1 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Introduction. Le sentiment de l’Europe centrale
1 neux des vacances, traînée d’espoirs délivrés qui nous frôle, éveille chez ceux qui restent un sentiment confus d’exil et de
2 és de l’Europe sentimentale. Pourquoi faut-il que notre langue les traduise, en vertu d’une convention qu’il serait temps de
3 uerait la gloire de ce temps, et, accessoirement, notre salut. Parmi les traits tout quotidiens de la mentalité germanique, l
4 guments sanglants. Et s’il est des domaines où de nos jours, l’on peut réclamer à bon droit l’économie de nuances vaines et
5 système philosophique. Ainsi se dessineraient, si nous étendions l’analyse, deux « natures » fondamentales divergentes, dont
6 du sentiment Une rumeur lointaine et continue, nous l’entendons seulement lorsqu’elle cesse, ou bien lorsqu’elle grandit
7 orsqu’elle grandit soudain. Ainsi de la rumeur en nous du sang qui court ; ainsi de la respiration. Il n’y a conscience que
8 e du discontinu. Il n’y a sentiment que de ce qui nous quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’être nous déchi
9 Il n’y a sentiment que de ce qui nous quitte, ou nous surprend, ou bien encore au fond de l’être nous déchire et nous ressu
10 u nous surprend, ou bien encore au fond de l’être nous déchire et nous ressuscite. À la naissance du sentiment, nous trouvon
11 ou bien encore au fond de l’être nous déchire et nous ressuscite. À la naissance du sentiment, nous trouvons invariablement
12 et nous ressuscite. À la naissance du sentiment, nous trouvons invariablement une contradiction interne, une séparation, qu
13 st pas du tout le contraire du rationalisme (mais nous vivons sur des distinctions de manuels). Il est même étonnant de cons
14 quelle défense d’un Occident latin dont justement nous récusons l’idéal d’orgueilleuse et stérilisante perfection. L’intelli
15 lenteur, — encore un paradis perdu ! C’était bien notre dernier luxe, notre dernière gravité. C’était encore vivre sa vie. Ma
16 paradis perdu ! C’était bien notre dernier luxe, notre dernière gravité. C’était encore vivre sa vie. Mais ils s’achètent de
17 ressentent absurde. Rien désormais ne pourra plus nous rendre le silence et la lenteur des choses. Derniers refuges, vastes
18 llance — un mot des campagnes… Et ces prairies où notre adolescence encore « marche, s’arrête et marche, avec le col penché »
19 gie des états d’âme. L’Europe du sentiment, c’est notre Europe des adieux. Elle ne vit plus qu’en nous déjà, nous la portons
20 t notre Europe des adieux. Elle ne vit plus qu’en nous déjà, nous la portons encore comme le souvenir d’un soir d’adolescenc
21 ope des adieux. Elle ne vit plus qu’en nous déjà, nous la portons encore comme le souvenir d’un soir d’adolescence sur la pr
22 it du souvenir, brève nuit d’août et souvenirs de nos enfances. Ce « soir des signes » où des renards sortirent à la lisièr
23 souvenir. Et bientôt paraîtra l’aube dure. Alors nous entrerons dans cette joie sauvage du Grand Jour, où nous irons avec c
24 trerons dans cette joie sauvage du Grand Jour, où nous irons avec ce qu’il restera de bonté dans notre cœur, plus inutile qu
25 où nous irons avec ce qu’il restera de bonté dans notre cœur, plus inutile que jamais, dominatrice et bafouée. (Chevreuse, 19
2 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Première partie. Le paysan du Danube — Une « tasse de thé » au palais C…
26 e figuration pour une satire à grand spectacle de notre civilisation finissante ! (Vous souriez ? Vous mourrez avec elle.) Ce
27 ue tout soit exprimé en symboles gantés de blanc. Nous sommes fous, mais il y a la manière. Presque tous les truismes se son
28 esse Adélaïde en soie d’aurore, voici l’heure que nous attendions. Les escaliers s’abaissent dans le silence nouveau, nous e
29 es escaliers s’abaissent dans le silence nouveau, nous entendons nos pas jusqu’aux jardins tendus en tapisserie entre les ar
30 abaissent dans le silence nouveau, nous entendons nos pas jusqu’aux jardins tendus en tapisserie entre les arcades d’un pér
31 ans fin dans le frisson désespéré de l’aube, — et nous , au bord du péristyle arrêtés, au bord de la nuit qui nous possède en
32 bord du péristyle arrêtés, au bord de la nuit qui nous possède encore, nous assistons au miracle hostile. Elle se tait. Alor
33 êtés, au bord de la nuit qui nous possède encore, nous assistons au miracle hostile. Elle se tait. Alors je me tourne vers c
34 e encore vacillante, le vide absurde où s’en vont nos plaisirs et d’où remonte notre peine. Ah ! surprendre sur un visage d
35 absurde où s’en vont nos plaisirs et d’où remonte notre peine. Ah ! surprendre sur un visage décontenancé, et jusque dans le
36 que moi. Le jour qui déjà me saisit va-t-il ainsi nous séparer ? Ce corps de femme défend encore sa nuit, si nu pourtant dan
37 ds : par une certaine qualité de déception, qu’il nous propose. La joie du jour, hélas, la plus forte… Vienne, 1928. 5. C’
3 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Première partie. Le paysan du Danube — Voyage en Hongrie
38 et ses façades exubérantes de reflets, — et déjà nous passons sous de hauts ponts sonores, au long d’un quai tout fleuri de
39 , au long d’un quai tout fleuri de terrasses ; on nous déverse dans cette foule et ces musiques, deux visages amis me sourie
40 ètes essaient de décrire sans l’avoir vu, et dont nous savons seulement que tout y a son écho le plus pur. Le voyage trompe
41 qui, mais qu’êtes-vous venu chercher jusque chez nous  ? » (En Hongrie, à 20 heures d’express, on dit « jusque chez nous »,
42 grie, à 20 heures d’express, on dit « jusque chez nous  », ce qu’on ne dit pas en Amérique.) Grands dieux ! je le vois bien,
43 . Barnabooth, vous êtes, m’écrié-je, mes frères ! Nous traînons tous notre sabot, qui, loin de s’user, ne tarde pas à deveni
44 êtes, m’écrié-je, mes frères ! Nous traînons tous notre sabot, qui, loin de s’user, ne tarde pas à devenir notre raison de vi
45 abot, qui, loin de s’user, ne tarde pas à devenir notre raison de vivre. Mais combien votre sort, ô grands empêtrés ! me para
46 de troubles distingués. Peu de sens du réel. Mais nous vous montrerons notre Hongrie, ou tout au moins ce qu’il en reste. Su
47 s. Peu de sens du réel. Mais nous vous montrerons notre Hongrie, ou tout au moins ce qu’il en reste. Sur quoi l’on m’entraîna
48 es ruelles qui sentent encore le Turc. Tandis que nous y rôdions, un soir étouffant, vous m’avez montré en passant des murs
49 hète Gül Baba. Puis, comme le soleil se couchait, nous avons repassé un grand pont vibrant et nous sommes rentrés en Europe.
