Le Poète et le Vilain (novembre 1938)aj ak
Le poète disait d’▶une belle voix ◀d’▶amertume :
— Nous n’avons plus guère ◀de▶ mesures pour les choses divines et humaines, si nous savons peser ◀d’▶invisibles rayons ◀d’▶énergie. Nos codes ne prévoient pas que l’assassin ◀d’▶un noble sera puni plus sévèrement que n’eût été ce noble assassinant un serf. Même l’indulgence pour les riches a cessé ◀d’▶être bien certaine. Tout homme en vaut un autre, dit la loi ; et ce respect vulgarisé touche au mépris. ◀De▶ là vient que le meurtrier tantôt est acquitté, tantôt décapité. Vous voyez qu’on oscille du tout au rien, selon l’humeur ◀d’▶un jury d’ailleurs désigné par le sort. Il n’en fut pas toujours ainsi.
Jusqu’au viiie siècle ◀de▶ notre ère, les bardes celtes étaient honorés chez les rois. Tenez, lisez ceci : « La valeur du barde du palais, c’est-à-dire le prix qu’on doit payer quand on le tue, est ◀de▶ 126 vaches ; et en cas ◀d’▶insulte, on lui doit une indemnité ◀de▶ 6 vaches et 20 pièces ◀d’▶argent. »
Ailleurs, on voit que si le barde adresse une requête au roi, il doit lui chanter un poème.
S’il s’adresse à un noble, trois poèmes.
Si c’est à un vilain, il faut que le barde chante jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus…
Je répondais à mon ami :
— À chacun selon sa faim. Heureux ceux qui ont une grande faim, c’est à cause ◀d’▶eux qu’il y a ◀de▶ grandes œuvres. Car le vilain qui n’a rien à donner, c’est lui qui vous donnera la joie du chant, plus précieuse que l’objet ◀de▶ vos requêtes au roi.
— Oui, dit le poète, mais sans nobles, sans rois, peut-il y avoir des vilains ?