Charles Du Bos, Approximations, 4e série (novembre 1930)bk
Je n’ai jamais cherché rien d’▶autre que ◀d’▶approcher mon sujet, en m’identifiant ◀d’▶aussi près qu’il m’était possible, non seulement au point de vue, mais à la complexion, à la nature même ◀de▶ l’auteur, — laissant à l’approfondissement psychologique et aux inflexions variables du ton chaque fois adopté le soin ◀de▶ dégager comme par transparence le jugement implicite que, sur le plan ◀de▶ la qualité pure, je persiste à tenir pour le plus efficace.
Ce n’est peut-être pas fortuitement que M. Charles Du Bos a placé cette parfaite définition ◀de▶ sa manière au seuil ◀de▶ la 4e série ◀de▶ ses Approximations ; elles forment, tant par les sujets abordés que par le style des « approches », le livre le plus significatif ◀de▶ son tempérament critique.
Le style d’abord : on y retrouve, appliqué aux mots, ce même sens à la fois scrupuleux et assuré ◀de▶ la qualité, qui est ce qu’avant tout l’on doit admirer chez M. Du Bos. Et dans l’allure des phrases, le rythme même ◀de▶ sa pensée. Parfois certes, un peu gêné par la lenteur ◀de▶ certains méandres, aimerait-on les sentir moins insistants, moins concertés. Mais n’est-ce pas là un défaut qui relève ◀de▶ la nature même ◀d’▶un esprit « critique » dans l’exercice ◀de▶ sa probité ? Défaut combien plus précieux que l’élégance à bon marché qu’on nous prodigue dans la presse.
Les sujets : Walter Pater, Tolstoï, Hardy, Stefan George, Hofmannsthal. Que Charles Du Bos mérite aujourd’hui l’un des premiers rangs dans la critique européenne, l’ampleur du champ qui lui est naturellement nécessaire suffirait à l’indiquer. Mais ce qui l’établit sans conteste dans une classe internationale — comme on dirait en style sportif — c’est l’aisance avec laquelle il aborde un Pater, un George non pas autrement qu’il n’aborderait un génie français, et sur un pied véritablement européen. L’envergure en quelque sorte géographique ◀d’▶une telle enquête suppose une Weltanschauung correspondante en profondeur. Il la possède. On peut dire ◀de▶ sa critique qu’elle pose le problème ◀de▶ l’homme dans sa totalité, et c’est je crois l’éloge ◀de▶ choix. Mais ◀de▶ ce problème central, qui déborde le plan esthétique, la littérature ne constitue pas moins un cas privilégié. Et parce que M. Du Bos ne cesse ◀de▶ la soumettre à des contrôles éthiques autant qu’esthétiques, il lui rend l’humilité et la dignité qui tout ensemble lui conviennent. On le conçoit, ce n’est pas là se rendre la tâche facile. Cernant de toutes parts son sujet, M. Du Bos choisit des bases ◀d’▶approche parfois si éloignées, et progresse par des voies si subtiles qu’il ne doit qu’à un sens exceptionnel ◀de▶ l’orientation dans le monde ◀de▶ l’esprit la sécurité ◀de▶ sa marche vers le centre ◀d’▶une œuvre. La méthode ◀de▶ M. Du Bos est la plus propre à dégager l’élément spécifique des génies qu’elle « approche » : on pourrait l’appeler une critique des obstacles. Je veux dire par là que M. Du Bos parvient à recréer comme pour son compte, tant il y apporte ◀de▶ pressante intuition, les « problèmes » qui contraignirent tel génie à produire son œuvre. Le danger ◀de▶ cette méthode, c’est que, donnant un nom à chaque problème, l’« hypostasiant » en quelque mesure, elle risque ◀de▶ nous laisser l’image ◀d’▶un auteur plus conscient ◀de▶ ses propres difficultés que ne saurait l’être le créateur. Car une telle conscience appartient au critique avant tout, et c’est pourquoi il fait ◀de▶ la critique en présence des obstacles qu’il rencontre, là où le créateur, supposant le problème résolu (Racine), fait une œuvre ◀d’▶art. Ou bien encore, l’artiste, usant ◀de▶ cette sorte ◀de▶ désinvolture qui lui est naturelle, confie à des figures le soin hasardeux ◀de▶ résoudre ses antinomies (Goethe) ; que si elles y échouent, il restera du moins des personnages ! Mais la grandeur ◀d’▶un Du Bos, n’est-elle pas précisément dans son refus ◀de▶ sacrifier jamais l’éthique à l’esthétique, et dans ce sens chez tant d’autres émoussé, et qu’il exerce avec une intelligence et une autorité aujourd’hui sans secondes : le sens ◀de▶ la responsabilité ◀de▶ l’écrivain.