Romanciers protestants (janvier 1932)q
Nos gloires nous jugent
C’est un fait digne d’▶intérêt, et que personne, croyons-nous, n’a relevé, que ◀les▶ grands « succès » littéraires ◀de▶ ◀l’▶année 1931 soient allés à trois romans ◀d’▶écrivains protestants : Pierre Bost, Jacques Chardonne et Jean Schlumberger.
— Écrivains protestants, vraiment ?… Ou bien, protestants qui écrivent ? — Mais voyons d’abord ◀les▶ œuvres.
◀La▶ critique à peu près unanime a salué dans ◀Le▶ Scandale ◀la▶ meilleure œuvre ◀de▶ M. Bost, une espèce ◀de▶ somme romanesque des errements ◀de▶ ◀la▶ jeunesse ◀d’▶après-guerre. ◀La▶ Claire ◀de▶ M. Chardonne a rallié tous ◀les▶ suffrages féminins, et classe son auteur dans ◀la▶ lignée ◀de▶ ces fameux « moralistes français » auxquels nous pardonnons souvent ◀d’▶être des romanciers assez ternes, pour ◀le▶ plaisir que par ailleurs ils donnent à notre intelligence plus avide, au fond, ◀de▶ formules adroites que ◀de▶ drames vivants. Saint-Saturnin enfin, vaste et pathétique tableau ◀d’▶un domaine et ◀d’▶une famille dont ◀la▶ mystique se révèle au cours ◀d’▶un épisode central traité en profondeur — roman-plongée pourrait-on dire —, ◀d’▶une sourde et hautaine gravité, apparaît comme le premier chef-d’œuvre ◀d’▶une sorte ◀de▶ renaissance cornélienne.
Dans ◀la▶ discordante après-guerre, Jean Schlumberger semblait devoir rester ◀le▶ seul tenant du classicisme romanesque ; mais voici qu’on proclame au contraire ◀l’▶avènement ◀d’▶une littérature nouvelle28, dont cette œuvre serait comme ◀le▶ frontispice (aux beaux noirs et gris profonds). Un critique fort écouté29, à son propos, fit observer que ◀les▶ romanciers protestants montrent ◀de▶ préférence ◀la▶ famille dans sa force ◀de▶ conservation morale, alors que ◀le▶ catholique Mauriac s’attarde au spectacle de sa décomposition. Ici ◀la▶ famille qui résiste, là ◀la▶ famille qui se défait30. Mais gardons-nous ◀de▶ voir dans ce contraste autre chose que ◀la▶ vieille opposition du sacrifice cornélien et ◀de▶ ◀la▶ passion racinienne, — opposition qui se prolonge et trouve son expression moderne dans des œuvres bien plus caractéristiques ◀d’▶une éducation protestante ou catholique, que ◀d’▶une inspiration vraiment chrétienne. Car c’est à juste titre, croyons-nous, qu’on put écrire ◀de▶ Saint-Saturnin qu’un tel roman exprime « toute ◀la▶ grandeur — et toute ◀la▶ misère — des protestants sans foi »31.
Quoi qu’il en fût d’ailleurs ◀de▶ ◀la▶ portée religieuse des trois œuvres, ◀l’▶on se sentait tenté ◀de▶ marquer ici ◀d’▶une pierre blanche « ◀l’▶année du roman protestant ». À ◀la▶ réflexion, ◀l’▶on y a renoncé, pour des raisons d’ordre général et comme indépendantes des auteurs et des œuvres.
Délimiter un « parti protestant » dans nos Lettres, n’était-ce point, d’abord, céder à ◀la▶ tentation ◀d’▶un nationalisme religieux plus injustifiable que l’autre ? Je sais bien que certains « protestants » nous y pousseraient, à force de reniements et ◀d’▶ignorance ◀de▶ nos richesses, ◀de▶ fausses hontes et ◀de▶ sourires complices. ◀La▶ question toutefois doit être portée sur un plan supérieur à toute polémique : s’agit-il jamais en effet pour ◀les▶ témoins ◀d’▶une confession, ◀de▶ faire ◀le▶ compte ◀de▶ leurs gloires ? Ne doivent-ils pas au contraire considérer celles-ci comme leur accusation perpétuelle ? Car ◀la▶ vraie question qu’elles posent, chrétiennement, c’est ◀de▶ savoir si nous ◀les▶ méritons encore. Comme ◀le▶ disait un homme ◀d’▶esprit, plus ◀l’▶ancêtre dont on se réclame est éloigné, moins on a ◀de▶ chances ◀d’▶en tenir…
C’est ainsi que nos gloires passées, martyrs, camisards et prophètes, nous condamnent dans ◀la▶ mesure où elles furent authentiques. Mais d’autre part certaines « célébrités » politiques ou intellectuelles plus récentes et discutables, dont nos apologètes se réclament volontiers, n’en constituent pas moins pour notre protestantisme un jugement indirect ◀d’▶une impitoyable et significative sévérité. Et dès lors, c’est cela qu’il nous paraît utile et nécessaire, aujourd’hui, ◀de▶ confesser. Aussi bien, ◀la▶ force qui nous est promise doit-elle nous rendre ce courage léger.
