André Breton, Point du jour (décembre 1934)j
Le surréalisme s’est présenté comme révolution, et comme tel il a bénéficié pendant plusieurs années, auprès de la critique bourgeoise, d’▶une attention ◀d’▶autant plus sympathique qu’il criait fort et bien, mais mordait peu. C’est le surréalisme, en somme, qui demeure responsable des premières graves confusions commises depuis la guerre sur le mot ◀de▶ révolution. Le public littéraire rendit un très mauvais service aux écrivains surréalistes en les prenant pour ce qu’ils croyaient être : des novateurs, des créateurs, des révolutionnaires enfin. Le fâcheux essai ◀d’▶action communiste, auquel devait logiquement les conduire cette attitude, fit voir bientôt l’inanité ◀d’▶une pareille prétention. Que reste-t-il du beau tapage ? À défaut de chefs-d’œuvre, un ◀mode▶ ◀d’▶expression, trop rapidement vulgarisé d’ailleurs en une espèce ◀de▶ bavardage lyrique dont Breton sera, je crois, le tout premier à reconnaître qu’il sue le plus insupportable ennui. Ouvrez une revue ◀de▶ province si vous pensez que j’exagère.
Faut-il donc mettre une barre sous la rubrique surréalisme, et verser tout cela au compte des profits et pertes ◀d’▶une « élite » bourgeoise en faillite ? Comptabilité bonne peut-être pour l’historien ◀de▶ la littérature. Nous n’avons pas le cœur à ces injures.
Le surréalisme garde une valeur ◀de▶ fait témoin, ◀d’▶ordre spirituel ; à ce titre, il marque une époque, bien plus qu’une littérature. Ces quelques hommes — je parle des meilleurs d’entre eux — ont certainement connu le désespoir ◀de▶ vivre, et c’est cela qu’ils ont voulu traduire. Mais c’est cela aussi que l’homme ne peut avouer que s’il connaît un au-delà du désespoir. Faute ◀de▶ le pressentir, ils ont méconnu leur angoisse ; faute du courage ◀de▶ la considérer en face — ce courage que donne seule la foi — ils se sont mis à déclamer un désespoir décoratif, un désespoir postiche et stylisé, à l’abri duquel on pouvait faire encore ◀de▶ la littérature, certes, mais on ne pouvait faire que cela. Ce serait un jeu que ◀de▶ les classer dans les catégories du désespoir analysées par Kierkegaard, si nous étions assez détachés ◀d’▶eux pour ne plus sentir le tragique que ce faux désespoir maquillait.
Il y a dans tout ce qu’ils écrivent, une espèce ◀de▶ bluff inconscient, dont le dernier livre ◀d’▶André Breton fournit ◀de▶ trop nombreux exemples. On est frappé d’abord par une certaine noblesse du port, par une certaine allure hautaine ◀de▶ la phrase. Mais que cet homme est empêtré par le scrupule ◀de▶ ce qu’il se doit ! Et qu’il est attentif à sa propre démarche ! « Il me paraît absolument nécessaire ◀de▶ le dire… Pour ma part, je me refuse… Je demande à ce qu’on tienne pour un crétin celui qui… »
Je prends ces trois débuts ◀de▶ phrases dans une seule demi-page, au hasard (p. 73). On trouverait sans doute mieux encore à citer, en cherchant un peu. C’est très bien ◀de▶ ne pas faire le modeste, et même ◀de▶ prendre ◀de▶ grands airs, si l’on a quelque chose ◀de▶ grand à dire, qu’on ne peut pas dire autrement. Que dit-il donc, cet homme qui le prend ◀de▶ si haut ? Son livre s’ouvre par un discours lyrique « sur le peu de réalité » et se termine par des considérations décousues sur quelques résultats récents ◀d’▶une science entre toutes suspecte, la psychologie ◀de▶ laboratoire. Il s’agit, dans l’idée ◀de▶ l’auteur, ◀de▶ dévaloriser (ou ◀de▶ transcender ? ) « la distinction du subjectif et ◀de▶ l’objectif ». Idée platonicienne et surtout romantique, et qui vaut bien qu’on la prenne au sérieux, fût-ce après ce Schelling dont, par ailleurs, Breton dit tant de mal (Introduction aux contes ◀d’▶Arnim). Mais pourquoi nous glisser ce vieux problème avec des airs ◀de▶ conspirateur traqué ? Alors que cette confusion désirée revient en dernière analyse au refus pur et simple ◀d’▶agir et ◀de▶ créer, j’entends, ◀de▶ se poser comme auteur responsable ◀de▶ son acte ? Alors qu’elle ne repose que sur l’espoir du faible : que la ◀vie▶ se fasse « toute seule », que l’homme ne soit plus rien qu’un spectateur ◀de▶ son angoisse muée en rêve ?
Qu’on prenne un ton tranchant lorsqu’on attaque, lorsqu’on crée, je serais le dernier à m’en plaindre. Mais il s’agit ici, tout simplement, ◀de▶ s’évader ◀d’▶une réalité qu’on craint. Le ton bien plus modeste (trop modeste) des discours ◀de▶ Breton devant les communistes conviendrait mieux, peut-être, à ces recherches plutôt hésitantes. Tant que Breton invente son sujet, en partant ◀d’▶un donné très réduit et ◀de▶ quelques rythmes lyriques, son style est large, ses périodes font la roue. Mais il se débrouille mal avec des données scientifiques ; sa syntaxe s’embarrasse et s’alourdit dès qu’il aborde une matière tant soit peu résistante par elle-même, et dont il ne saurait avoir raison en quelques tours ◀de▶ phrases élégants et péremptoires, et l’on se demande alors si ce bel « abattage » n’a pas dissimulé, aux yeux des jeunes gens, un défaut ◀de▶ culture, au sens banal du terme, qui se trahit ici fâcheusement.
Iront-ils au-delà du romantisme allemand — qu’on est heureux pourtant ◀de▶ les voir découvrir, comme l’étymologie ◀de▶ leur pensée ? Ils ont essayé du marxisme ; ils retombent à l’idéalisme. La voie est sans issue, plus que jamais. Mais alors, vont-ils reconnaître le sérieux réel ◀de▶ ce jeu ? Et qu’il y va vraiment ◀de▶ tout, c’est-à-dire ◀d’▶un peu plus que ◀de▶ la plus profonde révolte.