50 hait, nous avons repassé un grand pont vibrant et nous sommes rentrés en Europe. Mais le lendemain, m’échappant d’un program
51 brûlant, je savais bien que j’obéissais à ce que nos psychologues appellent une conduite magique. Or il est délicieux de r
52 rées — elle n’a rien d’étrange, si l’on songe que nous sommes en Hongrie. Et ce n’est pas que je trouve ce raisonnement fin,
53 microscopique. (Il a tellement l’air de rien que nous sommes presque excusables de ne le point apercevoir.) Je vais cependa
54 que les voûtes soient celles d’un ancien couvent. Nous pénétrons dans une grande salle vivement éclairée. Murs chaulés, et d
55 ce cette fumée, les yeux à terre, dans l’attente. Nous sommes assis autour d’une table et nous voyons, au milieu de la salle
56 ’attente. Nous sommes assis autour d’une table et nous voyons, au milieu de la salle, un arbre de Noël aux amples branches r
57 de ce café trop amer qui pince la gorge. Dehors, nous ne parlons pas : le froid paralyse la mâchoire. Les magnats en tax
58 s, ô pathétique dissonance, tangible absurdité de notre époque, beaucoup ont dû louer des taxis démodés, au tarif inférieur.
59 tangible absurdité de notre époque, beaucoup ont louer des taxis démodés, au tarif inférieur. Des chauffeurs vautrés,
60 réfute pas cette haine. Ici, la sympathie est un devoir de politesse. Comment la mesurer sans mauvaise grâce à qui vous a reç
61 s de la « Hongrie mutilée ». — « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tiers de notre patrie ? » — Ah ! ce n’est pas vous, m
62  « Savez-vous qu’on nous a volé les deux tiers de notre patrie ? » — Ah ! ce n’est pas vous, maintenant, qui allez demander r
63 Dans l’inextricable confusion d’injustices à quoi devait mener le wilsonisme schématique qui traça les frontières actuelles, d
64 re violacée à l’horizon — chez les Tchèques déjà. Nous allons aux bains, car c’est dans la piscine que nous devons rencontre
65 s allons aux bains, car c’est dans la piscine que nous devons rencontrer le poète. Cheveux noirs d’aigle collés sur son larg
66 ons aux bains, car c’est dans la piscine que nous devons rencontrer le poète. Cheveux noirs d’aigle collés sur son large front
67 ur son large front, belle carrure ruisselante, il nous sourit, dans l’eau jusqu’à mi-corps, mythologique. Nous sortons ensem
68 ourit, dans l’eau jusqu’à mi-corps, mythologique. Nous sortons ensemble de la petite ville aux rues de terre brûlante, aux m
69 jaunes basses, ville sans ombre, sans arbres, et nous montons vers la maison du poète, sur un coteau de vignes. Trois chamb
70 de la plaine, pas tout à fait dans le ciel, là où doivent vivre ceux qui « chantent ». L’après-midi est immense. Nous buvons de
71 ceux qui « chantent ». L’après-midi est immense. Nous buvons des vins dorés et doux que nous verse Ilonka Babits (elle est
72 t immense. Nous buvons des vins dorés et doux que nous verse Ilonka Babits (elle est aussi poète, et très belle), nous inscr
73 nka Babits (elle est aussi poète, et très belle), nous inscrivons nos noms au charbon sur le mur chaulé, Gachot prend des ph
74 est aussi poète, et très belle), nous inscrivons nos noms au charbon sur le mur chaulé, Gachot prend des photos, Gyergyai
75 que poursuivre est une sorte d’enivrant péché. —  Nous aurions une maison dans ce désert aux formes tendres et déjà familièr
76 familières, et le passage des trains chaque soir nous redirait un adieu bref, — chaque soir plus infime, à cause de l’éloig
77 oici la nuit des faubourgs de Pest, au-dessous de nous . Un bal, ou de l’ivresse considérée comme un des beaux-arts Ils
78 cène, qu’on sauvegarde sa qualité. Ailleurs, chez nous , on la laisse traîner dans la sciure ou dans le gâtisme. On trouve qu
79 D’ailleurs ces Égyptiens venaient des Indes, qui nous apportèrent le tarot et la roulotte, dont descendent le bridge et la
80 oderne », dans un sens vaste et mystique, elle le doit au charme égyptien du peuple errant qui lui donna sa musique national
81 tionale9. Les signes parlent, et certains sages : nous entrons dans une ère égyptienne. Mais que dire des pouvoirs de la pla
82 n se plaignent de n’avoir pas ce faux confort que nous n’avons qu’au prix de tout ce qu’à Debrecen je viens admirer. On aime
83 sique seule s’en souvient. Trésor si pur qu’on ne doit même pas savoir qu’on le possède… Tout près d’ici, peut-être, mais in
84 res baissés, à l’abri de la lune. Le contrôleur a jouer un rôle dans mes cauchemars. L’aube m’éveille dans le faubourg
85 comme un pan de la nuit fuyante, un songe où j’ai voir l’objet pour la première fois — ou bien était-ce un être ? In
86 somnie ! Cela tourne tout de suite à la débauche. Notre liberté de penser est absurde au regard des contraintes que subissent
87 t absurde au regard des contraintes que subissent nos gestes. Imaginer ce qui se produirait, si par quelque Décret l’on éle
88  pas encore »… Bon point de vue pour déconsidérer nos raisons de vivre. La maladie aussi. Rien ne ressemble au voyage comme
89 nes de voyage ? Cela va paraître improbable. On a voir sur moi que je le cherche, c’est pourquoi l’œil est implacable…
90 pari dont tu n’as vu l’enjeu qu’un seul instant —  nos rêves sont instantanés — que tu es parti ; et maintenant tu joues ce
