La fièvre romanesque (janvier 1937)ac
Marcel Arland note à propos du roman d’▶un débutant : « Les personnages n’y semblent naître et se nourrir que ◀de▶ la fièvre ◀de▶ l’auteur. »
N’est-ce pas, en somme, toujours ainsi que les personnages naissent et se nourrissent ? Mais on a convenu ◀de▶ n’en rien laisser paraître. Oui, c’est toujours sa fièvre que le romancier moderne nous propose, mais très diversement vêtue, et il essaie ◀de▶ nous intéresser d’abord aux vêtements. Il entend bien nous la faire attraper cette fièvre mais secrètement, à la faveur ◀de▶ mille « observations » dites objectives, chargées ◀de▶ nous distraire pendant l’opération, et ◀de▶ nous faire croire que ce n’est pas lui qui agit… Pourtant ses personnages ne sont pas plus vrais que lui ; le mieux qu’on puisse attendre, c’est qu’ils le soient, à la limite, autant.
Il me dira ◀d’▶une voix que j’entends déjà : « Mais je n’ai rien voulu ◀de▶ tout cela ! Mes personnages se sont imposés à moi etc. » Je n’ignore pas que des visions parfois bizarres et amusantes, ou émouvantes, souvent fort incertaines et monotones, s’imposent ◀de▶ cette manière au déprimé fiévreux. La question est ailleurs : va-t-on se vanter ◀d’▶être si faible que ◀de▶ céder à toutes ses obsessions ? (Je feindrai ◀d’▶ignorer qu’elles sont anxieusement souhaitées, et cultivées avec des soins jaloux, si par hasard on les obtient.) Qu’on publie ses victoires ou ses défaites mémorables, c’est dans l’ordre. Qu’on atteste par une publication tel acte victorieux ◀de▶ l’homme contre ses servitudes naturelles et les illusions qu’elles entraînent : Goethe ou Balzac n’ont rien fait ◀d’▶autre. Mais toutes ces feuilles ◀de▶ température ! (Même, je feins ◀d’▶ignorer qu’on a chauffé le thermomètre…)