Hugh Walpole, La▶ Cité secrète (décembre 1925)n
◀La▶ Révolution russe va-t-elle usurper dans ◀le▶ roman d’aventures ◀le▶ rôle de ◀la▶ mer Océane avec ses écumeurs ? Déjà un Mac Orlan, un Kessel ont donné de ◀beaux▶ exemples du parti que peut tirer ◀le▶ nouveau romantisme de ce chaos. Salmon a même tenté d’en écrire ◀l’▶épopée dans Prikaz, cette traduction française de ◀l’▶énorme cri de délivrance du peuple fou. ◀Belles▶ étincelles échappées d’un brasier.
Pour ◀les▶ causes de ◀l’▶incendie, voir Dostoïevski.
M. Walpole, lui, commence son roman quelques mois avant que n’éclate ◀le▶ sinistre, et s’arrête au moment où ◀l’▶on est sûr que ça brûle bien.
Quel sujet plus riche pouvait-on rêver pour un psychologue de ◀la▶ puissance de Walpole, que ◀l’▶âme russe — cette âme russe qui pour ◀le▶ Parisien restera toujours « indéfinissable ». M. Walpole, dont nous commençons aujourd’hui un roman bien différent, a vu ◀la▶ Révolution sans romantisme, dans ◀le▶ détail de ◀la▶ vie d’une ville. Il sait qu’un grand mouvement est ◀la▶ résultante de millions de petits. Voici naître ◀la▶ révolution dans un cœur, puis dans une famille. Et une fois ◀le▶ grand bouleversement accompli dans ◀la▶ « Cité secrète » de ◀la▶ vie privée, quelques regards sur ◀la▶ foule suffisent pour en préciser ◀les▶ conséquences. C’est ainsi qu’interviennent ◀les▶ trois Anglais mêlés au drame. M. Walpole leur a dévolu ◀le▶ soin d’entrer tantôt dans un foyer, tantôt dans une église, pour constater que ◀la▶ foule ne réagit pas autrement que ◀les▶ individus. ◀L’▶auteur, qui est l’un de ces Anglais, tombe malade avec à-propos et perd connaissance chaque fois que ◀le▶ récit doit sauter quelques semaines. Qu’on veuille bien ne voir autre chose dans ces « procédés », d’ailleurs assez peu choquants, que ◀le▶ revers de grandes qualités de réalisation d’idées en faits ou en situations dramatiques. Je donnerai tous ◀les▶ essais de M. de Voguë sur ◀l’▶âme slave pour deux ou trois scènes de ◀La▶ Cité secrète. Pour celle-ci par exemple (caché dans un réduit, Markovitch, ◀l’▶idéaliste, surprend sa femme, ◀la▶ vertueuse Véra avec un des Anglais) :
Ils s’embrassaient comme des gens qui auraient eu faim toute leur vie… Markovitch, derrière sa vitre, tremblait si fort qu’il avait peur de trébucher et de faire du bruit. Il songea : — C’est ◀la▶ fin pour moi.
Puis : — Quelle imprudence ! Avec ◀la▶ lumière et peut-être du monde dans ◀l’▶appartement.
Il avait si froid que ses dents claquaient. Il quitta sa fenêtre, se traîna jusqu’à ◀l’▶angle ◀le▶ plus éloigné du réduit, et se blottit là, sur ◀le▶ sol, ◀les▶ yeux grands ouverts dans ◀le▶ vide, sans rien voir.
Ainsi ◀le▶ moujik devant ◀le▶ bolchévique violant sa patrie. Une effroyable acceptation, mais elle peut se muer instantanément en révolte. Aucun cadre logique ne détermine ◀l’▶avenir ◀le▶ plus proche. Il n’y a pas même des forces endormies dans ◀l’▶âme russe : mais des possibilités, à chaque instant, d’explosion. ◀Le▶ géant russe est un enfant : va-t-il rire, va-t-il pleurer ? m’embrasser ou me tuer ? Il sent autour de lui quelque chose qui ◀le▶ gêne. C’est ◀l’▶empire. Il ◀le▶ renverse, pour voir. Pendant qu’il est encore ébahi du fracas, ◀le▶ juif survient avec une méthode simplifiée pour ◀l’▶exploitation des ruines. On sait ◀le▶ reste.
Tout cela, Walpole ne ◀le▶ dit pas. Mais ses personnages ◀le▶ suggèrent de toute ◀la▶ force du trouble qu’ils créent en nous : Markovitch par exemple, ou Sémyonov, un cynique secrètement tourmenté qui enchantera M. Gide.