L’▶Âme romantique et ◀le▶ rêve (15 août 1939)c
◀Le▶ recours à ◀l’▶inconscient, pour expliquer ◀la▶ conduite des individus ou des collectivités, c’est l’un des traits typiques ◀de▶ notre siècle. Or ◀l’▶inconscient est ◀la▶ grande découverte — ou ◀l’▶invention — des romantiques allemands. C’est donc l’une ◀de▶ nos origines ◀les▶ plus profondes que nous révèle M. Albert Béguin, en publiant son gros volume sur ◀L’▶Âme romantique et ◀le▶ rêve. Livre charmant et capiteux, malgré sa gravité d’ailleurs jamais sévère ; au point que ◀l’▶on craindrait ◀d’▶en détourner certains lecteurs en remarquant que c’est aussi un ouvrage ◀d’▶actualité, au sens ◀le▶ plus pénétrant ◀de▶ ce terme. Et pourtant, il faut bien ◀le▶ dire : cette révélation du romantisme allemand dans ce qu’il eut ◀d’▶audacieux et ◀de▶ tragique ne présente pas seulement un intérêt littéraire ◀de▶ tout premier ordre ; elle revêt une portée proprement religieuse. Et par là même — car nous vivons au seuil ◀de▶ ◀l’▶ère des mystiques collectives — cette lecture nous introduit aux vertiges spirituels ◀d’▶où sont nés des mouvements politiques tels que ◀le▶ national-socialisme. Peu à peu, elle dévoile à nos yeux une sorte ◀d’▶unité profonde sous-jacente aux tourments du siècle.
Une vague ◀de▶ rêves a submergé notre littérature, depuis ◀la▶ guerre ; et voici que renaît, ◀d’▶une manière bien frappante, ◀l’▶intérêt ◀de▶ beaucoup pour ◀les▶ études mystiques ; voici que se répand ◀l’▶usage, et même ◀l’▶abus, du terme ◀de▶ « mystique » dans ◀l’▶ordre politique ; voici enfin qu’un grand empire réalise au milieu de ◀l’▶Europe ◀la▶ plus inquiétante synthèse ◀de▶ religiosité, ◀de▶ politique, ◀de▶ rêve et ◀de▶ mystique élémentaire. Or, ces faits ne sont pas seulement coïncidents. Ce n’est point du hasard qu’ils sont nés. Et si tout nous invite à rechercher leur secrète complicité, rien n’est plus propre que ◀l’▶ouvrage ◀d’▶Albert Béguin à nous guider dans ◀la▶ pénombre où s’émeut leur commune origine.
I. ◀Le▶ Rêve et ◀la▶ Mystique
◀La▶ conscience claire est la première conquête spirituelle des hommes angoissés par ◀le▶ mystère ◀d’▶une nature hostile et mouvante. ◀La▶ parole ◀de▶ raison, qui distingue ◀les▶ choses, ◀les▶ arrête et ◀les▶ identifie, apparaît comme une délivrance, une victoire sur ◀le▶ chaos panique. Mais cette victoire, lorsqu’elle est trop complète, lorsqu’elle est devenue trop ancienne et facile, laisse ◀l’▶homme sur un sentiment ◀de▶ déception et ◀d’▶indicible appauvrissement. ◀Le▶ monde rationnel est rassurant, mais beaucoup de questions y demeurent sans réponse, et des faims ancestrales sans pâture. ◀D’▶où renaît, peu à peu, une angoisse nouvelle, une attraction, comparable au vertige, vers ces régions ◀de▶ ◀l’▶être obscur que ◀le▶ bon sens et ◀la▶ philosophie prétendaient mettre au ban ◀de▶ ◀l’▶humanité. Et tandis que dans sa panique ◀l’▶homme primitif s’était tourné vers ◀la▶ raison libératrice, au terme des époques appauvries ◀de▶ mystère ◀l’▶homme sceptique se rejette avec passion vers ◀les▶ « aspects nocturnes » ◀de▶ sa nature. Ainsi naquit ◀le▶ romantisme allemand après ◀le▶ siècle des Lumières. Ainsi renaissent nos soifs mystiques élémentaires après un siècle ◀de▶ science positiviste. Est-il vrai que ◀la▶ nuit et ◀le▶ rêve n’ont rien à révéler qui importe au jour ? Est-il vrai que ◀la▶ passion, ◀l’▶angoisse et ◀la▶ folie sont moins réelles que nos sagesses tyranniques ? « Songe est mensonge », décrétait ◀la▶ raison. Mais elle nous a