91 ilation des passions sont disciples d’Origène. Il doit y avoir d’autres solutions… [NdE] Cette note avait disparue de la ver
4 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Première partie. Le paysan du Danube — Le balcon sur l’eau
92 n sur l’eau Tu es appuyée debout contre moi, et nous regardons à nos pieds l’eau vivante. La brume est proche. Une haute m
93 es appuyée debout contre moi, et nous regardons à nos pieds l’eau vivante. La brume est proche. Une haute muraille derrière
94 La brume est proche. Une haute muraille derrière nous ferme le monde. Tu ne trembles plus, tu t’appuies. Nos reflets ondule
95 erme le monde. Tu ne trembles plus, tu t’appuies. Nos reflets ondulent très peu, gris sur le blanc doucement luisant de la
96 dresse, et se retient… Et l’air chargé d’attente. Nos têtes immobiles sont près de se toucher, nos regards s’en vont à la r
97 nte. Nos têtes immobiles sont près de se toucher, nos regards s’en vont à la rencontre de ce qui est voilé. Retiens ton sou
98 écoute encore plus purement… Solennité autour de nous  : il y a une grande lenteur. C’est l’avenir ou l’éternité qui ouvre l
99 eçue quelque part en nous-mêmes, dans la brume où nous sommes perdus avec ce clapotis d’une eau étrangement vivante et qui r
100 eau étrangement vivante et qui rêve ; et rien que nos yeux qui brillent dans l’étendue où nos deux formes confondent leur o
101 rien que nos yeux qui brillent dans l’étendue où nos deux formes confondent leur ombre et leur songe… Odeur de l’eau, — po
5 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Deuxième partie. La lenteur des choses — Châteaux en Prusse
102 é écumer sous la masse du soleil. Une lisière qui nous accompagnait vira largement, nous fit front, et il n’y eut plus qu’un
103 Une lisière qui nous accompagnait vira largement, nous fit front, et il n’y eut plus qu’une piste de terre entre les sapins
104 noirs, la rumeur du rivage et du soleil derrière nous décroissant, tumulte d’un matin d’été. Maintenant une odeur fine de b
105 sur la gauche, dans une façade de grès Louis XV. Nous la longeons, nous montons une rampe pavée qui s’engage sous un porche
106 ns une façade de grès Louis XV. Nous la longeons, nous montons une rampe pavée qui s’engage sous un porche couvert aux colon
107 rophes de Novalis, des mélodies de Bach. Après le Notre Père, chacun s’en va, sérieux, de son côté. Le reste de la matinée se
108 pourpres. Les chevaux ruisselants s’échappent de nos bras, et nous les poursuivons, le long des grèves, dans les blés. Mid
109 s chevaux ruisselants s’échappent de nos bras, et nous les poursuivons, le long des grèves, dans les blés. Midi. Au haut de
110 t consacré à l’inspection des terres. Chaque jour nous partons en break à deux chevaux, pour l’un des onze villages du burgr
111 et parfois hors des pistes, à travers la forêt —, nous gagnons la maison de l’inspecteur. On la distingue de loin, seule bât
112 érer un « Bock » mal encorné. Le fusil déposé sur nos genoux, par habitude, ce sera pour tirer un chat qui rôde autour de l
113 de forêts maigres et de pâturages à perte de vue. Nous sommes pour trois jours les hôtes d’une immense demeure en briques ro
114 de « ceux de W. qui ne boivent que du lait ». Et nous servent du thé bouillant où nagent des morceaux de glace. À ces détai
115 ement des bœufs ne s’apaise pas sous le soleil et nous entoure d’une rumeur animale tenace comme toutes ces odeurs de la ter
116 ouffle le vent marin ; et des cigognes filent sur nos têtes, tirant leurs pattes roses. À l’horizon toujours passent des vo
117 ue l’on exige des jeunes Prussiens, ferait hurler nos pédagogues. Mais elle s’unit à un régime de responsabilités concrètes
118 de de se trouver devant une bête en liberté qu’on doit saisir d’abord, puis seller et dompter. Ou bien ce sont des tâches pr
119 ommes, des animaux et des éléments naturels. Pour nous , nous développons un sens plutôt fictif de la responsabilité. Nous dé
120 des animaux et des éléments naturels. Pour nous, nous développons un sens plutôt fictif de la responsabilité. Nous développ
121 ppons un sens plutôt fictif de la responsabilité. Nous développons au vrai un hamlétisme. Notre préparation à l’autonomie de
122 sabilité. Nous développons au vrai un hamlétisme. Notre préparation à l’autonomie de l’individu demeure théorique, et son app
123 retardée, contrecarrée, découragée sournoisement. Nous créons par nos préceptes, et par toute notre ambiance éducatrice, un
124 carrée, découragée sournoisement. Nous créons par nos préceptes, et par toute notre ambiance éducatrice, un organe de l’aut
125 ment. Nous créons par nos préceptes, et par toute notre ambiance éducatrice, un organe de l’autonomie qui ne trouve nulle par
126 ercer : d’où les conflits purement « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà de nos adolescences. Jeux des enfants prussi
127 t « moraux » qui nous empêtrent, jusqu’au-delà de nos adolescences. Jeux des enfants prussiens : s’asseoir à six ou sept su
128 ticulations, en sorte qu’il ne peut se coucher et doit dormir appuyé aux arbres. Pour le capturer, les indigènes scient à mo
129 donne aux plaisirs mondains l’aspect absurde que nous leur connaissons, cette superstition ne leur est nullement nécessaire
130 unkers… J’entends les gens de villes : « Ça ne doit pas être bien drôle à la longue ! » Avec cela que vos plaisirs vous a
