1 1961, Comme toi-même. Essais sur les mythes de l’amour. Première partie — Dialectique des mythes II. Les deux âmes d’André Gide
1 Dialectique des mythes II Les deux âmes d’ André Gide … à présent que j’y vois un peu plus clair… Et nunc manet in te.
2 Et nunc manet in te. Au lendemain de la mort d’ André Gide , j’avais écrit pour un Hommage collectif quelques pages dont le ton p
3 ée qui donne sur la bibliothèque où il travaille, Gide apparaît en robe de chambre grise, le corps un peu tassé et de large
4 s les offre. Au milieu du studio pend un trapèze. Gide s’y appuie des deux mains, se balance en regardant nos valises. « Tou
5 inquisiteur. Je me garde de répondre. Finalement, Gide , en riant : « On va dire que c’est un complot de protestants ! » Le m
6 u 20 juin. J’avais eu l’impression ce jour-là que Gide passait la prudence dans l’aveu, qu’il me disait ce qu’il ne pouvait
7  » (C’est ainsi qu’on l’appelait dans ce groupe.) Gide s’éclaircit la voix pour observer que le jeu devenait bien personnel,
8 ésolu, croient-ils. Je ne dis pas qu’il torturait Gide , hors quelques crises dont nous avons les témoignages, mais il restai
9 oignages, mais il restait, pour lui, un problème. Gide avait peu d’instinct religieux, et moins encore de goût pour la métap
10 lème aux stades les plus variés de l’évolution de Gide . Ce qui l’a vraiment torturé, c’est l’éthique, non le religieux ; la
11 ques ? Ce débat nous éloignerait de la réalité de Gide . Une intense affectivité le liait, le reliait, au monde du christiani
12 qu’un concept bâtard, engendré par le romantisme. Gide recherchait plutôt la rectitude, qu’il tenait pour la vérité. Il lui
13 r des symboles, où Valéry se fût poliment récusé, Gide objectait, déduisait, s’émouvait… Peu d’écrivains, même chrétiens, no
14 ne dis pas qu’elle soit chrétienne pour autant.) Gide était individualiste. Savons-nous encore mesurer le sens et la portée
15 r la place du Juge, ou mêler vanités et salut. Si Gide a refusé totalement quelque chose, c’est justement le totalitarisme,
16 lumière sans ombre. Et je n’entends pas dire que Gide fut un croyant, mais il reste un douteur exemplaire. Un cas-limite
17 j’avais cru pouvoir tirer de mes entretiens avec Gide , touchant sa vie intime, ses jugements sur lui-même, ou son attitude
18 e été que le prétexte — ou la motivation réelle ? Gide avait-il seulement cédé à ce curieux besoin (dont il se plaint souven
19 ssionnant ouvrage de Jean Delay sur La Jeunesse d’ André Gide m’a permis de lever une partie de ces doutes. Au cours d’une conversa
20 (une bonne dizaine d’années après nos entretiens) Gide , écrit le Dr Delay « me dit attacher une importance toute particulièr
21 ers d’André Walter et des premiers « traités » de Gide , mais dont la persistance à travers toute une vie est attestée par la
22 le, le cas-limite que figure à mes yeux la vie de Gide  : un exemple à peu près parfait de dissociation de la personne, perme
23 Walter, ou l’angélisme Dès le premier livre de Gide , toutes les « notes » de Tristan sont manifestes. L’amour est lié à l
24 ccident dans le sens du mythe. Comme Kierkegaard, Gide s’est plaint très souvent d’une « écharde dans la chair » qui, pensai
25 dant qu’il vit l’échec atroce de son mariage, que Gide écrit Les Nourritures terrestres, bréviaire du nomadisme dionysiaque.
26 que sa doctrine est justifiée par la religion de Gide  : « L’Évangile y mène, dit Euclide ; on appellera ta doctrine Nomadis
27 ’assumer l’autre, caractéristiques de Don Juan. «  Gide ne tient pas en place — note Jean Paulhan. Il préfère la chasse à la
28 e impatience des « redites », car c’est ainsi que Gide qualifie toute liaison qui impliquerait quelque durée. (Il n’a d’aill
29 remords.69 » C’est de cette « joie immense » que Gide voulait parler, lorsqu’il me dit, dans l’entretien que j’ai rapporté,
30 celle qu’on ne désire pas : ce drame de la vie d’ André Gide est celui d’une dissociation presque totale de la personne, et qui l’
31 nage romanesque. Dans quelle mesure peut-on tenir Gide pour responsable de cette « inhabileté foncière à mêler l’esprit et l
32 commis par forfanterie d’immoraliste. Or le jeune Gide , en pressent l’épouvante, s’il vient à désirer une femme qu’il aime.
