Pierre Girard, Connaissez mieux le cœur des femmes (juillet 1927▶)am
Quand vous avez fermé ce petit livre, vous partez en chantonnant le titre sur un air sentimental, bien décidé au fond, à retrouver Patsy, l’Irlandaise perdue par cet improbable et sympathique Paterne. Sous le fallacieux prétexte ◀d’▶une flânerie ◀de▶ saison, vous vous attardez aux terrasses des cafés. Peut-être va-t-elle revenir avec son Johannes laqué. Ah ! comme vous sauriez lui plaire, maintenant qu’une si triomphante tendresse vous possède ! Justement, voici Pierre Girard : lui seul connaît l’adresse ◀de▶ Patsy, mais il ne veut pas vous la donner. Alors pour vous venger, vous lui dites que, « d’abord », son livre n’est pas sérieux. Il sourit. Vous ajoutez que le lyrisme des noms géographiques vous fatigue ; que c’est une vraie manie ◀de▶ nommer à tout propos ◀d’▶Annunzio, Pola Negri, Charly Clerc, Mrs. Balfour. Vous parlez ◀de▶ « procédés lassants ». Pierre Girard n’écoute plus : il pense à des Vénézuéliennes ou à Gérard de Nerval. Bientôt vous vous calmez. Car il semble aujourd’hui que ce globe dans son voyage « est arrivé à un endroit ◀de▶ l’éther où il y a du bonheur ». Vous reconnaissez que Pierre Girard est un peu responsable ◀de▶ cette douceur ◀de▶ vivre. Déjà vous ne niez plus sa drôlerie, son aisance. Vous accordez que s’il force un peu la dose ◀de▶ fantaisie, c’est plutôt par excès ◀de▶ facilité que par recherche. Vous voilà même tenté ◀de▶ l’en féliciter. Bien plus, vous découvrez dans ses fantoches une malicieuse et fine psychologie. Mais à ce mot, son visage s’assombrit un peu. « Tous nos ennuis nous seraient épargnés si nous ne regardions que les jambes des femmes », dit-il, pour vous apprendre ! — sans se douter que rien ne saurait vous ravir autant que ses impertinences. À ce moment s’approche M. Piquedon de Buibuis, qui parle toujours ◀de▶ Weber…
Mais au fait, si vous n’aviez pas lu ce livre ? Ah ! sans hésiter, je vous ferais un devoir ◀de▶ ce plaisir. Un devoir !… Car hélas, l’on n’est pas impunément concitoyen ◀de▶ cet oncle Abraham qui interdit à Paterne son neveu ◀de▶ fumer le matin, ◀de▶ sortir la nuit, et qui lui fait jurer sur la Bible ◀de▶ ne pas entrer dans les cafés.
Et puis, c’est égal, ce soir, tout cela est sans importance, car voici « l’heure des petits arbres pourpres, l’heure où dans les bibliothèques désertes glisse un grand souffle oblique plein ◀de▶ fraîcheur et ◀de▶ pardon. »