1 1951, Les Libertés que nous pouvons perdre (1951). Le drame de la liberté, aujourd’hui
1 Le drame de la liberté , aujourd’hui Si l’on passe en revue tous les arguments avancés depu
2 ents avancés depuis des siècles pour ou contre la liberté humaine en soi, on en vient vite à ne plus savoir si elle existe ou n
3 ieu du xxe siècle, c’est moins le problème de la liberté qui nous importe, que son drame. De l’issue de ce drame dépendent nos
4 ne se définissent clairement que par rapport à la liberté . D’un côté, les peuples qui se disent libres et qui entendent le rest
5 ivent en régime totalitaire, et qui n’ont pas nos libertés , qu’ils jugent trompeuses. Tous les autres motifs de conflit que l’on
6 e tous, des deux côtés, c’est que nous voulons la liberté , et que les autres veulent la dictature. Ils la préfèrent — provisoir
7 a préfèrent — provisoirement disent-ils — à notre liberté qu’ils nomment purement « formelle », affirmant que leur dictature pr
8 melle », affirmant que leur dictature prépare une liberté « réelle ». Mais alors, s’il est clair que l’enjeu est en définitive
9 , s’il est clair que l’enjeu est en définitive la liberté , n’est-il pas urgent que nous prenions une conscience nette et forte
10 e nous prenions une conscience nette et forte des libertés concrètes que nous avons ? Si nous voulons gagner d’avance — avant un
11 de savoir ce que nous défendons. Quelles sont nos libertés  ? Sont-elles purement formelles ? Les voulons-nous vraiment ? Et somm
12 ns pas besoin d’une idéologie, car nous avons nos libertés . Et ce n’est pas notre passé que nous défendons, mais bien les libert
13 pas notre passé que nous défendons, mais bien les libertés qu’il a conquises, et qui sont la réalité présente de nos vies, bien
14 rquoi les hommes d’aujourd’hui ont-ils peur de la liberté et sont-ils tentés d’y renoncer ? Secondement : quelles sont les libe
15 tés d’y renoncer ? Secondement : quelles sont les libertés réelles que nous avons, et que demain nous pourrions perdre ?
2 1951, Les Libertés que nous pouvons perdre (1951). L’anxiété de l’homme moderne
16 « Pourquoi l’homme de ce temps a-t-il peur de la liberté  ? » demanderait un long examen de conscience de notre civilisation, u
17 ’il en est réduit à désirer qu’on le libère d’une liberté sans contenu. Ils ont compris que l’homme moderne cherche un guide (D
18 pourquoi tant d’hommes, de nos jours, fuyant une liberté qui les laisse sans défense et les angoisse, choisissent la tyrannie,
19 se sentir plus à l’aise dans notre atmosphère de liberté , y souffraient d’une sorte d’inquiétude perpétuelle. Chez eux, tout e
20 dans la mesure justement où elle le délivre de sa liberté . Car sa liberté signifiait l’obligation constante du choix individuel
21 ustement où elle le délivre de sa liberté. Car sa liberté signifiait l’obligation constante du choix individuel et la disciplin
22 mme recule naturellement devant les risques de la liberté . Il va se cacher derrière la règle d’un parti, la règle collective, l
23 ssamment en sens inverse de ses revendications de liberté et de progrès, devenues purement verbales et routinières. Quand on lu
24 nt verbales et routinières. Quand on lui vante la liberté en général, et qu’on l’oppose avec indignation aux tyrannies totalita
25 . Il croit enfin que ces dictatures préparent des libertés bien plus concrètes que celles dont jouit l’Occident. Rien ne sert al
26 fesser, c’est qu’il est en pleine fuite devant la liberté , c’est qu’il cherche un refuge contre elle, contre lui-même aussi peu
27 remède : réformes sociales La fuite devant la liberté , bien qu’elle soit par essence une attitude mentale et affective, se
28 mplement se sentira) dans une telle situation, la liberté lui fera plus peur qu’envie. Tout traitement sérieux du mal totalitai
29 e du nom, c’est donc de rendre un homme apte à la liberté . Il serait vain de décréter toutes sortes de libertés légales ou mora
30 erté. Il serait vain de décréter toutes sortes de libertés légales ou morales pour des hommes qui ne connaîtraient pas, qui n’au
31 as, qui n’auraient pas appris leur mode d’emploi. Liberté reste un mot vide de sens et d’appel, pour qui n’a pas le goût du ris
32 de la sécurité matérielle, et l’éducation pour la liberté , — c’est-à-dire la remise en marche du progrès en Occident — cela ne
33 nt et détruisent lentement notre goût de la vraie liberté . Mais nous sommes menacés de l’extérieur par quelque chose qui mettra
34 qu’il a la rage. De même, quand on n’aime plus la liberté , on dit que celle qu’on possède encore ne vaut plus rien, qu’elle est
35 ns. La vérité est différente : ce ne sont pas nos libertés qui sont malades, mais notre sens et notre goût de la liberté. Ou plu
36 sont malades, mais notre sens et notre goût de la liberté . Ou plutôt, c’est le sens et le goût des défaitistes dont nous venons
37 es dont nous venons de parler. Ils ont peur de la liberté , ils en sont fatigués, ils désirent secrètement des disciplines massi
38 ou bien des gens qui ont perdu la conscience des libertés réelles dont ils jouissent ; ou bien des gens que la tyrannie attire
3 1951, Les Libertés que nous pouvons perdre (1951). Libertés « formelles » et libertés « réelles »
39 Libertés « formelles » et libertés « réelles » Nos libertés réelles et quoti
40 Libertés « formelles » et libertés « réelles » Nos libertés réelles et quotidiennes, en Occident, nous