laissés sur notre faim. ◀Le▶ songe, au contraire, nous propose des paradis et des terreurs ◀d’▶une intensité séduisante. Serait-il ◀le▶ signe, ou ◀l’▶entrée, ◀d’▶une Vérité supérieure ? Telle est ◀la▶ question que posèrent les premiers romantiques allemands. « Ils admettent tous, écrit M. Béguin, que ◀la▶ vie obscure est en incessante communication avec une autre réalité, plus vaste, antérieure et supérieure à ◀la▶ vie individuelle. » Mais quelle est cette réalité ? Notre nature profonde ou ◀la▶ divinité ? « Plus nous nous retirons en nous-mêmes, en nous détournant des apparences, et plus nous pénétrons dans ◀la▶ nature des choses qui sont hors de nous », affirme un des théoriciens du premier romantisme, Ignaz Troxler. Mais encore : s’agit-il vraiment des choses qui sont hors de nous, ou bien seulement ◀de▶ choses qui, en nous, étaient restées secrètes pour ◀la▶ conscience ? Tieck pose très nettement ◀la▶ question : « Il faudrait savoir jusqu’à quel point nos songes nous appartiennent. » Quand nous rêvons, « est-ce nous qui nous jouons ◀de▶ nous-mêmes, ou bien une main ◀d’▶en haut brasse-t-elle ◀les▶ cartes ? » Déjà E. T. A. Hoffmann insinue ◀la▶ réponse : « Et si un principe spirituel étranger à nous-mêmes était ◀le▶ mobile ◀de▶ ces irruptions soudaines ◀d’▶images inconnues qui se jettent à ◀la▶ traverse ◀de▶ nos idées ◀d’▶une manière si brusque et si saisissante ? » ◀De▶ là à penser que ◀le▶ rêve est « un vestige du divin », il n’y a que ◀l’▶épaisseur ◀d’▶un scrupule ◀d’▶orthodoxie, ◀d’▶une dernière crainte ◀de▶ confondre ◀l’▶homme et Dieu. Troxler esquive non sans adresse ◀la▶ difficulté et ◀le▶ choix : pour lui, ◀le▶ rêve est « tantôt un écho du supraterrestre dans ◀le▶ terrestre, tantôt un reflet du terrestre dans ◀le▶ supraterrestre » ; ou encore : « Ce qui rêve en nous, c’est ◀l’▶Esprit à l’instant où il descend dans ◀la▶ matière », mais c’est aussi « ◀la▶ Matière, à l’instant où elle s’élève jusqu’à ◀l’▶Esprit ».
Voilà bien ◀la▶ profonde ambiguïté où naît ◀le▶ romantisme, et dont il vit ! Croire que ◀le▶ rêve ne révèle rien que nos secrets, ce serait tomber dans ◀la▶ psychanalyse. Croire qu’il révèle aussi un monde supérieur, c’est entrer dans ◀la▶ voie mystique. Si la plupart des romantiques n’ont pas choisi en toute clarté — ruse vitale pour des poètes —, tous ◀les▶ textes cités par Béguin nous inclinent à penser qu’ils sont plus proches des mystiques que des psychanalystes. Au fond, lorsqu’ils se demandent si ◀le▶ rêve est connaissance ou illusion, et si c’est « l’Autre », ou ◀le▶ moi sombre et son néant, que ◀l’▶on atteint au fond ◀de▶ ◀l’▶inconscient, ils formulent ◀le▶ problème crucial qui se pose à tous ◀les▶ mystiques.
Albert Béguin lui-même nous invite trop souvent à établir ce parallèle pour que nous puissions ◀l’▶esquiver. Essayons ◀d’▶en relever quelques points.
Au départ, cette même attention prêtée aux signes, aux intuitions, aux rencontres fortuites en apparence, mais que ◀l’▶âme prédisposée interprète aussitôt comme des messages. Cela suppose un état passionné, une certaine température où toutes choses deviennent translucides, une nostalgie longtemps déçue et qui s’empare avec avidité des plus furtives promesses ◀de▶ bonheur, surtout si elles sont assez obscures et ambiguës pour échapper au froid contrôle ◀de▶ ◀la▶ raison. Toute ◀la▶ poésie romantique, de même que ◀la▶ surréaliste, est à ◀l’▶affût des « surprises pleines ◀de▶ sens » dont nous parlent aussi ◀les▶ mystiques.