◀Le▶ moralisme nous trahit
Partons du cas concret ◀de▶ nos trois auteurs. ◀Le▶ problème, à vrai dire, ◀les▶ dépasse, mais il n’est pas mauvais ◀de▶ ◀l’▶actualiser, ◀de▶ ◀le▶ rétrécir, si ◀de▶ ◀la▶ sorte nous sentons mieux sa pointe.
◀Les▶ héros du Scandale, provinciaux énervés par ◀la▶ vie des bars ◀de▶ ◀la▶ capitale nous apparaissent incapables ◀de▶ transporter dans ce décor ◀les▶ dilemmes religieux ◀d’▶une vie intérieure que ◀l’▶on sent parfois sous-jacente, mais trop timide à s’exprimer. ◀Le▶ couple que Jacques Chardonne étudie dans Claire poursuit un bonheur purement égoïste, et par là si précaire qu’il côtoie bien souvent ◀l’▶angoisse, ou pis encore : un sentiment ◀d’▶indifférence et ◀d’▶inutilité. Quant à ◀l’▶auteur ◀de▶ Saint-Saturnin, il semble qu’une véritable préméditation — où ◀l’▶on n’eût voulu voir qu’une pudeur — lui fait éviter toute allusion chrétienne, au point qu’en tels endroits où ◀la▶ vraisemblance voudrait que ◀le▶ nom ◀de▶ Dieu fût invoqué (je pense au testament ◀de▶ ◀la▶ mère par exemple), c’est au « sort » que ◀l’▶on s’en remet, ni plus ni moins que dans un drame antique. M. Saurat doit se tromper, lorsqu’il note que dans ce conflit moral, Dieu est « tranquillement oublié ». Il y a visiblement chez Jean Schlumberger une volonté consciente ◀de▶ réduire ◀l’▶homme à sa seule virtu.
Donc : refus ou ignorance des catégories ◀de▶ ◀la▶ grâce et du péché ; un certain ascétisme ◀de▶ ◀la▶ forme, mais jamais rien ◀d’▶explicitement religieux : cela n’a point empêché ces trois romans ◀de▶ faire figure, aux yeux de beaucoup, ◀de▶ livres « bien protestants ». Je serais même tenté ◀de▶ dire, forçant un peu ma thèse, que ces traits négatifs, alliés à ◀d’▶évidentes préoccupations morales, composent précisément ce que beaucoup se plaisent à nommer « un caractère protestant »32. Et c’est cela qui est grave, — ◀d’▶autant plus grave que nombre ◀de▶ protestants tiennent à honneur ◀de▶ compromettre ◀la▶ Réforme avec cette attitude, et ◀de▶ prolonger un malentendu qu’ils jugent peut-être flatteur, ou commode. Cette espèce ◀de▶ stoïcisme moral, dans lequel nous voyons se complaire beaucoup de « protestants par tradition », pourtant cache assez mal ◀la▶ faiblesse ◀d’▶un compromis foncier. ◀Le▶ fort est celui qui refuse ◀la▶ louange approximative. Nous ne saurions assez nous garder ◀d’▶accepter des adhésions qui vont aux produits déviés ◀de▶ notre foi. Il est vrai que ceux-ci sont souvent ◀les▶ plus éclatants. Car un système politique, une doctrine, une éthique, s’ils s’abandonnent ◀de▶ tout leur poids à quelque erreur interne, ne vont pas forcément à ◀la▶ ruine immédiate, dans notre monde tel qu’il est. Mais c’est parfois, bien au contraire, par leur succès et dans leur épanouissement qu’ils manifestent au jour leurs faussetés et qu’ils se trouvent, aux yeux de ◀l’▶esprit, ◀le▶ plus durement jugés.
