Hölderlin, La▶ Mort ◀d’▶Empédocle et Poèmes ◀de▶ ◀la▶ folie (octobre 1930)bi
◀L’▶année du centenaire du romantisme sera celle aussi ◀de▶ ◀la▶ découverte ◀de▶ Hölderlin par ◀la▶ France. ◀La▶ Mort ◀d’▶Empédocle et ◀les▶ Poèmes ◀de▶ ◀la▶ folie ont paru simultanément, et ◀l’▶on annonce Hypérion. Il ne manquera plus que ◀les▶ longs poèmes ◀de▶ ◀la▶ maturité — mais ceux-là difficilement traduisibles — pour que nous puissions contempler ◀l’▶ensemble ◀de▶ ◀l’▶œuvre ◀de▶ Hölderlin : ◀l’▶inspirateur ◀de▶ Schelling et ◀de▶ Hegel, ◀le▶ précurseur ◀de▶ Nietzsche, l’un des plus admirables et des plus mystérieux génies poétiques ◀de▶ notre ère.
On doit beaucoup de reconnaissance à M. André Babelon pour avoir traduit et introduit avec tant de justesse, voire ◀de▶ profondeur, ◀la▶ Mort ◀d’▶Empédocle. Cette tragédie difficile, trois fois remise à pied ◀d’▶œuvre et jamais achevée, donne moins que ◀les▶ Poèmes cette impression bizarre ◀d’▶être ◀d’▶aujourd’hui. C’est qu’elle est ◀de▶ demain plutôt, — tout comme Nietzsche qui en fut obsédé. Empédocle est ◀de▶ ces mythes tels qu’il n’est peut-être pas donné à une race ◀d’▶en créer plus ◀d’▶un, c’est-à-dire ◀de▶ s’en libérer. Ainsi ◀la▶ France conçut ◀l’▶homme rationnel ; Empédocle, au contraire est celui qui passe toutes ◀les▶ mesures ◀de▶ ◀l’▶esprit humain, parle aux dieux avec orgueil, et finit par succomber à son « hybris » : il se jette dans ◀l’▶Etna pour mieux communier avec ◀la▶ divine Nature. Mythe grec, mais devenu, par excellence, germanique ; mythe païen, mais il est bien troublant ◀de▶ ◀le▶ voir se mêler, dans la troisième version ◀de▶ ce drame, à des symboles nettement messianiques… Ce par quoi Hölderlin diffère ◀le▶ plus peut-être des poètes français, c’est que son lyrisme est ◀l’▶expression ◀d’▶une philosophie à ◀l’▶état naissant ; il est ◀la▶ vibration même ◀d’▶une pensée en travail ◀de▶ mythes, sur lesquels, bientôt après, s’exercera ◀la▶ réflexion consciente. (Vers ◀l’▶époque où il ébauche son Empédocle, note M. Babelon, Hölderlin écrit ◀de▶ nombreux essais philosophiques.) ◀Le▶ tragique ◀de▶ Hölderlin, c’est qu’il parviendra ◀de▶ moins en moins à « réfléchir » sa création. ◀De▶ là sa folie, qu’il pressent. Et M. Babelon cite à ce sujet des phrases très frappantes : « L’un garde encore ◀la▶ connaissance au sein d’une flamme plus grande, l’autre seulement ◀d’▶une plus faible… ◀Le▶ grand poète n’est jamais abandonné par lui-même ; il peut au-dessus ◀de▶ lui-même, s’élever aussi loin qu’il ◀le▶ veut. On peut tomber dans ◀la▶ hauteur tout comme dans ◀la▶ profondeur ». Comment ne point songer ici au génie qui, dans ◀le▶ même temps, figure ◀l’▶antithèse ◀de▶ Hölderlin : ◀l’▶« économie » ◀d’▶un Goethe, bien superficiellement qualifiée ◀de▶ bourgeoise, est en réalité ◀la▶ garantie spirituelle qui lui permet ◀de▶ « s’élever au-dessus ◀de▶ lui-même aussi loin qu’il ◀le▶ veut ». Mais Hölderlin est sans doute ◀d’▶une constitution trop faible pour pouvoir longtemps maîtriser ◀l’▶inspiration, qui peu à peu ◀le▶ « gagne » ; il va brusquement succomber. Buisson ardent auquel un souffle tempétueux arrache cette flamme trop grande pour son support. Reste une cendre où longtemps encore palpiteront ◀de▶ pâles lueurs réminiscentes.
Ce sont ◀les▶ quatrains du temps ◀de▶ ◀la▶ folie, poèmes véritablement « posthumes », que Pierre Jean Jouve a traduits dans ◀la▶ langue fluide mais jamais abstraite qui est celle ◀de▶ ses Noces. Jouve est ◀le▶ plus « germanique » des poètes français ◀d’▶aujourd’hui ; ce sont ◀les▶ harmoniques éveillées en lui par ◀la▶ voix ◀de▶ Hölderlin qui ont dû ◀l’▶inciter à ◀l’▶acte recréateur qu’est ◀la▶ traduction ◀d’▶un poète par un autre poète.
◀Les▶ quatrains sont ici précédés ◀de▶ Fragments dont je me demande s’il était bien légitime ◀de▶ ◀les▶ traduire. On a respecté scrupuleusement ◀les▶ « blancs » que Hölderlin indiquait avec précision au milieu de vers à peine ébauchés, — quelques mots isolés, des bribes ◀de▶ phrases… Or, si comme je ◀le▶ crois et voudrais ◀l’▶établir plus longuement, ◀le▶ sens des poèmes ◀de▶ ◀la▶ maturité ◀de▶ Hölderlin est à chercher dans leur rythme seulement, — si ces mots séparés par des suites ◀de▶ points ne lui servaient qu’à noter des mètres, il apparaît que ◀la▶ traduction ◀de▶ tels fragments est illusoire, car on ne peut songer à remplacer ces mots-notes par des syllabes ◀de▶ valeur rythmique équivalente. Quoi qu’il en soit, et tels qu’ils nous sont ici livrés, ces fragments sont capables ◀d’▶éveiller ◀le▶ sentiment rare et grandiose que j’appellerais celui du tragique ◀de▶ ◀la▶ pensée. « Insensé, — penses-tu ◀de▶ figure en figure — voir ◀l’▶âme ? — Tu iras dans ◀les▶ flammes. »
Quant aux documents sur ◀la▶ folie ◀de▶ Hölderlin que MM. Groethuysen et Jouve ont choisis et traduits à ◀la▶ suite des poèmes, ils ne sont pas ce que ce petit livre contient ◀de▶ moins bouleversant.