Robert Briffaut, Europe (janvier 1937)ae
On se souvient de▶ la guerre des Balkans. Elle éclata, nous apprend M. Briffaut, parce qu’une baronne juive avait refusé ◀de▶ coucher avec un certain prince Nevidoff, propriétaire ◀de▶ bassins pétrolifères. Cette thèse, après tout vraisemblable — on a bien cru à l’« honneur national » ! — est évidemment symbolique. L’on est censé conclure ◀de▶ ce brillant tableau des vices ◀de▶ l’aristocratie européenne qu’une telle classe est la vraie responsable du cafouillage ◀de▶ 1914. Le héros principal — il y a bien une centaine ◀de▶ personnages tous nobles ou riches — finira certainement dans le marxisme : l’auteur l’y pousse sans trop ◀de▶ discrétion, anticipant ◀d’▶au moins 20 ans sur un mouvement ◀de▶ sensibilité qui fit naguère quelques ravages dans le beau monde.
L’ensemble est assez passionnant. Proust a fourni les personnages, Huxley certain cynisme ◀de▶ naturaliste puritain en révolte contre sa bourgeoisie, Dos Passos le procédé des biographies parallèles, et Franz Lehar les décors ◀d’▶opérette. Catalogue illustré des vices les plus connus, revue à grand spectacle où Jaurès, Mussolini, Lénine, ◀d’▶Annunzio et Nietzsche viennent faire ◀de▶ petits sketches non dénués ◀d’▶à-propos, album ◀de▶ cartes postales en couleur : soir ◀de▶ Capri, jeune princesse peignant à l’aquarelle, baisers dans les jardins pendant le bal, — on s’en veut ◀d’▶aller jusqu’au bout, mais on y va irrésistiblement. Comment légitimer cette complaisance ? C’est peut-être que le monde décrit par Briffaut est en réalité aussi conventionnel qu’on l’imagine. Monde où les clichés romanesques retrouvent enfin leur vérité originelle. Et l’on se laisse aller à ◀de▶ vieux trucs trop éprouvés, ahuri et charmé ◀de▶ découvrir qu’ils jouent, pour une fois, sans tricher.
Mais non : pour condamner une société, il faudrait plus ◀de▶ charité réelle, c’est-à-dire plus ◀de▶ radicale dureté. Et renoncer à la charmer, ou à se laisser charmer — ceci pour moi lecteur — par le tableau ◀de▶ sa déchéance.