su
571
mmes, un autre enfin comme une passion. L’amour n’
est
pas encore rationné, que je sache ? Et s’il est vrai, s’il n’est pas
572
n’est pas encore rationné, que je sache ? Et s’il
est
vrai, s’il n’est pas le masque d’une haine, s’il m’ouvre à l’Être au
573
rationné, que je sache ? Et s’il est vrai, s’il n’
est
pas le masque d’une haine, s’il m’ouvre à l’Être au lieu de me referm
574
n’est pas le masque d’une haine, s’il m’ouvre à l’
Être
au lieu de me refermer sur quelque obsession de l’Avoir, chaque amour
575
re deux mondes aimés différemment, que l’amour ne
soit
pas déchiré ! Mais qu’il s’anime et vole et se réjouisse, et qu’il ex
576
ld dans une matinée bleue, c’était déjà presque l’
été
. Cinq heures plus tard, nous avons rejoint l’hiver, un ouragan de nei
577
ns de l’homme. Cette belle crise radio-poétique s’
étant
heureusement dénouée dans les hauteurs du ciel arctique, nous montâme
578
tres déjeunent. Je regarde par mon hublot. La mer
est
blanche, un peu houleuse et cotonneuse. Mais tout d’un coup elle se d
579
neuse. Mais tout d’un coup elle se déchire : ce n’
était
qu’une couche de nuages. Trois-mille mètres plus bas paraît une surfa
580
clair y traîne sa fumée, c’est un paquebot qui en
est
à la troisième journée du trajet que nous ferons à rebours en trois h
581
s de l’Irlande vient la nuit. Derrière nous, tout
est
flamme et or. Mais un toit d’ombre épaisse descend obliquement, rejoi
582
ferme le monde devant nous. En deux minutes nous
sommes
passés de la gloire aux ténèbres denses. Il n’y a plus, tout près sur
583
in ! Et des fleurs vraies ! Ah mon cher, ici tout
est
beau !… — Mais tout ici a été fait par les Américains pendant la guer
584
mon cher, ici tout est beau !… — Mais tout ici a
été
fait par les Américains pendant la guerre… — Taisez-vous, me crie-t-e
585
vous, me crie-t-elle, je retrouve l’Europe ! Ce n’
est
pas le moment d’être objectif ! » Elle adore ces rideaux rouges, ces
586
, je retrouve l’Europe ! Ce n’est pas le moment d’
être
objectif ! » Elle adore ces rideaux rouges, ces meubles blancs, et ce
587
la vengent, croit-elle, d’une Amérique « où tout
est
laid », mais d’où ils viennent. 2 avril 1946 Les oiseaux de Pa
588
d’aller chercher ailleurs. Crise des logements. —
Est
-ce que Paris a été bombardé ? me demandent-ils non sans inquiétude. —
589
lleurs. Crise des logements. — Est-ce que Paris a
été
bombardé ? me demandent-ils non sans inquiétude. — Et New York donc ?
590
tés, comme les premières gouttes d’une averse, ce
sont
bien des oiseaux ! Dans une ville ! Point d’autres sons… Si ! Je ne r
591
Suisse que nature 7 avril 1946 — Que la Suisse
soit
restée aussi suisse m’a paru proprement incroyable. Je ne trouve d’au
592
étonner que de n’en point trouver justement. Tout
est
pareil à mes souvenirs, à peine un peu plus ressemblant. Tout est int
593
souvenirs, à peine un peu plus ressemblant. Tout
est
intact. La brusquerie des employés intacte, quand on demande un petit
594
issé le temps de revenir à leur naturel. (Et ce n’
est
pas toujours au galop.) Les quartiers extérieurs des villes intacts,
595
sse ait seule gagné la guerre, et seule n’ait pas
été
contaminée par le gangstérisme à la mode. C’est clair : le mal y est
596
le gangstérisme à la mode. C’est clair : le mal y
est
mal vu, tout simplement. On le tient encore pour anormal. J’ai l’impr
597
air : le mal y est mal vu, tout simplement. On le
tient
encore pour anormal. J’ai l’impression qu’on exagère un peu, à cet ég
598
ment présentés par MM. Hitler et Staline. Je m’en
tiens
là dans mes jugements. J’arrive à peine. Le mauvais temps qui vien
599
hâtel-Paris, décembre 1946 Souffrir, en soi, n’
est
pas toujours l’honneur qu’on pense, mais souvent un simple accident.