131 donnent sa raison d’être au labeur des journées. Nous voici délivrés de la grande bourgeoisie, de ces gens qui croient devo
132 de la grande bourgeoisie, de ces gens qui croient devoir , ou se devoir. De ces gens grossièrement distingués qui ne vous ont p
133 ourgeoisie, de ces gens qui croient devoir, ou se devoir . De ces gens grossièrement distingués qui ne vous ont pas vu, qui dét
134 eau riche, en regard de cette seule classe qui ne doit rien à l’opinion. Non, je ne peux rien voir dans la « féodalité » de
135 té » de ces junkers, qui soit plus répugnant pour notre humanité que tant de systèmes prônés par les partisans du progrès, — 
136 é franche est signe de santé, dirait Nietzsche ». Nous signalons l’écart, probablement une volonté de l’auteur pour la prése
137 ube indique quant à elle : « Hitler les flatte ». Nous signalons l’écart, probablement une volonté de l’auteur pour la prése
138 68 dans le Journal d’une époque indique « 1926 ». Nous signalons l’écart, probablement une volonté de l’auteur pour la prése
6 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Deuxième partie. La lenteur des choses — La tour de Hölderlin
139 ccupant assez longuement d’un des poètes auxquels notre temps doit vouer l’attention la plus grave — car il vécut dans ces ma
140 z longuement d’un des poètes auxquels notre temps doit vouer l’attention la plus grave — car il vécut dans ces marches de l’
141 à l’Esprit et dont certains des plus purs d’entre nous ont voulu tenter le climat, — j’avais rêvé sur ce passage de l’émouva
142 de. L’amour s’éloigne le premier, quand Hölderlin doit quitter la maison de Mme Gontard14, déchirement à peine sensible dans
143 s, ils ne savent pas trop qui c’était… Alors vous devez connaître ces portraits ? — (et comme je considère un ravissant médai
144 d’eux… Cela s’oublie. Et l’amour, tout justement, nous fait comprendre, dans le temps même qu’il nous entr’ouvre le ciel, qu
145 t, nous fait comprendre, dans le temps même qu’il nous entr’ouvre le ciel, qu’il est bon qu’il y ait la terre… Mais que cett
7 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Deuxième partie. La lenteur des choses — Petit journal de Souabe
146 C’est une jolie fille potelée, qui rit, — et qui doit savoir se défendre à l’occasion, mais comme elles font, pas trop tôt.
147 s, à cette heure qui serait celle de rentrer chez nous s’asseoir auprès d’un feu… — Mais non. 7 mai 1929 « J’ai mes br
148 ts, ces symétries minérales qu’on instruisit dans nos esprits et qui nous laissent comme perclus au milieu des métamorphose
149 inérales qu’on instruisit dans nos esprits et qui nous laissent comme perclus au milieu des métamorphoses. Il s’agit que l’e
150 que ce médecin parle avec mystère des objets que nous touchons, — ce mystique avec naturel de ce qui nous est invisible. To
151 us touchons, — ce mystique avec naturel de ce qui nous est invisible. Tous deux orientent la réflexion vers le sens et vers
152 concret. N’est-ce point ce genre de démarche que notre « culture » a le plus méprisé ? N’est-ce point à cause de ce mépris q
153 ecret de l’humain ? Car voici bien le monde qu’on nous a fait. Tout encombré d’idées sans corps, de corps stupides — de nihi
154 bstraites ont au contraire le pouvoir de rendre à nos sens leur efficacité et leur étonnement. Je regarde les feuilles de m
155 gnification. (L’état de l’âme et du corps où tout nous apparaît en relations concrètes.) 31 mai 1929 Personne n’a fabr
156 raduis cette page Sur la mort : « Mes funérailles devront se dérouler dans le cadre de Jésus-Sirach, 38, verset 16-24. Qu’on ma
157 ris soin de moi au moment de ma mort et tôt après devront être largement dédommagés. Nul ne sait si je ne flotterai pas encore
158 pas », dis-je, mentant. Une grosse averse d’orage nous a fait fuir sous la tonnelle du vestiaire. « N’est-ce pas, les França
159 ême temps. — « Ne regardez donc pas mes mains, je dois faire le ménage ces jours, la peau devient toute sèche et je n’ai mêm
160 t. Presque les mêmes mots !). Doux malentendu qui nous rapproche sous la forme, respectivement, d’une carte postale et d’une
161 raire. Ses deux sœurs sont venues la chercher, et nous sommes rentrés sous le même parapluie, jusqu’à leur petite maison cou
162 nitié », ne saurait laisser aucun doute, fussions- nous même privés de certains témoignages oraux ou de quelques textes irréf
163 re à cette « Germanie aimée16 » ? Ah ! les livres nous avaient bien trompés. Pas trace ici de « merveilleux ». Tout ce qui,
164 ainte. — Des Werthers aux yeux secs, voilà ce que nous sommes. 14 juin 1929 Je suis assis en face du magazine que lit
165 e soir. Je ne sais pas ce qu’il y a, sinon que je dois retenir violemment une espèce de joie qui attrape la fièvre dans mon
166 dit-il (et l’on sent qu’il pense : maintenant que nous avons clos cette journée par une récréation bien méritée), nous voulo
167 s cette journée par une récréation bien méritée), nous voulons aller dormir. Ainsi, dormez bien, faites de doux rêves, — il
168 doux, hein !… » Tout cela est très juste ; la vie doit être ainsi : parfaitement compréhensible et d’une vulgarité toute nat
169 s yeux clos. L’arbre, en sa nuit vivante, rêve de nous . Plus tard, nous nous sommes regardés sans fin. (Ah ! comment dire !
