La▶ pluie et ◀le▶ beau temps (Dialogue dans une tête) (1932)ae af
Lord Artur. — Vous êtes terriblement jolie aujourd’hui, Mademoiselle Sonnette, avec qui avez-vous été méchante ?
Sonnette. — Lord Artur, je ne suis pas une mauvaise femme, et si vous n’étiez pas si retors, vous verriez bien que je ne suis pas plus coquette qu’une autre. Mais ◀les▶ hommes comme vous aiment que ◀les▶ femmes soient coquettes à ◀les▶ faire doucement frémir ◀de▶ rage ; ils aiment s’obstiner et c’est pourquoi nous aimons leur échapper. Vous êtes bien injuste avec moi quand vous me reprochez ◀d’▶être méchante : je suis à peine coquette, et vous savez que c’est un plaisir qu’on ne peut pas nous refuser ; du reste, cela me rend plus jolie, quelqu’un me ◀l’▶a dit hier encore, vous ne saurez pas qui.
Lord Artur. — Ravissante Sonnette, vos paroles ne sont pas pour ◀les▶ oreilles, mais pour ◀les▶ lèvres ◀de▶ ceux qui vous aiment. Car elles sont insensées, mais comme des baisers dans ◀l’▶air. Je voudrais vous poser une question, Sonnette. Une question très grave. Une question qui revient à peu près à ceci : Êtes-vous un être capable ◀d’▶aimer, ou seulement une apparence adorable ? Et voici cette question : Aimez-vous mieux ◀la▶ pluie ou ◀le▶ beau temps ?
Sonnette. — Pfi ! comme c’est drôle ! C’est moi qui fais ◀la▶ pluie et ◀le▶ beau temps.
Lord Artur. — Certes, ◀la▶ réponse serait sage, si seulement vous saviez ce que vous dites. Mais, en vérité, que signifient pour vous ◀le▶ beau temps et ◀la▶ pluie ? Est-ce que c’est rire et pleurer ? Est-ce que c’est ◀le▶ bonheur et ◀la▶ tristesse ? Est-ce que vous préférez l’un à l’autre ?
Sonnette. — Petite leçon ◀de▶ météorologie sentimentale. Comme vous êtes un profond pédant, dans cinq minutes je ne saurai plus même voir s’il fait beau ou s’il fait vilain.
Lord Artur. — Je pense sérieusement que vous ne ◀l’▶avez jamais su. Pas plus que vous n’avez jamais su si vous préfériez ◀le▶ bonheur ou ◀la▶ tristesse. Car vous ne savez pas où est votre bien. C’est pourquoi ◀les▶ mots vous paraissent simples, évidents et indifférents. C’est pourquoi vous admettez que « beau » temps est ◀le▶ contraire ◀de▶ « mauvais » temps, et vous n’avez jamais cherché ce que doit être ◀le▶ « bon » temps, ni si ◀les▶ tempêtes sont « belles ». C’est pourquoi vous pensez encore que ◀le▶ bonheur peut exister en dehors de ◀la▶ souffrance, et même qu’il est ◀le▶ contraire ◀de▶ ◀la▶ souffrance. C’est pourquoi vos rêves composent toujours ◀le▶ même paysage ◀de▶ carte postale en couleurs, idéal inévitable ◀de▶ ceux qui n’ont pas ◀de▶ point de vue sur ◀le▶ beau temps. Écoutez-moi bien, Sonnette : Vos actions et vos pensées, votre conception ◀de▶ ◀l’▶amour se réfèrent en vérité à une carte postale en couleurs. Et non pas à ◀la▶ réalité. Car vous n’aimez pas réfléchir à ◀la▶ souffrance.
(Un silence.)
Sans doute, Sonnette, portez-vous ◀de▶ ces courtes bottes vernies, quand il pleut ?
