Définition de▶ ◀la▶ personne (décembre 1934)i
◀L’▶auteur ◀de▶ cet essai fait partie du comité directeur ◀de▶ L’Ordre nouveau . D’autre part, il dirige ◀la▶ revue barthienne Hic et Nunc . Ces deux références peuvent fixer sa position spirituelle. Toutefois, ◀l’▶exposé qu’on va lire n’est pas un résumé des idées défendues par ◀les▶ deux groupes cités (et qui sont absolument indépendants l’un ◀de▶ l’autre). Cet exposé traduit au contraire un effort tout à fait « personnel » pour exprimer une conscience philosophique que ◀l’▶auteur voudrait d’ailleurs considérer comme ◀le▶ bien commun ◀de▶ sa génération.
1. ◀L’▶indéfinissable concret
Il ne faut pas estimer que ◀les▶ objets que nous touchons ◀de▶ nos mains et voyons ◀de▶ nos yeux soient du tout plus concrets que ◀l’▶acte qui consiste à ◀les▶ toucher et à ◀les▶ voir. Car un objet que personne n’a vu ni touché appartient à ◀la▶ connaissance qu’on nomme abstraite, qui est ◀la▶ connaissance des choses en tant qu’absentes. Mais c’est une autre erreur que ◀d’▶attribuer à ◀la▶ vision, ou au toucher, ou à ◀la▶ connaissance, une réalité suffisante et détachée ◀de▶ toute action particulière. (Ainsi rêve ◀l’▶idéalisme.) Pour qu’il y ait une réalité, pour qu’il y ait quelque chose ◀de▶ concret, il faut une mise en présence certifiée par un événement ; il faut que ◀la▶ rencontre ◀d’▶un sujet avec un objet soit attestée par quelque modification sensible.
◀Les▶ objets matériels ne sont vraiment objets que si ◀la▶ connaissance ◀d’▶un homme ◀les▶ saisit. ◀La▶ connaissance ◀d’▶un homme n’est réellement sujet que dans ◀l’▶instant où elle rencontre une occasion ◀de▶ s’exercer, et ◀la▶ saisit.
Par ces deux phrases, nous n’avons pas encore défini ◀le▶ concret comme tel, mais nous avons plutôt donné deux équations dont ◀le▶ concret constitue ◀l’▶inconnue, et décrit ◀la▶ manière dont ◀l’▶entendement ◀le▶ prévoit. Peut-on vraiment faire plus ? ◀L’▶événement seul a ◀la▶ vertu ◀de▶ concrétiser ◀le▶ concret, et ◀de▶ manifester à ◀l’▶évidence son mystère. Or ◀l’▶événement ne naît jamais, comme feignent certains philosophes, du croisement ◀de▶ deux définitions. ◀Les▶ philosophes se résignent très mal à cette limitation ◀de▶ leur pouvoir : il nous faut pourtant bien admettre que ◀le▶ concret est justement ce qui transcende nos définitions. Elles sont jugées par lui, et non point lui par elles. Et c’est ◀de▶ lui qu’elles tirent leur justification, et non ◀l’▶inverse. En d’autres termes, lorsque nous parlons du concret, nous supposons ◀le▶ problème résolu. Seule, une valeur déterminée ◀de▶ ◀l’▶inconnue donne une réalité aux relations que nous venons de proposer, transforme ◀l’▶équation sujet en vrai sujet, et ◀l’▶équation objet en vrai objet.
2. ◀Le▶ concret, c’est ◀la▶ présence ◀de▶ ◀l’▶homme
Comment choisir cette valeur précise ◀de▶ ◀l’▶inconnue ? Examinons ◀d’▶un peu plus près ◀les▶ données qu’il faut mettre en présence.
Sujet en tant qu’actif, objet en tant qu’agi, sont des concepts dont ◀le▶ seul contenu paraît au seul instant ◀de▶ leur présence mutuelle. Il ne suit pas ◀de▶ là que cet instant, qui ◀les▶ réunit, ◀les▶ confonde : tout au contraire, il ◀les▶ révèle bien distincts, et agissant chacun à leur manière ; car autrement, où serait ◀l’▶événement ?
◀La▶ manière ◀d’▶être ◀de▶ ◀l’▶objet lorsqu’il est mis en présence du sujet n’est point passive ; elle est ◀de▶ résister. Mais ◀l’▶objet ne peut, par lui-même, provoquer aucune présence. C’est là ◀le▶ rôle du sujet, et sa nature. ◀La▶ manière ◀d’▶être du sujet est essentiellement provocante. Il cherche partout un objet qui lui donne occasion ◀de▶ manifester son pouvoir. Et son angoisse est ◀de▶ n’en pas trouver ; sa joie, ◀de▶ provoquer ◀le▶ corps-à-corps avec ◀l’▶objet. Par où ◀l’▶on voit que ◀le▶ sujet détient une primauté ◀de▶ fait. Il peut s’éprouver dans ◀l’▶angoisse, il y trouve, loin de ◀l’▶objet, une sorte ◀d’▶existence virtuelle, incomplète mais déjà consciente ; cependant que ◀l’▶objet, séparé du sujet, n’a rien en lui qui ◀le▶ pousse à chercher ce dont il manque, et n’a pas ◀d’▶existence. Il ne devient objet que lorsque j’en fais mon objet.