600
les Allemands aussi, finalement, ont souffert, se
sont
fait tuer, ont été envahis. Qu’est-ce que cela prouve ? Quand l’avala
601
finalement, ont souffert, se sont fait tuer, ont
été
envahis. Qu’est-ce que cela prouve ? Quand l’avalanche balaye tout un
602
souffert, se sont fait tuer, ont été envahis. Qu’
est
-ce que cela prouve ? Quand l’avalanche balaye tout un village sauf de
603
e tout un village sauf deux maisons, les rescapés
sont
-ils honteux ? Il me semble que ces scrupules ne sont pas dignes de la
604
t-ils honteux ? Il me semble que ces scrupules ne
sont
pas dignes de la tragédie moderne. Et tout d’abord, ils sont prématur
605
gnes de la tragédie moderne. Et tout d’abord, ils
sont
prématurés. Ils révèlent chez ceux qui les ont l’illusion que le dram
606
ent chez ceux qui les ont l’illusion que le drame
est
terminé et que le temps de faire des comptes est arrivé. Or le drame
607
est terminé et que le temps de faire des comptes
est
arrivé. Or le drame continue, c’est trop clair. Le tour des Suisses v
608
vront « donner ». Le premier devoir d’une réserve
est
de maintenir ses forces intactes et alertées. Intacts nous le sommes,
609
ses forces intactes et alertées. Intacts nous le
sommes
, relativement. Alertés, je n’en suis pas sûr. L’ennui, avec ce beau p
610
ts nous le sommes, relativement. Alertés, je n’en
suis
pas sûr. L’ennui, avec ce beau pays, ce n’est pas qu’il soit si propr
611
en suis pas sûr. L’ennui, avec ce beau pays, ce n’
est
pas qu’il soit si propre et bien tenu, trait dont s’égayent les étran
612
r. L’ennui, avec ce beau pays, ce n’est pas qu’il
soit
si propre et bien tenu, trait dont s’égayent les étrangers de passage
613
u pays, ce n’est pas qu’il soit si propre et bien
tenu
, trait dont s’égayent les étrangers de passage, un peu comme ces pays
614
laisse entrer dans le hall du château. L’ennui n’
est
pas non plus que le matériel soit bon, l’or abondant, les enfants bie
615
âteau. L’ennui n’est pas non plus que le matériel
soit
bon, l’or abondant, les enfants bien nourris. Ni même qu’on dise merc
616
ut de bienveillance universelle. Et que la Suisse
est
mal préparée, par sa probité même, à faire face aux gangsters. Rien d
617
du pays, mais ne suffisent plus à le protéger. Il
est
temps que les Suisses découvrent que pécher par défaut, dans ce temps
618
ouvrent que pécher par défaut, dans ce temps dur,
est
plus grave que pécher par excès. On ne saurait exagérer la profondeur
619
sme à la fois puritain et bourgeois. Et certes je
suis
loin de proposer qu’on déchaîne les fous et les aventuriers, mais je
620
la vocation de l’homme : le fond de la réalité n’
est
pas l’ordre mais le chaos. Voilà qui étonne encore trop de braves gen
621
personne ose dire pour quoi ni protester, et ce n’
est
plus qu’au marché noir qu’on trouve encore des nourritures authentiqu
622
r la seule valeur de l’inertie pour sauver ce qui
tient
encore debout. Certes, les apparences, les subsistances de l’ordre ma
623
arbon pour cet hiver ; des millions de femmes ont
été
violées dans toute l’Europe centrale et orientale, des millions sépar
624
ste, par exemple, résiste encore ; les traités ne
sont
guère respectés, mais on discute solennellement leurs clauses comme s
625
up d’ordre encore, si l’on y pense : mais le fait
est
que déjà l’on y pense, et je veux dire qu’on s’en étonne parfois… La
626
je veux dire qu’on s’en étonne parfois… La couche
est
mince et partout déchirée qui nous sépare du désordre profond. Mais c
627
ée qui nous sépare du désordre profond. Mais ce n’
est
pas en Suisse qu’on voit ces déchirures. J’ai donc pris le parti de c
628
ne époque qui semble avoir peur qu’on la voie. Il
est
un grand espoir, très vague encore, qui m’a paru se libérer dans beau
629
de la guerre atomique. On m’assure que le monde n’
est
pas prêt pour cela. Les chefs disent que les peuples n’en veulent pas
630
que les chefs s’y opposent. Faut-il croire qu’ils
sont
prêts à se faire tuer, c’est-à-dire dans ce cas précis désintégrer, p
