Note sur nos notes (novembre 1936)y
Il y a longtemps que Diderot l’▶a dit :
Tirer un peuple de ◀l’▶état de barbarie, ◀le▶ soutenir dans sa splendeur, ◀l’▶arrêter sur ◀le▶ penchant de sa chute, sont trois opérations difficiles ; mais la dernière est ◀la▶ plus difficile… On décline par un affaissement général auquel on s’est acheminé par des symptômes imperceptibles répandus sur toute ◀la▶ durée fastidieuse d’un long règne. ◀La▶ longue imbécilité d’un monarque caduc prépare à son successeur des maux presque impossibles à réparer.
S’il s’agit de littérature, ◀la▶ traduction des métaphores de Diderot est trop aisée. « Affaissement général », symptômes imperceptibles. On n’a qu’à se baisser, vraiment. Des éditeurs lancent chaque automne leur douzaine de nouveaux romanciers. Quand ils en publiaient naguère deux ou trois, ◀la▶ critique se montrait attentive. Mais on n’aime pas que « ◀l’▶afflux des jeunes talents » soit si visiblement déterminé par ◀les▶ clauses d’un contrat commercial. ◀La▶ littérature d’aujourd’hui pose à chaque instant des questions qui ne sont pas du tout littéraires. ◀Le▶ monarque caduc c’est ◀la▶ culture, c’est ◀l’▶art, c’est cette littérature qui parle dans ◀le▶ vide, pour rien de grand, pour personne de concret, ni pour aucune communauté, — pour on ne sait quel « prestige » évanouissant, ou quels bénéfices commerciaux… Voilà ◀le▶ mal « presque impossible à réparer ».
◀La▶ faute n’est pas à ◀la▶ littérature seule, mais à tout un régime social qui ◀l’▶a laissée devenir ce qu’elle est ; et plus encore à chacun de nous dans ◀le▶ cœur duquel ce régime plonge ses dernières racines vivantes. Il ne s’agit pas de morale ! Ni de condamner pour ◀le▶ mauvais plaisir d’avoir raison. Mais il s’agit de refaire une amitié humaine d’où jaillisse ◀la▶ joie créatrice. Il faut bien constater d’abord qu’elle n’est plus là.
Nous ne sommes pas une école littéraire. Nous ne pensons pas que ◀le▶ temps soit venu d’inventer des canons esthétiques, ni même une rhétorique commune, ou un jargon d’équipe, ou je ne sais quel sabir personnaliste. Au jour où nous en sommes, on ne refait pas un art avec un point de vue d’art, ou de philosophie, ou de morale, mais en refaisant une société où ◀l’▶art exerce une fonction nécessaire. Toutes ◀les▶ grandes littératures sont nées d’une révolution, non d’une émeute dans ◀les▶ lettres. Pour qu’une école se crée, il faut qu’une base commune existe, qui n’existe plus aujourd’hui, qu’il faut commencer par refaire et qui suppose ◀le▶ développement sur tous ◀les▶ plans de ◀la▶ révolution personnaliste.
Nous ne répétons ces choses, ici, que pour mieux définir notre rôle, notre « partialité » fondamentale dans ◀la▶ critique. Nous serons ramenés à tout propos, bon gré mal gré, aux mêmes questions : pourquoi écrivez-vous ? et pour quoi, et pour qui ? Or on ne peut poser ces questions-là que si ◀l’▶on sait, pour son compte, y répondre. Elles jaillissent d’une passion de construire, d’une vision grande du but commun.
Bien écrit, mal écrit, talent ou pas talent, original, influencé, etc., tout cela n’importe qu’à partir des réponses que ◀l’▶on donne au problème éternel : où sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ?
Alors seulement, après cela seulement, ◀le▶ reste aura ◀le droit d’être littérature.