Tel étant ◀le▶ sujet, on peut voir qu’il n’est autre que ◀l’▶homme. Seul, dans tout ◀l’▶univers connu, ◀l’▶homme détient ◀le▶ pouvoir ◀de▶ provoquer ◀l’▶objet à ◀l’▶existence. Il peut ◀le▶ faire ◀de▶ deux façons, l’une virtuelle ou distante, l’autre actuelle. S’il se borne à imaginer ◀l’▶objet hors de sa prise, comme absent, il ne fait à vrai dire qu’augmenter son angoisse ◀de▶ ◀l’▶impression ◀d’▶une impuissance. Alors ◀l’▶objet n’a pas ◀d’▶autre existence que celle ◀d’▶une fatalité abstraite pesant sur ◀la▶ conscience du sujet. Mais dès que ◀l’▶homme secoue ce sortilège, sort ◀de▶ ses ombres, cherche des résistances, veut agir, trouve son objet, — ◀la▶ fatalité disparaît, ◀l’▶angoisse devient joie ◀de▶ combattre. C’est ◀le▶ moment ◀de▶ ◀la▶ présence ◀de▶ ◀l’▶homme au monde et à soi-même conjointement.
Et c’est ainsi que ◀le▶ concret naît ◀d’▶une décision ◀de▶ ◀l’▶homme provocateur ◀de▶ ◀la▶ présence.
3. ◀La▶ présence ◀de▶ ◀l’▶homme est un acte
◀La▶ joie ◀de▶ ◀l’▶homme, ou sa douleur, tels sont ◀les▶ signes ◀de▶ son existence concrète, cependant que ◀l’▶angoisse est ◀le▶ signe ◀de▶ son absence au monde et à soi-même. Dire que ◀l’▶homme est, concrètement, c’est dire qu’il souffre et qu’il jubile, — qu’il agit. C’est pourquoi ils se trompent du tout, ceux qui considèrent ◀l’▶homme, dans leurs calculs, comme un facteur indifférent, comme un objet ou comme un chiffre : ils ne savent pas ◀de▶ quoi ils parlent, ◀l’▶homme dont ils parlent n’est pas un homme, mais une chose faible et petite dont ils ignorent ◀la▶ nature. Ceux qui calculent avec ◀les▶ hommes ne calculent qu’avec leur angoisse, ils s’enfoncent dans ◀l’▶incertain, divaguent dans ◀la▶ précision. ◀Les▶ lois qu’ils imaginent sont celles ◀de▶ ◀la▶ mort, et d’abord ◀de▶ leur propre mort. Car ◀l’▶essence ◀de▶ ◀l’▶homme, en tant qu’homme, est à jamais incalculable, si ◀l’▶homme est un événement, une rupture et une création, un fauteur ◀de▶ nouveauté pure, un poseur ◀de▶ questions, un « prochain » et non pas un problème à résoudre à distance ; en un mot, si ◀l’▶homme est un acte.
4. ◀L’▶acte est insaisissable, parce qu’il est saisissant
Toutes ◀les▶ psychologies échouent dans leur effort pour décrire ◀l’▶acte et rendre compte ◀de▶ ses déterminations suffisantes. Ce qui revient à reconnaître que ◀la▶ psychologie passe à côté de ◀la▶ fin qu’elle s’assigne, qui est ◀l’▶étude du comportement humain. Il n’est ◀de▶ science que du régulier, c’est-à-dire ◀de▶ ◀l’▶inhumain (à ◀la▶ limite), et c’est encore à dire qu’une « science ◀de▶ ◀l’▶homme » qui se veut purement descriptive est exacte dans ◀la▶ mesure où elle décrit notre dégradation. ◀L’▶erreur est simplement ◀de▶ nommer homme cette dégradation, dont nul ne songe d’ailleurs à contester ◀le▶ fait, démontré par ◀l’▶existence même des psychologues.
◀L’▶apparition ◀de▶ ◀la▶ psychologie est à peu près contemporaine ◀de▶ celle ◀de▶ ◀l’▶homme abstrait dans ◀l’▶ordre politique. Et ◀l’▶extension ◀de▶ cette science mesure assez exactement ◀l’▶ampleur ◀de▶ notre défection au monde et à nous-mêmes.
Dans ◀l’▶homme entièrement humain, il n’y aurait pas place pour ◀la▶ psychologie, car elle est liée à ◀l’▶angoisse, c’est-à-dire à ◀l’▶absence et au recul devant ◀l’▶acte. Dans ◀l’▶homme entièrement humain, tout serait histoire, présence, illustration et non explication, incarnation et non concept. Mais ◀la▶ psychologie fait ◀de▶ ◀l’▶homme son « objet », et par là même ◀le▶ déshumanise. Elle pose ◀l’▶homme comme un problème, et pour autant elle est bien obligée ◀de▶ prendre du recul par rapport à ◀l’▶homme concret : mais alors il n’est plus concret ! Et c’est ainsi que ◀l’▶existence du psychologue repose sur un sophisme qu’il faut qualifier ◀d’▶inversion pure et simple ◀de▶ ◀l’▶humain. ◀Le▶ droit usage ◀de▶ ◀l’▶entendement n’est pas ◀l’▶étude ◀de▶ ◀l’▶homme, mais son éducation. Il n’est pas ◀de▶ décrire, mais ◀d’▶inventer.