33 e. Tout à la fin de sa vie, parlant de ses rêves, Gide remarque : « … mais dans le rêve seulement, la figure de ma femme se
34 e Madeleine, qu’il épousera malgré tout — comment Gide eût-il pu surmonter l’interdit jeté de la sorte sur la femme ? Incapa
35 orien ; au surplus, sanctionnée par la Mère. Donc Gide « prend son parti de dissocier le plaisir de l’amour ». Et même il fa
36 plus « normal », dirais-je, eût peut-être donné à Gide l’agressivité nécessaire pour briser ces structures puritaines, comme
37 ril », dirait-on, que la mère, du moins telle que Gide l’a décrite — le petit André allait avoir 11 ans. Sa mère le prit sur
38 moi dissociés — j’allais dire qu’au sens littéral Gide l’a payée de sa personne. L’expression, pour être toute faite, est po
39 toute faite, est pourtant fausse. C’est l’âme de Gide qui a fait les frais de sa ruse vitale. Il faut s’entendre, évidemmen
40 âme. Je le prends ici au sens de Nietzsche, et de Gide lui-même dans sa maturité. Selon la conception traditionnelle des gno
41 coordonnatrice des instincts et passions ». Pour Gide , « un faisceau d’émotions, de tendances, de susceptibilités, dont le
42 t de l’un à l’autre reste toujours possible77 »). Gide ne distingue pas davantage. « Animus, Animum, Anima… ces discriminati
43 ) Cet aveu pathétique est l’un de ces moments où Gide existe, « irremplaçable », où il rejoint sa vraie personne, parce qu’
44 ses deux âmes ne l’aimaient plus. Je parle ici du Gide achevé, équilibré dans son dialogue intime, et tel qu’il se décrit dè
45 mais simultanément actualisés, ils avaient privé Gide de cette Ombre qui est le refoulement d’une part virtuelle de l’âme,
46 uire à la longue dans l’évolution de sa personne. Gide fut-il la victime d’une fin d’époque cruelle et déjà tout absurde à n
47 l ouvrage au monde qui se termine par ou bien ? —  Gide ici l’a rejoint, mais par sa vie. 59. — « Vous allez croire que je
48 s’y mêlât. » (Note de 1960.) 61. La Jeunesse d’ André Gide , tome I, p. 505, 1956. 62. Noter que Gide n’a jamais parlé que des m
49 ’André Gide, tome I, p. 505, 1956. 62. Noter que Gide n’a jamais parlé que des mythes grecs (Prométhée, Thésée, Eurydice).
50 L’action de nos deux mythes, dans l’existence de Gide , n’est donc ni « littéraire », ni musicale, comme chez Kierkegaard et
51 t en revue.) L’un des premiers titres choisis par Gide pour La Porte étroite était Essai de bien mourir. Les Nourritures ter
52 elles que celle-ci (tirée du journal manuscrit de Gide , 1er janvier 1886) : « Que de fois Madeleine étant dans la chambre vo
53 plique ou motive… » : ils marquent la méfiance de Gide à l’égard des relations de causalité à sens unique posées par Freud —
2 1961, Comme toi-même. Essais sur les mythes de l’amour. Deuxième partie — Rudolf Kassner et la grandeur humaine
54 s meilleurs, certes, mais presque seuls : Valéry, Gide , Eliot, Auden, Paulhan, Saint-John Perse, Keyserling, C. J. Burckhard
3 1961, Comme toi-même. Essais sur les mythes de l’amour. Annexes — Post-scriptum
55 IUne querelle de famille Dans sa Jeunesse d’ André Gide , Jean Delay cite une lettre inédite qu’adressait le fameux économiste
56 en couchant avec la jolie Mériem, fille de joie, Gide avait justement essayé de normaliser ses goûts sexuels. Et l’on sait
57 aume de Dieu, l’oncle le rejetait à l’incroyance. André Gide jugea la lettre de son oncle « admirable ». Elle le condamnait certes
58 minine ne pouvait pas déplaire à l’homosexuel que Gide venait de découvrir en lui-même. Il ne trouva rien à répondre. Pourta
59 réter d’ordonner les moyens à la fin spirituelle. André Gide , connaissant les Écritures, eût aussi pu répondre à l’Oncle Charles q