Une autre analogie, assez frappante, c’est ◀le▶ rôle ◀de▶ ◀la▶ rhétorique chez ◀les▶ poètes du rêve et ◀les▶ mystiques. ◀Le▶ philosophe G. von Schubert, comme plus tard ◀le▶ poète Jean-Paul, insistent sur un fait que Freud utilisera jusqu’à ◀l’▶abus : c’est que ◀l’▶esprit abandonné au rêve s’exprime ordinairement dans un langage métaphorique et régulier, comme s’il était soumis, en ce domaine, à des lois plus précises et plus constantes que celles qui ◀le▶ régissent à ◀l’▶état ◀de▶ veille. D’autre part, ◀l’▶on sait bien que ◀les▶ mystiques, fussent-ils ◀de▶ religions différentes — hindous, musulmans ou chrétiens — ont ◀de▶ tout temps réinventé ◀les▶ mêmes figures ◀de▶ langage pour traduire ◀l’▶ineffable qu’ils vivaient. Et ceci nous amène au problème central : celui ◀de▶ ◀l’▶expression ◀d’▶un indicible. Il nous faut dépasser ici ◀le▶ domaine circonscrit du rêve. ◀Les▶ romantiques, d’ailleurs, ont été bien au-delà, dans leur exploration ◀de▶ ◀l’▶inconscient. ◀Le▶ songe, pour eux, n’est que ◀la▶ « porte » ouvrant sur ◀le▶ monde ineffable, qui est proprement ◀le▶ domaine des mystiques. Toute expérience mystique ou romantique présuppose ◀l’▶existence ◀d’▶un centre ou ◀d’▶un tréfonds divin ◀de▶ ◀l’▶âme (c’est ◀l’▶Un-grund de Jakob Boehme), dont on ne peut rien dire, et qui cependant est ◀la▶ source ◀de▶ tout ce que ◀l’▶on dit. C’est ◀l’▶ineffable, ◀l’▶indicible, ◀le▶ royaume du Silence absolu ; et pourtant — voici ◀le▶ paradoxe —, nous voyons bien que ◀les▶ grands mystiques, et après eux ◀les▶ romantiques, passent leur vie à en parler, à en écrire, à tenter ◀de▶ ◀le▶ cerner par des figures qui, n’étant jamais suffisantes, doivent être inépuisablement multipliées. Disons-◀le▶ sans ◀la▶ moindre irrévérence : nul n’est plus verbeux qu’un mystique, si ce n’est un romantique allemand. Car l’un et l’autre ont ◀l’▶ambition ◀de▶ communiquer par ◀l’▶écrit ce qu’ils ne cessent ◀de▶ définir comme ◀l’▶indicible. Dès lors, ◀la▶ plainte sera ◀la▶ même, qu’il s’agisse ◀d’▶une Thérèse d’Avila ou simplement du bonhomme Tieck : Donnez-moi des « paroles nouvelles pour exprimer ◀l’▶inexprimable », dit ◀la▶ sainte ; et ◀le▶ poète : « Mais où trouver des mots pour dépeindre, même faiblement, ◀la▶ merveille ◀de▶ ◀la▶ vision qui s’offrit à moi et qui, transformant mon âme, m’entraîna au-devant ◀d’▶une réalité invisible, divine, ◀d’▶une ineffable splendeur ? Un indicible ravissement me souleva tout entier… » Peut-être touchons-nous ici ◀le▶ mystère même, ◀la▶ source inépuisable, ◀le▶ point originel et fascinant ◀de▶ tout jaillissement du langage, ◀de▶ toute expression littéraire. « Où trouver des mots ? », gémissent-ils. ◀La▶ plainte est sincère et tragique. Mais combien ◀de▶ mots leur fera-t-elle accumuler pour dire que rien ne saurait être dit…
Et pourtant si, romantiques et mystiques sont persuadés que, nonobstant leur impuissance à traduire ◀l’▶inconscient ou ◀l’▶indicible, ils ont entendu quelque chose. « Je crois avoir fait une découverte importante, écrit Ritter, celle ◀d’▶une conscience passive ◀de▶ ◀l’▶involontaire. » Et sur cette base, la seconde génération du romantisme va formuler sa fameuse théorie ◀de▶ ◀l’▶inspiration — tellement vulgarisée ◀de▶ nos jours qu’on en oublie ◀l’▶origine mystique : « ◀Le▶ poète et ◀le▶ rêveur sont passifs ; ils écoutent ◀le▶ langage ◀d’▶une voix qui leur est intérieure et pourtant étrangère, qui s’élève dans ◀les▶ profondeurs ◀d’▶eux-mêmes sans qu’ils puissent faire autre chose que ◀de▶ saluer là ◀l’▶écho ◀d’▶un discours divin. »