Sonnette. — Quand j’étais petite fille, j’aimais me promener à ◀la▶ lisière des forêts, ◀les▶ jambes nues sous ◀la▶ pluie. ◀L’▶herbe était pleine ◀de▶ sales limaces et ◀de▶ petits escargots, et ◀les▶ framboises humides avaient un délicieux goût fade. Je rentrais toute fière ◀de▶ mes genoux griffés comme ceux des garçons, et ◀le▶ soir quand on me faisait souhaiter dans ma prière « qu’il fasse beau demain », je pensais en dessous que j’aimais mieux ◀les▶ herbes mouillées.
Lord Artur. — On dit souvent des femmes qu’elles sont naturellement païennes. Mais ◀les▶ peuples païens sont toujours religieux, alors que ◀les▶ femmes ◀de▶ ce temps sont seulement sournoises.
Sonnette. — Lord Artur, vous m’amusez beaucoup. Vraiment vous devez être jaloux ce soir. Quand vous cédez à votre manie ◀de▶ remuer des métaphysiques à propos de petits riens, c’est toujours par dépit amoureux. Si je vous laisse aller, ou si peut-être je vous pousse un peu, vous finirez par démontrer qu’il faut être chrétien pour comprendre quoi que ce soit à ◀la▶ pluie et au beau temps.
Lord Artur. — J’ai toujours estimé, Sonnette, que vous extrêmement intelligente. Je regrette profondément que vous n’ayez pas plus ◀de▶ sens qu’un oiseau.
Sonnette, si vous étiez païenne ou si vous étiez chrétienne, vous sauriez ce que c’est que ◀le▶ beau temps. Si vous étiez païenne et que vous adoriez ◀la▶ lumière, ◀le▶ beau temps vous serait un Dieu rendu visible ; et votre « bonheur » rien de plus que l’un des noms ◀de▶ sa présence. Mais un jour ◀la▶ lumière est morte autour de nous, elle est morte à ◀la▶ surface des choses pour renaître au centre ◀de▶ ◀l’▶homme. Et, dès lors, ◀de▶ tous ◀les▶ événements qui paraissent autour de nous, aucun n’importe, sinon celui qui dans ◀le▶ même temps se passe à ◀l’▶intérieur ◀d’▶un être. Ainsi tout est changé, mais peu ◀le▶ savent. Peu savent ◀le▶ chemin qui va du signe à ◀l’▶être.
Longues pluies ◀de▶ printemps sur ◀la▶ campagne recueillie, tempêtes sur ◀les▶ pentes, — beau temps ◀de▶ ◀la▶ présence. Car tu sais pour quel « bien » désiré tu ◀les▶ aimes ; mais tu sais qu’au soleil ◀de▶ ◀l’▶aube aussi d’autres fois tu ◀l’▶as possédé. Tu comprends maintenant qu’il ne faut pas choisir parmi tant de choses créées, mais seulement distinguer en toi-même leur convenable sens. Et quand tu connaîtras où se situe leur lieu, établis en ce lieu ◀la▶ demeure ◀de▶ tes pensées.
Ainsi, nous dit ◀la▶ Fable, fit Myscille, habitant ◀d’▶Argos. N’ayant pu débrouiller ◀le▶ sens ◀de▶ ◀l’▶Oracle qui lui avait dit ◀d’▶aller bâtir une ville là où il trouverait ◀la▶ pluie et ◀le▶ beau temps, il rencontra en Italie une courtisane qui pleurait ; et en ce lieu bâtit ◀la▶ ville ◀de▶ Crotone.
Sonnette. — J’aime vos histoires, Lord Artur. (Un temps.) — Dites-moi, Lord Artur, si je pleurais, quel temps ferait-il pour vous ?
Lord Artur. — … ◀Le▶ beau mot : courtisane… Ce n’est pas qu’elle soit belle, peut-être, mais qu’elle pleure, qui me réchauffe. Parce qu’elle se tient là « vêtue ◀de▶ son péché », — comme une courtisane. Mais vous n’êtes qu’une petite fille.20