170 bre, en sa nuit vivante, rêve de nous. Plus tard, nous nous sommes regardés sans fin. (Ah ! comment dire ! Vraiment ce fut c
171 en sa nuit vivante, rêve de nous. Plus tard, nous nous sommes regardés sans fin. (Ah ! comment dire ! Vraiment ce fut cette
172 t une branche et la Lune éclairait à longs traits nos visages. Je reconnus la jeune fille tzigane, ma Rose noire de Tannenb
173 it doucement, au sein du silence et du regard. Et nous sommes demeurés des heures au-delà de ce que l’on ignore d’un être, d
174 aient sans mesure tout ce que l’anxiété de la vie nous dérobe : la nudité, la plénitude et la violence infiniment comblée. O
175 musical. Ainsi coula cette nuit sans partage, et nos mains ne s’étaient pas touchées, lorsque au point du jour je vis pâli
176 ndant une promenade d’après dîner avec mes hôtes, nous parlions de prémonitions, et je venais de raconter comment parfois j’
177 recevoir le lendemain. Le soir montait autour de nous , des fenêtres s’allumaient à nos pieds dans le bourg, et le père Rein
178 ntait autour de nous, des fenêtres s’allumaient à nos pieds dans le bourg, et le père Reinecke refusait de croire à mes his
179 i à leur manière, et très éloignés, qui composent notre imagerie quotidienne du vaste monde. J’étais seul et tranquille, à ma
180 e, résultat selon lui de l’excellente cuisine que nous sert la Gnädige. Je n’aurais plus l’air citadin. Allons bon, félicito
181 point de cela que l’homme des villes a besoin de nos jours ? On parle toujours de son appétit de plaisir. C’est un cliché
182 sang, amplifie le rythme des marées qui baignent nos membres. J’ai connu peu de joies plus hautes que celle-ci : se promen
183 s le mouvement. Et c’est par là qu’ils parlent à notre âme et la retiennent, la captivent. Fin juillet 1929 Vraiment l
184 encore jusqu’à Stuttgart, où je crois bien qu’on doit arriver vers huit heures. J’ai d’abord essayé de me confiner dans cet
185 des populations qu’il traverse. À chaque station nous débarquons un peu moins de paysans et de paniers ventrus, embarquons
186 encore en regardant devant moi. J’ai honte. Comme nous sommes incapables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs
187 moi. J’ai honte. Comme nous sommes incapables de nous libérer de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous tenions
188 de barrières sociales ou de pudeurs qu’en pensée nous tenions pour nulles. Si j’étais vraiment libre, j’aurais fait place a
189 faire des courses en ville, probablement ; elle a prendre le train des ouvriers, et c’est à elle que va ma sympathie ?…
190 re interrogation des visages devant l’atrocité de notre vie sociale ! Je baisse les yeux sur mon livre. « Et la foule menaçan
191 humain, c’est de donner sans mesure un amour dont notre vie, peut-être, n’a que faire. ⁂ Le reste de la vie, c’est toujours e
8 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Quand je me souviens — C’est l’Europe
192 un passé dans le futur que j’anticipe » — et qui devait me conduire à une action : celle que je n’ai cessé de mener depuis, p
193 i cessé de mener depuis, pour l’avenir du sens de nos vies. Le bon vieux temps présent 19 mars 1939 « Le Führer a pass
194 un âge, un climat de musique, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux temps » de plus, tout près de no
195 ise. Un « bon vieux temps » de plus, tout près de nous … Le bon vieux temps, pour nos ancêtres, c’était très loin dans le pas
196 plus, tout près de nous… Le bon vieux temps, pour nos ancêtres, c’était très loin dans le passé, dans la légende, si loin q
197 , ne l’avait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous , ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et
198 e fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus
199 est-ce — aujourd’hui ? Mais oui, peut-être vivons- nous , ici, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux tem
200 emps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute na
201 us avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, e
202 r et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de
203 er, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pou
204 ien de temps encore, combien de semaines pourrons- nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos
205 ines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ?
206 et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde
207 que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où c
208 et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accab
209 t plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra chang
210 que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer le rythme et rectifier la tenue,
211 n. Et dès lors qu’il l’a mis en question et qu’il nous force au réalisme à sa manière, le charme est détruit dans nos vies.
