André Malraux, Les▶ Conquérants (décembre 1928)au
Ce récit de ◀la▶ révolution cantonaise en 1925 nous place au nœud du monde moderne : on y voit s’affronter en quelques hommes d’action ◀les▶ forces caractéristiques du temps — argent, races — et ses rares passions, qui sont ◀la▶ domination et ◀la▶ démolition, ◀l’▶organisation et ◀le▶ sabotage. On y découvre ◀le▶ jeu des tempéraments qui fait opter ces chefs pour l’une ou l’autre de ces attitudes. (Elles ne sont pas essentiellement contradictoires : elles représentent deux manières de sentir ◀l’▶unité d’une époque obsédée d’action.) Autour de ces individus — Chinois nationalistes ou terroristes, Européens expérimentateurs, Juifs russes méthodiques — s’émeuvent ◀les▶ masses de coolies, d’ouvriers armés, toute cette Chine qui s’éveille au sein même de ◀la▶ lutte qui met aux prises ◀l’▶Europe et ◀le▶ monde du Pacifique.
On retrouvera ici beaucoup des idées que ◀la▶ Tentation de ◀l’▶Occident exprimait sous une forme abstraite et poétique. Mais cette fois tout est concrétisé en hommes, en meurtres, en décrets.
Qu’il décrive ◀la▶ vie intense et instable des acteurs du drame, ◀l’▶aspect quotidien et mystérieux d’une révolution de rues, ou ◀la▶ palpitation inquiétante des villes chinoises, Malraux fait preuve d’un art du détail où se révèle ◀le▶ vrai romancier. On serait parfois tenté de ◀le▶ rapprocher de Morand, mais il est plus nerveux, sans doute aussi plus sensible. Et il ne se borne pas à des effets pittoresques : ce récit coloré et précis, admirablement objectif, est aussi, mais à coups de faits, une discussion d’idées. Il est surtout ◀la▶ description d’une angoisse que ◀le▶ nihilisme de M. Malraux veut sans issues : ◀l’▶angoisse que fait naître au cœur du monde contemporain ◀l’▶absurdité de ses ambitions. Écoutons Garine, l’un de ces chefs (c’est lui qui parle au nom de ◀l’▶auteur, je pense) : « Il me semble que je lutte contre ◀l’▶absurde humain, en faisant ce que je fais ici… » ◀L’▶évasion dans ◀l’▶action — révolutionnaire ou autre — rêvée par tant de jeunes hommes de ◀l’▶après-guerre, Malraux ◀l’▶a vécue, avant de ◀la▶ décrire ; et cet aveu de Garine est décisif : « ◀La▶ Révolution… tout ce qui n’est pas elle est pire qu’elle… » Expérience faite, ◀l’▶absurde retrouve ses droits.
C’est ainsi que, masqué par ◀l’▶enchaînement passionnant de ◀l’▶action, il se dégage de ce roman un désespoir sec, sans grimace. Cette intelligence et cette sensibilité ont quelque chose de trop aigu, de dangereux. Mais qu’elles s’appliquent à distinguer ◀les▶ forces déterminantes de ◀l’▶heure, à ◀les▶ exprimer en un tel drame, et voici André Malraux au premier rang des romanciers contemporains.