631
er, peler et ronger jusqu’aux moelles ? Car telle
est
bien l’alternative. Et personne ne peut deviner si c’est le matin ou
632
hoisir, et s’efforcer de mieux comprendre quelles
sont
les suites nécessaires de son choix, quel est l’enjeu, ce qu’il impli
633
es sont les suites nécessaires de son choix, quel
est
l’enjeu, ce qu’il implique… Contre les risques qui se lèvent, l’espri
634
tre les risques qui se lèvent, l’esprit de risque
est
la seule assurance. Les valeurs de demain, s’il y en a, seront mainte
635
le assurance. Les valeurs de demain, s’il y en a,
seront
maintenues ou reposées par les hommes qui auront su, pour leur compte
636
es qu’il fréquente la voient en lui d’abord, l’en
tiennent
pour responsable, et par l’erreur la plus commune, l’en nomment si bi
637
n’eût jamais fait en y restant. Dans sa cité, il
était
d’une famille, et pour sa famille un prénom ; à l’étranger, il devien
638
prénom ; à l’étranger, il devient toute une race.
Serait
-ce vrai ? se dit-il. Le voient-ils mieux que moi ? Mais que voient-il
639
etourne et le voilà tout étonné… Désormais, nul n’
est
plus curieux des apparences et des secrets de son pays. Il songe : c’
640
jamais je n’ai su regarder ? On lui dit : — Vous
êtes
Suisse ? Vous en avez de la chance ! Mais vous avez si peu l’air suis
641
en a vingt-deux. — De quelle région de la Suisse
êtes
-vous ? De Neuchâtel ? Attendez, Neuchâtel, rappelez-moi… Ainsi je me
642
ines au midi, la France à l’ouest, l’Alémanie à l’
est
; — tout un petit monde si bien cerné, si conscient de lui-même, et s
643
en écrire, mais qu’il fallait d’abord rentrer. Je
suis
rentré, c’est la coutume des Suisses ; reparti, revenu, et ce n’est p
644
la coutume des Suisses ; reparti, revenu, et ce n’
est
pas fini. Comment un peuple aussi jaloux des moindres traditions loca
645
le inaperçue du monde moderne. Le voyage, quand j’
étais
enfant, c’était quitter Couvet pour Neuchâtel, le « Vallon » pour le
646
t d’aventure, sur lequel je repasse en express, n’
est
plus que les quinze dernières minutes, la dernière cigarette d’une nu
647
sser une nuit, se réveiller dans ce village où je
suis
né ; mesurer mon âge et le Temps. Mais la vie, mais ce train m’emport
648
Mais la vie, mais ce train m’emportent. La parole
est
encore à ce qui vient. Et voici les brumes sur le lac, les murs de vi
649
oyageurs, en grandes lettres de tuiles blanches :
êtes
-vous sauvés du péché ? Tout de suite les questions personnelles, et c
650
rsonnelles, et ce besoin de réformer le prochain…
Est
-ce que ceux qui vivent sous ce toit sont tellement sûrs de leur affai
651
prochain… Est-ce que ceux qui vivent sous ce toit
sont
tellement sûrs de leur affaire ? 19. La première charte des liberté
652
19. La première charte des libertés civiques a
été
obtenue par les bourgeois de Neuchâtel et signée par leur comte souve
653
II L’irruption du souvenir
est
aussi mystérieuse que celle de l’invention, dans notre esprit. Peu s’
654
rme que vient emplir le flot de l’émotion, mais n’
est
-ce pas le même piège que posera l’invention, en le tournant dans l’au
655
é. Il nous livre à l’accidentel, et ses accidents
sont
petits : une madeleine trempée dans du thé, un pavé qui bascule sous
656
cuser. Des souvenirs ? me disais-je, mais je n’en
suis
pas là. (Ainsi l’on croit savoir où l’on se tient, quel âge on a, et
657
suis pas là. (Ainsi l’on croit savoir où l’on se
tient
, quel âge on a, et vers quoi l’on chemine. Mais au carrefour d’autres
658
re mémoire. Ces mouvements les plus profonds de l’
être
nous semblent déclenchés par un destin absurde, et nous les subissons
659
ils nous rapportent à quelque chose en nous qui n’
est
pas moins intime que la conscience, mais qui lui est antérieur et qui
660
pas moins intime que la conscience, mais qui lui
est
antérieur et qui lui survivra ; quelque chose que l’on peut désigner
661
u présent. Dans le silence d’une vaste pièce où j’
étais
