Poésie dialectique (juillet 1933)f
Au cours d’▶un article paru en Suisse allemande, ◀le▶ professeur O.-E. Strasser déclare que ◀le▶ sonnet publié par Albert-Marie Schmidt dans notre premier numéro « est bien la première poésie dialectique qui lui soit tombée sous ◀les▶ yeux » ! Petite erreur ◀de▶ fait, voulons-nous croire, mais aggravée par ◀l’▶ironie dont ◀le▶ professeur nous accable à cette occasion. Erreur qui lèse à la fois ◀l’▶histoire littéraire, ◀la▶ dialectique et ◀la▶ poésie. Car :
1° Toute ◀la▶ poésie ◀de▶ ◀la▶ Réforme jusqu’au xviie siècle peut être qualifiée ◀de▶ dialectique : c’est ◀le▶ « wit » des poètes métaphysiciens ◀de▶ ◀la▶ Renaissance anglaise, John Donne, Crashaw, Marvell, Herbert, Vaughan et vingt autres, la plupart convertis au protestantisme ; c’est ◀le▶ style antithétique des huguenots contemporains ◀de▶ ◀la▶ Pléiade, si méchamment enterrés par ◀les▶ jésuites dans leurs Histoires ◀de▶ ◀la▶ littérature française (pour ne rien dire des lamentables dédains ◀de▶ M. Lanson parlant ◀de▶ Du Bartas, ce géant — mais nous y reviendrons) ; ce sont ◀les▶ sonnets ◀de▶ Goulard, admirable commentateur ◀de▶ Du Bartas, et toute une école ◀de▶ poètes calvinistes imbus des théories cosmologiques ◀de▶ Paracelse ; ce sont encore en plein xviie siècle, ◀les▶ Sonnets spirituels ◀d’▶un Gombaud. Et je cite au hasard ◀d’▶une mémoire mal informée. Et je ne dis rien ◀de▶ ◀la▶ dialectique ◀de▶ Polyeucte…
2° ◀La▶ vision dialectique jetant ◀l’▶homme dans une situation dramatique ; lui révélant ◀le▶ néant ◀de▶ ses idoles et ◀la▶ nouveauté inénarrable ◀de▶ ◀l’▶instant où ◀la▶ Parole lui est adressée ; enfin, excitant en lui ◀l’▶espoir infini au sein du désespoir et ◀la▶ joie ◀de▶ ◀la▶ Promesse invisible, — cette vision donnée à ◀l’▶homme, est ◀la▶ plus propre à créer en lui ◀l’▶organe ◀d’▶une haute poésie.
3° Enfin toute poésie ne serait-elle pas, dans son essence, dialectique ? ◀La▶ métaphore ne tire-t-elle pas sa puissance ◀de▶ ◀la▶ nouveauté paradoxale des rapprochements qu’elle opère ? Ne jaillit-elle pas ◀de▶ ◀la▶ tension des contradictoires qu’elle saisit en une seule image, indiquant par cette image beaucoup plus que ce qu’il y a dans chacun ◀de▶ ses termes, désignant au-delà ◀d’▶elle-même une réalité ◀d’▶un autre ordre et que ◀les▶ mots n’atteignent jamais directement ?…
Nous développerons un jour ces thèmes que je me borne ici à suggérer. Voici en attendant ◀la▶ traduction ◀d’▶un hymne ◀de▶ John Donne (1573-1661), ◀le▶ plus grand des « poètes métaphysiciens » ◀de▶ ◀l’▶école anglaise. Une première traduction ◀de▶ cet hymne, dont nous nous sommes inspirés, a paru dans ◀la▶ Nouvelle Revue française du 1er avril 1923 (trad. Jean de Menasce).
N. B. — ◀Le▶ poème contient deux jeux ◀de▶ mots intraduisibles : « When thou hast done, thou hast not done » (vers 5) peut signifier aussi : « Quand tu auras ce Donne, tu n’auras pas encore Donne. » Et au troisième vers ◀de▶ la dernière strophe, Sonne peut signifier, dans ◀la▶ langue ◀de▶ ◀l’▶époque, Soleil ou Fils.
Pardonneras-tu ce péché où j’ai pris naissance,Ce péché mien, bien qu’avant moi commis ?Quand tu auras fini, tu n’auras rien finiCar il y a plus.Pardonneras-tu ce péché par lequel j’entraînaiPardonneras-tu ce péché que j’ai fuiUn an ou deux, où vingt ans j’ai croupi ?Quand tu auras fini, tu n’auras rien fini,Car il y a plus.
John Donne