André Breton, Manifeste du surréalisme (juin 1925)b
Sous une « vague de▶ rêves », ◀la▶ logique, dernier agent ◀de▶ liaison ◀de▶ nos esprits, va périr. C’est du moins ce que proclame M. Breton en un manifeste dont ◀la▶ pseudo-nouveauté nous retiendra moins que ◀la▶ significative pauvreté idéologique et morale qu’il révèle.
◀Le▶ style brillant et elliptique qui tend à devenir notre poncif moderne, — si propre à égarer dans ◀d’▶ingénieuses métaphores quiconque chercherait une idée là-dessous, — ne réussit pas toujours chez Breton à masquer ◀la▶ banalité ◀de▶ ◀la▶ pensée. ◀D’▶autant plus que ◀les▶ rares passages où il expose directement ◀les▶ principes ◀de▶ sa « révolution » semblent au contraire tirés ◀de▶ quelque terne manuel ◀de▶ philosophie ou ◀de▶ psychanalyse. Ces principes ? Ils se laissent hélas résumer en un court article ◀de▶ dictionnaire :
« Surréalisme, n.m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose ◀d’▶exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit ◀de▶ toute autre manière, ◀le▶ fonctionnement réel ◀de▶ ◀la▶ pensée. Dictée ◀de▶ ◀la▶ pensée en ◀l’▶absence ◀de▶ tout contrôle exercé par ◀la▶ raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » (p. 42).
◀Le▶ surréalisme ne serait-il donc qu’une sorte ◀de▶ méthode des textes généralisée ? Point du tout ! Il paraît qu’il est ◀la▶ seule attitude littéraire aujourd’hui concevable. Mais par quelles tricheries plus ou moins conscientes M. Breton peut-il préconiser ◀l’▶existence ◀d’▶une littérature fondée sur ◀de▶ tels principes ?
◀Le▶ Rêve est ◀la▶ seule matière poétique. Dans ◀le▶ monde du Rêve autant ◀de▶ cellules isolées que ◀de▶ rêveurs. Toute poésie est incommunicable, ◀le▶ poète étant un simple sténographe ◀de▶ ses rêves. Soit. ◀De▶ ces faits, je tire cette conclusion pratique : inutile ◀de▶ publier des poèmes. Éluard ◀le▶ comprenait, qui écrivit : « Quand ◀les▶ livres se liront-ils ◀d’▶eux-mêmes, sans ◀le▶ secours des lecteurs ? Quand ◀les▶ hommes se comprendront-ils individuellement ? » Que M. Breton donne des « recettes pour faire un poème » cette mystification est dans ◀la▶ logique ◀de▶ ses principes, mais je lui conteste ◀le▶ droit ◀de▶ faire suivre son manifeste ◀de▶ proses — Poisson soluble — qui servent ◀d’▶illustration à sa défense de ◀la▶ poésie pure. ◀Les▶ beautés que j’y vois ne me seraient-elles perceptibles que par ◀le▶ fait ◀d’▶une fortuite coïncidence entre ◀l’▶univers du poète et le mien ? Je comprends trop ◀de▶ choses dans ces poèmes qui devraient m’être parfaitement impénétrables. Je crois même voir que M. Breton serait un très curieux poète s’il ne s’efforçait ◀de▶ donner raison aux 75 pages où il voulut nous persuader que tout poème doit être une dictée non corrigée du Rêve. Je reconnais à chaque ligne ◀de▶ Poisson soluble cette « vieillerie poétique » qui, avoue Rimbaud, entre encore pour une grande part dans ◀l’▶« alchimie du verbe » ; et je ne puis m’empêcher ◀d’▶accuser Breton ◀de▶ préméditation…
À quoi sert, dès lors, tout cet appareil psychologique si scolaire ? À donner ◀le▶ change sur ◀la▶ pauvreté ◀d’▶un art purement formel. Car c’est ici ◀le▶ tragique ◀de▶ cette mystification : la plupart des surréalistes n’ont rien à dire, mais savent admirablement parler. Ils érigent donc en doctrine leur impuissance.
« Il n’y a pas ◀de▶ pensée hors ◀les▶ mots » (Aragon). Aussi se paient-ils ◀de▶ métaphores comme d’autres ◀de▶ raisonnements. Plaisante ironie, si cette attitude n’était qu’une protestation contre nos poncifs intellectuels. Mais elle risque bien ◀de▶ nous en rendre un peu plus esclaves. Car depuis Freud — dont ils se réclament imprudemment, — on sait ce que c’est que ◀la▶ « liberté » ◀d’▶un esprit pur ◀de▶ tout finalisme !
Surréalisme S.A., entreprise pour ◀l’▶exploitation ◀de▶ matériaux ◀de▶ démolition abandonnés par Dada S.A. Ce n’est pas ainsi que nous sortirons ◀d’▶une anarchie dont ◀les▶ causes semblent avant tout morales. ◀Les▶ tendances encore un peu vagues ◀d’▶un groupe tel que Philosophies laissent pressentir des révolutions plus réelles.
On souhaite qu’après faillite faite, ◀les▶ surréalistes trouvent à montrer leur talent en des jeux moins lassants. Dada, éclat de rire ◀d’▶un désespoir exaspéré, commandait une certaine sympathie. ◀L’▶agaçant, avec ◀les▶ surréalistes, c’est que — pour reprendre un mot ◀de▶ Cocteau — ils « embaument ◀de▶ vieilles anarchies ». ◀L’▶ironie qui sauva Dada du ridicule ◀le▶ cède ici à un ton ◀de▶ mage qui ne fera plus longtemps impression.
C’est grand dommage pour ◀les▶ lettres françaises qui risquent ◀d’▶y perdre au moins deux grands artistes : Aragon, Éluard. Sans oublier Breton, enchanteur des images qui peuplent ◀les▶ ténèbres.