seul devant l’admirable visage, debout au pied du lit, prolongeant le
662
pied du lit, prolongeant le gisant, j’ai su que j’
étais
d’une lignée. 20. Principauté souveraine depuis le Moyen Âge, Neuch
663
ts changements de condition sociale. Nos archives
sont
intactes, minutieusement tenues par les communes les plus modestes, e
664
l’Europe. La plupart des citoyens suisses, qu’ils
soient
bourgeois, ouvriers ou paysans, pourraient sans peine reconstituer le
665
ins, que les familles de la noblesse. La Suisse n’
est
pas démocratique pour avoir tardivement aboli ce que l’on nomme les p
666
subsisté jusqu’à nos jours. Beaucoup d’autres s’y
sont
ajoutés dans le cours du xixe siècle. Sur les trois-cent-soixante fa
667
e, écrit en 1776 : « La constitution de Neuchâtel
est
une monarchie limitée, dont la machine est mise en mouvement par des
668
châtel est une monarchie limitée, dont la machine
est
mise en mouvement par des ressorts si déliés, et des rouages si compl
669
ts si déliés, et des rouages si compliqués, qu’il
est
difficile de distinguer avec quelque exactitude les prérogatives du S
670
rès-petite autorité… Les Trois États de Neuchâtel
sont
le tribunal suprême du pays. Il est composé de douze Juges partagés e
671
de Neuchâtel sont le tribunal suprême du pays. Il
est
composé de douze Juges partagés en trois divisions… Les quatre consei
672
ns forment la première division ; ces conseillers
sont
nobles. La seconde comprend les quatre Châtelains de Landeron, Boudry
673
altravers et Thielle… Enfin la troisième division
est
composée de quatre conseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal
674
nseillers de la ville de Neuchâtel. Ce Tribunal n’
est
, à parler régulièrement, qu’une cour suprême de Justice… Le Conseil
675
’exercice de la Puissance exécutrice. Ses membres
sont
à la nomination du Prince… Nulle ordonnance émanée de ce Conseil ne p
676
seil ne peut acquérir force de loi, avant d’avoir
été
soumise à l’examen d’un Comité composé du Conseil de Ville et des Dép
677
érables. Elle a la police de son territoire, et n’
est
gouvernée que par ses propres magistrats, divisés en un Grand et un P
678
de faire des changements aux anciennes. Ce corps
est
une sorte de Comité chargé de l’administration de la police, et dont
679
’administration de la police, et dont les membres
sont
choisis dans le Conseil de Ville. Il est composé de deux présidents d
680
membres sont choisis dans le Conseil de Ville. Il
est
composé de deux présidents de ce conseil, de quatre Maîtres-Bourgeois
681
t ou Gardien des libertés du Peuple… [Ce dernier]
est
élu par l’assemblée générale des Citoyens, et demeure six ans en offi
682
meure six ans en office. La Puissance législative
est
divisée et répartie d’une manière si compliquée qu’il serait très dif
683
sée et répartie d’une manière si compliquée qu’il
serait
très difficile de dire précisément où elle réside. Le détail suivant…
684
e à débrouiller ce chaos. Passons le détail, qui
tient
deux pages. Coxe en conclut, non sans hésitation, que l’autorité légi
685
l’estime « d’une extrême douceur », et les peines
sont
appliquées aux différents délits avec une telle précision « qu’il ne
686
plus, je vous dirai que la liberté des individus
est
protégée par les lois de ce pays avec autant de sollicitude et d’effi
687
acées dans un pays où la plus ancienne noblesse n’
est
pas chapitrale, où les trois quarts de la noblesse trouvent des paysa
688
ème échelons en remontant » (II. 63). Et il avait
été
, en 1814, l’un des principaux artisans du « cantonnement » de Neuchât
689
e naissait, les radicaux triomphaient partout. Il
était
temps d’adopter l’heure de Berne. Et ce fut 1848.
690
Il était temps d’adopter l’heure de Berne. Et ce
fut
1848.
691
ue : Denis-François-Henry, rentier. (Un rentier n’
est
qu’un chômeur riche.) Suivent mon grand-père, professeur de théologie
692
début et à la fin, pas mal de robes et de rabats,
soit
de justice, soit d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de pa
