Louis Aragon, Le▶ Paysan ◀de▶ Paris (janvier 1927)ab
« Je n’admets pas qu’on reprenne mes paroles, qu’on me ◀les▶ oppose. Ce ne ◀sont▶ pas ◀les▶ termes ◀d’▶un traité ◀de▶ paix. Entre moi et vous, c’est ◀la▶ guerre. » Voilà pour ◀les▶ critiques, « punaises glabres et poux barbus », qui perdraient leur temps à recenser ◀les▶ incohérences pittoresques ◀de▶ ce petit livre. Quant à ceux que certaines envolées magnifiques et hagardes pourraient enthousiasmer il leur réserve mieux encore : après une kyrielle ◀d’▶injures qui ne font pas honneur à ◀l’▶imagination d’autres fois si prestigieuse du poète : « Ils m’ont suivi, ◀les▶ imbéciles », ricane-t-il ; et sans rire : « À mort ceux qui paraphrasent ce que je dis ».
Il y a chez Aragon une folie ◀de▶ ◀la▶ persécution, qui se cherche partout des prétextes, et une passion farouche pour ◀la▶ liberté, qui font ◀de▶ cet ombrageux personnage une manière ◀de▶ Rousseau surréaliste. Devant cette ostentation ◀de▶ révolte, ce mélange ◀de▶ fanfaronnade et ◀d’▶intense désespoir, on songe au Frank de La Coupe et ◀les▶ Lèvres, à qui ses compagnons criaient : « Te fais-tu ◀le▶ bouffon ◀de▶ ta propre détresse ? »
Tant ◀d’▶insistance dans ◀le▶ mauvais goût ne m’empêchera pas ◀de▶ ◀le▶ dire, Aragon possède ◀le▶ tempérament ◀le▶ plus hardi et ◀le▶ plus original ◀de▶ ◀la▶ jeune littérature française. Il ◀le▶ proclame « J’appartiens à ◀la▶ grande race des torrents ». Génie inégal s’il en ◀fut▶, voici parmi trop ◀de▶ talents intéressants, un écrivain qui s’impose avec des qualités et des défauts pareillement énormes. Il faut remonter loin dans notre littérature pour trouver semblable domination ◀de▶ ◀la▶ langue. Et parmi ◀les▶ modernes, il bat tous ◀les▶ records ◀de▶ ◀l’▶image, ce qui nous vaut avec des bizarreries fatigantes et quelques sombres délires, des pages ◀d’▶un lyrisme inouï. Que Louis Aragon ne se croie pas tenu ◀de▶ justifier ses visions par ◀le▶ moyen ◀d’▶une métaphysique aussi prétentieuse qu’incertaine. Son affaire, c’est ◀l’▶amour, et certain désespoir vaste et profond comme ◀l’▶époque. « Voulez-vous des douleurs, ◀la▶ mort ou des chansons ? » On a ◀l’▶hallucination du décor des capitales, créatrice ◀d’▶un merveilleux ◀de▶ chaque instant, ◀d’▶une véritable « mythologie moderne ».
◀Le▶ Paysan ◀de▶ Paris ◀est▶ une suite ◀de▶ promenades dont ◀la▶ composition n’◀est▶ pas sans rappeler celle des Nuits ◀d’▶octobre de Nerval ; forme qui permet à ◀l’▶auteur ◀de▶ divaguer ◀de▶ ◀la▶ philosophie au lyrisme ◀le▶ plus échevelé en passant par ◀la▶ description réaliste ou imaginée ◀d’▶une boîte ◀de▶ nuit, ◀d’▶une devanture, ◀d’▶un parc public. Ce n’◀est▶ pas ◀le▶ meilleur livre ◀de▶ ◀l’▶auteur ◀d’▶Anicet. C’est pourtant un des plus significatifs du romantisme nouveau. J’ai nommé Rousseau, Nerval Musset : mais voyez un Rousseau sans tendresse, un Nerval sans pudeur, un Musset ivre non plus ◀de▶ vin ◀de▶ France, mais ◀d’▶alcools pleins ◀de▶ démons, ◀de▶ drogues peut-être mortelles.