◀L’▶acte étant sujet pur, il ne sera jamais un objet ◀de▶ ◀l’▶entendement. Et c’est pourquoi rien ne peut ◀l’▶expliquer. Mais qu’il paraisse, aussitôt ◀les▶ objets s’ordonnent à sa décision, et deviennent saisissables pour ◀l’▶entendement.
5. ◀L’▶acte est ◀la▶ personne
Puisqu’il est manifeste que ◀l’▶acte est ◀le▶ perpétuel auteur ◀de▶ notre humanité, nous ne pouvons connaître cette humanité, sinon dans ◀la▶ mesure où nous sommes agissants. ◀L’▶acte seul témoigne ◀de▶ ◀l’▶acte, et joue en nous ◀le▶ rôle ◀de▶ ◀l’▶homme. C’est lui qui rend ◀l’▶homme visible à ◀l’▶homme, et nous sculpte un visage lisible.
Sur ◀la▶ scène du monde, où nous avons été placés, dans ce drame qu’il nous faut jouer sans ◀le▶ connaître, c’est-à-dire qu’il nous faut inventer, il y a des figurants qui n’ont pas ◀de▶ visage ; mais ceux qu’on voit sont ◀les▶ acteurs qui jouent leur rôle ◀d’▶hommes et qui créent leur destin : ceux-là seuls sont ◀les▶ dramatis personae, ceux-là seuls sont présents, parce qu’ils représentent.
À ◀la▶ faveur ◀de▶ cette image, autorisée par ◀l’▶étymologie du mot personne, nous pouvons voir d’abord que ◀de▶ ◀l’▶individu à ◀la▶ personne, ◀la▶ différence est celle du figurant anonyme à ◀l’▶acteur, ◀de▶ celui qui fait nombre à celui qui fait loi, ◀de▶ celui qui regarde à celui qui s’engage.
Nous pouvons voir ensuite un premier caractère ◀de▶ ◀la▶ personne immédiatement lié aux conditions ◀de▶ son apparition, j’entends à ◀la▶ présence et à ◀l’▶engagement : ◀la▶ personne n’est jamais seule, elle est essentiellement en communication. ◀Le▶ figurant peut bien ignorer ses voisins, mais ◀l’▶acteur ◀les▶ provoque autant qu’il leur répond, et ◀la▶ même raison qui fait qu’il est lui-même, fait aussi qu’il n’est plus un isolé, mais un prochain.
6. ◀La▶ personne est une vocation
Qu’on n’oublie pas que ◀la▶ scène du drame, tout bien compté, est aussi vaste que ◀le▶ monde, et qu’il n’est pas ◀de▶ réduit si secret où ◀l’▶on se cache, qui ne soit justement l’un des lieux où ◀l’▶action générale avait dessein ◀de▶ nous placer. Ainsi donc, encore que ce drame puisse être qualifié ◀de▶ jeu, et légèrement pris par toute espèce ◀de▶ sceptiques ou ◀d’▶heureux ignorants, — il est ◀le▶ seul. Et ◀l’▶on n’en peut sortir sans quitter, du même pas, ◀la▶ vie. C’est pourquoi ◀le▶ drame est sérieux ; et notre vie n’est pas une farce, pour ◀la▶ simple raison qu’elle est unique, et qu’on ne peut changer ◀de▶ rôle : on peut seulement refuser ◀de▶ jouer.
Mais cela dit, il reste à savoir pourquoi tel figurant jeté dans une intrigue insaisissable devient tout à coup un acteur, et se met à se comporter tout comme s’il connaissait ◀le▶ fil du drame. ◀D’▶où lui vient tout à coup ◀l’▶assurance que ce qu’il fait est dans son rôle ? Pour quelle raison sort-il du chœur des anonymes résignés, pour revêtir un vrai visage, un nom et une autorité, une attitude ◀d’▶auteur ◀de▶ son propre destin ? C’est ce que ◀l’▶on ne voit point.
C’est ce que nul ne peut voir ni ne verra jamais, cependant que chacun peut voir qu’il existe, en fait, des personnes ; cependant que chacun peut savoir en quoi consiste sa propre personne.
Ma personne, c’est ma présence au monde et à moi-même conjointement ; aux vrais objets, aux vrais humains, et à ma vraie responsabilité.
C’est à bon droit, nous ◀l’▶avons vu, que nous pouvons attribuer un sens commun, ou plus exactement une réalité ◀d’▶existence commune à des concepts très diversement définis par ◀les▶ philosophes ◀de▶ ◀l’▶école : présence, événement, concret, acte, personne. À tel point que ◀la▶ vraie définition ◀d’▶un ◀de▶ ces termes n’est pas ailleurs que dans son assimilation existentielle à tous ◀les▶ autres.
