Le▶ Corbusier, Urbanisme (juin 1926)v
Nous disons adieu aux charmes troubles et inhumains ◀de▶ ◀la▶ nature. Il s’agit ◀de▶ créer à notre vie moderne un décor utile et beau. Or « ◀la▶ grande ville, phénomène ◀de▶ force en mouvement, est aujourd’hui une catastrophe menaçante pour n’avoir pas été animée ◀de▶ ◀l’▶esprit ◀de▶ géométrie… Elle use et conduit lentement ◀l’▶usure des milliers ◀d’▶êtres humains ». Elle n’est plus adaptée aux conditions nouvelles ◀de▶ travail ou ◀de▶ repos, ni dans son plan ni dans ◀le▶ détail des rues. Congestion : « un cheval arrête 1000 chevaux-vapeurs ». Et pourtant « ◀la▶ ville est une image puissante qui actionne notre esprit » après avoir été créée par lui, — comme ◀la▶ poésie.
C’est ainsi que ◀le▶ problème ◀de▶ ◀l’▶Urbanisme se place au croisement des préoccupations esthétiques et sociales ◀d’▶aujourd’hui. Pour résoudre ◀la▶ crise ◀de▶ notre civilisation sous cet aspect comme sous ◀les▶ autres, il nous faut mieux que des dictateurs : des Architectes, ◀de▶ ◀l’▶esprit et ◀de▶ ◀la▶ ◀matière▶. Si ◀Le▶ Corbusier réalise son plan, ce sera plus fort que Mussolini (lequel s’est d’ailleurs inspiré ◀de▶ lui dans son fameux discours aux édiles ◀de▶ Rome).
Urbanisme est une étude technique et un pamphlet dont ◀l’▶argumentation serrée éclate parfois en boutades mordantes, en brèves fusées ◀de▶ lyrisme. C’est ◀d’▶une verve puissante jusque dans ◀la▶ statistique. On en sort convaincu ou bouleversé, enthousiasmé ◀d’▶avoir trouvé ◀la▶ formule même ◀de▶ tant ◀d’▶aspirations modernes. Voici sans aucun doute un des livres ◀les▶ plus représentatifs ◀de▶ ◀l’▶époque ◀de▶ Lénine, du fascisme, du ciment armé.
« Notre monde comme un ossuaire est couvert des détritus ◀d’▶époques mortes. Une tâche nous incombe, construire ◀le▶ cadre ◀de▶ notre existence… construire ◀les▶ villes ◀de▶ notre temps ». Et je déplie ce plan ◀d’▶une « ville contemporaine ». Pures géométries ◀de▶ verre et ◀de▶ ciment blanc, flamboyantes au soleil. ◀Les▶ vingt-quatre gratte-ciel ◀de▶ ◀la▶ cité, au centre, s’espacent autour ◀d’▶un aérodrome-gare circulaire, prismes perdus dans ◀le▶ silence ◀de▶ ◀l’▶azur au-dessus des rumeurs ◀de▶ ◀la▶ ville. Puis s’étendent ◀les▶ quartiers ◀de▶ résidence ; ◀les▶ jardins suspendus à tous ◀les▶ étages soulignent ◀de▶ verdure ◀l’▶horizontale des toitures en terrasses. Des perspectives régulières recoupées à 200 et 400 mètres par ◀les▶ plans fuyants des rues immenses livrées au 100 à ◀l’▶heure des autos. ◀Les▶ maisons habitées ne sont plus que des enceintes transparentes, et minces en regard de leur hauteur, entourant ◀de▶ leurs multiples « redents » des terrains ◀de▶ jeux et des parcs, ◀la▶ nature annexée à ◀la▶ ville. « C’est un spectacle organisé par ◀l’▶Architecture avec ◀les▶ ressources ◀de▶ ◀la▶ plastique qui est ◀le▶ jeu ◀de▶ formes sous ◀la▶ lumière ». Cristallisation ◀d’▶un rêve ◀de▶ joie et ◀de▶ raison où ◀de▶ grandes ordonnances élèvent leur chant.
Utopie ! Oui, si notre civilisation s’avoue trop fatiguée pour créer avec ses moyens matériels formidables des ensembles soumis aux lois ◀de▶ ◀l’▶esprit et ◀de▶ ◀la▶ vie sociale, non plus à un opportunisme anarchique. Tirer des lignes droites, est ◀le▶ propre ◀de▶ ◀l’▶homme. Toutes ◀les▶ civilisations fortes ◀l’▶ont osé. Créer un espace architectural lumineux à la place de nos cités congestionnées, ce serait peut-être tuer au soleil des germes ◀de▶ révolution. Déjà des ingénieurs se sont mis à calculer ◀la▶ réalisation ◀de▶ ce phénomène ◀de▶ haute poésie — ◀la▶ « ville contemporaine ». Un labeur précis et anonyme concourt obscurément à cette parfaite expression du triomphe ◀de▶ ◀l’▶homme sur ◀la▶ Nature. Architecture : « tout ce qui est au-delà du calcul… Ce sera ◀la▶ passion du siècle ».