1 1944, Les Personnes du drame. Introduction
1 n Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Jésus, reprenant la parole lui dit : « Tu es heureux, Simon
2 meure cachée — demeure « cachée avec le Christ en Dieu  » — et ce n’est qu’aux yeux de la foi que certains de nos actes appar
2 1944, Les Personnes du drame. Sagesse et folie de la personne — Kierkegaard
3 l était monté sur un tertre et il avait maudit le Dieu tout-puissant qui le laissait mourir de faim. Ce blasphème assombrit
4 son développement religieux. Mais le défi jeté à Dieu sembla porter bonheur au jeune berger. Il devint commerçant et fit un
5 it pas en assumer l’entière responsabilité devant Dieu et devant les hommes. Ce ne fut qu’à la fin de sa vie qu’il s’offrit
6 tion d’une « différence qualitative infinie entre Dieu et l’homme ». Le sens réel et profond de toute son œuvre réside dans
7 ombrables tentations d’une religion qui n’est pas Dieu  ; et soudain, sur son lit de mort, cette phrase ingénument piétiste :
8 sance. Il force les hommes à être attentifs. Ah ! Dieu sait s’ils deviennent attentifs — ils le tuent. Mais c’est là ce qu’i
9 aux dépens de tout ce qui soutient l’homme contre Dieu . Et cependant, dans le pire désespoir, jamais de défi, ni d’hybris. P
10 oi, ou mieux : tant que la foi, qui est le don de Dieu , ne m’a pas trouvé et vaincu… Avoir connu cela, c’est vouloir « une s
11 ie en toute droiture. »24 Un solitaire devant Dieu . Alors tout se rapporte à un rapport unique, celui-là même qui fonde
12 erkegaard emploie ce mot. Si l’on ne croit pas en Dieu , c’est-à-dire si l’on ne croit pas que Dieu est la forme originelle e
13 as en Dieu, c’est-à-dire si l’on ne croit pas que Dieu est la forme originelle et dernière du tu, on pense que Kierkegaard e
14 de sa solitude. Car il s’y trouve en présence de Dieu , de celui qui l’a fait de rien mais qui l’a fait. Seul en face de lui
15 -même, il douterait de son existence. Seul devant Dieu , il se voit condamné, questionné, sommé de répondre, et incapable de
16 rd accepté d’être zéro ! L’homme qui meurt devant Dieu , en tant qu’individu, renaît au même instant en tant que vocation. Ce
17 l’idée, puisqu’il est cette idée, et cet ordre de Dieu  ? Puisqu’il ne se craint plus ? Puisque sa mort est derrière lui. Un
18 vidu, non tel ou tel, mais celui-ci, isolé devant Dieu , seul dans l’immensité de son effort et de sa responsabilité : c’est
19 re au paradoxe de l’incarnation, c’est croire que Dieu a revêtu la forme de ce monde, c’est croire que cette forme peut être
20 ation prophétique, pareille à celle des hommes de Dieu qui se lèvent sous l’Ancienne Alliance, se confond avec la parole qui
21 e met en devoir d’obéir à l’ordre qu’il reçoit de Dieu , — n’importe où et n’importe qui, à n’importe quel ordre reçu, et san
22 ans assurances et sans préparation, à la grâce de Dieu , dans la confiance et l’inquiétude — on pourrait dire dans une sorte
23 seul acte possible à l’homme. Et c’est l’acte que Dieu initie. 6 4.« Par rapport à l’absolu, il n’existe qu’un seul temp
24 l peut se produire sans que rien y prépare. « Car Dieu peut tout, à tout instant. C’est là la santé de la foi. 34 » Si nous
25 é ni futur, mais le Jour éternel de la présence à Dieu et à soi-même régnerait sur le monde et l’unité du genre humain. Si n
26 sir36. C’est le retard de l’acte et le retrait de Dieu , c’est le doute qui s’interpose entre le savoir et le faire, et c’est
27 n pourrait dire : sa patience. Car il se tient où Dieu l’a mis, et ce n’est plus une dérive. Il vit dans la forme du monde,
28 rtige de la « vie chrétienne », cette histoire de Dieu dans le temps, cette histoire de l’éternité ! Il suffit d’un courage