Était-ce affaiblissement ◀de▶ notre foi dans ◀l’▶avenir ◀de▶ ◀la▶ Réforme, besoin minoritaire ◀de▶ trouver des alliés à bon compte sur un terrain où ◀la▶ compromission semblait pratiquement acceptable ? Nous avons trop souvent et bien trop volontiers souffert que ◀l’▶on nous attribue un moralisme tout semblable à celui des athées, — au lieu qu’il eût fallu du premier coup ◀le▶ dénoncer, comme radicalement contraire à notre foi originale. ◀Le▶ siècle, hélas, décorait du beau nom ◀de▶ libéralisme ◀l’▶absence ◀de▶ toute exigence unifiante entre ◀la▶ pensée et ◀l’▶action. Certes, nos prédicateurs affirmaient ◀le▶ salut gratuit par ◀la▶ foi ; mais d’autre part nous prêtions des mains complices à des œuvres qui relevaient ◀de▶ conceptions nettement a-chrétiennes ◀de▶ ◀la▶ « moralité publique » par exemple. Et quelles qu’aient été ◀les▶ affirmations souvent indignées ◀de▶ nos docteurs, un fait prit corps, irréfutable : dans ◀l’▶esprit du Français moyen, « protestant » devint synonyme ◀de▶ « moraliste ». Était-ce qu’il y avait dans ◀l’▶accent ◀de▶ ces docteurs-là quelque chose qui ◀les▶ empêchait ◀de▶ convaincre ?
Tel étant ◀l’▶état des choses, suffira-t-il ◀de▶ déplorer une incompréhension publique dont nous sommes en grande partie responsables ? Nous montrons-nous assez soucieux ◀de▶ nous désolidariser ◀de▶ certaines formes ◀de▶ pensée ou ◀d’▶action dans lesquelles nos pères crurent trouver des appuis, mais dont nous souffrons ◀d’▶autant plus vivement que ◀le▶ monde actuel nous met en demeure ◀d’▶abandonner tout ce qui, dans notre éthique, s’inspire ◀d’▶un conformisme bourgeois plutôt que ◀de▶ ◀l’▶héroïsme chrétien ? En particulier, sommes-nous toujours assez conscients des fondements ◀de▶ notre foi pour récuser, dans « ◀l’▶esprit protestant », tout ce qui rend inutile ◀la▶ grâce ? Il y va pourtant ◀de▶ notre force ◀de▶ conquête.
Que nous ◀le▶ voulions ou non, en fait, sinon toujours en droit, ◀l’▶héritage intellectuel du protestantisme du xixe siècle se réduit, aux yeux de nos contemporains, à un moralisme libéral. Nous savons ce qu’une telle vue a ◀d’▶injuste, c’est-à-dire ◀d’▶incomplet. Mais comment n’être point frappés ◀de▶ sa généralité, ◀de▶ son insistance… Et ◀de▶ ce fait qui paraît bien ◀la▶ confirmer : ◀le▶ dessèchement distingué ◀de▶ notre art.
Toute forme religieuse donne lieu à des formes ◀d’▶art qui manifestent ses traits spécifiques. On peut donc poser que ◀le▶ protestantisme ◀de▶ ◀la▶ fin du xixe siècle, tel que nos contemporains se ◀le▶ représentent, ne pouvait s’exprimer que dans ◀la▶ forme du roman moraliste (forme qui par ailleurs flattait un penchant traditionnel ◀de▶ ◀l’▶esprit français). Cela pouvait donner soit des œuvres ◀d’▶analyse tendant à dissoudre ◀les▶ affirmations massives ◀de▶ ◀la▶ foi ; soit des œuvres ◀d’▶édification morale, au sens littéral du terme : tendance stoïcienne ; soit des œuvres ◀de▶ révolte contre cette morale — tendance nietzschéenne. Tout ceci ne participant que très indirectement ◀d’▶une atmosphère proprement chrétienne. Or voici que ◀les▶ faits confirment cette vue théorique : Loti, Schlumberger, Gide, ◀le▶ désenchanté, ◀le▶ stoïcien, ◀le▶ révolté, — trois noms parfaitement représentatifs33.
