(1968) Revue de Belles-Lettres, articles (1926–1968) « Quatre incidents (avril 1927) » pp. 151-153

Quatre incidents (avril 1927)l

La maîtresse d’École

Au printemps pur comme une joue, École errait, École suivait une femme dans les rues tant soit peu métaphysiques d’une capitale de mes songes. On exigeait d’une saison de marque de tels soupirs, d’ailleurs invraisemblables, qu’à leurs reflets se fussent évanouis des arcs-en-ciel de névroses dans tous les poèmes où détresse rimait avec maîtresse. École savait le mythe du voyage, et qu’on ne manque pas le train bleu d’un désir. Elle était donc venue. Il la suivait entre les devantures qui se passaient de l’une à l’autre deux séries de profils jusqu’au soleil toujours de face. Il ne vit plus que la foule des yeux bleus, son éblouissement. Soudain la voici, elle descend à sa rencontre parmi les éclairs d’un luxe mécanique, le visage dans sa fourrure. Elle découvre en passant près de lui le sourire d’amitié mortel de tout ce qui n’arrive jamais. Il s’est trompé, ce n’est pas elle.

Il pensa que c’était un ange, de ceux qui vont à la recherche des âmes. Aussitôt il téléphone à ceux du paradis : « Qui va à la chasse perd sa place, nous nous comprenons. » On lui offrit immédiatement un fauteuil et un violon, pour qu’il en joue, au printemps, s’il savait …

R.S.V.P.

À Max-Marc-Jean Jacob Reymond.

Une étoile à la boutonnière, le marquis pénétra dans le salon de la duchesse, lui baisa la main et l’abattit d’un coup de revolver. Puis s’en fut avec un tact exquis, qui fut très remarqué. Le duc riait sous une table, complètement ivre, et Bettina lui disait à l’oreille : « Mon chéri, si j’aime la comtesse ? Mais tu es si laid que cela me donne encore plus de plaisir. » Le duc paya et s’enfuit en disant que ce n’était pas lui. L’enterrement aura lieu sans suite.

Suicide du Marquis

Salomon le danseur triste baisa cette main cruelle… et quitta le bal au matin. Il neigeait dans les rues sourdes comme un songe de son enfance. Aux fenêtres du palais s’étoilèrent des halos. Le jour tendre paraissait sous l’égide de la mort. Il vit des fleurs de son enfance, une églantine, quelques roses, un sourire qui perce le cœur sur les glaces du passé. Cet abandon aux fuyantes chansons, et des violons déchirants dans sa tête… Mais le sommeil s’évaporait aux caresses des flocons, plus perfides que des murmures d’adieu. Il tomba parmi les statues, dans l’amitié pensive des jardins. Une fenêtre s’était ouverte et des accords échappés tombaient, les ailes coupées. Puis le silence se reprit à ses songes désolés.

Autre suicide ou la promenade en bateau

À Grego More.

Il disait : « Je suis né pour la mort. » Il fait assez beau pour que s’ouvre ce cœur de l’après-midi, comme un camélia de tendre orgueil. Il respire déjà l’odeur merveilleuse des objets et des êtres véritables. Un bateau ne glisse pas plus doucement vers le soleil du haut-lac. Justement, voici que tout va s’ouvrir, qu’un monde s’est ouvert devant lui. Et l’eau n’est pas moins somptueuse.

Et bien sûr, je n’ai pas bougé. C’est une question d’amitié. Pourtant je suis seul dès cette heure, et mes amis fuiront un lâche. Parce que je reviens seul.

Mais moi, qui regarde comme de l’autre bord, je songe qu’il est des visites à de certaines grandes dames où je préférais — et lui aussi — me rendre seul et sans argent. Je ne voulais pas le retenir, Je ne pouvais pas le suivre.

On dit de ces phrases. Même, on en pleure.