Léon Pierre-Quint, Le Comte de Lautréamont et Dieu (septembre 1930)bg
On ne sait presque rien de▶ Lautréamont, sinon qu’il s’appelait Isidore Ducasse et qu’il composa vers sa vingtième année un vaste poème en prose intitulé Les Chants ◀de▶ Maldoror. ◀De▶ 1870 jusqu’à la guerre son influence fut « quasi nulle », et peut-être va-t-il rentrer dans l’ombre après avoir été pendant quelques années l’idole et l’auteur-tabou du surréalisme. M. Pierre-Quint vient ◀d’▶écrire sur ce poète, qu’on a traité ◀de▶ fou et ◀d’▶ange, un essai remarquable ◀de▶ netteté et souvent, ◀d’▶indépendance. Il dégage le sujet ◀de▶ l’épopée qu’est Maldoror — la révolte ◀de▶ l’homme contre son Créateur — et il analyse les principaux thèmes ◀de▶ l’œuvre avec une intelligence que l’on rencontre bien rarement dans les essais consacrés jusqu’ici à Ducasse.
Ce « précurseur » ◀d’▶une certaine littérature moderne n’a fait, en somme, que reprendre, quitte à les parodier, les grands thèmes du romantisme. Mais il les a poussés à un paroxysme verbal qui induit à croire qu’il les sentait moins profondément que ses devanciers. Son sadisme n’est pas beaucoup plus « horrible » que celui des rêveries ◀de▶ certaines pubertés ; quant à l’amour, Maldoror ne paraît pas ◀de▶ taille à le concevoir au-delà ◀de▶ sa tendresse pour les adolescents. Ce qui le caractérise le plus fortement, c’est sa « révolte absolue », forcenée, jusqu’au rire dément, — ses injures ◀de▶ Caliban littérateur. Dans un chapitre excellent et peut-être plus audacieux que les autres, M. Pierre-Quint montre en quoi cette révolte est puérile et insuffisante. Une fois de plus, l’intelligence apporte la solution ◀d’▶une hypocrisie que la révolte rend moins sympathique, certes, mais plus réellement dangereuse. On sent bien ici que le critique a dominé son sujet. Mais pourquoi se refuse-t-il à tirer ◀de▶ ces remarques fort justes les conclusions qu’elles nécessitent ? Celle-ci, entre autres, que Lautréamont ne va pas à la cheville ◀de▶ Rimbaud. (Ce n’est pas avec un Dieu pour rire que Rimbaud est aux prises, et il n’a cure ◀de▶ cette littérature que Ducasse s’épuise à parodier.) Il semble qu’ici M. Pierre-Quint, malgré la liberté ◀d’▶esprit dont il témoigne en maint endroit, se soit laissé quelque peu impressionner par le fanatisme des disciples et imitateurs du « comte ». D’autres que lui s’y sont trompés. M. Gide déclarait naguère qu’il fallait voir en Lautréamont « le maître des écluses pour la littérature ◀de▶ demain ». Concession un peu hâtive à une « jeunesse » déjà démodée… Je crois que la jeunesse ◀d’▶aujourd’hui s’éloigne plutôt ◀de▶ la grandiloquence « antilittéraire » et des révoltes au hasard ◀d’▶un Maldoror. Elle demande une pensée forte et orientée plutôt que ces éclats ◀de▶ voix sarcastiques, émouvants comme 93, mais où certaine bêtise trouve assez bien son compte. Et quant à l’orthodoxie instaurée par les surréalistes, elle appelle notre impertinence. Nous adorons ailleurs.