(1930) Bibliothèque universelle et Revue de Genève, articles (1925–1930) « Marguerite Allotte de la Fuye, Jules Verne, sa vie, son œuvre (juin 1928) » pp. 768-769

Marguerite Allotte de la Fuye, Jules Verne, sa vie, son œuvre (juin 1928)ar

Livre passionnant pour tous ceux que Jules Verne passionne. Pour les autres, divertissant et spirituel.

Pourquoi ne veut-on voir en Jules Verne qu’un précurseur ? Jules Verne est un créateur, dont les inventions se suffisent et suffisent à notre joie. Ce ne sont pas les savants qui sont prophètes, mais les poètes. Or Jules Verne fut poète avant tout — et ce livre le fera bien voir aux sceptiques. Il a aimé la science parce qu’elle ouvre des perspectives d’évasion — où seuls les poètes savent se perdre. Et c’est bien sa plus grande ruse que d’avoir emprunté le véhicule à la mode pour conduire des millions de lecteurs dans un monde purement fantaisiste où les équations tyranniques deviennent de merveilleux calembours, où les savants sont réellement dans la lune, ou bien descendent au fond des mers adorer la Liberté et jouer de l’orgue sous les yeux de poulpes géants. Jules Verne a véritablement soumis la science à la poésie. Et l’on ne veut voir que jolis livres d’étrennes dans les œuvres du plus grand créateur de mythes modernes, du seul écrivain dont l’influence soit comparable à celle du cinéma ! Claretie raconte que les détenus des maisons de correction se jetaient sur ces volumes « au travers desquels ils respiraient l’air du monde ». N’en ferons-nous pas autant, emprisonnés que nous sommes dans une civilisation qui, selon l’expression de Jules Verne désabusé « emprunte l’aspect d’une nécessité » (et dans la bouche de ce libertaire, cela constituait un jugement !)

Serons-nous longtemps encore dupes d’une conception de la littérature si pédante qu’elle exclut un de nos plus grands conteurs sous prétexte qu’il n’est styliste ni psychologue ? Laisserons-nous Jules Verne aux enfants ? J’allais oublier que la littérature enfantine est le dernier bateau. Pour ce coup, voilà qui ne m’empêchera pas d’y monter, il suffit que cet obsédant capitaine Nemo soit à bord, je soupçonne que ce bateau n’est autre que La Liberté.