29 e de l’instant, c’est l’obéissance à la Parole de Dieu , — la prophétie dans l’immédiat. Que s’est-il donc passé ? Me voici s
30 la vraisemblance n’entre jamais en relation avec Dieu . L’audace religieuse, à plus forte raison l’audace chrétienne, est au
31 rde. » L’homme ne peut être déterminé que par son Dieu ou par le « monde », il faut choisir. Il faut être un chrétien ou bie
32 seul est plus forte, dans son humilité et devant Dieu , — car c’est la foi — que les discours des réalistes et l’enthousiasm
33 chacun n’est pas à sa place, là où la vocation de Dieu l’a mis. Supposez qu’un tel homme existe. Que va-t-on faire de lui, d
34 onde qu’on nous prépare ? Il se peut, si pourtant Dieu le veut. L’exigence de Kierkegaard se limite à l’instant du choix, où
35 gage « en vertu de l’absurde », sur le chemin que Dieu lui montre, — seul. Cette primauté de la foi sur les vérités qui font
36 és qui font vivre, cette solitude première devant Dieu , est-ce bien cela que revendiquent les défenseurs du primat de l’espr
37 ni à Genève ni à Moscou, mais à nous-mêmes devant Dieu . Søren Kierkegaard est sans doute le penseur capital de notre époque,
38 x qu’aucun autre le message du « solitaire devant Dieu  ». 3.L’Ironie Lorsque je vois de toutes parts, en Europe, à tra
39 ant choisir. Ou bien tu crois à la seule grâce de Dieu , dans l’abîme infini où tu te vois, — ou bien tu crois aussi à ce sér
40 ec émotion sur ce texte qu’il a choisi lui-même : Dieu a élu dans le monde les petits et les méprisés ; — et personne ne rit
41 tent, — et n’agissent jamais seuls. » Mais ce que Dieu exige, c’est précisément le contraire : il veut l’originalité. « Voil
42 veut l’originalité. « Voilà pourquoi la Parole de Dieu est telle qu’on y trouve toujours quelque passage qui dise le contrai
43 erkegaard appelle, c’est l’homme isolé devant son Dieu . Mais comment cela se pourrait-il, sinon par l’effet de la foi ? Il f
44 ait-il, sinon par l’effet de la foi ? Il faut que Dieu l’appelle, qu’il le nomme et par là le sépare, autrement l’homme n’es
45 exemplaire dans le troupeau. Le solitaire devant Dieu , c’est celui qui répond à la foi, cet appel. Quand on parle de romant
46 de est lui-même en révolte contre l’ordre reçu de Dieu , qui sera l’Ordre du Royaume. Et nier une négation, c’est s’enfoncer
47 rétien est position, obéissance. Et si l’appel de Dieu isole du monde un homme, c’est que le monde, dans sa forme déchue s’o
48 e, dans sa forme déchue s’oppose au monde tel que Dieu l’a créé, s’oppose à la transformation que veut l’Esprit, s’oppose à
49 ransformés », dit saint Paul. Le solitaire devant Dieu , c’est celui qui se tient à l’origine de sa réalité. Celui-là seul co
50 rait-il s’avancer et cracher au visage du Fils de Dieu  ? Mais qu’il soit foule, il aura ce « courage », — il l’a eu. Il faut
51 et d’autre pouvoir que mon refus d’exister devant Dieu et d’exercer le pouvoir que je suis. Elle n’est que ma dégradation. E
52 rait se tenir dans l’instant, « sous le regard de Dieu  », comme disent les chrétiens ? (Est-ce facile ? ou bien même possibl
53 de la masse où nous vivons, le « solitaire devant Dieu  » est aussi l’homme le plus réel, le plus présent. Parce qu’il sait q
54 eut-être aussi tout formel, de l’isolement devant Dieu . D’autre part l’acte du « solitaire » n’est pas de ceux dont nous ayo
55 conséquences. Ou bien il est, et c’est l’acte de Dieu  ; ou bien je l’imagine et mon discours est vain. À qui pressent dans
56 l’époque ne provient pas de ce qu’elle est « sans Dieu  » — mais bien plutôt de ce qu’elle est sans maîtres, c’est-à-dire san
57 paradoxe impensable, l’Incarnation historique de Dieu . Pas de réponse rationnelle au « Cur Deus Homo ? » de saint Anselme.
