Défense de la▶ culture (janvier 1937)ab
◀Le▶ palais des ducs d’Albe a été détruit par ◀les▶ obus de Franco, et Commune, par ◀la▶ voix d’Aragon, exprime sa juste indignation. Crime contre ◀la▶ culture. Car c’était ◀le▶ parti communiste qui avait pris soin de cette œuvre d’art, après ◀la▶ fuite du propriétaire. « ◀Les▶ domestiques sont restés ici avec ◀les▶ communistes, écrit Aragon. Et ◀le▶ petit chien du duc, qui figure sur ◀le▶ portrait du gentilhomme, fait fête à ses nouveaux camarades, ◀les▶ miliciens, qui jouent avec lui avec une infinie gentillesse. Ne donne-t-on pas au canari de ◀la▶ duchesse chaque jour sa feuille de salade bien verte ? » Si tout cela est fini, c’est à cause du fascisme ! Si vous aimez Goya, adhérez au PC ! Voilà qui est simple.
Mais croit-on que ◀la▶ culture vivante soit beaucoup moins menacée en France ? Est-ce seulement une question de régime ? Est-ce d’abord une question politique ? Culture à gauche, brutalité stupide à droite, — ou inversement ? Ils ont bien ◀l’▶air de ◀le▶ croire, ces messieurs.
Pourtant : on lit de moins en moins, en France, où rien n’entrave ◀la▶ liberté d’éditer et de vendre tout ce que ◀l’▶on imagine. Ce n’est pas ◀le▶ « fascisme » qui expliquera cela. Nous savons, nous aussi, caresser un petit chien, donner sa feuille de salade verte au canari. Et nous ne sommes pas « communistes » pour si peu.
Je constate simplement ceci : ◀le▶ peuple allemand, dont ◀le▶ régime me paraît spécialement dangereux pour ◀la▶ culture, achète des livres, fréquente ◀les▶ théâtres et ◀les▶ concerts, bref, se cultive avec cette sorte de passion que ◀le▶ Français réserve, présentement, sous son régime de liberté, à ◀la▶ lecture de Paris-Soir et Paris-Sports, quand ce n’est pas Paris-Soir-Dimanche. Quels chiffres nos éditeurs pourraient-ils opposer aux tirages invraisemblables des Allemands ? Un roman historique en 3 volumes sur Paracelse, coûtant 25 marks, soit près de 200 fr., atteint au bout de deux ans ◀le▶ quatre-vingt-treizième-mille. ◀Les▶ trois derniers romans d’un jeune auteur, Ernst Wiechert, ont atteint quatre-vingts, soixante-quinze et cent-mille. Et c’est un écrivain de classe ! ◀L’▶essai de Gedat intitulé Un chrétien découvre ◀les▶ problèmes du monde approche du trois-centième-mille un an après sa publication. Et ◀les▶ poètes ne restent pas en arrière : ◀le▶ jeune Gerhard Schuhmann, qui est nazi, a des tirages de douze-mille, et ◀le▶ vieux Ch. Morgenstern, qui ne ◀l’▶est pas, un tirage de cinquante-mille. Repère : le dernier Lagerlöf fait en Allemagne quarante-mille, en France, cinq, etc., etc.
Conclusion ? Si ◀l’▶on mesurait ◀la▶ valeur d’une culture selon des normes soviétiques, il faudrait en conclure que ◀le▶ régime allemand est très supérieur au français. Ce qui est faux. Alors ? Alors on voit que ◀les▶ rapports de ◀la▶ politique, de ◀l’▶économie de ◀la▶ nation et de ◀la▶ culture sont un peu moins simplets que ces partisans ne ◀le▶ croient.
Et que ce n’est pas d’abord contre ◀le▶ fascisme à ◀l’▶étranger, mais d’abord contre ◀l’▶inculture, dans ce pays, qu’il faut défendre ◀la▶ culture.