Mais ces concepts, un à un, ne peuvent être saisis dans ◀le▶ temps ni dans ◀l’▶espace conçus par notre entendement, si bien que ◀les▶ apparitions irréfutables ◀de▶ leurs contenus, telles que nous ◀les▶ constatons dans ◀l’▶histoire, font figure ◀de▶ coups ◀de▶ force contre toute raison et causalité claire. Ils sont là en dépit de ◀la▶ forme du monde, et par eux seuls s’opèrent ces transformations qui scandent ◀la▶ durée, qui marquent nos mémoires, qui nient ◀le▶ temps, mais aussi nous permettent ◀d’▶en prendre une mesure humaine.
Toute présence est un éclair ◀d’▶éternité qui rompt ◀le▶ temps pour initier un temps nouveau. ◀De▶ cette rupture, ◀l’▶Histoire peut témoigner, mais après coup, car ◀les▶ effets seuls sont visibles. ◀Le▶ temps nouveau qu’initie ◀l’▶acte ◀de▶ présence, c’est ◀le▶ temps ◀de▶ ◀la▶ création qui naît ◀de▶ ◀l’▶acte, c’est ◀le▶ rythme imprimé à ◀l’▶action générale par cette apparition qui s’y insère. C’est une nouvelle qualité du concret.
Mais ce mystère ◀de▶ ◀la▶ présence, si ◀l’▶on peut en décrire ◀les▶ effets, demeure mystère en tant que pure initiation : c’est ◀le▶ mystère ◀de▶ ◀l’▶éternité, ◀de▶ cela qui échappe au temps, marque sa fin, et ◀le▶ recrée.
◀De▶ ce mystère, je puis seul témoigner dans ◀l’▶instant où il me saisit, et seulement en lui obéissant ; car ◀le▶ connaître, c’est ◀le▶ connaître irrésistible. Et comment ai-je su qu’il venait me saisir ? C’est parce que j’en ai témoigné par mon acte.
Admirable cercle vicieux ! Oui, rien n’est plus vicieux pour ◀la▶ raison que ce beau cercle indivisible, irréfutable, du concret. Mais ◀le▶ jugement sceptique que ◀la▶ raison impersonnelle est incapable ◀de▶ ne pas porter sur ◀le▶ concret, juge en réalité ◀la▶ raison même, déclare sa permanente crise et ses limites humiliantes.
◀L’▶éternel est dans ◀le▶ présent, et non point dans ◀l’▶intemporel, parce que ◀l’▶éternel vient à nous, dans notre temps, où nous sommes, tout entier. ◀L’▶éternité pour nous n’existe pas en dehors de ◀l’▶appel qu’elle nous adresse ici et maintenant, et qui nous meut.
Nous avons établi que ◀la▶ présence est ◀le▶ fait ◀de▶ ◀l’▶homme sujet à l’instant qu’il rencontre son objet. ◀L’▶homme sujet, c’est ◀l’▶homme seul à l’instant qu’il cesse ◀de▶ ◀l’▶être. Ainsi ◀la▶ voie du mystère est visible : ◀l’▶éternel ne touche ◀le▶ temps que par ◀l’▶individu en acte, et qui devient à cet instant une personne.
◀L’▶homme n’est un vrai sujet que parce qu’il est personnellement assujetti à ◀l’▶impulsion indescriptible que nous appelons ◀l’▶éternel.
◀La▶ personne est ◀le▶ témoignage ◀d’▶une vocation reçue et obéie. Je suis personne dans ◀la▶ mesure où mon action relève ◀de▶ ma vocation, fût-ce au prix de ◀la▶ vie ◀de▶ mon individu.
7. Incarnation
À ◀la▶ série ◀d’▶« implications inexplicables » que nous venons de parcourir, il faut ajouter maintenant un dernier terme qui ◀la▶ résume tout entière : c’est ◀le▶ terme ◀d’▶incarnation.
Si toute présence est ◀l’▶événement ◀de▶ ◀l’▶éternel dans ◀le▶ temps, par ◀le▶ moyen ◀de▶ ◀l’▶homme, si ◀l’▶homme n’est vraiment homme que dans ◀l’▶acte qui fonde sa qualité incomparable ◀de▶ sujet ; si ◀l’▶on admet enfin que ◀la▶ personne est proprement ◀la▶ sujétion ◀de▶ ◀l’▶homme à ◀l’▶éternel et ◀de▶ ◀l’▶objet à ◀l’▶homme, on peut dire que ◀la▶ personne est ◀l’▶impensable incarnation ◀de▶ ◀l’▶éternité dans ◀le▶ temps.
◀La▶ personne pure serait ainsi ◀la▶ coïncidence absolue et manifeste ◀d’▶une vocation et ◀d’▶un individu, dans chaque action ◀de▶ cet individu. Ou bien encore ◀l’▶apparition ◀d’▶une vocation en lieu et place ◀d’▶un individu. ◀La▶ psychologie ◀de▶ ◀la▶ personne parfaite se réduirait purement et simplement à son histoire, à ◀l’▶énoncé des témoignages visibles qu’elle produit. Dans ce sens, elle n’aurait aucune problématique.