693
, pas mal de robes et de rabats, soit de justice,
soit
d’église ; et entre-temps plus de deux siècles de participation conti
694
u pays. Au xixe siècle, Neuchâtel ayant cessé d’
être
ce qu’il conviendrait de nommer une aristocratie républicaine au Prin
695
nnui que j’aime à trouver au fond de l’histoire n’
est
pas du goût de chacun », notait Chateaubriand dans ses Mémoires. Mais
696
pays. Ainsi l’on répète volontiers que la Suisse
est
le « carrefour de l’Europe ». Pour vérifier ce lieu commun, examinons
697
e leur famille, au milieu du xviiie siècle, deux
sont
en train de devenir françaises et une anglaise. Voilà peut-être un ré
698
adrisaïeul, épouse Henriette de Montmollin : elle
était
la petite-fille du « Grand Ostervald », traducteur de la Bible admiré
699
és sur la morale, la liturgie et la théologie qui
furent
traduits dans toute l’Europe, et qui le firent appeler par Newton « l
700
s oncles, « que plus l’ancêtre dont on se réclame
est
éloigné, moins on a de chances de tenir de lui ». Et que valent en ef
701
se réclame est éloigné, moins on a de chances de
tenir
de lui ». Et que valent en effet ces noms, ces souvenirs, ces ascenda
702
e « grand Ostervald », si Corneille, si la Trappe
sont
bien loin — et ils le sont — que dire du Singe ? Je me répète la phra
703
orneille, si la Trappe sont bien loin — et ils le
sont
— que dire du Singe ? Je me répète la phrase de mon oncle. En revanch
704
ence des professions héréditaires, du rôle social
tenu
pendant des siècles ? Si mon père incarnait à mes yeux, jusque dans
705
uand elle a dédaigné toutes les « preuves » qui n’
étaient
pas celle de l’obligation. Je crois que toute autre considération sur
706
eût gêné. Mais ce sens naturel du service, il lui
fut
donné de l’exercer dans d’autres dimensions humaines que celles du pe
707
rs la liberté de l’esprit. Sa première allégeance
était
l’Église, et par là même l’universel, c’est-à-dire le prochain quel q
708
l’universel, c’est-à-dire le prochain quel qu’il
soit
, être souvent bizarre et mystérieux qu’il faut comprendre avant de l’
709
versel, c’est-à-dire le prochain quel qu’il soit,
être
souvent bizarre et mystérieux qu’il faut comprendre avant de l’aider,
710
l’on veut le comprendre. Sa tradition, cependant,
était
d’autorité, de justes proportions et de raison gardée. Contradiction
711
et vibrant défenseur de l’honneur protestant, il
était
au plein sens du mot l’homme engagé, celui qui ne revendique rien pou
712
ent, dont on abuse, d’où l’aurais-je pris si ce n’
est
de sa vie — l’une des très rares vies d’homme que j’ai connues de prè
713
u’irais-je encore chercher dans le passé ? Si j’y
suis
remonté, c’était pour mieux saisir l’enseignement d’une vie où s’est
714
t pour mieux saisir l’enseignement d’une vie où s’
est
fondée ma vie. Sur le fond d’une tradition qui la reliait à notre his
715
L’honneur à rendre au père, selon le Décalogue, n’
est
pas un culte des ancêtres. Et pourtant, quelle est cette promesse mys
716
st pas un culte des ancêtres. Et pourtant, quelle
est
cette promesse mystérieusement liée au Cinquième Commandement : « …af
717
au Cinquième Commandement : « …afin que tes jours
soient
prolongés dans le pays que Dieu te donne » ? Il me semble aujourd’hui
718
uvant. Jours prolongés, non pas multipliés. (Ce n’
est
pas une recette pour mourir centenaire !) Prolongés vers cet au-delà
719
l’Europe, que devient ce fil rouge que je croyais
tenir
? Où vont se perdre les sentiers de la mémoire, ces voies ouvertes à
720
Les nations, les plus vastes patries n’ont jamais
été
vues par personne : c’est l’esprit qui les croit comme il croit au pa
721
ra vérifier ce qu’il rêvait. Mais c’est en lui qu’
est
la réalité sans laquelle il n’eût pas bougé. Ce qu’on touche — et ce
722
on touche — et ce qu’on imagine, le pays qui nous
tient
par les pieds, par le cœur, et le rassemblement des nations invisible
723
l’un contre l’autre, et qu’entre ces amours il n’
est
