Jules Supervielle, Saisir (juin 1929)ay
Ce petit livre de poèmes est comme une initiation au silence▶. Il faut s’en approcher avec une douceur patiente, et le laisser créer en nous son ◀silence▶ particulier avant d’entendre les signes qu’il nous propose. Une telle poésie n’offre aux sens que peu d’images (à peine quelques « motifs », objets usuels et usés, sur la nuance mate d’un paravent chinois). Ce qu’elle décrit, ce sont des perceptions de l’âme plus que de l’esprit ou des sens. « Reste immobile et sache attendre que ton cœur se détache de toi comme une lourde pierre. » Le corps, que l’âme quitte, redevient minéral, statue dans le ◀silence▶ « aux yeux gelés de rêverie », il se confond avec l’ombre du monde. Et l’âme peut enfin « saisir » dans leur réalité les choses dont elle s’est dégagée et qu’elle voit dans une autre lumière : « Tout semblait vivre au fond d’un insistant regard. »
Le poète des Gravitations est ici descendu plus profond en soi-même ; son art y gagne en densité, en émotion. Des mots simples, mais chacun dans sa mûre saveur ; une phrase naturellement grave ; une voix douce et virile ; et quel beau titre ! « Saisir » n’est-ce point l’acte essentiel de la poésie ? Toute poésie véritable n’est-elle pas proprement « saisissante » ? Mais le plus émouvant, c’est ici l’approche d’un ◀silence partout pressenti, qui s’impose, qui apaise le vain débat de notre esprit : « Car l’on pense beaucoup trop haut, et cela fait un vacarme terrible. »