« Vos fantômes ne sont pas les miens… » [Réponse à l’▶enquête « ◀Les▶ vrais fantômes »] (juillet 1930)s t
I
Vos fantômes ne sont pas les miens, et qui saura jamais s’ils ne sont pas pour moi « des choses » — et réciproquement. ◀La▶ distinction entre « choses » et « fantômes » est relative à des habitudes individuelles, en dehors de quoi je ne lui vois pas ◀de▶ signification générale. Certains fantômes m’apparaissent quand je suis faible, malade ou ivre, c’est-à-dire quand je suis dominé par ◀le▶ monde. Ils ont tous ◀le▶ même air absurde.
Des fantômes ◀d’▶une autre sorte, ceux-là tout rayonnants ◀d’▶allusions indéfinies, naissent autour de moi quand ◀la▶ passion ou ◀la▶ prière me font centre ◀de▶ mon univers.
◀La▶ vision « autre » dont vous parlez traduit simplement une variation dans mes relations avec ◀le▶ monde. En quoi cette première question est assez indiscrète.
II
Il y aurait beaucoup à dire sur ◀l’▶admiration dont certains littérateurs français témoignent en face des fantômes nés du relâchement ◀de▶ leur esprit ou ◀de▶ celui des autres. Nous avons vu des amateurs ◀de▶ pittoresque essayer, au hasard, des incantations tout juste bonnes à évoquer ◀la▶ basse pègre du monde spirituel. Ce n’est pas en détraquant nos sens ou notre raison, ce n’est pas en nous efforçant ◀de▶ délirer que nous atteindrons une réalité supérieure, mais bien en surpassant nos sens par notre intelligence, celle-ci à son tour par une volonté qui ◀l’▶oriente vers certains états dont il arrive que ◀la▶ gratuité apparente nous fascine. Un fantôme ne manifeste rien ◀d’▶autre que ◀la▶ qualité du regard qui ◀le▶ perçoit. Dis-moi qui te hante… Ainsi, ◀la▶ vulgarité évidente des fantômes décrits par ◀la▶ psychologie moderne révèle-t-elle une déficience ◀de▶ méthode, laquelle correspond à une certaine sécheresse ◀d’▶âme. Car on ne voit que ce qu’on mérite. — ◀Les▶ plus beaux fantômes, et ◀les▶ plus réels, ce sont ◀les▶ anges. Mais ceux-là seuls parmi nous ◀les▶ verront, dont ◀l’▶esprit parviendra par sa puissance ◀d’▶adoration, à se créer une part angélique.
III
◀L’▶amour, loin de causer une « désorganisation du moral », multiplie à nos yeux ◀les▶ correspondances.
Comprenons à ce signe qu’il nous transporte dans un monde plus hautement organisé, c’est-à-dire plus réel. (◀L’▶absurdité des choses mesurait seulement notre impuissance à ◀les▶ aimer.)
Dès lors, il ne s’agira plus ◀de▶ réduire ◀les▶ fantômes qui nous tenteront, mais ◀de▶ leur égaler notre conscience. C’est un effort ◀de▶ création — car toute découverte du monde spirituel revêt pour nous, normalement, ◀l’▶aspect ◀d’▶une création. Il s’agit ◀de▶ maintenir cet effort sous ◀le▶ signe ◀de▶ ◀la▶ sobriété ◀la▶ plus rusée mais ◀la▶ plus amoureuse. ◀L’▶audace et ◀l’▶humilité ◀de▶ ◀la▶ prière nous font entendre ◀l’▶accord fondamental ◀d’▶une éthique des fantômes, dont ◀la▶ poésie moderne n’est peut-être que ◀la▶ psychologie.