Julien Benda, La▶ Fin de ◀l’▶Éternel (novembre 1929)bc
Ce n’est plus ◀l’▶heure de venir prendre position dans un débat où ◀les▶ voix ◀les▶ mieux écoutées ont dit ce qu’elles avaient à dire. Et d’autre part, ◀les▶ lecteurs de cette revue connaissent ◀la▶ thèse de ◀la▶ Trahison des Clercs 11, thèse dont ◀la▶ Fin de ◀l’▶Éternel ne fait que reprendre ◀la▶ défense contre ses adversaires de tous bords. Je voudrais souligner seulement ◀la▶ beauté de ◀l’▶effort désintéressé de Julien Benda, et ◀l’▶obligation où nous sommes tous désormais de répondre pour nous-mêmes à sa mise en demeure. Je suis loin de partager toutes ◀les▶ idées de M. Benda, sur le plan philosophique en particulier, où je me sens bien plus près de M. Gabriel Marcel, qu’il attaque. (M. Benda trahit à son tour quand il tire argument contre une thèse de M. Marcel de ce qu’elle « mène loin… dans ◀l’▶ordre moral ». Et quand cela serait ! dirons-nous, — avec ◀le▶ Benda qui ne trahit pas.) D’autre part, de plus impertinents que moi ne manqueront pas de faire observer que ◀la▶ « fin de ◀l’▶éternel », ◀la▶ chute de ◀l’▶idée dans ◀la▶ matière, est un phénomène exactement aussi vieux que ◀le▶ monde. Mais M. Benda distinguera, et ils seront confondus. Car il y a un sophiste en M. Benda, un polémiste qui joue de ◀la▶ raison ratiocinante tout comme si elle n’était pas ◀le▶ contraire de ◀la▶ Raison de Spinoza. Nul mieux que lui ne s’entend définir et classer choses et idées en catégories « rationnelles », c’est-à-dire fausses mais claires, qui lui permettent de triompher syllogistiquement de ◀l’▶adversaire, sinon de ◀la▶ difficulté elle-même. Mais pour gênante que soit souvent son adresse de logicien, elle ne doit pas nous masquer ◀l’▶audace tranquille et admirable de son point de vue radicalement antimoderne, parce que désintéressé. C’est un extrême, un pic trop élevé pour qu’on y puisse vivre, c’est ◀l’▶impossible. Mais justement, ◀la▶ gloire de M. Benda sera d’avoir soutenu que ◀l’▶humanité a besoin qu’on lui demande ◀l’▶impossible. Et quand bien même elle croirait n’en avoir plus besoin.
Cet extrémisme de ◀la▶ pensée intemporelle, en butte aux sarcasmes des extrémistes de droite et de gauche, n’en apparaît que plus pur. « Noms de clowns qui me viennent ◀l’▶esprit : Julien Benda… », écrit Aragon. Et Daudet nous apprend que « ◀le▶ petit Benda est un fameux serin ». Mais ces affirmations sont exactement celles qu’il fallait attendre de ces auteurs. Ce qu’on ne viendra pas disputer à M. Benda, c’est son dur amour de ◀la▶ vérité tout court. Celle-là même qui paraît anarchique dans un monde où tout est bon à quelque chose, où rien plus n’est tenu pour vrai que relativement à un rendement. Rien, pas même ◀la▶ religion.