1 1939, L’Amour et l’Occident. Le mythe de Tristan
1 solue, n’interviennent dans le roman qu’à titre d’ obstacle mythique et de figures rituelles de rhétorique. Sans elles, la fable
2 ’on partage ses intentions. Nous avons vu que les obstacles extérieurs qui s’opposent à l’amour de Tristan sont dans un certain s
3 jet de la vraisemblance, que la gratuité même des obstacles invoqués peut révéler le vrai sujet d’une œuvre, la vraie nature de l
4 us profonde que celle de leur bonheur. Pas un des obstacles qu’ils rencontrent ne se révèle, objectivement, insurmontable, et pou
5 une occasion de se séparer. Quand il n’y a pas d’ obstacle , ils en inventent : l’épée nue, le mariage de Tristan. Ils en invente
6 ur, pour l’exalter à l’infini dans l’instant de l’ obstacle absolu, qui est la mort. Tristan aime se sentir aimer, bien plus qu’i
7 tentement, plutôt qu’à son vivant objet. D’où les obstacles multipliés par le Roman ; d’où l’indifférence étonnante de ces compli
8 e formule dont lui-même ne s’est pas satisfait. L’ obstacle dont nous avons souvent parlé, et la création de l’obstacle par la pa
9 ont nous avons souvent parlé, et la création de l’ obstacle par la passion des deux héros (confondant ici ses effets avec ceux de
10 ence romanesque et de l’attente du lecteur) — cet obstacle n’est-il qu’un prétexte, nécessaire au progrès de la passion, ou n’es
11 as sans intérêt de dégager cette dialectique de l’ obstacle dans le Roman. Lorsque ce sont les circonstances sociales qui menacen
12 ement de Dieu, etc.), Tristan bondit par-dessus l’ obstacle (le saut d’un lit à l’autre en est le symbole). Quitte à souffrir (sa
13 s. Puisqu’il en est lui-même le fauteur, c’est un obstacle qu’il ne peut plus vaincre ! N’oublions pas que la hiérarchie des fai
14 e des préférences du conteur et de son lecteur. L’ obstacle le plus grave, c’est donc celui que l’on préfère par-dessus tout. C’e
15 n arme à celle de son rival. Cela signifie qu’à l’ obstacle désiré et librement créé par les amants, il substitue le signe de son
16 s, il substitue le signe de son pouvoir social, l’ obstacle légal, objectif. Tristan relève ce défi : d’où le rebondissement de l
17 ns avec Tristan. Le premier de ces mariages est l’ obstacle de fait. Il est symbolisé par l’existence concrète du mari, méprisé p
18 e rebondissements faciles. L’existence du mari, l’ obstacle de l’adultère, c’est le premier prétexte venu, le plus naturellement
19 blanc avec une femme qu’il trouve belle, c’est l’ obstacle qu’il ne peut surmonter que par une victoire sur lui-même (aussi bien
20 a vie. ⁂ Ainsi donc cette préférence accordée à l’ obstacle voulu, c’était l’affirmation de la mort, c’était un progrès vers la M
21 ctique passion-obstacle. Vraiment ce n’est plus l’ obstacle qui est au service de la passion fatale, mais au contraire il est dev
22 nt l’amour le plus intense, on désire en secret l’ obstacle . Au besoin, on le crée, on l’imagine. Il me paraît que cela explique
23 poir humain, de tout amour possible, au sein de l’ obstacle absolu et d’une suprême exaltation qui se détruit par son accomplisse
24 -même. Et cela suppose une recherche secrète de l’ obstacle favorable à l’amour. Mais ce n’est encore là que le masque d’un amour
25 ce n’est encore là que le masque d’un amour de l’ obstacle en soi. Et l’obstacle suprême, c’est la mort, qui se révèle au terme
26 e le masque d’un amour de l’obstacle en soi. Et l’ obstacle suprême, c’est la mort, qui se révèle au terme de l’aventure comme la
2 1939, L’Amour et l’Occident. Les origines religieuses du mythe
27 vre IILes origines religieuses du mythe 1.L’«  obstacle  » naturel et sacré Nous sommes tous plus ou moins matérialistes, n
28 it… Donnons une page à ce genre d’objections. ⁂ L’ obstacle dont on a vu le jeu au cours de notre analyse du mythe, n’est-il pas
29 ie féodale, de même, honorait dans la chasteté un obstacle instinctif à l’instinct, ayant pour fin de rendre les guerriers plus
3 1939, L’Amour et l’Occident. Passion et mystique
30 son corps l’humble serviteur de son âme ; plus d’ obstacles à ses élans vers le Souverain Bien !… Se souvenant des romans françai
4 1939, L’Amour et l’Occident. Le mythe dans la littérature
31 Bel Accueil contre les entreprises des galants. L’ obstacle à l’union amoureuse est figuré par l’exigence morale, et non plus du
32 n demeure les « contrariétés » de l’amour, mais l’ obstacle n’est plus la volonté de mort, si secrète et métaphysique dans Trista
33 mensonge. En vérité, il souffre de l’absence d’un obstacle entre son Angélique, trop fidèle, et lui-même. Il manque un « roi Mar
34 mants une justification grandiose. S’ils aiment l’ obstacle et le tourment qui en résulte, c’est que l’obstacle est un masque de
