Le▶ temps des fanatiques (25 novembre 1938)a b
Ce ne sont plus des signes dans ◀le▶ ciel, mais des réalités terrestres et brutales qui nous avertissent aujourd’hui du caractère religieux ◀de▶ notre Histoire. ◀Le▶ fascisme est une religion, ◀le▶ communisme une antireligion. Croix gammée, faisceaux ◀de▶ licteur, faucille et marteau : trois-cents-millions ◀de▶ nos contemporains, s’ils ne portent pas sur eux cette Marque, se voient rejetés ◀de▶ ◀la▶ cité.
Alors ◀les▶ amateurs ◀de▶ clés ◀de▶ ◀l’▶Apocalypse disent aux chrétiens : Voici ◀la▶ Bête ! Et ◀la▶ guerre que vous ferez contre elle, au nom du Christ, sera vraiment une guerre sainte.
Trois fois déjà, depuis vingt ans, on nous a sommés ◀de▶ choisir entre ◀le▶ Mal et ◀le▶ Bien incarnés. « Au nom du Christ ; nous disait-on, en avant contre ◀les▶ Soviets ! Haro sur ◀les▶ rouges ◀d’▶Espagne ! Déclarez ◀la▶ guerre à Hitler ! Ils persécutent ◀les▶ Églises chrétiennes. Lutter contre eux, c’est embrasser ◀le▶ parti du Bien. » Et nous voici embrigadés dans ◀la▶ « Croisade » — moralement, cela va sans dire… Dès lors, nous sommes en règle avec notre conscience. Il n’y a plus à discuter. ◀Le▶ temps des nuances est passé. ◀L’▶état de siège est proclamé. Et celui qui demande à voir, celui qui estime encore que tout n’est pas si clair, ni si simple, ni si tranché, se voit aussitôt suspecté ◀de▶ connivence avec ◀les▶ « méchants ». Il fait leur jeu, dit-on, même s’il se croit sincère. C’est un naïf, ou un rusé, ou bien un lâche…
Eh bien, tant pis pour moi ! Je demande à voir. Si ◀l’▶on veut m’engager au nom du Christ, mon seul salut, j’ai même ◀le▶ devoir ◀d’▶y regarder à deux fois avant de donner mon adhésion. Que voulez-vous, je suis calviniste, et quand on me dit : Ceux-ci sont des méchants, je veux bien ◀le▶ croire, mais je demande : Parmi ceux-là qui ◀les▶ attaquent, n’y aurait-il par hasard que des chrétiens ? Quand on me dit que ◀les▶ communistes sont des sans-Dieu, je ne dis pas non, je ne suis pas illettré ; mais je me demande si ◀le▶ trust des pétroles, qui mène ◀la▶ lutte contre ◀la▶ Russie rouge dans toute ◀la▶ presse qu’il possède en Europe, ◀le▶ fait vraiment au nom de ◀l’▶Évangile ? Et je me demande si cet ordre établi que ◀l’▶on nous invite à défendre, et qui comporte entre autres éléments ◀le▶ chômage et ◀la▶ prostitution, se fonde vraiment sur ◀l’▶Évangile ? Quand on me dit que ◀les▶ rouges ◀d’▶Espagne brûlent ◀les▶ églises, je ne dis pas non : ils s’en vantent eux-mêmes. Mais je me demande si ◀les▶ soutiens ◀de▶ M. Franco, qui sont ◀le▶ Duce et ◀le▶ Führer, ne ◀le▶ soutiennent vraiment qu’au nom du Christ ? Pourquoi donc ces dictateurs iraient-ils protéger en Espagne une Église qu’ils attaquent chez eux ? Et quand on me dit, d’un autre côté cette fois : Vous voyez bien, ◀les▶ dictateurs sont ◀les▶ ennemis du christianisme ! — je ne dis pas non, je ◀les▶ ai vus ◀de▶ près. Mais je me demande si ◀le▶ maintien ◀de▶ ◀l’▶empire anglais et ◀de▶ ◀l’▶hégémonie française est une part indiscutable et révélée du plan ◀de▶ Dieu pour notre époque ? Je me demande si ◀la▶ campagne en faveur du « réarmement » résulte vraiment et d’abord ◀d’▶un sursaut ◀de▶ ◀la▶ conscience chrétienne ? Où peut aller cette « croisade » qui réjouit tant M. Staline…
Alors on me dit : Vous parlez politique, quand il s’agit ◀de▶ sauver ◀l’▶Église. À quoi je réponds : Croyez-vous, chers amis, que vous n’en parlez pas vous-mêmes ? ◀Les▶ chrétiens qui se lancent dans une croisade ne ◀le▶ font-ils que pour sauver ◀l’▶Église ? Et même dans ce cas, est-ce une raison pour renoncer à toute clairvoyance ? À toute honnête information ? ◀Le▶ fanatisme et ◀le▶ simplisme, voilà ce que ◀le▶ diable juge assez bon, ◀de▶ nos jours, pour attraper ◀les▶ enfants ◀de▶ ◀la▶ Lumière !
J’aimerais beaucoup qu’on ne déduise pas ◀de▶ ces propos qu’à mon avis ◀les▶ chrétiens doivent se taire, se retirer dans une neutralité plaintive, et laisser ◀le▶ pauvre monde se débrouiller. Je suis tout prêt, en ce qui me concerne, à prendre énergiquement parti après une enquête loyale. Mais ◀de▶ grâce, qu’on ne mêle pas tout sous prétexte de christianisme ! Qu’on n’appelle pas « croisade » ou « guerre sainte » des entreprises qui, du point de vue ◀de▶ ◀l’▶Évangile, resteront toujours profondément impures. Surtout, que ◀l’▶on nous laisse, à nous chrétiens, ◀le▶ privilège de plus en plus dangereux ◀de▶ reconnaître ◀les▶ péchés du parti que nous adoptons. Car je vois que tous ◀les▶ partis sont, dans ◀le▶ fait, au service ◀de▶ grandes religions adversaires ◀de▶ ◀la▶ foi chrétienne : Prolétariat, Empire, Race, Droits de l’homme, Argent. Donc il n’y a pas ◀de▶ causes justes, même s’il y en a ◀de▶ moins injustes, relativement. Donc il ne peut y avoir ◀de▶ guerres saintes. Et notre dernier mot, comme chrétiens, ne peut pas être « ◀la▶ guerre sainte » ni davantage « ◀la▶ paix à tout prix ». Il doit être et rester : vigilance. Dans cette nuit universelle où ◀la▶ Colère ◀de▶ Dieu sévit par ◀les▶ mains ◀de▶ quelques tyrans, on demande au chrétien comme jadis au Prophète : « Sentinelle, que dis-tu ◀de▶ ◀la▶ nuit ? — ◀La▶ sentinelle a répondu : ◀le▶ matin vient et ◀la▶ nuit aussi ! Si vous voulez interroger, interrogez ! Convertissez-vous et revenez ! »
Évasion ? Non pas. Réalisme. ◀La▶ force réelle des tyrans est religieuse. Et ◀la▶ foi seule peut vaincre une religion païenne.