Bilan fort honorable du point de vue purement littéraire, si ◀l’▶on tient compte ◀de▶ ◀la▶ faiblesse numérique des protestants français. Bilan terriblement déficitaire si ◀l’▶on prend au sérieux ◀la▶ grandeur impérieuse et fulgurante du véritable calvinisme.
Or nous n’hésitons plus à rendre responsable ◀de▶ cette carence ◀de▶ ◀la▶ poésie et du rayonnement spirituel notre fameux moralisme, traître à ses origines, et vidé ◀de▶ toute théologie efficace. Peut-être vaut-il ◀la▶ peine ◀de▶ préciser ici et ◀de▶ pousser dans ◀le▶ détail une accusation que certains, déjà, disent banale, pour lui ôter sa force, je ◀le▶ crains.
◀Le▶ puritanisme, expression ◀d’▶une doctrine héroïque, pouvait provoquer dans ◀les▶ âmes des complexités merveilleuses, un pathétique aux résonances profondes : Milton. Mais ◀le▶ moralisme détendu que ◀la▶ théologie libérale prétendit conserver, fut bientôt réduit au rôle ◀d’▶une censure tatillonne et qui flattait curieusement certaine notion ◀de▶ « correction » bourgeoise. Nullement chrétienne d’ailleurs, puisqu’elle récusait à la fois ◀la▶ charité, ◀le▶ risque, ◀l’▶abandon et ◀la▶ divine légèreté, c’est-à-dire, qu’elle récusait ◀la▶ grâce autant que ◀le▶ péché.
◀La▶ censure moraliste est avant tout peureuse. Elle « craint » ◀la▶ vérité ; non point au sens ◀de▶ ce verbe qui signifie ◀la▶ révérence, mais comme on craint ◀le▶ risque, que Jésus n’a jamais craint. Et c’est en quoi elle révèle ◀la▶ faiblesse ◀de▶ sa théologie. Car il est certains cas où celui qui craint ◀de▶ dire toute ◀la▶ vérité n’exprime par là rien ◀d’▶autre que sa méfiance vis-à-vis de ◀la▶ grâce et son optimisme vis-à-vis de ◀la▶ nature humaine, qui, selon cette vue, serait bonne, ou du moins meilleure, si on ◀la▶ « préservait » du mal. Ainsi Rousseau ◀le▶ libertaire doit et peut être moraliste, tandis que Calvin ◀l’▶orthodoxe ne saurait ◀l’▶être sans renier ◀le▶ fondement ◀de▶ sa croyance34. Or nous voyons ◀le▶ moralisme se développer précisément à ◀l’▶époque où ◀la▶ théologie ◀de▶ Calvin, pessimiste quant à ◀l’▶homme, mais confiante dans ◀la▶ grâce, cède ◀le▶ champ aux idées ◀de▶ Rousseau, optimistes quant à ◀l’▶homme et pratiquement athées.
Voici donc ◀l’▶homme, dans sa condition menacée, réduit aux seules défenses qu’invente son calcul. Voici ◀l’▶homme livré à lui-même, c’est-à-dire à son pire ennemi. Morne triomphe ◀de▶ ◀l’▶analyse psychologique. Un siècle ◀de▶ ce régime suffit à nous mener à ce trouble gâchis intérieur où Freud naguère porta ◀l’▶impitoyable lumière ◀de▶ ◀l’▶observation scientifique. Reflet du siècle, ◀le▶ roman bientôt s’affaiblit à force de se compliquer, et tend à se réduire à une casuistique. Comment imaginer et comment animer des êtres, lorsqu’à chaque moment ◀de▶ ◀la▶ création intervient une autocritique à la fois peureuse et agressive ? Il y faudrait une puissance décuplée, excessive, et qui, par ◀la▶ force des choses, tournerait bientôt en révolte, en insolence, en démence : Nietzsche. Ainsi ◀l’▶atmosphère moraliste a tué ◀les▶ germes ◀de▶ ◀l’▶imagination créatrice chez ◀les▶ protestants, qui lui furent plus que d’autres soumis, de par leur sérieux traditionnel. Et quand elle n’est point parvenue à ◀les▶ étouffer, elle a souvent faussé ◀le▶ développement ◀de▶ ces germes ; ◀les▶ produits ◀d’▶une terre ingrate grandissent comme une dérision ◀de▶ ◀la▶ pauvreté maternelle, comme une caricature ◀de▶ ◀la▶ sécheresse à laquelle ils s’opposent, mais qu’ils manifestent en même temps avec une ironie plus cruelle souvent que ◀la▶ stérilité. Sécheresse désolée ◀de▶ Benjamin Constant, impuissance et bavardage ◀d’▶Amiel, désespérance vaniteuse ◀de▶ Loti : telles sont ◀les▶ réactions irrécusables et célèbres que provoqua ◀le▶ moralisme perverti. Il eût conduit ◀le▶ protestantisme à ◀la▶ négation absolue ◀de▶ son essence35, si ◀l’▶humanité ne possédait d’autres recours que ceux qu’elle peut imaginer en dehors de ◀la▶ grâce, c’est-à-dire ◀la▶ police des mœurs, ◀l’▶éducation bourgeoise et ces blasphématoires « hygiènes ◀de▶ ◀l’▶esprit » dont ◀les▶ ravages ne prendront fin qu’au jour où nous aurons compris que ◀la▶ santé est dans ◀l’▶humilité ◀de▶ ◀la▶ prière, dans ◀la▶ reconnaissance éperdue ◀de▶ notre incapacité à faire par nous-mêmes ◀le▶ bien, dans ◀l’▶abandon aux mains ◀de▶ Dieu, — aux violentes mains ◀de▶ Dieu.