Or, nous nous connaissons complexes et impurs, pleins ◀de▶ problèmes, peuplés ◀de▶ fantômes et séparés par eux ◀de▶ nous-mêmes et du monde. Nous nous voyons dominés fréquemment par ◀les▶ objets que nous imaginons sans ◀les▶ saisir, et notre « individu » n’est certes pas ◀le▶ moindre. Dans ◀l’▶espoir incertain ◀de▶ nous munir contre eux, notre raison cherche à trouver leurs lois. Elle ◀les▶ trouve, mais ce sont alors ◀les▶ lois mêmes ◀de▶ notre absence, celles du monde abandonné et qui paraît déterminé ◀de▶ soi, puisqu’il est vu précisément comme n’étant pas assujetti à notre action. C’est pourquoi la plupart de nos gestes, loin ◀d’▶être ordonnateurs et créateurs, sont simplement déterminés par une mécanique impersonnelle. Ils ne sont pas ◀les▶ actes ◀d’▶un auteur, mais ◀les▶ contrecoups nécessaires ◀d’▶un procès initié par d’autres, ◀d’▶un procès anonyme étranger à notre être, et que nous baptisons fatalité, parce que nous sommes ses impuissants objets.
Nous sommes très peu personnels. Nous sommes aliénés au monde des objets. Nous sommes surtout ◀les▶ jouets humiliés ◀de▶ ce qui nie notre dignité ◀d’▶hommes, ◀de▶ ce qui nous traite en objets neutres et en objets ◀d’▶autant moins résistants qu’ils ont cru concevoir, dans ce qui ◀les▶ attaque, une fatale loi justifiée en raison.
◀D’▶où vient alors ◀l’▶idée ◀de▶ ◀la▶ personne, et ce regret ◀d’▶une dignité que ◀la▶ raison des peuples et des clercs s’accorde à révoquer en doute ?
◀L’▶imagination ◀de▶ ◀la▶ personne à ◀l’▶état pur resterait à nos yeux une espèce ◀d’▶utopie ontologique, si ◀la▶ Révélation n’en attestait ◀l’▶acte historique. ◀L’▶incarnation totale ◀de▶ Dieu dans ◀l’▶Homme, ◀l’▶humanité parfaite ◀de▶ Jésus-Christ est ◀la▶ limite atteinte ◀de▶ ◀la▶ personne dans ◀l’▶histoire, ◀le▶ fait extrême, ◀le▶ concretissimum à partir duquel nous puissions penser activement ◀la▶ personne, c’est-à-dire réduire ◀la▶ distance qui sépare notre vie ◀de▶ notre vocation. ◀La▶ foi au Christ, c’est ◀la▶ foi dans ◀la▶ personne par excellence : or, cette foi consiste en une action16. (Ce qui confirme nos propositions sur ◀la▶ nature actuelle ◀de▶ ◀la▶ personne). ◀La▶ foi au Christ est proprement ce qui « personnifie » ◀le▶ solitaire, ce qui ◀le▶ rend concret, c’est-à-dire présent à lui-même et aux autres dans un même élan. Tout acte personnel est participation à ◀l’▶actualité éternelle du Christ.
8. Communauté
Tout ainsi que dans ◀la▶ Communion, Jésus-Christ nous est donné, dit Calvin, « comme substance et fondement ◀de▶ tout », nous avons à connaître cette vérité ◀de▶ ◀la▶ personne : qu’elle est toute dans sa communication, laquelle doit être certifiée par quelque signe matériel.
◀L’▶idée ◀d’▶une personne isolée ou n’entretenant avec ◀les▶ autres que des rapports distants et virtuels est une contradiction in terminis.
◀L’▶aspect communautaire ◀de▶ ◀la▶ personne, en vérité, ressort assez clairement ◀de▶ nos définitions, mais il peut être utile, pour fixer davantage ◀les▶ idées, ◀de▶ ◀l’▶opposer ici à ◀la▶ notion ◀de▶ ◀l’▶individu.
◀L’▶individu est ◀le▶ terme dernier ◀de▶ ◀la▶ division objective ◀d’▶une société au sens des sociologues. Il joue, sur le plan politique, ◀le▶ rôle que jouait ◀l’▶atome aux yeux des physiciens du dernier siècle : il est ◀l’▶élément insécable qui marque ◀la▶ limite ◀de▶ décomposition ◀d’▶un corps quelconque. Autrement dit, ◀l’▶individu n’est conçu qu’à partir de ◀l’▶ensemble du corps social, comme un élément numérique, indifférencié, objectif. On ◀l’▶obtient par un processus ◀d’▶isolation.
Quel rôle peut jouer ◀la▶ personne dans cette image ? Peut-être celui ◀de▶ ◀la▶ valence, c’est-à-dire ◀de▶ ◀la▶ puissance ◀de▶ combinaison ◀d’▶un atome. Mais il nous faut laisser ce modèle mécanique, puisqu’aussi bien ◀la▶ personne en elle-même n’est passible ◀d’▶aucune description objective.
