Au dossier d’▶une vieille querelle (novembre 1937)ah
Un clerc écrivait récemment qu’il faut se garder ◀d’▶engager ◀la▶ raison dans une aventure — ◀la▶ vie — « où elle ne peut qu’être outragée » (car ◀la▶ vie est irrationnelle). D’autres clercs, conséquents, ne manqueront pas ◀d’▶en conclure qu’ils n’ont pas à se mêler aux luttes sociales et politiques où leur raison a tout à perdre mais que s’ils s’y trouvent mêlés, comme il arrive parfois aux plus prudents, ils feront bien ◀de▶ s’y comporter selon ◀les▶ usages du forum, et ◀de▶ crier avec ◀les▶ loups. « Préservant » ainsi ◀la▶ raison, autant que leur sécurité.
On trouve dans ◀la▶ Logique ◀de▶ Port-Royal, un dilemme assez comparable, « par lequel un ancien Philosophe prouvait qu’on ne se devait point mêler des affaires ◀de▶ ◀la▶ République. Si on y agit bien — disait-il — on offensera ◀les▶ dieux ; donc on ne s’en doit point mêler. » Mais Aristote témoigne qu’on lui répondit : « Si on s’y gouverne selon ◀les▶ règles corrompues des hommes, on contentera ◀les▶ hommes. Si on y garde ◀la▶ vraie justice, on contentera ◀les▶ dieux. Donc on s’en doit mêler. »
◀La▶ Logique observe à propos du premier dilemme — ou sophisme — « qu’il n’est point fâcheux ◀d’▶offenser ◀les▶ hommes, quand on ne ◀le▶ peut éviter qu’en offensant Dieu ». Et au sujet du second : « qu’il n’est pas avantageux ◀de▶ contenter ◀les▶ hommes en offensant Dieu ».
J’en conclus qu’il est bon ◀d’▶engager ◀la▶ raison dans ◀la▶ vie : non point pour qu’elle y reçoive des outrages, mais pour qu’elle-même en fasse subir ◀de▶ salutaires à une vie qui en a grand besoin.
Que cela n’aille pas sans risques, c’est ◀l’▶évidence. Mais il s’agit ◀de▶ savoir ce que ◀l’▶on révère, ◀de▶ ◀la▶ vérité ou ◀de▶ ◀la▶ sécurité. Ce serait une raison bien débile, qui n’oserait s’exercer que sur du rationnel tout fait. S’il y a quelque part du rationnel (que ce soit dans ◀le▶ monde ou dans ◀l’▶esprit) c’est que ◀la▶ raison s’est bel et bien risquée et se risque encore dans ◀le▶ chaos, et qu’elle a su y prévaloir sur quelques points. On ne voit pas bien pourquoi il faudrait s’arrêter.
Et même, à faire ◀le▶ petit rentier du rationnel, on court ◀le▶ risque ◀le▶ plus onéreux : celui ◀de▶ laisser perdre ◀le▶ peu qui fut gagné par d’autres, et dont on vit.