35 stacle et le tourment qui en résulte, c’est que l’ obstacle est un masque de la mort, et que la mort est le gage d’une transfigur
36 t doublement dans Phèdre. D’abord en faisant de l’ obstacle un inceste, c’est-à-dire une entrave qu’il n’est plus admissible de v
37 ourrait s’identifier139. Mais Spinoza néglige « l’ obstacle  ». Dans le fait, nos passions humaines sont toujours liées à des pass
38 re, il y a toujours quelque séparation et quelque obstacle  : la société, le péché, la vertu, notre corps, notre moi distinct. Et
39 tre en intelligence et en sexe. À vrai dire, tout obstacle détruit, la passion n’a plus où se prendre. Et l’on parle de « passio
40 t. Presque plus rien n’est défendu. De la pudeur, obstacle naturel, on garde ce qu’il faut pour la rhétorique du désir, mais non
41 ne tyrannie. Ce que Pétrarque négligeait, c’est l’ obstacle physique dont il faut se venger. Il n’existe que trop, cet objet, c’e
42 rassasier son désir. Lui aussi va multiplier les obstacles les plus gratuits, les prétextes de séparation, les situations volupt
43 notre exégèse de Tristan, notre dialectique de l’ obstacle . Il y a pourtant cette différence capitale que Rousseau aboutit au ma
44 gard désabusé, cesseront bientôt d’être les vrais obstacles . Et le mythe, appauvri de ses formes extérieures, deviendra ce qu’il
45 gie passionnée. Dans l’Obermann de Sénancour, l’«  obstacle  » est purement intérieur, il est dans la dualité du moi qui ne peut n
46 ériorisation progressive du mythe, à mesure que l’ obstacle invoqué s’effrite et se dissout dans une critique sceptique, tandis q
47 assion des âmes prisonnières des formes. Tous les obstacles surmontés, quand les amants sont seuls enveloppés de ténèbres, c’est
48 oute mise en scène théâtrale se trouve recréer un obstacle à la compréhension directe du mythe. Les acteurs, les costumes, les d
49 sociation psychologique, de la dégradation de « l’ obstacle  » extérieure, et de la reconnaissance lucide — par là même, antiroman
50 adictions intimes. En effet : point de roman sans obstacles . On les multiplie donc, sans souci d’une invraisemblance que le désir
51 r haleter, et c’est ce que nous cherchons. Mais l’ obstacle signifie, à la limite, la mort, le renoncement aux biens terrestres.
52 nous devient clair. Il s’agit donc de supprimer l’ obstacle à temps, ce qui amène par définition la fin du roman et du film : « e
5 1939, L’Amour et l’Occident. Amour et guerre
53 es à tel point qu’elles tendent à n’offrir plus d’ obstacles absolus, donc exaltants pour la passion ; d’autre part, dans les pays
54 (ou lui) qui assume désormais la dialectique de l’ obstacle exaltant, de l’ascèse et de la course inconsciente à la mort héroïque
55 sionnément. Elles deviennent l’une pour l’autre l’ obstacle . Le but réel, tacite, fatal, de ces exaltations totalitaires est donc
6 1939, L’Amour et l’Occident. Le mythe contre le mariage
56 notion centrale). Cette dépréciation générale des obstacles institutionnels entraîne une chute de tension morale d’où résulte une
57 « passion » nouvelle. On s’ingénie à renouveler l’ obstacle et le combat. On imagine différente la femme que l’on tient dans ses
58 ale et trop sereine. C’est qu’il faut recréer des obstacles pour pouvoir de nouveau désirer et pour exalter ce désir aux proporti
59 me perd son « attrait », parce qu’il n’est plus d’ obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe dont l’horizon myst
60 , mais il est la victime d’un ordre social où les obstacles se sont dégradés. Ils cèdent trop vite, ils cèdent avant que l’expéri
61 ne passion débile pour s’inventer de plus secrets obstacles . Je songe à la psychologie de la jalousie, qui envahit nos analyses :
62 ussie jusqu’à Staline ? Le processus de ruine des obstacles sociaux, pour s’y être développé sans violences extérieures, n’avait
7 1939, L’Amour et l’Occident. L’Amour action, ou de la fidélité
63 emps ») ; puis condamne enfin ce mariage, suprême obstacle du « stade religieux », puisqu’il nous lie au temps, précisément, qua
64 tient encore, en fait, l’idée de fidélité. Mais l’ obstacle n’est pas sérieux, on le tourne de tous les côtés. Voyez les excuses
65 ent ? C’est qu’elles n’y ont pas trouvé les mêmes obstacles . Ainsi notre chance dramatique est d’avoir résisté à la passion par
66 egaard à un mariage heureux selon le monde. Ici l’ obstacle indispensable à la passion est d’une nature à tel point subjective, s
8 1939, L’Amour et l’Occident. Appendices
67 Mais alors, lorsqu’une créature aime son Dieu, l’ obstacle de la transcendance introduit dans l’amour un malheur essentiel (quoi