Les parlementaires contre le Parlement (octobre 1933)f g
Le Parlement, dans le système actuel, a deux missions : d’une part, coordonner le travail de▶ tous et diriger celui qui, dans une société équilibrée, incombe à l’État, c’est ce que nous appelons le domaine du plan ; ◀de▶ l’autre, il a à protéger l’action ◀de▶ tout ce qui n’est pas l’État : départements, communes, corporations, familles, individus.
Dans le premier cas il doit accomplir un travail constructif, dans le deuxième il doit défendre des libertés.
Or non seulement le Parlement actuel (depuis que les grands bourgeois qui défendaient ce qu’ils croyaient être des intérêts ont cédé la place aux gens ◀de▶ gauche qui défendent ce qu’ils croient être des idées) ne remplit pas ces deux missions, mais il les trahit, transportant, quand il agit, les méthodes ◀de▶ travail ◀d’▶un domaine dans l’autre, aboutissant, en un mot, au désordre.
D’abord dans le domaine où il devrait agir, non seulement le Parlement n’agit pas, non seulement il laisse agir à sa place des fonctionnaires dont ce n’est pas le rôle, mais il oblige ceux-ci à opérer — quelquefois d’ailleurs avec un rare bonheur — en dehors et le plus souvent contre lui. (Notons qu’avec la dégradation des temps quand ce ne sont plus des fonctionnaires qui se cachent pour agir, ce sont des hommes ◀d’▶affaires qui payent pour cela.)
M. Daniel Halévy a fait naguère, ◀de▶ ce point de vue, en quelques pages, une histoire pertinente ◀de▶ notre parlement. Aux républicains (mais personne n’emploie ce mot, ce qui a permis ◀de▶ ne pas percevoir le passage du temps où tout le inonde l’était au temps où personne ne l’est plus), aux républicains attardés et indulgents qui disent : « La République parlementaire, mais elle a fait l’Empire colonial, elle a constitué un système ◀d’▶alliance qui nous a sauvés en 1914 et on lui doit, pour ne citer que trois choses, une organisation scolaire qu’on peut ne pas aimer mais cohérente et qui existe », M. Daniel Halévy répondait en montrant l’Empire colonial constitué par quelques jeunes gens ardents, souvent exilés par dégoût, l’alliance russe préparée par les banques, l’entente franco-anglaise établie dans le silence du cabinet ◀de▶ Delcassé, l’organisation scolaire élaborée par des fonctionnaires laborieux et sectaires derrière les cartonnages poussiéreux ◀de▶ la rue de Grenelle. Et toujours, pour chaque chose, une loi sanctionnait le travail du dehors, mais arrachée en fin ◀de▶ séance par un député obscur, ami du colonial, du fonctionnaire ou du banquier, après la grande lutte laïque et obligatoire, à dix congénères endormis.
Aux lecteurs exigeants que le cadre ◀de▶ cet article ne nous permet pas ◀de▶ satisfaire nous promettons ◀d’▶envoyer, sur demande, des précisions et les numéros ◀de▶ l’Officiel.
D’ailleurs ce serait un jeu ◀d’▶allonger la liste et ◀de▶ montrer — sans prendre parti et sur le seul terrain objectif des faits — notre meilleur armement construit, avant-guerre, par des officiers « démissionnés » après les fiches, le patriotisme maintenu dans la jeunesse par des congrégations interdites, ou les lois sociales les plus honorables, non établies par un travail parlementaire sérieux — mais arrachées par démagogie au patronat apeuré par des tribuns verbeux.
Désordre ! Désordre ! Dans le domaine enfin où le Parlement devrait protéger et défendre les libertés locales, corporatives, familiales, individuelles, que voyons-nous au contraire ? une action précise mais par là même meurtrière et destructrice.
Le pouvoir local qui reste, dans l’incohérence actuelle, le plus authentique, le plus en harmonie avec les réalités françaises : celui ◀d’▶un maire et ◀de▶ son conseil municipal est chaque jour un peu plus dans la dépendance du préfet, lequel obéit aveuglément aux députés ◀de▶ son département.
Les initiatives locales dans ces conditions sont comme ce poisson qui, expédié ◀de▶ nos ports à Paris, revient, pour être consommé, dépourvu ◀de▶ fraîcheur et grevé ◀de▶ frais ◀de▶ transport. Après leur examen par les Chambres elles reviennent elles aussi dévitalisées, ayant perdu toute efficacité particulière et toute rapidité.
Il en est de même dans le domaine corporatif où l’homme, au lieu d’être chargé ◀de▶ sa propre protection, en collaboration avec ses pairs, est assuré malgré lui par des lois qui désorganisent tout sans satisfaire personne.
Dans la vie familiale ou individuelle elle-même enfin, tout effort constructif qui devrait être protégé est en fait empêché par le Parlement. Sous le coup ◀d’▶une fiscalité toujours plus oppressive et des taxes successorales, la propriété apparente, terrienne et immobilière, concrète enfin — c’est-à-dire tout ce qui stabilise et élève l’homme — disparaît, et il ne reste à ce dernier, livré au pire capitalisme, qu’à se ruiner « anonymement » ou à thésauriser.
Absent ◀de▶ sa tâche ou n’agissant que pour nuire, que peut bien représenter un parlementaire aux yeux de celui qui le nomme ? Plus rien qu’une machine à recommandation inutile et nécessaire. Il n’est pas un concours auquel on se présente, pas une place qu’on sollicite, pas même une démarche régulière qu’on entreprenne sans la recommandation ◀de▶ son député. Elle est sans efficacité puisque tout le monde l’obtient, mais par là même elle est nécessaire comme toute autre pièce du dossier.
Le Parlement !
Qu’a-t-il fait des hommes les plus nobles ?
Dans l’un des derniers cahiers ◀de▶ Maurice Barrès on trouve une triste et désarmante confidence. Barrès l’exprime avec son génie ◀de▶ mélancolie, mais en substance et dans sa brutalité la voici : Bien sûr, le parlement me dégoûte, mais je m’y plais parce que c’est un club.
Nous conclurons sur cet aveu. L’ayant lu, peut-on encore attendre quelque chose ◀d’▶un parlementaire, ◀de▶ quelques parlementaires ou ◀d’▶un groupe ◀de▶ parlementaires ?