(1930) Bibliothèque universelle et Revue de Genève, articles (1925–1930) « Guy de Pourtalès, Montclar (février 1927) » p. 257

Guy de Pourtalès, Montclar (février 1927)ad

L’on aime que, pour certains hommes, écrire ne soit que le recensement passionné de leur vie, ou l’aveu déguisé d’une insatisfaction qu’elle leur laisse. Montclar est l’auteur de vers de jeunesse auxquels il ne tient guère, et l’on comprend que ce journal bientôt les rejoindra dans l’armoire aux souvenirs. Cette façon de ne pas y tenir, qu’il manifeste en toute occasion de sa vie est peut-être ce qui nous le rend le plus sympathique. « Officiellement comblé, et par dedans… comment bien dire ? inquiet ? aride ? heureux ? » pour lui, comme pour Barnabooth, il s’agit de « déjouer le complot de la commodité ». Mais plus voluptueux que philosophe, c’est à l’amour qu’il ira demander la souffrance indispensable au perfectionnement de son âme. Et qu’importe si les Allemands qui, fréquente sontae, pour notre plaisir, un peu plus viennois que naturel s’il parle de choses d’art comme on fait dans Proust, si les passions qu’il nous peint sont ici tant soit peu russes, et là, gidiennes. Il se connaît assez pour savoir ce qui est en lui de l’homme même, ou de l’amateur distingué, — et ne peut pas nous tromper là-dessus. Il se connaît avec une sorte de froideur que l’on dirait désintéressée si elle n’avait pour effet de souligner, plus que ses succès, certaines faiblesses qu’il recherche secrètement, parce que de ces « ratages » naît le perpétuel besoin d’évasion qui est la condition de son progrès moral. C’est ainsi qu’il consent, non sans une imperceptible satisfaction, l’aveu d’une fondamentale indifférence du cœur qui contraste avec une vie voluptueuse et assez désordonnée. Pourtant, entre Montclar et Ameline, un amour se noue, qui commence où souvent l’on finit. Et peut-être l’amour n’est-il possible qu’entre deux cœurs que l’épreuve du plaisir n’a pas exténués. Mais alors quelle avidité cruelle, et peut-être tendre, à se faire souffrir rejette l’un vers l’autre ces êtres égoïstes, et fonde lentement leur amour, à force de petites blessures. Ce n’est pas le moins troublant d’une telle vie, cette sagesse un peu sombre qui s’en dégage, sagesse qui veut « que nous appelions les âmes à la vie après seulement toutes les morts du plaisir », car elle sait « qu’entre les êtres, le bonheur est un lien sans durée. Seules la souffrance ou de secrètes anomalies ont un pouvoir d’éternité. »

Il est juste, ce me semble, d’insister sur ce qui forme dans le récit de cette vie comme une arrière-pensée inquiète et un peu hautaine. Que la composition de cette réminiscence soit assez facile et « artiste » on hésite à en faire reproche à l’auteur. Cette espèce de modestie de l’allure est rare autant que sympathique, dans le temps que sévit l’inflation littéraire la plus ridicule. Pourtant, qu’elle ne laisse point oublier que ce livre d’une résonance si humaine, est mieux que charmant, — douloureux et désinvolte, glacé, passionné.