Un cantique nouveau
Nous voici loin de nos auteurs. Si loin qu’en somme ils ne sont guère atteints par tout ceci. Mais quoi ? ◀Le▶ but ne fut jamais ◀de▶ démolir, mais bien plutôt ◀de▶ dénoncer un principe destructeur. C’est au nom d’une foi positive que ◀l’▶on attaque ici ◀le▶ moralisme survivant, c’est au nom d’une grande espérance. Que devons-nous attendre ? Tout, ◀d’▶un réveil dogmatique qui, s’il traduit et porte un réveil ◀de▶ ◀la▶ foi, ne peut manquer ◀de▶ libérer des forces créatrices. Or ◀les▶ temps vont nous y contraindre.
Que rien ne soit plus favorable à ◀l’▶art que ◀l’▶évangélisme dans sa pureté, héroïque ou sereine, il faudrait pour en douter que ◀l’▶on ait oublié ◀les▶ plus grands noms : Milton, Bach, Rembrandt, ◀les▶ sœurs Brontë, Henrik Ibsen et ces deux Danois prodigieux, Hans-Christian Andersen et Søren Kierkegaard. (Féerie du Conte ◀de▶ ma vie ◀d’▶Andersen, où ◀l’▶on voit ce « poète des poètes » à ◀la▶ sensibilité si authentiquement évangélique — comme celle ◀d’▶une Lagerlöf — se lier ◀d’▶amitiés spirituelles avec Charles Dickens, Jenny Lind, Thorwaldsen.)
◀Les▶ romans russes et ◀les▶ romans anglais du xixe siècle nous laissent entrevoir ce que pourraient être des œuvres modernes inspirées, comme ◀le▶ furent ◀les▶ plus grandes, par ◀le▶ sentiment tragique du péché et ◀de▶ ◀la▶ grâce souveraine. C’est cela qui donne aux romans ◀de▶ Dostoïevski ou ◀d’▶Émily Brontë ces prolongements poétiques, ces perspectives bouleversantes qui manqueront toujours aux œuvres nées sous ◀le▶ signe fatal du moralisme. ◀La▶ grande poésie naît du tragique et ◀de▶ ◀la▶ joie surabondante : verrons-nous quelque jour en France surgir une poésie chrétienne ◀d’▶inspiration évangélique ? Souhaitons qu’il n’y faille pas ◀les▶ conjonctures sanglantes ◀d’▶où naquirent ◀les▶ Tragiques ◀d’▶un ◀d’▶Aubigné. Aussi bien avons-nous d’autres raisons ◀d’▶espérer. Car si ◀la▶ forme artistique adéquate au libéralisme fut ◀l’▶analyse ◀d’▶états ◀d’▶âme dans ◀le▶ doute, il est permis ◀d’▶attendre ◀de▶ ◀la▶ violence même ◀d’▶une théologie du Dieu Tout-Puissant qu’elle suscite ◀de▶ nouveaux psaumes36, qu’elle enflamme des chants prophétiques.
Et ◀l’▶Éternel enfin sera loué « selon ◀l’▶immensité ◀de▶ sa grandeur » comme il est dit au dernier psaume.