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Dialectique des mythes II Les deux âmes d’
André Gide
… à présent que j’y vois un peu plus clair… Et nunc manet in te.
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Et nunc manet in te. Au lendemain de la mort d’
André Gide
, j’avais écrit pour un Hommage collectif quelques pages dont le ton p
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ée qui donne sur la bibliothèque où il travaille,
Gide
apparaît en robe de chambre grise, le corps un peu tassé et de large
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s les offre. Au milieu du studio pend un trapèze.
Gide
s’y appuie des deux mains, se balance en regardant nos valises. « Tou
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inquisiteur. Je me garde de répondre. Finalement,
Gide
, en riant : « On va dire que c’est un complot de protestants ! » Le m
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u 20 juin. J’avais eu l’impression ce jour-là que
Gide
passait la prudence dans l’aveu, qu’il me disait ce qu’il ne pouvait
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» (C’est ainsi qu’on l’appelait dans ce groupe.)
Gide
s’éclaircit la voix pour observer que le jeu devenait bien personnel,
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ésolu, croient-ils. Je ne dis pas qu’il torturait
Gide
, hors quelques crises dont nous avons les témoignages, mais il restai
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oignages, mais il restait, pour lui, un problème.
Gide
avait peu d’instinct religieux, et moins encore de goût pour la métap
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lème aux stades les plus variés de l’évolution de
Gide
. Ce qui l’a vraiment torturé, c’est l’éthique, non le religieux ; la
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ques ? Ce débat nous éloignerait de la réalité de
Gide
. Une intense affectivité le liait, le reliait, au monde du christiani
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qu’un concept bâtard, engendré par le romantisme.
Gide
recherchait plutôt la rectitude, qu’il tenait pour la vérité. Il lui
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r des symboles, où Valéry se fût poliment récusé,
Gide
objectait, déduisait, s’émouvait… Peu d’écrivains, même chrétiens, no
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ne dis pas qu’elle soit chrétienne pour autant.)
Gide
était individualiste. Savons-nous encore mesurer le sens et la portée
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r la place du Juge, ou mêler vanités et salut. Si
Gide
a refusé totalement quelque chose, c’est justement le totalitarisme,
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lumière sans ombre. Et je n’entends pas dire que
Gide
fut un croyant, mais il reste un douteur exemplaire. Un cas-limite
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j’avais cru pouvoir tirer de mes entretiens avec
Gide
, touchant sa vie intime, ses jugements sur lui-même, ou son attitude
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e été que le prétexte — ou la motivation réelle ?
Gide
avait-il seulement cédé à ce curieux besoin (dont il se plaint souven
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ssionnant ouvrage de Jean Delay sur La Jeunesse d’
André Gide
m’a permis de lever une partie de ces doutes. Au cours d’une conversa
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(une bonne dizaine d’années après nos entretiens)
Gide
, écrit le Dr Delay « me dit attacher une importance toute particulièr
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ers d’André Walter et des premiers « traités » de
Gide
, mais dont la persistance à travers toute une vie est attestée par la
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le, le cas-limite que figure à mes yeux la vie de
Gide
: un exemple à peu près parfait de dissociation de la personne, perme
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Walter, ou l’angélisme Dès le premier livre de
Gide
, toutes les « notes » de Tristan sont manifestes. L’amour est lié à l
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ccident dans le sens du mythe. Comme Kierkegaard,
Gide
s’est plaint très souvent d’une « écharde dans la chair » qui, pensai
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dant qu’il vit l’échec atroce de son mariage, que
Gide
écrit Les Nourritures terrestres, bréviaire du nomadisme dionysiaque.