Alors ◀le▶ doute n’est plus permis : ◀l’▶analogie purement formelle que nous décrivions jusqu’ici devient une profonde identité. ◀L’▶intervention ◀de▶ ◀la▶ catégorie « passivité » nous fait comprendre ◀la▶ nature du Silence et ◀de▶ ◀l’▶indicible dont nous parlaient mystiques et romantiques : c’est ◀la▶ négation et ◀la▶ mort du monde des formes et du langage humain, ◀la▶ négation et ◀la▶ mort du divers, du moi distinct et agissant. C’est ◀la▶ Nuit des sens et ◀de▶ ◀l’▶esprit que décrit un Jean de la Croix, et dont ◀la▶ nuit des songes, chantée par ◀les▶ poètes, n’était que ◀le▶ symbole et ◀le▶ signe physique6. C’est « ◀le▶ royaume ◀de▶ ◀l’▶Être qui se confond avec ◀le▶ royaume du Néant, ◀l’▶éternité enfin conquise et dont ◀la▶ plénitude ne peut humainement s’exprimer que par ◀l’▶image ◀de▶ ◀l’▶absence ◀de▶ toute créature, ◀de▶ toute forme. » Car nous ne percevons et n’exprimons que ◀le▶ divers et ◀le▶ distinct, ce qui a pris forme ; tout ce que notre conscience a séparé du Tout. Et c’est cela qui constitue notre réalité ◀de▶ tous ◀les▶ jours. Pour rejoindre ◀le▶ Tout et ◀l’▶Unité, il s’agit donc ◀de▶ perdre ◀le▶ Divers, ◀de▶ perdre ◀le▶ réel, ◀de▶ se perdre soi-même, pour se confondre avec cet Indicible qui reste, aux yeux de ◀la▶ chair, ◀le▶ pur Néant.
Ainsi, ◀le▶ terme ◀de▶ ◀la▶ quête romantique, à travers ◀les▶ images du rêve, s’identifie avec ◀le▶ terme ◀de▶ toute expérience mystique : c’est ◀la▶ « pure présence ineffable », ◀la▶ « contemplation sans objet ». Je pense donc qu’il est légitime ◀de▶ suivre Albert Béguin dans cette conclusion : « ◀La▶ grandeur du romantisme restera ◀d’▶avoir reconnu et affirmé ◀la▶ profonde ressemblance des états poétiques et des révélations ◀d’▶ordre religieux, ◀d’▶avoir ajouté foi aux pouvoirs irrationnels et ◀de▶ s’être dévoué, corps et âme, à ◀la▶ grande nostalgie ◀de▶ ◀l’▶être en exil. »
II. ◀L’▶Être en exil
Ce sentiment ◀d’▶exil que nous trouvons à ◀l’▶origine des expériences mystiques ◀les▶ plus diverses, ◀d’▶où naît-il, dans quel souvenir ◀d’▶une patrie heureuse et perdue ? On aura bientôt fait ◀de▶ répondre en alléguant notre double nature, corporelle et spirituelle. Mais ◀d’▶une constatation si générale, comment passer à ◀l’▶élucidation ◀de▶ ce fait ◀le▶ plus singulier dans ◀la▶ vie ◀de▶ ◀l’▶esprit humain, qui est ◀l’▶engagement sur ◀la▶ via mystica ? S’il est permis — comme on ◀l’▶admet un peu trop facilement ◀de▶ nos jours — ◀de▶ tirer ◀de▶ ◀l’▶étude des maladies une vue nouvelle sur ◀les▶ structures ◀de▶ ◀l’▶homme, peut-être pouvons-nous demander à ◀la▶ biographie des romantiques quelques lumières sur ◀les▶ mystiques proprement dits, tout au moins sur ◀les▶ causes humaines du sentiment ◀d’▶exil où leur passion s’éveille. ◀Le▶ chapitre important consacré par Béguin à Karl Philip Moritz peut nous y aider.
