Formons des Clubs de presse (30 janvier 1937)f g
Les▶ raisons
Chacun sait et éprouve chaque jour, que ◀l’▶état des dépendances financières ou des partisanneries politiques qui est celui de ◀la▶ presse française, rend à peu près impossibles une documentation objective et une information sincère.
◀Le▶ procès de ◀la▶ presse n’est plus à faire. Sa réforme pose tant de problèmes et entraîne de telles incidences (◀les▶ dangers d’une information d’État : Tass ou DNB sont aussi graves que celles d’un monopole privé) qu’il est à craindre qu’elle ne puisse s’accomplir isolément. Seul ◀le▶ redressement radical et général d’un régime économique où règne aujourd’hui ◀l’▶argent, libérera ◀l’▶information. Ce n’est qu’en attaquant ◀l’▶ensemble des trusts qu’on atteindra celui des journaux.
◀Le▶ but
◀L’▶objet des « Clubs de presse », en même temps que de préparer et d’accélérer cette réforme nécessaire, est de fournir dès à présent à tous ceux qui en éprouvent ◀le▶ pressant besoin, les premiers éléments d’une information honnête, et cela en échappant résolument aux conditions et aux méthodes aujourd’hui faussées de ◀la▶ grande presse imprimée.
◀Le▶ principe
Ce sont ◀les▶ mêmes procédés techniques (imprimerie, grand tirage, publicité, centralisation, etc.) qui ont fait ◀le▶ succès de ◀la▶ presse moderne, qui font aujourd’hui son servage. « ◀L’▶imprimé » qui était, il y a trente ans, synonyme dans ◀l’▶opinion populaire, de vérité, est devenu pour ◀le▶ public, synonyme de mensonge. Il s’agit en attendant que ◀la▶ question puisse être attaquée et résolue de front — de tourner ◀la▶ difficulté en remontant à ◀la▶ source, en renouvelant ◀le▶ mode primitif de ◀l’▶information, ◀l’▶information directe, personnelle et orale.
Déjà aujourd’hui, devant ◀la▶ carence ou ◀la▶ subversion de ◀l’▶information officielle, chercher à obtenir, par des contacts personnels, des renseignements aux sources mêmes, des ◀nouvelles▶ exemptes de déformations ou de tendances. Il s’agit, en contrôlant, en systématisant cette presse parlée qui se crée spontanément, d’établir dans toute ◀la▶ France, un vaste réseau entre ◀les▶ hommes de bonne volonté.
◀Les▶ organismes
On constitue, dans ◀le▶ plus grand nombre possible de localités un « Club de presse ». ◀Les▶ adhérents se réunissent une fois par semaine, pour recevoir et apporter ◀les▶ éléments de cette nouvelle forme d’informations. ◀Le▶ travail est centralisé par un « Comité central des informations », siégeant à Paris, qui envoie chaque semaine un bulletin dactylographié condensant ◀les▶ résultats acquis. Il s’établit ainsi, en quelque sorte, un double courant entre ◀la▶ base et ◀le▶ sommet, qui, après recoupements et vérifications, permet d’élaborer une matière définitive.
Il convient de préciser que ◀le▶ bulletin n’est pas distribué. Il est adressé personnellement et confidentiellement au président responsable de chaque club qui ◀le▶ communique à ses adhérents. Ceux-ci ne sont pas de simples lecteurs passifs, mais des membres actifs, qui participent à une œuvre commune, dans ◀le▶ cadre du Club privé dont ils acceptent ◀les▶ statuts.
Il faut encore ajouter que ◀le▶ « Comité central d’informations » qui rédige ◀le▶ bulletin, n’a pas seulement à sa disposition ◀les▶ renseignements que lui fournissent ◀les▶ clubs de base. Composé lui-même de journalistes, d’économistes, de financiers, de militants, il utilise toutes ◀les▶ Informations directes dans ◀les▶ agences, ◀les▶ rédactions, ◀le▶ parlement, ◀les▶ syndicats, ◀les▶ milieux financiers… Par ◀la▶ diversité de sa composition professionnelle, par ◀l’▶étendue de ses ramifications, il vise à ne délaisser aucune source, à tenir compte de tous ◀les▶ points de vue.
◀Le▶ programme
◀Le▶ bulletin se divise en trois parties
1° une partie politique positive : documentation objective, condensée, sans commentaire, ni appréciations, sur chacun des faits importants de ◀la▶ semaine. Cette première partie doit donner aux membres des clubs, une suite de « matières premières » offrant toute garantie ;
2° une partie critique. C’est une sorte de revue de presse commentée. On y relèvera ◀les▶ contradictions et ◀les▶ déformations de ◀la▶ grande presse ou de ◀la▶ presse d’opinion, en donnant chaque fois ◀les▶ raisons politiques ou financières de telle campagne et aussi de tel silence.
Cette partie a pour but de donner aux adhérents, des moyens de comprendre et de redresser ◀la▶ documentation que continuera à leur fournir ◀la▶ presse. Elle pourrait être une sorte d’école permanente des lecteurs de journaux ;
3° une partie documentaire sur ◀la▶ presse. Tout en cherchant à remédier à ◀l’▶action néfaste de ◀la▶ presse imprimée en se plaçant hors de son domaine, ◀les▶ « Clubs » n’oublient pas que ◀la▶ réforme organique de ◀la▶ presse est ◀le▶ but final. Dans cette partie, on réunira petit à petit, une documentation précise sur ◀la▶ structure et ◀le▶ mécanisme de ◀la▶ presse. Soit en signalant toutes ◀les▶ modifications dans ◀la▶ commandite, ◀la▶ direction, ◀la▶ tendance, etc. des journaux existants ; soit par des études plus générales sur ◀les▶ problèmes financiers, professionnels, législatifs, que pose ◀la▶ réforme de ◀la▶ presse. Dès à présent, de tels documents facilitent aux adhérents ◀l’▶objet de ◀la▶ partie numéro 2 du bulletin : savoir lire avec ◀le▶ minimum de duperie, une presse truquée.
◀L’▶esprit
Il est évident que ◀la▶ portée d’une telle entreprise dépend de ◀la▶ valeur professionnelle et morale et de ◀l’▶honnêteté intellectuelle de ses réalisateurs. ◀Le▶ côté confidentiel et privé de ◀la▶ méthode rend ◀la▶ question particulièrement importante.
◀L’▶expérience seule permettra aux adhérents des clubs de vérifier ◀le▶ sérieux et ◀l’▶indépendance du bulletin. Toutefois ◀les▶ adhérents trouveront au départ une première garantie dans ◀les▶ groupements qui ont pris ◀l’▶initiative de ◀la▶ création et du fonctionnement des clubs de presse. ◀Les▶ « Clubs de presse » sont fondés et dirigés par Denis de Rougemont et R.-Philippe Millet de L’Ordre nouveau , L.-Émile Gallëy et Jean Maze de la Flèche, Jacques Madaule et Emmanuel Mounier d’ Esprit .
Ceux-ci n’entendent nullement impliquer ◀la▶ ligne politique propre des mouvements auxquels ils appartiennent, dans une entreprise qui ne veut être qu’une œuvre stricte d’information, à ◀l’▶exclusivité de tout commentaire et de tout jugement.
Mais ils s’engagent, dans ◀les▶ « clubs de presse », à défendre ◀les▶ principes qui leur sont communs : primauté de ◀la▶ personne humaine, respect de ◀la▶ vérité et lutte contre ◀la▶ tyrannie de ◀l’▶argent.
Louis E. Galey, Jacques Madaule, Jean Maze, R.-Philippe Millet, Emmanuel Mounier, Denis de Rougemont.