3 1944, Les Personnes du drame. Sagesse et folie de la personne — Franz Kafka, ou l’aveu de la réalité
58 56. Quel est alors le Juge impitoyable ? C’est le Dieu qui donna la Loi, le Dieu des Juifs « qui ne tient pas le coupable po
59 impitoyable ? C’est le Dieu qui donna la Loi, le Dieu des Juifs « qui ne tient pas le coupable pour innocent. » Pourquoi de
60 êtres et mages, derniers appuis de l’homme contre Dieu  ! À vrai dire, ils sont impuissants, prévenus eux-mêmes, et fort peu
61 songer à la « misère de l’homme » non pas « sans Dieu  » mais livré à un Dieu dont il ne peut connaître que la colère, non l
62 e l’homme » non pas « sans Dieu » mais livré à un Dieu dont il ne peut connaître que la colère, non la miséricorde. C’est l’
63 miséricorde. C’est l’état de l’homme qui sait que Dieu existe, mais qui ne peut plus lui obéir, et qui ne sait pas comment l
64 ient au Père que par moi ». C’est par le Fils que Dieu devient pour nous le Père et cesse d’être le Juge lointain. Mais alor
65 ienne — précisons : judéo-chrétienne. Il sait que Dieu et sa Justice existent, mais il le sait d’une manière négative, ou pl
66 t bien moins la faute morale que le refus d’aimer Dieu en Christ. Si la foi survenait, Josef K. renoncerait aux vains effort
67 gaard, « une différence qualitative infinie entre Dieu et l’homme », de telle sorte que nulle communication ne peut s’établi
68 ulle communication ne peut s’établir de l’homme à Dieu , si l’on ne croit pas qu’elle a été établie, en sens inverse, de Dieu
69 it pas qu’elle a été établie, en sens inverse, de Dieu à l’homme, par la venue du Christ dans l’histoire. Kafka savait qu’il
70 âce » au sens des théologiens, le gouvernement de Dieu qui dirige les destinées humaines (le « village »), la vertu des hasa
71 e et Tremblement : la suspension de l’éthique par Dieu lui-même, en vue de certaines fins particulières. Les contradictions
72 l : le doute. Non pas un doute sur l’existence de Dieu , ici encore, mais bien sur la réalité du pardon gratuit, de la Grâce,
73 dernier espoir de s’en tirer malgré l’absence de Dieu , de se faire une vie à force d’application, d’honnêteté dans les peti
74 ’un Absurde qu’il fuit, au nom de la crainte d’un Dieu inaccessible, et qui se rit de notre lucidité, sans parler de nos eff
75 déchu : comme une manière de renoncer à connaître Dieu autrement qu’en obéissant aux exigences actuelles de son amour. Mais
76 a tentation prométhéenne d’un monde organisé sans Dieu , d’une autarcie de l’immanence. Mais en fin de compte, une telle ambi
4 1944, Les Personnes du drame. Liberté et fatum — Luther et la liberté de la personne
77 lontiers « inhumain » parce qu’il attribue tout à Dieu . Traité du serf arbitre À la proposition qu’on lui faisait en
78 ation par la foi, qui est don gratuit et œuvre de Dieu seul ; opposition de cette justice de Dieu à la justice des hommes et
79 vre de Dieu seul ; opposition de cette justice de Dieu à la justice des hommes et de leurs œuvres ; opposition de la grâce à
80 rationnelle entre les règnes en guerre ouverte du Dieu de la foi et du Prince de ce monde ; nécessité du témoignage, et du t
81 itable « action » de l’homme « entre les mains de Dieu . » Tels sont les thèmes qu’illustre cet ouvrage. S’ils n’y sont pas t
82 traduisent : « Paix sur la terre, bénévolence (de Dieu ) envers les hommes » par « Paix aux hommes de bonne volonté », tous c
83 qui veut honnêtement croire…) Dialogue Car Dieu peut tout à tout instant. C’est là la santé de la foi. Kierkegaard.
84 her, nous n’avons aucune liberté car, en réalité, Dieu a tout prévu, et rien n’arrive que selon sa prévision. Luther ne pose
85 mais l’omniscience et la prescience éternelle de Dieu , qui ne peut faillir dans sa promesse, et auquel nul obstacle ne s’op
86 une hypothèse de travail… Pour moi, je crois que Dieu connaît la fin, la somme, la valeur absolue de nos actions passées, p
87 sentes et futures ; car elles sont dans le temps, Dieu dans l’éternité qui est avant le temps, qui est en lui, et qui est en
88 en lui, et qui est encore après lui. Au regard de Dieu donc, « tout est accompli » — depuis la mort du Christ sur la croix.
