Sarah, par Jean Cassou (novembre 1931)b
Quelque chose d’▶espagnol dans ◀la▶ démarche ; un tour qui ferait penser aux conteurs ◀de▶ ◀la▶ fin du xviiie ; des sujets dans ◀le▶ goût allemand, tels sont ◀les▶ éléments qui composent non sans paradoxe ce recueil ◀de▶ « motifs » romantiques et ◀de▶ frissons anarchiques. ◀Le▶ thème commun, c’est sans doute ◀l’▶atrocité ◀de▶ ◀la▶ « vie normale », ou si ◀l’▶on préfère, ◀l’▶amertume du cœur humain découvrant son impuissance à susciter dans ◀le▶ monde ◀l’▶amour dont il aurait besoin, qu’il imagine et dont il meurt. Car ◀la▶ vie est une espèce ◀de▶ marâtre et n’a que faire ◀de▶ nos tendresses. ◀Les▶ sujets ◀de▶ Jean Cassou sont très particuliers — jusqu’à ◀l’▶arbitraire parfois —, ce dont on hésite à lui faire reproche, car ce qui lui importe, comme à nous, c’est précisément ◀le▶ sentiment ◀d’▶absurdité qui se dégage ◀de▶ pareils faits lorsque ◀l’▶esprit s’y attache et que ◀l’▶amour ou ◀la▶ pitié essaient sur eux leurs forces. ◀Le▶ monde est habité par des êtres dont ◀le▶ « bonheur » consiste à ne pas se rendre compte ◀de▶ ce qu’ils vivent. Dans quelques-uns des plus significatifs ◀de▶ ces récits (Dieu et ◀le▶ sommeil, ◀Les▶ Fins dernières) ◀l’▶on assiste à un réveil, explosion ◀de▶ révolte ou ◀de▶ joie, tellement incompatible avec ◀les▶ « conditions » ◀de▶ ◀la▶ vie que mort s’en suit.
Sarah est donc un recueil ◀de▶ contes romantiques, cas tout à fait rare dans ◀la▶ littérature française, et qui comporte en soi quelque chose ◀de▶ déconcertant. Il semble bien que Jean Cassou trouve ici sa forme ◀la▶ plus personnelle et persuasive. Son espagnolisme et son germanisme révèlent ici ◀d’▶heureuses complicités sentimentales. Ce qui gêne pourtant, en plusieurs endroits, c’est un certain tour désinvolte, ◀le▶ coup ◀de▶ pouce voltairien, ◀l’▶élégance trop rapide. Il n’est pas bon qu’un conteur laisse voir ◀la▶ moindre ironie vis-à-vis de ses personnages ; car il risque ◀de▶ ◀les▶ priver par là ◀de▶ cette autorité mystique, absolue et naïve où gît leur profonde raison ◀d’▶être. C’est pourquoi ◀les▶ meilleurs contes du volume sont ceux dont ◀la▶ lenteur nous retient. Ainsi Sarah, Monsieur Hoog, qui atteignent à une qualité ◀d’▶émotion vraiment pure et insistante. Mais ◀le▶ mérite original et important ◀d’▶un tel livre me paraît résider avant tout dans ◀l’▶ordre des faits qu’il met en jeu, dans ◀la▶ problématique qu’il parvient à susciter au cours de ces brèves imaginations, avec une bonhomie ◀d’▶autant plus touchante qu’elle figure, je pense, pour ◀l’▶auteur, une sorte ◀de▶ consolation un peu forcée que ◀le▶ cœur s’accorde en dépit de tout, tandis que ◀l’▶esprit demeure évasif et lucide devant ◀les▶ conditions que ◀le▶ monde lui propose.