que de la haine. Comment un Suisse le croirait-il ? Si je me sens pre
724
passer de la petite patrie à la plus vaste, ce n’
est
pas infidélité à ma race, à mon clos natal. C’est aimer plus loin dan
725
, nul besoin de quitter ce salon campagnard où je
suis
revenu m’asseoir : il me suffit de méditer sur ses images, de remonte
726
trace des larmes dont elle écrit souvent qu’elles
furent
baignées. L’on était vers 1830. Portrait de son grand-père, un cheval
727
elle écrit souvent qu’elles furent baignées. L’on
était
vers 1830. Portrait de son grand-père, un chevalier de Malte, membre
728
bre correspondant de l’Institut. L’un de ses fils
fut
décapité au lendemain de l’affaire de Quiberon, sous la Terreur, deux
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uenote ; et plus haut des seigneurs dont certains
furent
cathares, Miramon, Cabrol et Vestric… Portrait d’un général de la Gar
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pas. Mais les seuls qui aient franchi nos limites
sont
ceux de nos théologiens, Ostervald encore, puis Godet ; et le Droit d
731
e — le roman, le poème, l’essai, le jeu d’idées —
est
restée chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou
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roman victorien. Faut-il penser que cette culture
fut
trop mêlée, cette nature trop vantée pour nous troubler ? Que ces con
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p vantée pour nous troubler ? Que ces contraintes
furent
ou bien trop pesantes, ou au contraire trop aisément tournées ? Je ne
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rnées ? Je ne sais. Et tout cela, sauf la nature,
est
en train de changer rapidement. L’accent se gâte, la rhétorique n’est
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ger rapidement. L’accent se gâte, la rhétorique n’
est
plus enseignée ni connue. L’histoire et la théologie fuient le discou
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de Coppet, des coteaux de Cologny ou de Montreux,
furent
éclatants et parfois scandaleux. Mais la « petite histoire » littérai
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iscrets, inaperçus et bientôt disparus. Un seul s’
est
fait remarquer, ce fut le premier en date, et les gamins de Môtiers l
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ientôt disparus. Un seul s’est fait remarquer, ce
fut
le premier en date, et les gamins de Môtiers lui jetèrent des caillou
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rgit à l’Europe, les successeurs de l’Arménien ne
sont
venus chez nous qu’à pas feutrés. Certains d’ailleurs avaient de bonn
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hateaubriand, qui se souvenait sans doute d’avoir
été
jadis, pour la police française, un dénommé « Lassagne, Neuchâtelois
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patte dans un grand seau rempli de l’eau du lac,
était
toute ma distraction. » Au même endroit de la ville, neuf ans plus ta
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élève un monument dédié à l’Illustre Inconnu. Il
serait
en forme de banc. Qui sait quel Balzac de l’avenir, quelle Étrangère
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enir, quelle Étrangère venue du bout du monde, ne
seraient
point tentés de s’y asseoir un jour, pour quelques heures, en face du
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rix Nobel pour qu’on s’aperçût un beau jour qu’il
était
parmi nous, caché dans sa pèlerine. Une semaine plus tôt, chez les He
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lépathie. J’avais écrit, dernière question : — Qu’
est
-ce que le style ? Catherine, la fille de Gide, lut sa dernière répons
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moraliste.) Près de ces eaux, ma vie sentimentale
est
née. Et depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’eau — pour
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ma vie sentimentale est née. Et depuis lors elle
