André Rouveyre, Singulier (janvier 1935)k l
L’▶amour ◀d’▶un homme ◀de▶ cinquante ans et ◀d’▶une jeune femme forme ◀l’▶unique sujet ◀de▶ cette méditation. Deux êtres très divers se sont unis dans une passion grave, exigeante, à ◀l’▶écart ◀d’▶une société hostile, dans une ascèse morale soutenue. ◀L’▶aîné, c’est ce Rouveyre que nous ont révélé des dessins cruellement dépouillés et des essais à coup de griffes sur Gide et Balthazar Gracian. ◀La▶ jeune femme qu’il aime et qu’il entreprend ◀de▶ conduire à ◀la▶ maîtrise ◀de▶ soi-même, il nous en donne un portrait minutieux, tendre cette fois, ◀d’▶un trait classique et volontaire. Je ne sais rien de plus émouvant que ◀l’▶effort vers eux-mêmes, et l’un par l’autre, ◀de▶ ces deux êtres dont ◀la▶ vocation paraît inséparable ◀de▶ ◀l’▶amour qui ◀les▶ domine. Une analyse racinienne des sentiments s’unit ici à ◀la▶ rigueur ◀d’▶un idéal orgueilleux, ombrageux. Tout cela se perd d’ailleurs, dans ◀l’▶amertume « désertique » ◀d’▶un tête-à-tête ◀de▶ ◀l’▶auteur avec sa mort. Négation ◀de▶ ◀l’▶humain trop purement humain dans son effort ◀le▶ plus « spirituel » ? On ne sait si ◀l’▶auteur veut nous pousser vers cette conclusion. Peut-être n’est-ce ici qu’un cri ◀d’▶appel à rien : ◀les▶ modernes ont inventé cela. On peut toutefois ne pas ◀les▶ croire, et ◀le▶ spectacle ◀d’▶un pareil tragique ne perdra rien ◀de▶ sa grandeur lucide à gagner un sens religieux.
Ce livre enfin vaut par un style inoubliable. Rouveyre ne laisse pas un instant ◀de▶ faire sentir qu’il écrit, et ◀l’▶on aime jusqu’au retors ◀de▶ cette écriture contractée. Dans son progrès strictement mesuré, ◀la▶ phrase ici, vraiment, réfléchit sous nos yeux. Ce n’est pas du récit. C’est une espèce ◀de▶ taraudage21. De temps en temps, il change ◀de▶ mèche et recommence aux mêmes points, plus avant. Fermeté ◀de▶ ◀la▶ main, regard sévère qui ne consent à ◀la▶ tendresse qu’après avoir épuisé ses rigueurs : il faut concéder à Rouveyre ces qualités dont il fait tant de cas. Une lucidité virile forme ◀la▶ leçon ◀de▶ ces pages, tantôt généreuse, tantôt corrosive, toujours tendue entre deux pôles ◀de▶ ◀l’▶être, entre ◀l’▶énergie exploratrice et ◀le▶ repliement amer. Enfin, un courage sérieux, nietzschéen sans exaltation.
◀La▶ lecture ◀d’▶un tel livre, lente et souvent reprise, donne du cœur à ◀l’▶intelligence. Et ◀l’▶austérité tendre ◀de▶ son « inquisition » rend un sens à ◀l’▶amour humain, disqualifié dans ◀la▶ littérature ◀d’▶aujourd’hui par trop ◀d’▶indiscrétions excitées et vulgaires. Que dire encore qui fasse un peu sentir ◀la▶ qualité, voisine ◀de▶ ◀la▶ grandeur, ◀de▶ cet ouvrage ? Je crois que maint lecteur y découvrira peu à peu quelque raison très personnelle ◀de▶ ◀l’▶aimer.