6. La▶ trahison de ◀l’▶instruction publique
(Ici, ◀le▶ procureur prit un ton plus grave.)
◀L’▶école s’est vendue à des intérêts politiques. C’était là, nous venons de ◀le▶ voir, son unique moyen de parvenir. Elle participe donc sur une vaste échelle à cette « Trahison des clercs » décrite par M. Julien Benda. Notre époque paiera cher ce crime contre ◀la▶ civilisation. Elle ne croit plus qu’au péché contre ◀les▶ lois sociales, eh bien ! elle apprendra que ◀le▶ seul péché qui n’a pas de pardon c’est ◀le▶ péché contre ◀l’▶Esprit. Aujourd’hui qu’il suffit d’un peu de bon sens et d’information pour jouer au prophète, on nous promet de tous côtés de ◀belles▶ catastrophes. Je suis de ceux qui s’en réjouissent mauvaisement. (« C’est bien fait. C’était trop laid ».)
À peine capable de nous instruire, ◀l’▶École prétend ouvertement nous éduquer. D’ailleurs elle y est obligée dans ◀la▶ mesure où elle réalise son ambition : soustraire ◀les▶ enfants à ◀l’▶Église et à ◀la▶ famille.
◀L’▶Église donnait des valeurs idéalistes, ◀la▶ famille des valeurs réalistes, sans lesquelles ◀le▶ monde s’enfonce de son propre poids dans ◀l’▶abrutissement ou se laisse prendre à des théories non point fumeuses comme ◀le▶ veut ◀le▶ cliché, mais schématiques.
Or ◀l’▶École radicale ne peut pas être idéaliste : car elle deviendrait un danger pour ◀le▶ désordre établi. ◀L’▶idéalisme est forcément révolutionnaire dans un monde organisé pour ◀la▶ production. ◀Le▶ culte des valeurs désintéressées ne peut que diminuer ◀le▶ « rendement » quantitatif de ceux qui s’y livrent.
Je ne veux pas me poser ici en défenseur des vertus patriarcales. Mais je m’adresse aux démocrates convaincus, partisans des « lumières », et qui pourtant s’indignent de voir ◀la▶ morale actuelle s’attaquer, voyez-vous ça, à ◀la▶ famille, « cette cellule sociale ». Et je ◀les▶ traite de mauvais plaisants. Admirez mon extrême modération. Ceci fait, constatez avec moi que ◀la▶ famille était encore un milieu naturel, donc normatif. ◀Le▶ collège au contraire est un milieu antinaturel, et ◀les▶ normes sociales qu’on prétend y substituer à celles de ◀la▶ famille sont falsifiées.
Non seulement ◀l’▶École ne constitue pas ◀le▶ pôle idéaliste nécessaire à ◀l’▶équilibre d’une civilisation — et c’est ◀l’▶aspect négatif de sa trahison —, mais encore elle tend à développer tout ce qu’il y a de spécifiquement malfaisant dans ◀l’▶esprit moderne. C’est sa façon à elle de répondre aux besoins de ◀l’▶époque. Pauvre époque ! On parle sans cesse de ses besoins. Il est vrai qu’elle est anormalement insatiable… Je crois qu’elle a surtout besoin d’une purge violente qui chasse ce ver solitaire du matérialisme.
Et quand on m’aura démontré que ◀les▶ besoins de ◀l’▶époque exigent une organisation à outrance du monde, je répondrai que dans ◀la▶ mesure où cette exigence est satisfaite naît un nouveau besoin qui est précisément d’échapper à cette organisation. Or il semble bien que nous en soyons-là, s’il faut en croire ◀les▶ signes de révolte qui apparaissent de toutes parts. Mais ◀l’▶école empoisonne ◀les▶ germes d’une renaissance de ◀l’▶esprit dont elle devrait être ◀la▶ mère. Elle favorise ◀le▶ culte exclusif de ◀l’▶utile, ◀l’▶incompréhension brutale de ◀la▶ nature, ◀la▶ haine des supériorités naturelles, ◀l’▶habitude de ◀l’▶ersatz et du travail bâclé. Elle apprend à lire ◀les▶ journaux, mais en même temps que cette drogue, elle devrait fournir son contrepoison. Au contraire, elle prépare de consciencieuses poires, des esclaves du mot. Il est clair, par exemple, que seules ◀les▶ victimes de ◀l’▶instruction helvétique sont capables d’absorber sans fou rire ◀les▶ discours de tirs fédéraux.
On a comparé ◀le▶ monde moderne à un vaste établissement de travaux forcés. ◀L’▶école donne à ◀l’▶enfant ce qu’il faut pour se résigner à ◀l’▶état de citoyen bagnard auquel il est promis. Mais elle tue tout ce qui lui donnerait ◀l’▶envie de se libérer — et peut-être ◀les▶ moyens.
Vaste distillerie d’ennui, c’est-à-dire de démoralisation — qu’on se ◀le▶ dise ! —, puissance de crétinisation lente, standardisation de toutes ◀les▶ mesquineries naturelles (je ne fais ◀le▶ procès de ◀la▶ bêtise humaine qu’en tant qu’elle est cultivée par ◀l’▶État), ◀l’▶École, après avoir entraîné ◀l’▶âme moderne dans ses collèges, ◀l’▶y enferme et ◀l’▶y laisse crever de faim.
Par ce qu’elle enseigne à ignorer bien plus que par ce qu’elle enseigne à connaître, elle constitue ◀la▶ plus grande force antireligieuse de ce temps. ◀L’▶instruction religieuse qui prend ◀les▶ enfants au sortir de ◀l’▶école primaire, arrive trop tard. ◀Le▶ pasteur sème dans un terrain que ◀l’instituteur a méthodiquement desséché.