Victoire à Waterloo, par Robert Aron (février 1938)ak
« Soudain joyeux il dit : Grouchy ! — C’était Grouchy. » Et Waterloo fut une victoire. Mais Napoléon abdiqua et termina ses jours à Sainte-Hélène. Tel est le▶ sujet. En somme, mettant un signe plus là où ◀l’▶Histoire met un signe moins, ◀l’▶auteur annule ◀le▶ facteur Waterloo, et nous démontre que ◀l’▶équation Napoléon n’en doit pas moins avoir pour second membre ◀l’▶abdication.
Il y a sans doute une théorie ◀de▶ ◀l’▶Histoire à ◀l’▶origine ◀de▶ cet ouvrage ◀d’▶une passionnante ambiguïté, et qui se donne ◀l’▶air ◀d’▶une « fantaisie ». Prenons ce mot au sens allemand : une « imagination » profonde du destin ◀de▶ Napoléon, voilà ce que nous propose Robert Aron50. Il a pensé qu’il valait mieux tirer ◀de▶ faits fictifs des conséquences vraies, que ◀de▶ tirer comme M. Madelin des conséquences fausses ◀de▶ faits « prouvés ». ◀La▶ thèse peut se discuter. ◀L’▶illustration m’en paraît convaincante. « ◀Le▶ grand étonnement que peut provoquer ce livre, dit ◀la▶ préface, est que pour transformer une défaite en victoire et une abdication forcée en abdication volontaire, il ait fallu si peu changer et si peu imaginer. Il faut vraiment que dans ◀l’▶histoire des hommes ◀les▶ faits interviennent moins qu’on ne croit communément. Il faut vraiment que d’autres facteurs prédominent, facteurs moraux et psychiques. » C’est donc devant sa destinée, et non pas devant Blücher, ce hasard, que ◀l’▶empereur devait succomber.
Mais pourquoi cette victoire à Waterloo ? Parce qu’au cours des journées qui précèdent ◀la▶ bataille, Napoléon a découvert ◀la▶ vie concrète ◀d’▶un pays et des êtres dont c’est ◀la▶ patrie. Il a conçu les premiers doutes humains sur ◀la▶ réalité ◀de▶ son empire, sur son pouvoir abstrait et sa démesure géométrique. Et revenant à ses origines, au moment où ◀le▶ sort ◀de▶ ◀la▶ bataille vacille, il a retrouvé soudain ◀le▶ cri ◀de▶ ◀la▶ Révolution : Vive ◀la▶ Nation ! Or ce cri qui lui donne ◀la▶ victoire ◀le▶ condamne. Je simplifie encore ◀la▶ thèse : Napoléon gagne Waterloo parce qu’il retrouve ◀le▶ « personnalisme » mais cela même dénonce son pouvoir, préfiguration des fascismes. (Lui aussi fut trois fois plébiscité !) Devant ◀les▶ Chambres, il s’écriera : « Prenez conscience, Messieurs, que depuis vingt années nous vivons et nous gouvernons en pleine idéologie. Nous avons fait un empire géant pour n’avoir pas été capables ◀de▶ fédérer nos communes. » Voilà ◀l’▶épigraphe ◀de▶ ◀l’▶ouvrage, qui par ailleurs compose bien d’autres thèmes : celui des îles, celui ◀de▶ ◀la▶ patrie perdue que Bonaparte cherche à se recréer, celui du schizophrène qui « perd ◀le▶ sentiment », celui ◀d’▶une société qu’il faut bâtir « à hauteur ◀d’▶homme » et non pas à hauteur ◀d’▶idéologies.
Peut-être ai-je trop insisté sur ◀l’▶actualité politique ◀de▶ cette méditation personnaliste. Car après tout, c’est une histoire, un des meilleurs romans ◀de▶ ◀l’▶année, et qui se fait lire avec ◀le▶ plus constant plaisir, d’autant que ◀l’▶on pouvait redouter ◀l’▶agacement ◀de▶ ◀la▶ facilité, ◀le▶ même que donne ◀la▶ lecture ◀de▶ romans ◀d’▶anticipation. Il y a bien plus que ◀de▶ ◀l’▶ingéniosité dans ce livre : un sens ◀de▶ ◀l’▶homme et des limites ◀de▶ sa grandeur, un sens ◀de▶ ◀l’▶humour du destin, une vraie poésie ◀de▶ ◀l’▶Histoire, libératrice et excitante pour ◀l’▶esprit. À peine ◀l’▶a-t-on fini qu’on se jette sur Sorel, sur Madelin et sur Aubry, pour leur arracher des aveux à l’appui de ◀la▶ thèse ◀d’▶Aron.