L’▶Humanité ◀de▶ Jésus d’après Calvin, par Max Dominicé (24 mars 1934)d
M. Max Dominicé nous donne ◀L’▶Humanité ◀de▶ Jésus d’après Calvin comme un simple commentaire ◀de▶ ◀la▶ pensée du réformateur. N’allons pas commenter à notre tour cette glose. Ce qu’il y a d’ailleurs de plus significatif dans ◀le▶ livre, ce sont ◀les▶ motifs qui ont poussé M. Dominicé à ◀l’▶écrire, et qu’il expose en une vingtaine ◀de▶ pages précises, mesurées, et convaincantes. Il me semble que cette préface caractérise ◀d’▶une façon remarquable ◀l’▶évolution accomplie par toute une génération ◀de▶ protestants, celle qui commence à s’exprimer dans des revues comme Foi et Vie , ◀Le▶ Semeur , Hic et Nunc . Si, par ailleurs, ces jeunes théologiens et essayistes reprennent ◀le▶ vocabulaire et certains tours ◀de▶ ◀la▶ pensée ◀de▶ Kierkegaard ou ◀de▶ Karl Barth, M. Dominicé, qui n’ignore pas ces influences, s’est limité dans son étude au calvinisme ◀le▶ plus strict. Par là même, il se rend plus directement accessible au lecteur français. Essayons ◀de▶ marquer ◀les▶ étapes ◀de▶ sa recherche.
◀Le▶ protestantisme du début ◀de▶ ce siècle accordait à ◀la▶ personne ◀de▶ Jésus une place à juste titre centrale, mais exclusive ◀de▶ toute dogmatique. « ◀La▶ foi n’est pas une adhésion intellectuelle à des doctrines, mais ◀la▶ communion avec ◀le▶ Christ vivant », répétaient ◀les▶ théologiens libéraux. ◀La▶ question était ainsi nettement posée : pour devenir chrétien, il fallait « rencontrer personnellement ◀le▶ Christ ». Mais comment cette rencontre pouvait-elle avoir lieu ? Deux voies s’offraient : celle ◀de▶ ◀l’▶histoire et celle ◀de▶ ◀l’▶expérience religieuse.
Prendre ◀la▶ voie ◀de▶ ◀l’▶histoire, c’était d’abord chercher à s’approcher ◀de▶ ◀l’▶homme Jésus tel que ◀le▶ décrivent ◀les▶ évangiles. Mais, dit M. Dominicé, deux obstacles très graves se dressaient aussitôt. Le premier, c’étaient ◀les▶ miracles. Aussi bien, se méfiait-on de plus en plus ◀de▶ ces miracles, pour s’attacher au seul caractère ◀de▶ Jésus. Mais alors, n’était-ce pas un abus ◀de▶ langage que ◀de▶ prétendre voir une personne morale dont on récusait par avance ◀les▶ actes caractéristiques ? N’était-ce point là selon ◀le▶ mot ◀de▶ Théodore Flournoy, tenter ◀de▶ « faire une guirlande en mettant bout à bout des fleurs des champs et des fleurs ◀de▶ rhétorique ? » Ce Jésus « reconstitué » par ◀les▶ historiens négateurs du surnaturel, M. Dominicé n’a pas ◀de▶ peine à montrer qu’il devenait « foncièrement irréel et sans intérêt ». À mesure qu’elle humanisait ◀le▶ Christ sous prétexte de nous rapprocher ◀de▶ lui, ◀l’▶histoire prêtait une réalité insurmontable aux dix-neuf siècles qui nous séparent ◀de▶ ◀l’▶Évangile. Du même coup, ◀l’▶expérience religieuse, dialogue vivant avec ◀le▶ Christ des évangiles, se réduisait à une contemplation ◀de▶ sa vie. Dans cette difficulté, ◀le▶ jeune théologien interroge Calvin. Que trouve-t-il ? Des arguments, une solution ? Non point : un renversement du problème. Calvin ne fonde pas notre vie religieuse sur notre amour pour Jésus-Christ — amour dont il nous sait tout incapables par nous-mêmes — mais sur ◀l’▶amour ◀de▶ Dieu pour nous. C’est Dieu qui vient à nous, impies, non point nous qui ◀le▶ rencontrons au terme ◀d’▶une pieuse « élévation ». Et c’est ◀le▶ mystère du Dieu-homme (du Christ-Jésus) hors duquel toute communion est impossible. Mystère dont ◀l’▶Évangile répète plusieurs fois : « Heureux celui qui ne s’en scandalise pas. »
Retrouver cette réalité, c’était du même coup pour notre auteur, échapper aux faux problèmes du modernisme et revenir à ◀l’▶orthodoxie réformée. Non point comme on revient aux solutions toutes faites : plutôt comme on retrouve ◀la▶ véritable et profonde acuité ◀d’▶une dialectique à résoudre en actes. C’est l’un des traits ◀les▶ plus frappants du Calvin commentateur des évangiles, tel que nous ◀le▶ restitue M. Dominicé, que cette insistance à mettre en lumière ◀le▶ « scandale ◀de▶ Jésus » à seule fin ◀de▶ nous « enseigner à révérence ». On peut dire dans ce sens que ◀l’▶exégèse ◀de▶ Calvin est toute didactique : elle veut sans cesse transformer nos questions en questions que ◀le▶ texte sacré nous adresse. Tout au contraire du critique moderne, qui se pose en juge du texte, Calvin n’admet et ne pratique qu’une « exégèse ◀d’▶obéissance » — il se laisse juger par ◀le▶ texte. On ne saurait imaginer rien de plus opposé au trop fameux « libre examen » dont ◀les▶ rationalistes ont voulu faire ◀l’▶apanage du protestantisme.
◀L’▶ouvrage ◀de▶ M. Dominicé s’inspire évidemment des mêmes principes exégétiques. Certes, ◀l’▶auteur n’est pas ◀de▶ ceux qui conçoivent ◀le▶ commentaire comme une effervescence lyrique autour ◀d’▶un texte. Son sujet d’ailleurs s’y prête peu. Mais on regrette parfois qu’il suive à pas si prudents son modèle, et que ◀l’▶admiration que lui inspire Calvin s’exprime en termes aussi respectueux des objections possibles. Il est vrai que ce livre est une thèse. Mais il n’est pas moins vrai que Calvin sut parler un langage ◀d’▶une verdeur assez peu sorbonnique. Max Dominicé ne sera pas le dernier à souhaiter avec nous que ◀le▶ retour des doctrines du xvie siècle renouvelle jusque dans ◀le▶ style ◀la▶ verve créatrice ◀de▶ ◀la▶ Réforme.