Né dans un milieu quiétiste et piétiste, en plein xviiie siècle rationaliste, Moritz fut l’un des tout premiers à se tourner vers ◀l’▶étude des rêves. Il s’y trouvait prédisposé par ◀l’▶habitude ◀de▶ ◀l’▶examen ◀de▶ conscience en profondeur tel que ◀le▶ pratiquaient autour de lui ◀les▶ disciples ◀de▶ madame Guyon7. Non content de publier une revue entièrement consacrée à des analyses ◀de▶ rêves, Moritz écrivit deux romans autobiographiques qui nous permettent ◀de▶ pénétrer ◀l’▶intimité ◀d’▶une expérience prémystique (ou faut-il dire ◀d’▶une expérience mystique privée ◀de▶ ◀la▶ grâce, réduite à ses aspects purement humains ?)
◀Le▶ point ◀de▶ départ paraît bien être une blessure qu’il reçut ◀de▶ ◀la▶ vie, un choc qui ◀l’▶a laissé béant sur une contradiction irrémédiable entre ◀la▶ dure réalité et ◀les▶ désirs profonds du moi. Blessure si cruelle et intime que sa conscience en évite ◀le▶ souvenir (ou ◀le▶ refoule comme dira Freud) ◀de▶ telle manière que ◀la▶ cause secrète ◀de▶ sa douleur en vient à se confondre avec ◀le▶ fait ◀de▶ vivre en général. ◀D’▶où ◀l’▶idée qu’il doit « expier ◀la▶ faute qu’il n’a commise que par son existence même ». Un philosophe mystique tel que Ignaz Troxler n’hésitera pas à élargir ◀le▶ processus jusqu’à y englober tout ◀l’▶univers, atteint par ◀le▶ péché originel : « Sous quelque angle qu’on veuille ◀l’▶examiner, ◀l’▶homme trouve en lui une blessure qui déchire tout ce qui vit en lui, et que peut-être lui fit ◀la▶ Vie même. » Non sans lucidité, Moritz a su dépeindre ◀l’▶état ◀de▶ conscience qui naît ◀de▶ cet obscur déchirement : « C’était comme si ◀le▶ poids ◀de▶ son existence ◀l’▶eût accablé. Qu’il dût, jour pour jour, se lever avec lui-même, se coucher avec lui-même, traîner après lui, à chaque pas, son moi détesté…, qu’il dût désormais, inexorablement, être lui-même… cette idée ◀le▶ plongea peu à peu dans un désespoir qui ◀l’▶amena au bord de ◀la▶ rivière… » Prenons-y garde : ce moi détesté, c’est ◀la▶ fatalité ◀de▶ ◀l’▶être individuel, charnel, créé, et lié à toute ◀la▶ création. C’est par lui et à travers lui que ◀la▶ conscience perçoit ◀la▶ réalité extérieure ; comme lui donc, cette réalité apparaîtra blessée et douloureuse. Se détester revient à détester ◀le▶ monde. ◀L’▶incapacité ◀d’▶accepter ◀le▶ monde réel est signe ◀d’▶une incapacité ◀de▶ s’accepter soi-même — à cause de cette blessure qu’il s’agit ◀d’▶oublier si ◀l’▶on ne parvient pas à ◀l’▶expier. Et en effet, à ◀la▶ faveur ◀de▶ cet oubli, ◀de▶ ce refus, ◀le▶ moi perd peu à peu ◀de▶ sa réalité : ◀d’▶où ◀le▶ sentiment si fréquent chez la plupart des romantiques ◀d’▶être mal assuré ◀de▶ sa propre identité, et ◀d’▶avoir à ◀la▶ rechercher précisément dans ◀le▶ passé. Moritz décrit ainsi ◀le▶ héros ◀d’▶un ◀de▶ ses romans : « Il lui parut qu’il s’était échappé entièrement à lui-même et qu’il lui fallait avant toute démarche se rechercher lui-même dans ◀la▶ série ◀de▶ ses souvenirs. Il sentait que ◀l’▶existence n’a ◀d’▶appui ferme que dans ◀la▶ chaîne ininterrompue des souvenirs8 ». Mais, comme ◀le▶ note Albert Béguin, Moritz à cet endroit, « tourne court, incapable une fois de plus ◀de▶ saisir ◀la▶ pensée salvatrice ». C’est qu’il est un souvenir interdit, trop douloureux pour être revécu. ◀Le▶ moi malade échoue à se ressaisir dans ◀la▶ mémoire, puisque ◀la▶ cause ◀de▶ sa maladie est justement ce qu’il ne peut se remémorer, cette lacune qui est à ◀l’▶origine ◀de▶ ◀la▶ conscience divisée.
