Un exemple de▶ tactique révolutionnaire chez Lénine (janvier 1935)n
1. « Groupe compact, nous cheminons par une voie escarpée et difficile, nous tenant fortement par la main. Nous sommes entourés ◀d’▶ennemis de toutes parts et il nous faut marcher presque constamment sous le feu. Nous nous sommes unis en vertu d’une décision librement consentie, afin de combattre nos ennemis et ◀de▶ ne pas tomber dans le marais voisin, dont les hôtes n’ont cessé ◀de▶ nous blâmer ◀d’▶avoir constitué un groupe spécial et préféré la lutte à la conciliation. »
2. « Sans théorie révolutionnaire, pas ◀de▶ mouvement révolutionnaire. On ne saurait trop insister sur cette vérité à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites du praticisme va ◀de▶ pair avec la propagande ◀de▶ l’opportunisme. »
3. « Notre mouvement ne fait encore que se constituer, qu’élaborer sa physionomie et il est loin ◀d’▶en avoir fini avec les courants ◀de▶ la pensée révolutionnaire qui menacent ◀de▶ le faire dévier… Dans ces conditions, une erreur “insignifiante” au premier abord peut avoir les plus déplorables conséquences et il faut être aveugle pour considérer comme inopportunes ou superflues les controverses ◀de▶ fractions et la délimitation rigoureuse des nuances. »
4. « Seul un mouvement dirigé par une théorie ◀d’▶avant-garde peut jouer le rôle de combattant ◀d’▶avant-garde. »
5. « L’erreur fondamentale ◀de▶ tous les économistes, c’est leur conviction qu’on peut développer la conscience politique des ouvriers à l’intérieur de leur lutte économique, en se basant uniquement sur cette lutte. Cette opinion est radicalement fausse. » — Il ne faut pas « aller aux ouvriers ». Il faut aller « dans toutes les classes ◀de▶ la population ».
Ces phrases sont extraites ◀d’▶une brochure ◀de▶ Lénine intitulée Que faire ?19 Elles combattent la déviation populiste à droite, et la déviation économiste à gauche. Elles conduisent Lénine à se séparer des populistes et des économistes au congrès ◀de▶ Bruxelles en 1903 (fondation du parti bolchévique, c’est-à-dire majoritaire) ; puis à se séparer ◀de▶ Plekhanov et des vieux marxistes au congrès ◀de▶ Londres en 1905. En d’autres termes, elles conduisent Lénine et ses très rares adeptes à faire le vide autour ◀d’▶eux, malgré le nom ◀de▶ « majoritaires » que le hasard ◀d’▶un scrutin leur a fait attribuer. Elles préparent les années ◀de▶ solitude à Paris, puis en Suisse pendant la guerre. Elles préparent aussi le retour ◀de▶ Lénine en Russie, au début ◀de▶ 1917, à l’heure où ses adversaires socialistes triomphent apparemment, appuyés par les masses. Ce sont ces phrases enfin et l’attitude intransigeante qu’elles expriment, qui contiennent le secret décisif ◀de▶ la victoire des extrémistes en octobre 1917.
Contre les partisans ◀de▶ l’ouvriérisme intégral et exclusif (l’attitude du PC français jusqu’à cette année) Lénine n’a pas cessé ◀de▶ se répandre en sarcasmes. Martinov, chef des populistes, avait écrit contre Lénine et son organe, l’Iskra, une série ◀de▶ pamphlets dont le ton rappelle à s’y méprendre celui des attaques dont nous sommes l’objet de la part de certains intellectuels stalinisants. « L’Iskra, organe révolutionnaire, déclarait Martinov, flagelle notre régime et principalement notre régime politique, dans la mesure où il heurte les intérêts des catégories les plus diverses ◀de▶ la population. Quant à nous, nous travaillons et travaillerons pour la seule cause ouvrière, en liaison organique étroite avec la lutte prolétarienne. » Lénine cite cette phrase, et conclut brutalement, à sa manière, en s’écriant : « O Sancta simplicitas ! » Les faits lui ont donné raison.