est
restée lacustre. « Odeur de l’eau — pour toute la vie », écrivait un
748
ut-il penser que la souffrance au bord d’un lac n’
est
jamais sans quelque douceur ? Cherchant d’où vient cet agrément, et p
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t plus présente, je me dis : c’est qu’un vrai lac
est
un univers clos, si grands soient les miroirs qu’il offre aux ciels c
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est qu’un vrai lac est un univers clos, si grands
soient
les miroirs qu’il offre aux ciels changeants, et si profonds ses loin
751
e. La pente derrière moi, l’horizon des collines,
sont
le cadre qui donne au tableau sa signification privilégiée. Ici le cœ
752
ci le cœur et l’âme ont leur théâtre pur, où tout
est
sens, écho, dialogue à l’infini. Ici la joie trouve un espace où se d
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raison, grandiloquentes, bordent la rive. (Elles
furent
élevées, dit-on, par un ministre fou.) Cyprès au pied des Alpes, tend
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pointues et de valses aux jardins publics — là j’
étais
seul… Rade de Genève par un beau temps cruel, qui faisait fête à des
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scintillement des eaux sous la brume légère, tout
était
si pur et si frais qu’il semblait que le monde venait de s’éveiller,
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rappelait un peu de tous mes autres lacs, mais il
était
surtout celui d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfan
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s je l’emporte avec les autres sans remords, s’il
est
vrai que d’aucun je n’ai su tant d’histoires et qu’il détient certain
758
x chagrins taciturnes. Souffrir auprès d’un lac n’
est
jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar des trams,
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rir auprès d’un lac n’est jamais sans douceur. Je
suis
sur la jetée, près du hangar des trams, et l’eau n’est pas plus noire
760
ur la jetée, près du hangar des trams, et l’eau n’
est
pas plus noire que mon cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de ta
761
rtant de l’école des Terreaux. Nous, les garçons,
tenons
notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons ent
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Non, je ne vais pas me suicider. Je mentirai ! Je
suis
assis sur un banc près du port, la promenade est déserte et mon cœur
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suis assis sur un banc près du port, la promenade
est
déserte et mon cœur assoiffé. Personne ne passe jamais, voilà la vie
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’attends, je lui dirais : c’est un malentendu. Je
suis
dépareillé, passons, passez Madame… J’ai 19 ans. Je n’aime encore que
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s tard, aux mêmes lieux, elle se réserve… Elle ne
sera
plus jamais tout à fait comme avant.) Ce soir, elle est encore d’une
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us jamais tout à fait comme avant.) Ce soir, elle
est
encore d’une présence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le T
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est encore d’une présence envoûtante. Le soleil s’
est
caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est r
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le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’
est
retirée, de vague en vague vers l’autre rive. Elle caresse en passant
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plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage
est
imminent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine d’années, se di
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r ces rivages désertés par le crépuscule ? Quelle
est
cette hâte inconnue, qu’il se flattait de n’éprouver jamais, bien au