Comment alors sortir du cercle, comment guérir ? Comment récupérer ◀la▶ vie totale dans sa bienheureuse unité ? Ce n’est plus possible ici-bas, dans ◀la▶ prison du moi coupable et douloureux. Il faudra donc chercher au-delà. Et nous avons vu que ◀le▶ rêve, ou ◀la▶ descente au fond ◀de▶ ◀l’▶inconscient, représentent pour ◀les▶ romantiques ◀les▶ voies ◀d’▶un retour au monde perdu, à ◀la▶ « vraie vie » qui est « ailleurs », comme dit Rimbaud. Vie ◀d’▶expansion indéfinie dans ◀l’▶univers ou ◀la▶ divinité. Vie ◀d’▶innocence retrouvée : car ◀le▶ moi qui s’y perd, perd aussi ◀le▶ sentiment ◀de▶ sa culpabilité.
Mais ◀d’▶une autre manière encore, et plus précise, ◀le▶ rêve ou ◀la▶ via mystica sont des moyens ◀de▶ récupérer ◀le▶ monde perdu. Ce qu’il faut souligner ici, c’est que ◀la▶ tendance à ◀la▶ dilatation panthéiste ou mystique ◀de▶ ◀l’▶être revêt presque toujours ◀la▶ forme ◀d’▶un vœu ◀de▶ mort. ◀Le▶ sommeil préfigure ◀la▶ mort pour ◀le▶ poète romantique ; et ◀la▶ mort progressive à soi-même est ◀l’▶ambition ◀de▶ tous ◀les▶ vrais mystiques. Mais pourquoi voudrait-on mourir ? ◀La▶ biographie ◀de▶ plusieurs des poètes étudiés par Béguin nous indique une réponse. En effet, ◀la▶ blessure dont ils souffrent est presque toujours symbolisée par ◀la▶ perte ◀d’▶un être aimé. Passer dans l’autre monde, c’est retrouver ◀la▶ morte ! « ◀L’▶expérience typique, qui est celle ◀de▶ Jean-Paul à ◀la▶ mort ◀de▶ ses amis, ◀de▶ Novalis perdant Sophie von Kühn ou de Nerval poursuivant ◀l’▶image ◀d’▶Aurélia, Anton Reiser (◀le▶ héros ◀de▶ Moritz) ◀la▶ fait dès ◀l’▶enfance, lorsqu’il s’interroge sur ce qu’est devenue sa petite sœur : ◀le▶ vœu ◀de▶ retrouver ◀la▶ morte, ◀de▶ communier avec un autre univers, lui fait mépriser cette vie, sentir ses limites, mettre tout son espoir dans une existence ◀d’▶outre-tombe ». ◀Le▶ rêve ou ◀la▶ via mystica seront cette existence ◀d’▶outre-tombe vécue dès ici-bas, ◀d’▶une manière indicible. Et peut-être pourrait-on dire que ◀l’▶expérience mystique générale ne devient proprement chrétienne que dans ◀le▶ cas où ◀l’▶être aimé, sur ◀la▶ mort duquel on médite, est ◀la▶ personne du Christ crucifié — ou se confond avec elle indiscernablement. ◀Les▶ romantiques n’ont pas été si loin dans ◀la▶ voie des sublimations — sauf peut-être Jean-Paul et Novalis. Ils n’arrivent pas à retrouver dans leur au-delà une Présence qui pardonne, qui guérisse, et qui leur rende alors ◀la▶ force ◀d’▶accepter leur moi coupable et ◀le▶ monde réel. ◀La▶ « contemplation sans objet » à laquelle ils parviennent en ◀de▶ très rares instants n’est plus alors qu’un moyen ◀de▶ jouir ◀d’▶une « sensation voluptueuse » (comme dit Moritz) ◀de▶ sa propre dissolution, un moyen détourné ◀de▶ revivre sa blessure, ou plutôt ◀l’▶élan même qu’elle a brisé, mais sans se ◀l’▶avouer et sans pouvoir ◀la▶ reconnaître ou ◀l’▶exprimer… C’est ◀le▶ mouvement fondamental ◀de▶ toute passion, ◀le▶ mouvement ◀d’▶un amour qui préfère ◀le▶ néant aux limitations ◀de▶ ◀la▶ vie — ◀la▶ joie devant ◀la▶ mort ◀de▶ Tristan et ◀d’▶Isolde.