212 réalisme à sa manière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelq
213 sa manière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instant
214 n temps sa loi, en préservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d’aimer, cette bonté humaine, plus inutile que jamais
215 radio brusquement interrompit les conversations. Nous entendîmes la fin d’une phrase en italien, puis une fanfare joua l’hy
216 us un ciel d’angoisse et de haine ! — Malheur sur nous  ! Nuit lugubre, sans sommeil — rythmée d’armes martelées — meute fol
217 qualifier ; elle ne ressemble à aucune autre. Je devais avoir 13 ou 15 ans lorsque j’y vins pour la première fois, descendant
218 t encore par des lacets immenses, passait enfin à notre hauteur, puis courait s’engouffrer dans les rochers, à la base d’une
219 pour cette raison même, l’origine très précise de nos libertés suisses et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais ri
220 rigine très précise de nos libertés suisses et de notre union fédérale. Quand je n’en saurais rien, j’ai lieu de supposer que
221 « Le petit nuage n’est pas passé. Il passera, et nous serons encore une fois assis au café des Deux Magots. La vie reprendr
222 econde me dit : « Le petit nuage passera, oui… et nous avec ! » Selon l’humeur du jour, je donne raison à l’une ou à l’autre
223 t, c’est la certitude « qu’il passera ». Que sont nos petits accès de découragement, ces brumes qu’un léger vent d’avant-pr
224 gard du Règlement des comptes universels que sera notre jugement au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait
225 ent au dernier jour de tous les temps. Karl Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes où nous avions donné deux conférenc
226 l Barth nous le disait l’autre jour à Tavannes où nous avions donné deux conférences successives devant un vaste rassembleme
227 rassemblement de jeunes gens : « Comme chrétiens, nous n’avons à redouter que le Prince de tous les démons, et non pas tel o
228 ous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engage
229 u’il nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits per
230 nous délègue de temps à autre. Le combat que nous devrons peut-être engager militairement contre l’un de ces petits personnages
231 si « total » qu’il soit, ne saurait figurer pour nous qu’un exercice, une première escarmouche, un entraînement pour le « c
232 pour le « combat final » où le Christ seul pourra nous sauver, lorsque le Malin en personne nous accusera au Jugement dernie
233 pourra nous sauver, lorsque le Malin en personne nous accusera au Jugement dernier. » Voilà les dimensions réelles qu’il fa
234 er envisager. Elles ne sont pas démesurées. Elles doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos miséra
235 e sont pas démesurées. Elles doivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de n
236 ivent au contraire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesq
237 ire nous donner la vraie mesure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est
238 sure de nos soucis, de nos misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il passera.
239 t se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints. Quelqu’un disait : Si Par
240 il soit le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints. Quelqu’un disait : Si Paris est détruit, j’en p
241 visionen ». Quelque chose d’indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant vi
242 ntermède New York, fin 1942 … mais sachez-le : nous n’étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occ
243 s plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la
244 au pire moment, à l’heure de moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous encore le même langage au j
245 tance. Notre angoisse était de penser : parlerons- nous encore le même langage au jour de ce retour en France, — dans quelle
246 e, — dans quelle France, et dans quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus
247 vous n’êtes plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout
248 s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, dé
249 ù que ce soit, il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviable, à juste titre. Les pires tourments de
250 . Autant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous étions mal placés pour discuter cela, donc en somme pour défendre l’e
251 ait pourtant tout ce qu’il restait à défendre par nous , dans l’exil… Beekman Place New York, août 1943 Beekman Place e
252 sont les réalités d’un monde tout artificiel que nous , les hommes avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raison
253 artificiel que nous, les hommes avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jo
254 e nous, les hommes avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et
255 es avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce
256 caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerai
257 parmi les signes. Sédiments séculaires, socles de nos patries ! Monuments que l’on ne voit plus, mais qui renvoient l’écho
258 voit plus, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’ar
259 stionnait, répondait. La force était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans la contemp
260 ’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au sil
261 il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au silence. La force éta
262 e enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au silence. La force était chanson fredonnée sur le seuil,
263 rridors et dans le vestibule qui sent le fruit de notre ancienne maison de campagne, et mon pied reconnaît cette brique, près
264 ’était déjà presque l’été. Cinq heures plus tard, nous avons rejoint l’hiver, un ouragan de neige horizontale sur le désert
265 le désert des forêts canadiennes aux lacs gelés. Nous dûmes passer toute la nuit dans les lugubres baraquements de la base
266 ésert des forêts canadiennes aux lacs gelés. Nous dûmes passer toute la nuit dans les lugubres baraquements de la base de Gan
267 base de Gander, à Terre-Neuve. Une aurore boréale nous avait arrêtés, non point que sa beauté nous eût cloués sur place, mai
268 réale nous avait arrêtés, non point que sa beauté nous eût cloués sur place, mais parce qu’elle provoquait des tempêtes magn
269 ement dénouée dans les hauteurs du ciel arctique, nous montâmes en spirale à 5000 mètres, au-dessus d’une mer morte de glace
270 on s’élance pour franchir l’Océan d’un seul bond. Nous volons à tire-d’aile vers l’Irlande ». Mais ce cliché et ces jolies s
271 d de l’avion, attendre que la boule au-dessous de nous ait tourné jusqu’au point désiré, pour y descendre et s’y poser. Rien
272 t qui en est à la troisième journée du trajet que nous ferons à rebours en trois heures. Nous sommes partis tout au début de
273 trajet que nous ferons à rebours en trois heures. Nous sommes partis tout au début de la matinée. Voici déjà l’après-midi, v
274 matinée. Voici déjà l’après-midi, voici le soir, nous volons contre le soleil et le temps coule deux fois plus vite. La str
275 feu sur l’horizon follement lointain, tandis que nous survolons des profondeurs multipliées, cavernes d’ombre et gonflement
276 ux approches de l’Irlande vient la nuit. Derrière nous , tout est flamme et or. Mais un toit d’ombre épaisse descend obliquem
277 bliquement, rejoint la mer, ferme le monde devant nous . En deux minutes nous sommes passés de la gloire aux ténèbres denses.