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e crier : « J’accours ! Attends !… » Ah ! mais qu’
est
-ce qu’il m’arrive ? se dit-il. Il faut en avoir le cœur net. (Tout so
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e de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive
est
solennel, comme l’attente du pays sous le ciel orageux. Oui, c’est bi
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ands mots impossibles, dans un fol abandon, et ce
sera
vrai. Comme tout est facile et violent quand les portes du cœur ont c
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dans un fol abandon, et ce sera vrai. Comme tout
est
facile et violent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’
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iolent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac
était
d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaien
776
cu sous les sapins, dans les vallées du Jura. J’y
suis
né, certes, mais les vraies patries sont celles où l’on naît à l’amou
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ura. J’y suis né, certes, mais les vraies patries
sont
celles où l’on naît à l’amour. Un portrait de notre pays, peint de là
778
es paysans huguenots des Cévennes et du Languedoc
sont
en réalité des musulmans, qu’il suffit de les voir, tout noirs dans l
779
’hui nos meilleurs socialistes. C’est un pays qui
est
« avancé » par tradition. Dans ma vallée natale, où se réfugia Jean-
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èvre frémissait, immobile et terrorisé. Nous nous
sommes
regardés un moment, de tout près. Un seul geste rapide eût suffi pour
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iné par l’aubaine et plus encore ému par ce petit
être
tremblant. C’était trop beau… Le lièvre détala. Combien d’occasions m
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merveilleuses ai-je laissées détaler depuis ! Ce
sont
peut-être celles qui m’ont le plus appris. Ma gloire ou mon plaisir e
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Je me borne à l’autocritique. Et par exemple, il
est
de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’élever une solenn
784
is pas m’occuper de nos fautes de français, elles
sont
moins graves, et je ne crois pas que nous en commettions beaucoup plu
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, ils n’en peuvent rien ; dans lequel s’encoubler
est
plaisant, meilleur temps utile, le reste mauvais ou atroce.) Mais l’a
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« sur la rue » ou « en rue », diraient-ils). Ce n’
est
plus dire, ce n’est plus s’exprimer, mais patauger dans une bouillass
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en rue », diraient-ils). Ce n’est plus dire, ce n’
est
plus s’exprimer, mais patauger dans une bouillasse verbale, où l’on s
788
Je sais bien que l’influence du suisse allemand y
est
pour beaucoup, et qu’on ne peut pas déplacer le canton de Berne. Mais
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eu d’aisance. Cette émulation par le bas pourrait
être
arrêtée par les instituteurs. Il suffirait de renverser la mode, et d
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Valéry : « Honneur des Hommes, Saint Langage ! »
serait
la devise de cette croisade, dont le succès embellirait notre existen
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ion au centenaire que l’on va célébrer. Voilà qui
est
fait selon mes moyens, qui sont ceux d’un monteur et ajusteur de mots
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élébrer. Voilà qui est fait selon mes moyens, qui
sont
ceux d’un monteur et ajusteur de mots, par métier soucieux de langage
793
peut-être utile, si l’on songe que ce centenaire
est
celui d’une libération, et qu’un peuple n’est vraiment libre que s’il
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ire est celui d’une libération, et qu’un peuple n’
est
vraiment libre que s’il possède et maîtrise d’abord, dans la force et