André Malraux, La▶ Tentation de ◀l’▶Occident (décembre 1926)aa
Un Chinois écrit d’Europe à un Français qui lui répond de Chine. Nous sommes loin du ton des Lettres persanes : ◀le▶ Chinois s’étonne non sans quelque aigreur, et critique avec un mépris tranquille ; ◀le▶ Français riposte sans conviction, et sous sa défense on devine une détresse. C’est encore une vision de ◀l’▶Occident qui naît de ce petit livre si dense, si inquiétant. ◀Le▶ Chinois voit dans ◀l’▶Europe « une barbarie attentivement ordonnée, où ◀l’▶idée de ◀la▶ civilisation et celle de ◀l’▶ordre sont chaque jour confondues ». Nous cherchons à conquérir non ◀le▶ monde, mais son ordre. Nous humilions sans trêve notre sensibilité au profit de ce « mythe cohérent » vers quoi tend notre esprit. ◀La▶ passion apparaît dans notre ordre social « comme une adroite fêlure ». Notre morale est entièrement subordonnée à ◀l’▶action ; notre individualisme en naît logiquement, et toutes nos catégories artificielles et nécessaires. Mais ◀le▶ monde échappe toujours à nos cadres — perpétuel conflit du réel avec nos rêves de puissance : notre ambition ◀la▶ plus haute échoue. ◀La▶ tristesse règne sur nos villes. (Neurasthénie, ce mal de ◀l’▶Occident.) Et notre vertu suprême, aussi, est douloureuse : ◀le▶ sacrifice.
Sans doute, cette « absurdité essentielle » que ◀le▶ Chinois distingue au cœur de ◀la▶ vie occidentale apparaît mieux par ◀la▶ comparaison de ◀l’▶idéal asiatique avec le nôtre. Mais je crois que toute intelligence européenne libre peut souscrire aux critiques du Chinois et sympathiser avec son idéal de culture. Il n’y a pas là deux points de vue irréductibles, du moins M. Malraux a fait parler son Chinois de telle façon qu’ils ne ◀le▶ paraissent point. Et alors ◀le▶ relativisme angoissant qui semblait devoir résulter de cette confrontation, s’évanouit : c’est bien plutôt une unité supérieure de ◀l’▶esprit humain que nous découvrons, et qui nous permettra de juger à notre tour certaines démences qui enfièvrent ◀l’▶Europe.
Tandis que M. Ford expose victorieusement sa méthode pour « réussir » — à quoi, grands dieux ? — nous prenons chaque jour une conscience plus claire de ◀la▶ vanité de nos buts, « capables d’agir jusqu’au sacrifice, mais pleins de dégoût devant ◀la▶ volonté d’action qui tord aujourd’hui notre race… ». Et peut-être n’est-il pas de position plus périlleuse, puisqu’elle risque de ne laisser subsister en nous qu’un « étrange goût de ◀la▶ destruction et de ◀l’▶anarchie, exempt de passion, divertissement suprême de ◀l’▶incertitude… »