Edmond Jaloux, Rainer Maria Rilke (décembre 1927)ao
À ceux qui se contentent du mot fumeux pour caractériser tout lyrisme germanique, il faudra opposer l’excellent petit livre d’Edmond Jaloux. C’est un recueil de divers articles et essais, dont certains — le Message de Rilke — sont du meilleur Jaloux, de ce Jaloux qui sait parler mieux que personne des poètes scandinaves et des romantiques allemands parce qu’il partage avec eux ce goût du rêve préféré à la vie, — à ce qu’on appelle la vie. Jaloux, qui a rencontré plusieurs fois Rilke, trace de lui un portrait qu’on dirait, en peinture, très « interprété ». Non pas une photographie morale, mais une sorte de synthèse de l’homme et de l’homme dans son œuvre, qui est peut-être plus vraie que le vrai, je▶ veux dire, plus rilkienne que ne fut Rilke. Rilke y apparaît comme une de ces âmes mystiques et raffinées telles qu’on en découvre chez certaines femmes et l’on y voit une préciosité sentimentale qui touche à la névrose ou bien simplement une clairvoyance exceptionnelle, suivant que l’on juge au nom d’une science ou au nom de l’esprit.
« Pour ◀moi▶ qui aime plus que tout la poésie, écrit Jaloux, aussitôt que ◀je▶ vis Rilke, ◀je▶ compris que cet univers dont ◀je▶ rêvais n’était pas un objet de songe mais d’expérience ». Mais une telle « expérience », ◀je crois, ne peut être sensible qu’à des êtres pour qui elle est en somme inutile : parce qu’ils possèdent déjà, au moins obscurément, le sens des réalités sur lesquelles s’opère l’expérience. On ne prouve la religion qu’aux convertis — qui n’ont plus besoin de preuves. Il reste qu’un livre comme celui-ci tend un merveilleux piège sentimental à la raison raisonnante. Et qu’il nous mène un peu plus loin que la sempiternelle « stratégie littéraire », de gazetiers ; au cœur de ces sujets qui paraît-il, ne sont pas d’actualité : la solitude, la maladie, la peur.