Le Deuxième Jour de▶ la Création, par Ilya Ehrenbourg (décembre 1933)n
Ce titre curieusement biblique désigne le plan quinquennal. Voici donc le roman type ◀de▶ l’Édification socialiste. Bourré ◀de▶ petits faits vrais dont l’intention morale est évidente, il est doublement édifiant. Ceux qui ont aimé le Chemin ◀de▶ la ◀Vie▶ retrouveront ici l’atmosphère salubre, la naïveté puissante ◀de▶ ce film, et le même parti pris ◀de▶ bonne humeur héroïque. Tout ce qu’il faut pour entraîner l’adolescence avide ◀de▶ servir une grande cause et ◀de▶ se sacrifier pour le bonheur collectif. Chanson ◀de▶ Roland, fair-play, Baden-Powell, religion du travail. On a l’air ◀d’▶ironiser, mais lisez donc : vous serez pris, vous donnerez tort au traître, c’est-à-dire aux anarchistes, koulaks, admirateurs attardés ◀de▶ Dostoïevski, petites « personnalités », rouspéteurs et autres surréalistes, empêcheurs ◀de▶ danser en rond. Voici l’histoire en bref, — non pas l’intrigue ! tout cela est propre. Le jeune Kolka, prolétaire ◀de▶ bonne souche, part pour la Construction où il ne tarde pas à se distinguer par diverses actions ◀d’▶éclat. Il devient brigadier ◀de▶ choc. Grave et rieur, chaste, ignorant, avide ◀de▶ « culture ». Volodia, lui, est fils ◀de▶ bourgeois : taré donc, intellectuel, ratiocineur, il n’arrive pas, malgré ses plus loyaux efforts, à se passionner pour le problème ◀de▶ la fonte, qui est le problème dominant dans cette région ◀de▶ la Sibérie. Entre eux, une jeune et touchante Irina, qui choisira bien entendu Kolka dès qu’elle aura compris que l’autre « n’est pas né quand il aurait fallu ». L’Histoire a ◀de▶ ces exigences. On conseille à Volodia ◀de▶ se brûler la cervelle. Il se pend. Ce résumé fait le plus grand tort à l’ouvrage. Il est cependant exact. Mais les faits, même en Russie, ne sont rien sans la mystique. La force et le charme ◀de▶ ce roman sont ceux mêmes ◀d’▶une jeunesse fruste, innocente jusque dans ses cruautés ; tout jugement serait ici mesquin, on l’accordera volontiers à l’auteur.
Ehrenbourg a utilisé pêle-mêle une masse ◀de▶ documents qui parlent ◀d’▶eux-mêmes. Ils parlent peut-être plus qu’ils ne devraient. Ils nous montrent une jeunesse russe assez peu marxiste, mais encore moins révolutionnaire. Saine, orgueilleuse, zélée, optimiste, brutale, sentimentale, formidablement conformiste. Le puritanisme des komsomols a ceci ◀de▶ spécifiquement ennuyeux qu’il ne crée pas en eux le moindre refoulement. Ce qui suppose une remarquable absence ◀d’▶imagination. Le prochain plan y pourvoira peut-être. Tout cela est en pleine métamorphose. Mais voici un fait plus inquiétant : ce livre montre, par vingt exemples irréfutables, que la classe joue chez les jeunes russes exactement le même rôle que la race chez les hitlériens. Il n’y a pas plus ◀de▶ conversion possible au prolétariat qu’au germanisme. Voilà ◀de▶ quoi refroidir les sympathies trop spontanées.
Il faudra, je crois, passer outre. Dans ce déchaînement ◀d’▶orgueil humain, ◀de▶ scientisme primaire, dans cette frénésie ◀de▶ bonne humeur, il y a une question. Non pas un doute, mais quelque chose qui veut une réponse, et qui est ◀d’▶autant plus tragique qu’ils ne savent plus le formuler. À nous ◀de▶ les y aider ; et ◀de▶ comprendre que seule cette question-là rétablit la communion humaine.