III. Mystique et Personne
◀L’▶exemple des romantiques allemands illustre une relation profonde et constante dans ◀l’▶homme : celle qui existe entre ◀le▶ recours à ◀l’▶indicible et ◀la▶ fuite devant ◀le▶ moi personnel. Se réfugier dans ◀l’▶indicible, c’est entretenir une équivoque dont il y a lieu ◀de▶ craindre qu’elle soit intéressée. Au contraire, s’exprimer, c’est toujours s’avouer, c’est se donner pour responsable ◀de▶ sa pensée et ◀de▶ ses actes. Mais voilà justement ce qui répugne aux romantiques ! ◀D’▶où leur fuite dans un monde dont on ne peut rien dire. ◀D’▶où encore ◀le▶ besoin qu’ils éprouvent ◀d’▶affirmer surabondamment que ◀l’▶on n’en peut rien dire que par des allusions, des métaphores, des poèmes « inspirés ». À ce niveau, ◀le▶ mysticisme donne naissance à ◀la▶ plus émouvante littérature. Mais il faut reconnaître aussi que s’y révèle une maladie ◀de▶ ◀la▶ personne.
◀Le▶ paradoxe ◀de▶ ◀l’▶expression ◀d’▶un Indicible est tellement essentiel au romantisme que je n’hésite pas à y trouver ◀l’▶explication ◀d’▶un fait connu ◀de▶ tous ◀les▶ historiens : c’est ◀l’▶incapacité des romantiques à donner des œuvres achevées. En effet, ◀le▶ mouvement ◀de▶ ces poètes est inversé ◀de▶ celui du Créateur. Créer, c’est donner forme, et ils voudraient nier ◀les▶ formes ; c’est limiter, et ils aspirent à ◀l’▶expansion indéfinie ; c’est définir par ◀la▶ parole et ◀l’▶acte, et ils recherchent ◀le▶ silence passif. Aussi n’ont-ils laissé pour la plupart que des fragments, des allusions, des éclats fugitifs ou « illuminations », pareils aux souvenirs ◀d’▶un rêve qui s’efface. Cela dont ils voulaient parler, cet Indicible ou ce discours sans mots entendu dans ◀la▶ nuit ◀de▶ ◀la▶ passivité, comment ◀l’▶eussent-ils pu rendre au jour sans ◀le▶ trahir, et se trahir ? Ainsi leur œuvre est à ◀l’▶image ◀de▶ ◀la▶ contradiction vitale dont ils souffraient et ◀d’▶où naissait leur désir angoissé ◀de▶ perdre leur moi personnel.
