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Au sujet du Journal d’
André Gide
(janvier 1940)ar Il ne serait guère honnête, et moins encore adroi
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incertitude où pareil livre entraîne le jugement.
Gide
a tant répété : Ne jugez pas ! qu’il a fini par se rendre lui-même li
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pèce d’intérêt que l’on prend à lire le Journal d’
André Gide
. Il est probable que, du seul point de vue de l’art, cet intérêt deme
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ne existence. Malgré les pages plus élaborées que
Gide
a groupées ça et là sous des titres particuliers (Feuillets, Numquid
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ici se pose le problème de la vérité du portrait,
Gide
note lui-même dès 1924 : « Si plus tard on publie mon journal, je cra
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ne idée fausse », c’est bien ce que devait éviter
Gide
, plus jalousement qu’aucun autre. Est-ce vraiment pour le diminuer qu
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pour une pose raffinée. J’imaginerais plutôt que
Gide
est fasciné par l’obstacle qu’il veut éviter. Son horreur du malenten
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Et par exemple, les choses tues dans ce recueil —
Gide
a marqué qu’une grave lacune mutile l’image qu’il nous y livre de lui
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? Ainsi l’on se peint plus « rosse » que nature.
Gide
lui-même, à ce jeu, ne s’est pas épargné : « Je ne suis qu’un petit g
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i, crée ce qu’il cherche… » Or, en écrivant cela,
Gide
n’a-t-il point cédé à la tentation qu’il décrit ? Cercle vicieux de l
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es, oubliant ce qui va de soi : l’autoportrait de
Gide
est aussi ressemblant. On l’y retrouve aussi au naturel, avec toutes
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cien comme Goethe encore se voulait peintre (mais
Gide
est, je crois, plus doué). On l’y découvre enfin, et cela me paraît n
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qué jusqu’à quel point l’« antichristianisme » de
Gide
est chrétien dans ses déterminations ? Je crois qu’on s’est trop lais
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nécessairement, à la sollicitude des catholiques.
Gide
fut élevé dans un milieu où la religion paraissait se réduire à ces d
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ues : libre examen et moralisme. Du libre examen,
Gide
conserve son exigence de vérité et de véracité « advienne que pourra
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te réaction gauchit parfois certains jugements de
Gide
sur la Réforme. (Il la confond souvent, me semble-t-il, avec l’image
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savons ! ») Ceci explique que le souci central de
Gide
ait été de débarrasser son christianisme de toutes les adjonctions «
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nce d’honnêteté qui rappelle si fort Kierkegaard.
Gide
répugne à paraître plus qu’il n’est, à affirmer plus qu’il ne croit.
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imait pas digne, et qu’il confessait par là même.
Gide
paraît surtout attentif à sa nature complexe et réticente. Or toute n
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re s’y ordonner. « Orthodoxie protestante — écrit
Gide
—, ces mots n’ont pour moi aucun sens. Je ne reconnais point d’autori
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libératrice. ⁂ Si, malgré son génie du scrupule,
Gide
s’expose parfois au reproche de prendre position non sans légèreté su
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moins. À cet égard, il m’apparaît que la leçon de
Gide
, pour ceux de mon âge, est moins urgente dans l’ordre de l’éthique, q
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probe adversaire des orthodoxies orgueilleuses, «
André Gide
à n’en plus finir » ! 53. Cf. p. 1331, note du 26 janvier 1930. 54
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ctement les siennes… ar. « Au sujet du Journal d’
André Gide
», La Nouvelle Revue française, Paris, n° 316, janvier 1940, p. 24-32