41 ertés « formelles » et libertés « réelles » Nos libertés réelles et quotidiennes, en Occident, nous les avons toujours connues
42 entions que l’air, demain, que presque toutes nos libertés peuvent nous manquer, nous sentirions qu’elles valent toutes les « my
43 s de règlements dictatoriaux. On nous dit que nos libertés européennes ne sont plus que des mots, de grands mots, qu’elles sont
44 entende par réelle (en opposition à formelle) une liberté qui se traduit par des résultats mesurables, matériels, et n’est donc
45 ogne1. Il faudrait en déduire logiquement que les libertés dites formelles permettent un niveau de vie très supérieur à celui qu
46 à celui qu’ont atteint les peuples jouissant des libertés dites réelles. Je préfère en déduire, pour ma part, qu’on a bien mal
47 rrecte en théorie. Prenons donc quelques-unes des libertés les plus banales en Occident, et voyons, dans quelques cas précis, le
48 ons, dans quelques cas précis, les limites de ces libertés , mais aussi ce qu’on nous offre en échange. Nos libertés et les leu
49 mais aussi ce qu’on nous offre en échange. Nos libertés et les leurs Nous possédons la liberté de circuler. Circuler, c’es
50 Nos libertés et les leurs Nous possédons la liberté de circuler. Circuler, c’est le contraire d’être en prison ; c’est un
51 d’être en prison ; c’est un symbole concret de la liberté . Qu’en est-il de ce droit en Occident ? Nous l’utilisons largement, n
52 frontières, sauf pour des raisons politiques. La liberté de circuler, quoique imparfaite, paraît donc « défendable », chez nou
53 ir neuf, — pour nous faire croire en somme qu’une liberté est « formelle » quand on l’a, « réelle » quand on ne l’a plus. L’emp
54 st chez nous que je le trouve. Autre exemple : la liberté de l’expression. On ne dira point qu’elle est parfaite en Occident, l
55 fait, avec le droit de protester, c’est toute la liberté de l’expression qui disparaît. Or l’homme qui perd la liberté de l’ex
56 ’expression qui disparaît. Or l’homme qui perd la liberté de l’expression est déjà moralement en prison. Celui qui n’ose même p
57 la plus grande, à la plus typiquement humaine des libertés que nous pouvons perdre : La liberté de la pensée J’avoue que d
58 aine des libertés que nous pouvons perdre : La liberté de la pensée J’avoue que dans mes jeunes et folles années, je me s
59 nous en priver ; même en prison, l’homme garde la liberté de penser, de penser ce qu’il veut, de penser à ce qu’il veut. Pourqu
60 r nourriture et logis ? Et je parlais des « pâles libertés  » définies par la Charte de l’Atlantique, des libertés inutiles et ab
61 tés » définies par la Charte de l’Atlantique, des libertés inutiles et abstraites que l’on met en avant pour éviter de faire fac
62 s pas encore compris, vu et senti, que toutes les libertés dont les meilleurs ont soif peuvent être vidées d’un seul coup, si no
63 us comme des droits. Or nous pouvons perdre cette liberté , voilà ce que j’ignorais il y a quinze ans et que nul ne doit plus ig
64 le de l’habeas corpus. Il découvre soudain que la liberté humaine par excellence, comme l’a dit récemment Ignazio Silone, c’est
4 1951, Les Libertés que nous pouvons perdre (1951). Contre-offensive de la liberté
65 Contre-offensive de la liberté Nous avons formulé jusqu’ici deux thèses principales. La première,
66 eux thèses principales. La première, c’est que la liberté , dans notre monde complexe et démesuré, est sentie par beaucoup comme
67 a seconde, c’est que nous possédons un capital de libertés réelles dont nous n’avons plus même conscience. Il en résulte que nou
68 te. D’autres, habitués jusqu’à l’inconscience aux libertés conquises par notre religion, par nos révolutions et par nos sciences
69 le paradis et la grandeur, la justice et la vraie liberté  ; et ils vont répétant que nous n’avons rien à opposer à ces « mystiq
70 leurs. Car les faits nous suffisent, et quant aux libertés , nous en avons plus que nous n’en méritons. Quand nous aurons compris
71 lent. Quand nous aurons compris ce que valent nos libertés , nous commencerons à mesurer nos forces. Quand nous les aurons mesuré
72 ans tous les temps, n’ait point imaginé une seule liberté que les Européens n’aient voulu vivre. À des degrés divers, parfois j
73 r. Mais elle est d’autre part la condition de nos libertés et de l’esprit créateur. C’est à cause d’elle que l’Occident demeure
74 ood ! Dans l’idée de la personne s’enracine toute liberté concrète, créatrice et vécue. Au contraire, c’est de la masse homogèn
75 s à être masses. Et c’est pourquoi Personne égale Liberté , tandis que masse égale contrainte. Il n’y aura jamais de liberté « e
76 que masse égale contrainte. Il n’y aura jamais de liberté « en masse ». Il n’y aura jamais de liberté réelle que dans le besoin
77 is de liberté « en masse ». Il n’y aura jamais de liberté réelle que dans le besoin, le droit et la passion de différer de son
78 de propagande au sens moderne, c’est justement la liberté , puisqu’elle cesserait d’être la liberté si l’on tentait de l’imposer
79 ement la liberté, puisqu’elle cesserait d’être la liberté si l’on tentait de l’imposer. Mais on peut et l’on doit prendre consc
80 ent par des faits. Nous pouvons perdre toutes nos libertés . Nous pouvons aussi les sauver en décidant de les répandre. Si nous v
81 la défensive, contre le rayonnement de nos vraies libertés . Or le meilleur moyen de les faire rayonner, c’est de les faire passe