Ramon Fernandez, Messages (juillet 1926)w
Je ne crois pas exagéré de▶ dire qu’en publiant ce recueil ◀d’▶essais, M. Fernandez a donné la première œuvre importante du mouvement ◀de▶ construction et ◀de▶ synthèse qui se dessine chez les jeunes écrivains ◀d’▶aujourd’hui. La « critique philosophique » qu’il voudrait inaugurer « ne se contenterait pas ◀d’▶étudier les œuvres pour elles-mêmes dans leur signification historique ou technique, mais tâcherait ◀d’▶épouser le dynamisme spirituel qu’elle révèle, puis ◀de▶ les situer dans l’univers humain ». M. Fernandez a tout le talent qu’il faut pour lui faire acquérir droit ◀de▶ cité.
Voici enfin un critique qui sait tirer une leçon constructive des expériences entreprises par les générations précédentes. Parce qu’elles se sont souvent enlisées dans leurs recherches, il ne les condamne pas ◀d’▶un « Jugement » sans issue sinon vers le passé catholique ; mais tenant compte ◀de▶ leur effort, il puise dans l’échec même ◀de▶ leurs analyses les éléments ◀de▶ sa synthèse, qui se trouve ainsi continuer leur œuvre, comme une découverte couronne une série ◀d’▶expériences négatives.
La critique ◀de▶ ces expériences négatives est contenue surtout dans ses essais sur Proust, Pater et Stendhal. Certes, il était temps que l’on dénonce la confusion romantique ◀de▶ l’art avec la vie, qui empoisonne et la morale et l’esthétique modernes. Et à ce propos, il faut souhaiter que M. Fernandez aborde par ce biais l’œuvre ◀de▶ Gide, qui plus qu’aucune autre me paraît liée à cette confusion. Mais s’il est bien établi que les lois ◀de▶ la vie sont essentiellement différentes des lois ◀de▶ l’œuvre d’art, il ne s’en suit pas forcément que l’on doit nier toute communication directe entre l’œuvre et le moi, comme le fait M. Fernandez dans un essai sur l’Autobiographie et le Roman, dont pour ma part je suis loin ◀d’▶admettre plusieurs thèses beaucoup trop absolues. M. Fernandez tente ◀de▶ prouver par exemple que l’œuvre d’art ne peut être un moyen ◀de▶ connaissance personnelle. Après quoi il écrit : « II y a, en fait, deux manières ◀de▶ se connaître, à savoir se concevoir et s’essayer. » Fort bien, mais l’œuvre n’est-elle pas une façon particulière ◀de▶ s’essayer ? Je ne puis amorcer ici une discussion ◀de▶ ces thèses subtiles, d’autant que la position ◀de▶ l’auteur dans cet essai me paraît encore ambiguë : on peut se demander s’il nie vraiment l’interaction ◀de▶ la vie et ◀de▶ l’art, ou s’il la condamne plutôt, à cause des confusions qu’il y décèle.
Le meilleur morceau du livre est l’essai sur Proust et sa théorie des « intermittences du cœur » dont Fernandez donne une critique décisive. Et c’est justement par opposition à la conception proustienne ◀de▶ la personnalité — « mosaïque ◀de▶ sensations juxtaposées » — qu’il définit sa propre théorie ◀de▶ la « garantie des sentiments », où l’on est en droit ◀de▶ voir le germe ◀d’▶un moralisme nouveau qui se fonderait solidement sur les données modernes ◀de▶ la psychologie et ◀de▶ la philosophie. Pour nous prémunir contre le pouvoir ◀d’▶analyse — une analyse qui retient les éléments ◀de▶ la personnalité moins le « principe unificateur » — que la psychologie freudienne et proustienne a porté à un point si dangereux, il nous propose l’expérience ◀d’▶un Newman, les exemples ◀d’▶un Meredith et ◀d’▶un Stendhal, qui ont su « penser dans le train ◀de▶ l’action, faire ◀de▶ la psychologie à la volée », et donc connaître l’homme dans l’élan qui fait sa véritable unité. Je me borne à signaler encore un thème qui revient dans la plupart de ces essais : l’esthétique du roman. Fernandez en formule une théorie assez proche du cubisme littéraire, et qu’il serait bien utile ◀d’▶adopter, si l’on veut éviter les confusions qui sont en train d’ôter sa valeur littéraire au genre le plus encombré et le plus impur qui soit.
On n’a pas ménagé les critiques à cette œuvre. Cela tient surtout à sa forme : il est parfois agaçant ◀de▶ pressentir sous l’expression trop technique ou obscure, une richesse ◀d’▶idées neuves et fortes, mais péniblement comprimées. Ce défaut ◀de▶ forme est peut-être inhérent, dans une certaine mesure, au genre ◀de▶ critique pratiqué par Fernandez. Périlleuse situation que la sienne, en effet, où l’on court le double risque ◀de▶ paraître trop littéraire aux philosophes, et trop philosophe aux littérateurs. Il manque à M. Fernandez un certain recul par rapport à ses idées, on le sent un peu gauche encore dans les positions conquises. Il n’empêche que son livre manifeste une belle unité ◀de▶ pensée, et qu’il propose quelques directions très nettes ◀de▶ synthèse. Avec une œuvre comme Plaisir des Sports ◀de▶ Jean Prévost, et les essais politiques ◀de▶ Drieu la Rochelle, les Messages ◀de▶ Fernandez sont les premières contributions à l’établissement ◀d’▶une éthique adaptée aux besoins modernes.