278 mer, ferme le monde devant nous. En deux minutes nous sommes passés de la gloire aux ténèbres denses. Il n’y a plus, tout p
279 aux ténèbres denses. Il n’y a plus, tout près sur nos têtes, que les lampes en veilleuses, et le ronron des moteurs. Une pe
280 nent. 2 avril 1946 Les oiseaux de Paris. —  Nous roulons dans un petit autobus, du terrain d’Orly vers Paris. Sept ans
281 epuis que je l’ai quitté… Par quelle porte allons- nous entrer ? Je ne puis pas distinguer les noms des rues sur ces maisons
282 quand je me croyais encore dans la banlieue… Déjà nous descendons une rue déserte et provinciale. C’était cela, le boulevard
283 vard Saint-Michel ? Mais sur les quais, où le car nous dépose, j’ai retrouvé les grandes mesures de Paris. Dans quel silence
284 uel silence, à quatre heures du matin. Trouverons- nous quelques chambres pour le reste de la nuit ? Deux jeunes Américains d
285 de se préparer pour la suite, pour l’heure où ils devront « donner ». Le premier devoir d’une réserve est de maintenir ses forc
286 our l’heure où ils devront « donner ». Le premier devoir d’une réserve est de maintenir ses forces intactes et alertées. Intac
287 aintenir ses forces intactes et alertées. Intacts nous le sommes, relativement. Alertés, je n’en suis pas sûr. L’ennui, avec
288 pparences, les subsistances de l’ordre masquent à nos vues immédiates toute l’ampleur de la catastrophe. Il y a des trains
289 es et des paroles tenues, la poste fonctionne, on nous promet un peu plus de charbon pour cet hiver ; des millions de femmes
290 fois… La couche est mince et partout déchirée qui nous sépare du désordre profond. Mais ce n’est pas en Suisse qu’on voit ce
291 fur et à mesure des textes que je lui apportais. Nous devions en tirer l’oratorio que l’on joue aujourd’hui.
292 et à mesure des textes que je lui apportais. Nous devions en tirer l’oratorio que l’on joue aujourd’hui.
9 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — I
293 mon adolescence.) Voilà donc ce qui atteint chez nous à la « classe internationale » comme on dit dans le monde des sports.
294 ait. Dès qu’on essaie de définir l’originalité de notre canton, tout devient si complexe et souvent si bizarre aux yeux de la
10 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — II
295 aussi mystérieuse que celle de l’invention, dans notre esprit. Peu s’en faut, si j’y pense, que je ne les distingue plus. To
296 surpris le mécanisme du souvenir conditionné. Il nous livre à l’accidentel, et ses accidents sont petits : une madeleine tr
297 s de la vie raniment de tout autres mystères. Ils nous font découvrir plus que nous-mêmes. Je l’ignorais encore quand on m’
298 tres destins croisés, soudain le rythme change en nous aussi, rompant la prévision, cette inertie.) Dix jours plus tard mour
299 moire. Ces mouvements les plus profonds de l’être nous semblent déclenchés par un destin absurde, et nous les subissons d’ab
300 ous semblent déclenchés par un destin absurde, et nous les subissons d’abord comme une force tout étrangère. Pourtant, ils n
301 ord comme une force tout étrangère. Pourtant, ils nous rapportent à quelque chose en nous qui n’est pas moins intime que la
302 Pourtant, ils nous rapportent à quelque chose en nous qui n’est pas moins intime que la conscience, mais qui lui est antéri
303 urel comme un reflet de la communion des saints : notre histoire, le passé qui passe en chacun de nous ; qui par nous, mainte
304 : notre histoire, le passé qui passe en chacun de nous  ; qui par nous, maintenant, se passe, lié à toute l’histoire des autr
305 e, le passé qui passe en chacun de nous ; qui par nous , maintenant, se passe, lié à toute l’histoire des autres hommes ; et
11 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — III
306 III C’est l’un des traits les moins connus de notre pays que la continuité de ses familles, ailleurs rompue par des révol
307 ou de fréquents changements de condition sociale. Nos archives sont intactes, minutieusement tenues par les communes les pl
308 endance jusqu’à des époques où n’atteignent, chez nos voisins, que les familles de la noblesse. La Suisse n’est pas démocra
309 igurent sur le rôle de 1580, ont subsisté jusqu’à nos jours. Beaucoup d’autres s’y sont ajoutés dans le cours du xixe sièc
310 is-cent-soixante familles nouvellement agrégées à notre bourgeoisie dans les douze ans précédant 1900, deux tiers portent des
311 900, deux tiers portent des noms allemands. Elles nous ont apporté un dynamisme neuf, et un accent qui défie la pudeur… Le g
312 de sollicitude et d’efficacité que par celles de notre inestimable constitution. » Qu’attendre de plus d’un Anglais ? N’oubl
313 caste et de famille qui régnait à Neuchâtel. Dieu nous préserve, écrivait-il, des parvenus par droit de naissance et de fort
12 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — IV
314 la Principauté. Puis survient la révolution dont nous allons célébrer le centenaire, et le dessaisissement du patriciat ; d
315 culturelles et religieuses, qui s’exercèrent sur notre Suisse romande aux derniers siècles. Je note pourtant que l’un des tr
316 vie. Sur le fond d’une tradition qui la reliait à notre histoire et à l’ancienne communauté, j’ai mieux distingué, par contra
317 la mémoire individuelle, le passé qui se passe en nous , et sans lequel il n’y aurait jamais de plénitude du présent. Jours p
318 monique et qui fait vibrer tous les temps, créant notre avenir aussi, parce qu’il ouvre l’attente ardente de sa résolution — 
319 rdente de sa résolution — de son pardon. Jours de nos vies, comptés de toute éternité, mais prolongés par l’acte de piété à
320 s siècles écoulés et futurs de ce « pays que Dieu nous donne ».