Par rapport à ◀l’▶ensemble humain, ◀la▶ personne est par excellence ◀le▶ terme premier, dont dépend toute réalité collective. À ◀l’▶utopie sociologique qui prophétise ◀la▶ dissolution du corps social en individus libres au terme ◀d’▶une évolution scientifique et organisée (thèse ◀de▶ Marx et ◀de▶ Lasalle) ◀la▶ conception personnaliste oppose mieux qu’un scepticisme : elle renverse ◀de▶ fond en comble ◀l’▶ordre des valeurs établies par ◀le▶ rationalisme et ◀le▶ collectivisme, elle prend pour mesure ◀de▶ tout ◀la▶ présence effective ◀de▶ ◀l’▶homme. À ◀l’▶évolutionnisme objectif elle oppose son exigence proximiste.
Dans ◀l’▶ordre personnel, ◀les▶ relations ◀les▶ plus « valables » sont celles qui exigent ◀de▶ ◀l’▶homme ◀la▶ plus constante proximité : ◀l’▶œuvre, ◀le▶ mariage, ◀la▶ famille, ◀le▶ métier et ◀l’▶éducation. C’est à ◀la▶ sauvegarde ◀de▶ ces réalités prochaines que doivent s’ordonner ◀les▶ relations plus générales. Cette thèse simple constitue à mes yeux ◀la▶ règle ◀d’▶or ◀de▶ toute doctrine sociale et politique.
Est-ce à dire que ◀le▶ bien ◀de▶ tous doive être mis au service du bien ◀de▶ chacun ? Prenons garde ◀de▶ retomber ici dans un ordre contractuel où ◀la▶ personne abritée par ◀la▶ loi perde à la fois son risque et son pouvoir ◀de▶ création (démocratie libérale). ◀Le▶ droit ◀de▶ ◀la▶ personne à primer sur ◀l’▶ensemble demeure indéfendable s’il n’est pas imposé par ◀le▶ fait humain primordial. ◀Le▶ droit divin n’est pas un droit humain élevé dans ◀l’▶absolu, mais ◀la▶ fin ◀de▶ tout droit humain, et peut-être son contraire. ◀La▶ formule du rapport social ne doit pas contenir une revendication ◀de▶ droit, mais une position ◀de▶ fait. ◀La▶ voici : ◀le▶ bien ◀de▶ tous n’est ni concevable ni réalisable aux dépens du bien ◀de▶ chacun ; il n’est que ◀l’▶expression, de plus en plus abstraite à mesure qu’on s’élève à des nombres plus grands, du pouvoir prochain ◀de▶ ◀la▶ personne ; il n’est rien s’il n’est pas ◀l’▶extension naturelle du risque et du concret ◀de▶ ◀l’▶homme qui se dépasse. Qu’importe ◀l’▶honneur ◀d’▶un pays, s’il est ◀le▶ fruit ◀de▶ ◀la▶ déshumanisation des citoyens ? Qu’importe une « assurance-vie », si ◀la▶ seule réalité vivante est dans ◀le▶ risque ? Qu’importe ◀la▶ multiplicité des relations, si elle entraîne ◀l’▶irresponsabilité des hommes reliés ? Qu’importe ◀l’▶ordre ◀de▶ ◀l’▶État, s’il se maintient au prix du désordre privé ? Qu’importe, en fin de compte, ◀l’▶humanité, s’il n’y a pas d’abord des hommes présents ◀les▶ uns aux autres ?
◀La▶ personne ne sera pas au terme ◀d’▶une société parfaite, pour ◀la▶ simple raison qu’il n’y a ◀de▶ rapport humain réel que par ◀l’▶apparition première ◀de▶ ◀la▶ personne, fondement nécessaire et suffisant ◀de▶ toute communauté vivante et progressive.
9. Deux négations ◀de▶ ◀la▶ personne
Et maintenant, si nous savons ce que nous appelons : personne, si nous savons qu’elle est ◀la▶ lumière ◀de▶ nos lumières, et ◀le▶ soleil que rien ne peut décrire, mais qui fait voir ◀le▶ monde et chasse nos fantômes, notre devoir n’est pas ◀de▶ revenir vers ◀les▶ ténèbres pour ◀les▶ persuader qu’elles ont tort ◀d’▶être obscures, notre devoir est ◀d’▶éclairer.
À la lumière de ◀la▶ personne, on voit paraître ◀la▶ vérité ◀de▶ plusieurs doctrines humaines qui s’entrebattent dans ◀la▶ confusion et nourrissent des haines bavardes. Je veux parler ici ◀de▶ deux d’entre elles seulement, des fameux jumeaux ennemis qu’on voit partout inséparables : matérialisme et spiritualisme.