89 — Si c’était vrai, je préférerais encore nier ce Dieu qui prétend voir plus loin que le terme de mes actions, — ce qui, avo
90 me dire qu’elles sont prévues ! Et prévues par un Dieu éternel, qui dès lors se joue de moi indignement ! Il faudra donc cho
91 oue de moi indignement ! Il faudra donc choisir ; Dieu ou Moi. Je dirai : moi. Dussè-je tuer Dieu, comme Nietzsche a proclam
92 isir ; Dieu ou Moi. Je dirai : moi. Dussè-je tuer Dieu , comme Nietzsche a proclamé qu’il l’avait fait. L. — Comment le temps
93 ormait… Nietzsche l’a bien vu : ce n’est que le «  Dieu moral » qui est passible de réfutation. Mais tu affirmes que si Dieu
94 t passible de réfutation. Mais tu affirmes que si Dieu prévoit tout, tu es alors dispensé d’agir, et que ce n’est plus la pe
95 le fournir ? Et si tu décidais : « Je suis, donc Dieu n’est pas ! »64 qui t’assurerait que cet acte de révolte échappe à l’
96 prononcerais pas sur toi-même l’arrêt éternel de Dieu , te rejetant vers le néant, en sorte que Dieu, vraiment n’existe plus
97 de Dieu, te rejetant vers le néant, en sorte que Dieu , vraiment n’existe plus pour toi ? Il est une double prédestination :
98 e. « Demandez et l’on vous donnera », dit le même Dieu qui nous prédestina ! Quand le croyant, qui sait que Dieu a tout prév
99 nous prédestina ! Quand le croyant, qui sait que Dieu a tout prévu éternellement, adresse à Dieu, au nom de sa promesse, un
100 it que Dieu a tout prévu éternellement, adresse à Dieu , au nom de sa promesse, une prière précise et instante, ne vit-il pas
101 e, sans que rien ne soit changé de ce qu’a décidé Dieu , de ce qu’il décide ou de ce qu’il décidera ? Car l’Éternel ne connaî
102 salut avec crainte et tremblement, puisque c’est Dieu qui produit en vous le vouloir et le faire. » (Phil. II, 12-13) C’est
103 et le faire. » (Phil. II, 12-13) C’est parce que Dieu fait tout que nous devons agir, selon qu’il nous l’a commandé. C’est
104 r, selon qu’il nous l’a commandé. C’est parce que Dieu prévoit tout que nous avons en lui, et en lui seul, la liberté. Mais
105 ns aucune liberté possible, que dans la grâce que Dieu nous fait. Toute l’argumentation de Luther vise le moment de la décis
106 ntolérable à la raison, qu’on puisse affirmer que Dieu damne qui il veut, — au mépris de tant de grands hommes de tous les t
107 st le plus haut degré de la foi, de croire que ce Dieu est clément, qui sauve si peu d’hommes et en damne un si grand nombre
108 hommes et en damne un si grand nombre ; et que ce Dieu est juste, dont la volonté nous rend nécessairement damnables… Mais q
109 ions à comprendre par la raison de quelle manière Dieu est miséricordieux et juste, alors qu’il montre une si terrible colèr
110 qu’aurions-nous besoin de la foi ?… Ce serait un Dieu stupide qui révélerait aux hommes (en Christ) une justice qu’ils conn
111 chapper au nihilisme qui l’étreint dès lors que «  Dieu est mort », ou qu’il l’a « tué », il imagine le Retour éternel. Et co
112 er et regagner la dignité suprême de l’homme sans Dieu . La similitude étonnante du paradoxe luthérien et du paradoxe nietzsc
113 e radicale de la vie. Au « tu dois » prononcé par Dieu , Nietzsche oppose le « je veux » de l’homme divinisé. Puis à l’existe
114 veux » de l’homme divinisé. Puis à l’existence de Dieu , il oppose sa propre existence. Mais la difficulté fondamentale que p
115 et qui est le contenu de la Grâce : « Emmanuel ! Dieu avec nous ! » 62. Le paradoxe qui faisait le sujet du court traité
116 ophiques de Jules Lequier contre la prescience de Dieu . Elles reposent toutes sur cette idée : qu’une décision éternelle de
117 tes sur cette idée : qu’une décision éternelle de Dieu est une décision qui a été prise avant nos actes, — il y a très longt
5 1944, Les Personnes du drame. Sincérité et authenticité — Vues sur Ramuz
118 samment sur la nécessité de « faire la volonté de Dieu  », non de la dire. Mais le kantisme a dévié ce mouvement, détournant
6 1944, Les Personnes du drame. Sincérité et authenticité — L’Art poétique de Claudel
119 vraiment « poétiser », collaborer à l’ouvrage de Dieu , et recréer la catholicité. Mais c’est aussi dans le monde d’aujourd’
120 la Création, attend la révélation des enfants de Dieu , parce que ce n’est pas de son propre gré qu’elle a été assujettie à
121 ! Art poétique, art de refaire le monde — tel que Dieu l’a connu de toute éternité ! 82. En effet la citation du Cratyle q
7 1944, Les Personnes du drame. Une maladie de la personne — Le romantisme allemand
122 e, d’une dernière crainte de confondre l’homme et Dieu . Troxler esquive non sans adresse la difficulté et le choix : pour lu
123 ui le remet en communion avec son prochain devant Dieu . Si la santé de la foi fonde la vraie personne, elle doit fonder auss