Il ne s’agit pas ici ◀de▶ tirer Lénine ◀de▶ notre côté. Ni ◀de▶ faire nôtre ses déclarations plus ou moins sincères (dans le contexte) concernant la lutte des classes20. Mais les cinq phrases que nous citons ci-dessus définissent une tactique ◀de▶ groupe dont il est impossible ◀de▶ ne pas souligner l’exacte similitude avec la tactique ◀de▶ l’Ordre nouveau
Quand on nous reproche, ◀de▶ divers côtés, ◀de▶ nous limiter volontairement en nombre, ◀de▶ faire trop ◀de▶ théorie21 ; ◀d’▶être plus soucieux ◀de▶ rigueur doctrinale que ◀de▶ « vastes rassemblements » ; ◀de▶ soutenir des thèses constructives « trop avancées pour l’époque » ; enfin, ◀de▶ ne pas nous appuyer sur les seules organisations ouvrières, — quand on nous reproche tout cela, on ignore et on oublie que le premier « théoricien » qui ait mérité ces objections s’appelait tout simplement Lénine. (Reprendre point par point les phrases citées ◀de▶ Que faire ?) ◀D’▶où nous pouvons déduire deux conclusions critiques :
1° Lénine a triomphé en vertu d’une tactique qui n’avait rien ◀de▶ « marxiste » au sens courant et vulgarisé du terme, — alors que la tactique proprement marxiste, qui fut celle du communisme allemand, a conduit au triomphe… ◀d’▶Hitler !
2° Les « hommes ◀d’▶action » ◀de▶ droite et les intellectuels stalinisants qui se croient plus « pratiques » que nous quand ils renvoient aux calendes grecques les tâches « spirituelles » et la construction théorique, oublient les conditions qui assurèrent le seul succès enregistré par le marxisme léniniste.
On nous dira maintenant que cette tactique léniniste a conduit 16o millions ◀d’▶hommes à l’esclavage du travail étatique. Nous répondrons d’abord que les méthodes ◀de▶ Lénine ont été manifestement trahies par le fascisme stalinien, vrai responsable ◀de▶ l’état présent ◀de▶ la Russie. Ensuite, nous ferons observer que Lénine, le premier, a trahi sa tactique dès qu’il est arrivé au pouvoir. Cela était fatal ; cette tactique en effet, s’il faut le répéter, n’avait rien ◀de▶ spécifiquement marxiste. Elle commandait, bien au contraire, un développement ◀de▶ la révolution dans le sens personnaliste. C’est le hiatus entre la tactique ◀de▶ combat avant la prise ◀de▶ pouvoir et les buts collectivistes du gouvernement conquis, qui est à l’origine ◀de▶ la crise étatiste ◀de▶ l’URSS. C’est ce hiatus qui a valu au peuple russe la dictature ◀de▶ transition dont nous ne cesserons ◀de▶ dénoncer les sophismes et les trahisons.
À nous ◀de▶ reprendre maintenant une tactique qui n’est défendable jusqu’au bout que par des révolutionnaires personnalistes. Le « groupe compact », restreint en nombre, exigeant et intransigeant quant à la doctrine, visant non pas au triomphe ◀d’▶une seule classe, mais à l’établissement ◀d’▶un régime à la mesure ◀de▶ la vocation humaine, c’est L’Ordre nouveau. Nos fondements spirituels, personnalistes, nous permettront, nous obligeront même à corriger les déviations que son mépris ◀de▶ l’homme concret devait imprimer à la tactique ◀de▶ Lénine. C’est ainsi — pour ne mentionner qu’un exemple — que nous ne demanderons pas à nos adhérents ◀de▶ devenir des « révolutionnaires professionnels », c’est-à-dire des êtres méthodiquement isolés des contingences humaines. Au contraire, nous poserons comme première condition ◀de▶ toute révolution vraie, que ceux qui luttent pour elle témoignent tout d’abord ◀de▶ leur humanité, c’est-à-dire que nous exigerons qu’ils fassent dans leur ◀vie▶ la première révolution, la seule totale. La révolution pour nous n’est pas une profession, mais une attitude pleinement humaine. Elle n’est pas d’abord une prise ◀de▶ pouvoir économique et politique, après quoi l’on verrait à vivre ; mais elle est d’abord une manière ◀de▶ vivre, qui conduira nécessairement à changer les institutions. Nous ne sommes pas un groupe ◀d’▶agitateurs ou ◀d’▶hommes ◀de▶ main au service ◀d’▶un idéal mythique et vaguement défini. Nous voulons être, et nous serons de plus en plus, un ordre, une communauté ◀de▶ personnes qui ont fait la révolution dans leur ◀vie▶, qui souffrent à cause de cela du désordre établi autour ◀d’▶eux, et qui ne peuvent [faire] autrement que ◀de▶ combattre à chaque pas ce désordre, pour instaurer, dès maintenant, les bases concrètes ◀de▶ l’Ordre nouveau. Avis à ceux, ◀de▶ gauche ou ◀de▶ droite, qui se vantent imprudemment ◀de▶ ne pas savoir où ils vont.