Voici ◀l’▶aspect ◀de▶ vérité que ◀la▶ personne éclaire en eux : ◀le▶ matérialisme a compris qu’il y a pour ◀l’▶homme un monde des objets, ce que niaient pratiquement beaucoup de clercs ; il a compris que ◀le▶ phénomène homme ne se produit en fait qu’au niveau des objets, et que tout ce qui est doit pouvoir être vu, être touché, consister sous ◀la▶ main17 ; il a compris que ◀l’▶homme n’est pas un ange, qu’il est un corps jeté au milieu d’autres corps, et que c’est un orgueil assez court que ◀de▶ prétendre ◀l’▶ignorer ; il a compris ◀le▶ fait — sinon ◀l’▶acte — ◀de▶ ◀l’▶incarnation. Il y a une santé dans ◀le▶ matérialisme, et une humilité où ◀la▶ personne retrouve l’un des pôles ◀de▶ sa tension.
Peut-être est-il plus difficile ◀d’▶être équitable envers ◀le▶ spiritualisme : c’est qu’il nous a fait plus ◀de▶ mal, et que ◀l’▶erreur matérialiste est bâtarde ◀de▶ ses excès. Ceci pourtant doit être dit en sa faveur : il a compris ◀le▶ fait — sinon ◀l’▶acte — ◀de▶ ◀la▶ liberté. Il a su reconnaître que ◀l’▶homme est un sujet (au sens initiateur, et non pas ironique !) et qu’il dépend ◀de▶ lui que ◀l’▶objet soit ou non présent.
Mais alors ◀le▶ malheur du spiritualisme fut ◀de▶ se replier sur cette liberté pour ◀la▶ chérir dans sa précieuse intégrité. Orgueilleux ◀de▶ sa force, il refuse ◀de▶ ◀l’▶exercer, ◀de▶ ◀l’▶engager dans des limites objectives. Il veut se garder pur, et reste virtuel. Il se croit maître ◀de▶ tous ◀les▶ objets, mais néglige ◀d’▶en choisir aucun. Il chante sa grandeur, mais n’en témoigne pas. Il est plus dangereux que ◀le▶ matérialisme : il ne nie pas grossièrement notre puissance — ce serait une manière ◀de▶ ◀la▶ mieux provoquer — mais glorifiant ◀le▶ sujet pur comme tel, il dégrade son existence, c’est-à-dire qu’il ◀l’▶atrophie. ◀L’▶objet pendant ce temps, se dégrade selon ses lois.
◀La▶ révolte matérialiste trouve dans ◀la▶ carence du spiritualisme une espèce provisoire ◀de▶ justification. Il y a dans cette révolte un certain ascétisme : celui des lendemains amers ◀de▶ débauche. Il y a aussi dans ◀la▶ doctrine déterministe qu’elle édicte, ◀l’▶expression ◀d’▶un ressentiment contre ◀l’▶« esprit » demeuré incapable ◀de▶ témoigner ◀de▶ notre liberté.
Dans ◀le▶ plan ◀d’▶ombre et ◀d’▶abstractions, parfois violentes, où se poursuit ce vieux débat, aucun espoir ◀de▶ solution réelle n’est plus permis18. Mais c’est ce plan que nous avons quitté en définissant ◀la▶ personne comme un acte.
Hors ◀l’▶acte, ◀la▶ matière demeure abstraite ou tyrannique. Hors ◀l’▶acte, notre « esprit » demeure abstrait ou impuissant. Dans ◀l’▶acte, l’une et l’autre se mesurent et se réalisent : ◀la▶ charité ◀de▶ ◀la▶ personne est ◀d’▶ordonner ce corps-à-corps.
10. ◀Le▶ spirituel
Descartes a détruit ◀la▶ personne, ou plutôt son lieu naturel, en séparant ◀le▶ corps et ◀l’▶âme : c’est qu’il ◀les▶ a mal distingués. Du point de vue ◀de▶ ◀la▶ personne, ◀le▶ corps et ◀l’▶âme sont deux aspects ◀de▶ ◀l’▶homme concret, dont ◀la▶ nature réelle n’apparaît que dans ◀l’▶acte. ◀L’▶aspect corporel ◀de▶ ◀l’▶homme est ◀l’▶expression ◀de▶ notre solidarité avec ◀le▶ monde des objets ; ◀l’▶aspect ◀de▶ ◀l’▶âme est notre orientation, ◀l’▶originalité essentielle ◀de▶ ◀l’▶homme au sein du monde des objets, c’est-à-dire notre capacité ◀de▶ choisir librement nos contacts, comme aussi ◀de▶ n’en pas choisir. (Et c’est dans ce débat qu’apparaît ◀la▶ conscience.) Mais ni ◀le▶ corps ◀de▶ ◀l’▶homme ne peut être conçu comme réel sans ◀l’▶insistance particulière qui ◀le▶ forme, ◀le▶ tient debout et ◀le▶ dirige, ni ◀l’▶âme n’est humainement imaginable hors de ◀la▶ consistance qui ◀la▶ révèle et ◀l’▶effectue. Corps et âme sont un seul et même être ; ils naissent ensemble et meurent ensemble, ils sont une seule et même « chair ».