13 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — V
321 e qu’on touche — et ce qu’on imagine, le pays qui nous tient par les pieds, par le cœur, et le rassemblement des nations inv
322 r, et le rassemblement des nations invisibles, on nous dit que tout les oppose, qu’il faut choisir l’un contre l’autre, et q
323 en séparent-elles pas autant qu’elles m’y lient ? Nous ne savons presque rien de l’hérédité. Mais quand on m’aura démontré q
324 ance qui m’a toujours saisi dans ces provinces ne doit rien aux mystères du sang, une idée chimérique ne cessera de me plair
14 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — VI
325 ne manquent pas. Mais les seuls qui aient franchi nos limites sont ceux de nos théologiens, Ostervald encore, puis Godet ;
326 seuls qui aient franchi nos limites sont ceux de nos théologiens, Ostervald encore, puis Godet ; et le Droit des gens de V
327 ore, puis Godet ; et le Droit des gens de Vattel. Nous avons eu d’excellents historiens : l’auteur de la Chronique des Chano
328 poème, l’essai, le jeu d’idées — est restée chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’émouvant d’une
329 u d’idées — est restée chez nous pauvre ou nulle. Nous n’avons rien tiré de grand ou d’émouvant d’une culture solide et vari
330 ure fut trop mêlée, cette nature trop vantée pour nous troubler ? Que ces contraintes furent ou bien trop pesantes, ou au co
331 fuient le discours, ignorent le style. Entendrons- nous un jour quelqu’un qui chante, ou crie, après des siècles où nul n’a p
332 , de plus près ? J’ai vu percer quelques poètes à nos vitrines de libraires… Les Vaudois ont produit ou toléré Constant, Al
333 vé, dans toute l’Europe, connaît au moins le nom. Nous n’avons rien de ce rang-là. Les visiteurs de Lausanne, de Coppet, des
334 histoire » littéraire se borne à mentionner chez nous des rendez-vous de voyageurs discrets, inaperçus et bientôt disparus.
335 les successeurs de l’Arménien ne sont venus chez nous qu’à pas feutrés. Certains d’ailleurs avaient de bonnes raisons de ne
336 certes, j’ai pensé à Gide, le plus fidèle de tous nos hôtes, en écrivant ces phrases sur le banc. Je viens de reprendre son
337 ur qu’on s’aperçût un beau jour qu’il était parmi nous , caché dans sa pèlerine. Une semaine plus tôt, chez les Heyd, nous av
338 sa pèlerine. Une semaine plus tôt, chez les Heyd, nous avions joué au jeu des questions et réponses. L’un écrit trois questi
15 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — VII
339 loneux du village viennent donner la sérénade. Et nous montons à ce balcon sur l’eau, accroché aux très hautes murailles qui
340 one… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nous allions ramer vers minuit, heure où le crépuscule enfin se meurt dans
341 trouvais bien beau. Pourquoi l’ai-je quitté ? …Et nous n’irons jamais au lac d’Amatitlán, au pied du fabuleux volcan de Sant
342 spué. J’ai 16 ans. C’est horrible. Mon seul amour doit rester mon secret. Je la guette à midi, quand elle descend dans le co
343 es jeunes filles sortant de l’école des Terreaux. Nous , les garçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Vi
344 e l’école des Terreaux. Nous, les garçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nou
345 re « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de ne pas regarder les fi
346 la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, m
347 t contre un vent impétueux. L’orage est imminent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine d’années, se dirige vers le lac
16 1932, Le Paysan du Danube et autres textes. Suite neuchâteloise — VIII
348 vient d’alterner ces agréments et ces vertus. Qui nous parlera des forêts ? Pour ma part, j’ai trop peu vécu sous les sapins
349 ont celles où l’on naît à l’amour. Un portrait de notre pays, peint de là-haut, ne ressemblerait guère à mes esquisses. Au li
350 quotidien, c’est le Nord du canton qui a gagné et nous a faits républicains, voilà cent ans. Il nous donne aujourd’hui nos m
351 et nous a faits républicains, voilà cent ans. Il nous donne aujourd’hui nos meilleurs socialistes. C’est un pays qui est « 
352 icains, voilà cent ans. Il nous donne aujourd’hui nos meilleurs socialistes. C’est un pays qui est « avancé » par tradition
353 ne présida, me dit-on, les réunions secrètes d’où devait sortir la Première Internationale, aussitôt confisquée par Marx. De c
354 bas faits de grosses pierres entassées avec art. Nous passions les clédars (beau mot celtique, l’un des rares qui subsisten
355 mot celtique, l’un des rares qui subsistent chez nous ) et les refermions avec soin, pour que les vaches n’aillent point cha
356 s vaches n’aillent point changer de propriétaire. Nous marchions à grandes enjambées, joyeux de sentir nos gros talons clout
357 s marchions à grandes enjambées, joyeux de sentir nos gros talons cloutés mordre dans le sol élastique. Soudain je suspendi
358 n petit lièvre frémissait, immobile et terrorisé. Nous nous sommes regardés un moment, de tout près. Un seul geste rapide eû
359 it lièvre frémissait, immobile et terrorisé. Nous nous sommes regardés un moment, de tout près. Un seul geste rapide eût suf
360 u langage. Et à ce propos… L’opinion publique, de nos jours, veut que si l’on parle de son pays et de son peuple on les lou
361 ’ai pris le parti de laisser les étrangers vanter nos vertus bien connues et découvrir celles que nous ignorons. Je me born
362 r nos vertus bien connues et découvrir celles que nous ignorons. Je me borne à l’autocritique. Et par exemple, il est de mon
363 e à l’autocritique. Et par exemple, il est de mon devoir de citoyen conscient et responsable d’élever une solennelle protestat
364 ent de mes compatriotes, celui qu’ils ont pris de nos jours et que leurs pères n’ont pas connu, l’accent le plus navrant de
365 Bruxelles à Port-Bou. Je ne vais pas m’occuper de nos fautes de français, elles sont moins graves, et je ne crois pas que n
366 , elles sont moins graves, et je ne crois pas que nous en commettions beaucoup plus que les Parisiens : simplement à d’autre
367 ccasion des Auvergnats, mais grimace de douleur à nous entendre. Écoutez les jeunes gens dans la rue (« sur la rue » ou « en
368 ise de cette croisade, dont le succès embellirait notre existence mieux qu’une « plage » ou qu’un monument. Je me pardonnerai
369 ues un peu vives si elles attirent l’attention de nos éducateurs sur une disgrâce que l’habitude risque de rendre insensibl