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que sa doctrine est justifiée par la religion de
Gide
: « L’Évangile y mène, dit Euclide ; on appellera ta doctrine Nomadis
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’assumer l’autre, caractéristiques de Don Juan. «
Gide
ne tient pas en place — note Jean Paulhan. Il préfère la chasse à la
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e impatience des « redites », car c’est ainsi que
Gide
qualifie toute liaison qui impliquerait quelque durée. (Il n’a d’aill
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remords.69 » C’est de cette « joie immense » que
Gide
voulait parler, lorsqu’il me dit, dans l’entretien que j’ai rapporté,
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celle qu’on ne désire pas : ce drame de la vie d’
André Gide
est celui d’une dissociation presque totale de la personne, et qui l’
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nage romanesque. Dans quelle mesure peut-on tenir
Gide
pour responsable de cette « inhabileté foncière à mêler l’esprit et l
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commis par forfanterie d’immoraliste. Or le jeune
Gide
, en pressent l’épouvante, s’il vient à désirer une femme qu’il aime.
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e. Tout à la fin de sa vie, parlant de ses rêves,
Gide
remarque : « … mais dans le rêve seulement, la figure de ma femme se
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e Madeleine, qu’il épousera malgré tout — comment
Gide
eût-il pu surmonter l’interdit jeté de la sorte sur la femme ? Incapa
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orien ; au surplus, sanctionnée par la Mère. Donc
Gide
« prend son parti de dissocier le plaisir de l’amour ». Et même il fa
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plus « normal », dirais-je, eût peut-être donné à
Gide
l’agressivité nécessaire pour briser ces structures puritaines, comme
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ril », dirait-on, que la mère, du moins telle que
Gide
l’a décrite — le petit André allait avoir 11 ans. Sa mère le prit sur
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moi dissociés — j’allais dire qu’au sens littéral
Gide
l’a payée de sa personne. L’expression, pour être toute faite, est po
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toute faite, est pourtant fausse. C’est l’âme de
Gide
qui a fait les frais de sa ruse vitale. Il faut s’entendre, évidemmen
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âme. Je le prends ici au sens de Nietzsche, et de
Gide
lui-même dans sa maturité. Selon la conception traditionnelle des gno
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coordonnatrice des instincts et passions ». Pour
Gide
, « un faisceau d’émotions, de tendances, de susceptibilités, dont le
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t de l’un à l’autre reste toujours possible77 »).
Gide
ne distingue pas davantage. « Animus, Animum, Anima… ces discriminati
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) Cet aveu pathétique est l’un de ces moments où
Gide
existe, « irremplaçable », où il rejoint sa vraie personne, parce qu’
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ses deux âmes ne l’aimaient plus. Je parle ici du
Gide
achevé, équilibré dans son dialogue intime, et tel qu’il se décrit dè
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mais simultanément actualisés, ils avaient privé
Gide
de cette Ombre qui est le refoulement d’une part virtuelle de l’âme,
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uire à la longue dans l’évolution de sa personne.
Gide
fut-il la victime d’une fin d’époque cruelle et déjà tout absurde à n
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l ouvrage au monde qui se termine par ou bien ? —
Gide
ici l’a rejoint, mais par sa vie. 59. — « Vous allez croire que je
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s’y mêlât. » (Note de 1960.) 61. La Jeunesse d’
André Gide
, tome I, p. 505, 1956. 62. Noter que Gide n’a jamais parlé que des m
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’André Gide, tome I, p. 505, 1956. 62. Noter que
Gide
n’a jamais parlé que des mythes grecs (Prométhée, Thésée, Eurydice).
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L’action de nos deux mythes, dans l’existence de
Gide
, n’est donc ni « littéraire », ni musicale, comme chez Kierkegaard et
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t en revue.) L’un des premiers titres choisis par
Gide
pour La Porte étroite était Essai de bien mourir. Les Nourritures ter
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elles que celle-ci (tirée du journal manuscrit de
Gide
, 1er janvier 1886) : « Que de fois Madeleine étant dans la chambre vo
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plique ou motive… » : ils marquent la méfiance de
Gide
à l’égard des relations de causalité à sens unique posées par Freud —