C’est une étrange erreur que ◀de▶ nommer « esprit » ◀l’▶aspect original du corps humain ; c’est une étrange erreur que ◀de▶ rêver ◀l’▶âme immortelle19 ; et c’est au nom de cette erreur qu’on croit pouvoir séparer ◀l’▶âme du corps — quitte à ne plus savoir comment ◀les▶ réunir — ce que ne font ni ◀la▶ vie ni ◀la▶ mort, ni Dieu qui ressuscitera ◀les▶ morts20. En vérité, cette illusion provient ◀d’▶une pensée qui se refuse à nos limites, faute parfois ◀de▶ ◀les▶ avoir assez sérieusement éprouvées, faute surtout ◀d’▶une foi qui rendrait vain ◀le▶ plus consolant ◀de▶ nos rêves. C’est une tentative impie pour substituer ◀la▶ conscience à ◀la▶ vocation personnelle, c’est-à-dire pour substituer, dans ◀l’▶échelle ◀de▶ nos valeurs, notre capacité ◀de▶ liberté à ◀l’▶exercice concret ◀de▶ cette liberté.
C’est une usurpation ◀de▶ ◀l’▶éternel par ◀la▶ conscience contingente, par cette conscience insinuée comme un retard entre ◀l’▶individu et sa pressante vocation. ◀L’▶âme immortelle n’est rien que ◀l’▶illusion ◀d’▶un égoïsme qui se glorifie dans ◀l’▶abstrait.
Qu’est-ce alors, parmi nous hommes ◀de▶ chair, que ◀l’▶esprit ? Cet esprit qui souffle où il veut, et nous mourons où nous pouvons, cet esprit qui dansait sur ◀les▶ eaux primitives, et ◀les▶ lois ◀de▶ mon corps sont celles ◀de▶ ◀la▶ poussière ? — Rien, ◀l’▶esprit n’est plus rien, et comprendre n’est rien qu’envisager ◀les▶ modes ◀de▶ notre esclavage. — Jusqu’à cet acte, que soudain j’ai fait !
Car je ◀l’▶ai fait, et je ne sais rien ◀d’▶autre. J’ai reçu ◀l’▶ordre, et ce pouvoir ordonnateur, irréfutablement est là, rendu visible. J’ai fait ce pas, je puis ◀le▶ mesurer — mais sa grandeur pourtant n’est pas un nombre. J’appelle esprit cette surprise pure ◀de▶ mon corps qui se voit conduit où rien en lui n’était nécessité ◀d’▶aller.
J’appelle esprit ◀la▶ plénitude ◀de▶ ◀l’▶instant où dans ◀l’▶oubli ◀de▶ tout ce que je peux, j’ai franchi ◀l’▶impossible seuil.
◀L’▶esprit est acte, ◀l’▶acte est obéissance à ◀la▶ motion ◀de▶ ◀l’▶éternel. J’ai peut-être entendu quelque parole, on n’a rien vu qu’un corps en mouvement.
C’est parce que Dieu s’est révélé dans un corps ◀d’▶homme que ◀l’▶esprit, parmi nous, n’est rien — hors ◀la▶ démonstration charnelle et déchiffrable ◀d’▶une action. Jésus-Christ est ◀le▶ verbe incarné, ◀la▶ vocation toujours présente, ◀la▶ parole qu’on n’entend ni ne voit avant de ◀l’▶avoir obéie dans un instant indescriptible et manifeste. Au commencement était ◀le▶ Verbe, et il demeure ◀l’▶initiation fondamentale ◀de▶ toute histoire. C’est par ◀le▶ verbe seul, créant ◀de▶ rien, que « ◀l’▶impossible, ici, devient événement », que ◀l’▶idée du concret cesse ◀d’▶être une idée, que ◀la▶ personne existe et que ◀l’▶acte transforme.
Ce qui témoigne en moi ◀de▶ ◀l’▶indicible réception ◀de▶ ◀la▶ parole, ce n’est point une extase, ni une angoisse, ni toujours une plénitude ◀de▶ ◀la▶ joie, ni jamais rien qui fût à moi tel que j’étais, ni rien que j’aie, mais cet abandon un instant, cette mort cachée dans ◀la▶ vie, cette insensible et peu croyable distraction du monstre moi, qui suffit bien à ◀l’▶éternelle vigilance pour me pousser un peu plus loin que tout calcul, un peu plus près de ◀l’▶homme que je puis être pour ◀les▶ hommes — pour me jeter dans ◀le▶ fait accompli ◀d’▶une évidente nouveauté. Maintenant quelque chose s’est passé, un risque est là, et ma vie est en lui. ◀L’▶ai-je accepté ? Déjà tout recommence. Car ◀la▶ durée n’ajoute rien à ◀l’▶éternel. Ce pas petit et triomphal à peine fait, je ◀le▶ reperds si je n’en fais pas un second. Et pourtant mon espoir est gagé sur une promesse aussi certaine que ma mort et que ◀la▶ mort du temps lui-même au Jugement. Ni ◀la▶ foi ne court sur son erre, ni ◀l’▶homme n’est rien devant sa vocation, qu’un doute ; mais ◀la▶ fidélité ◀de▶ ◀la▶ personne n’est pas vaine. Dans ◀la▶ très confuse partie que nous menons, ignorants ◀de▶ ◀la▶ règle, distinguons cet enjeu admirable !