Je préciserai ici ◀le▶ sens que je donne au mot ◀de▶ personne, pour éviter certains malentendus courants. ◀La▶ personne est en nous ◀l’▶être spirituel, responsable ◀d’▶une vocation, et trouvant là son unité en dépit des contradictions dont peut souffrir ◀l’▶individu (c’est-à-dire ◀l’▶être naturel). ◀L’▶individu est entièrement déterminé par ◀l’▶espèce, ◀le▶ milieu, ◀l’▶histoire, ◀les▶ richesses qu’il a héritées et ◀les▶ blessures qu’il a subies. Il est emprisonné dans ces données, et c’est en vain qu’il chercherait à y échapper par des sublimations : au fond ◀de▶ ◀la▶ nuit et ◀de▶ ◀l’▶inconscient, c’est encore lui qu’il retrouvera sous des espèces méconnaissables et qu’il sera tenté ◀de▶ croire divines. Et il est juste que les premières touches ◀de▶ ◀l’▶esprit rendent ◀le▶ moi sensible à ses limitations, et lui inspirent ◀la▶ nostalgie ◀de▶ ◀les▶ dépasser. Mais seule une vocation lui en donnera ◀la▶ force. Qu’il ◀la▶ reçoive et qu’il ◀l’▶accepte consciemment, ce sera pour lui ◀l’▶introduction à une liberté toute nouvelle. Dès ce moment, il accomplit en apparences une évolution fort semblable à celle ◀de▶ ces pseudo ou prémystiques que furent ◀les▶ poètes du rêve : il se dévoue à quelque chose qui ◀le▶ dépasse, il se donne à une réalité qui, souvent, ne tient pas compte ◀de▶ nos raisons, il s’impose une sorte ◀d’▶ascèse qui ◀le▶ libère des servitudes naturelles. Mais cette ascèse n’aboutit pas à ◀la▶ négation du réel. Elle transforme et oriente à nouveau ◀les▶ forces ◀de▶ ◀l’▶individu, plutôt qu’elle ne veut ◀les▶ détruire. Elle engage dans ◀le▶ monde actif, au lieu que ◀le▶ romantique voulait s’en évader. Elle nous rend enfin responsables vis-à-vis de notre prochain, et c’est à quoi ◀l’▶on peut reconnaître ◀la▶ légitimité ◀d’▶une vocation. Thérèse d’Avila ne voulait accepter que ◀les▶ révélations qui ◀la▶ portaient à quelque action pratique dans ◀la▶ vie quotidienne. Ainsi ◀l’▶« ascèse personnaliste » se distingue radicalement ◀de▶ ◀la▶ « dissolution du moi » des romantiques. C’est une « activité » qui ne commence qu’au-delà ◀de▶ ◀la▶ mort à soi-même, c’est-à-dire du renoncement au moi tourmenté par son égoïsme. Elle ne prend pas ◀la▶ mort pour but, mais bien ◀la▶ vie, et cette vie-ci. Elle accepte ◀le▶ moi et toutes ses servitudes en vertu de sa vocation, c’est-à-dire en vertu d’un appel venu d’ailleurs mais qui concerne ◀l’▶ici-bas. Seule une telle vocation peut donner ◀le▶ courage ◀de▶ s’avouer en toute lucidité, ◀de▶ s’exprimer sans réticences et ◀d’▶assumer son moi coupable — parce que dorénavant ce n’est pas cela qui compte, mais ◀l’▶œuvre à faire et Celui qui ◀l’▶ordonne.
Alors ◀le▶ moi coupable et détesté ne cherche plus ◀de▶ vaine échappatoire dans ◀l’▶indicible et ◀l’▶inconscient. Il ose enfin parler et témoigner au nom d’une Vérité qui ◀le▶ dépasse. Et ◀l’▶on rejoint ici ◀l’▶enseignement évangélique : ce ne sont pas des extases indicibles qui sont promises aux vrais croyants, mais au contraire il leur est demandé ◀d’▶agir et ◀d’▶annoncer leur foi. « C’est en confessant ◀de▶ ◀la▶ bouche qu’on parvient au salut », dit saint Paul.
IV. Romantisme et national-socialisme
De même que ◀l’▶expérience ◀d’▶un au-delà ne prend son sens et sa vertu que lorsqu’elle nous ramène au jour ◀de▶ ◀l’▶activité quotidienne — de même nos incursions dans ◀la▶ psychologie du romantisme doivent nous servir à mieux comprendre ◀le▶ temps où nous vivons et agissons. Que signifie cette invasion ◀de▶ ◀la▶ politique et ◀de▶ ◀la▶ vie sociale par ce qu’on nomme ◀les▶ « mystiques » collectives ? Certaines catégories que nous venons de dégager pourraient guider notre analyse.
◀Le▶ mouvement hitlérien, dans son essence, m’apparaît comme un romantisme politique. Et je ne dis pas du tout que ◀les▶ écrits ◀d’▶un Novalis ou ◀d’▶un Jean-Paul soient à sa source ; ce serait absurde. Mais je dis que nous pouvons retrouver au niveau inférieur et collectif ◀de▶ ◀la▶ psychologie nazie des processus fort analogues à ceux que nous avons décrits. Il ne s’agit pas ◀d’▶influences, il ne s’agit que ◀de▶ reviviscences — vulgaires et simplistes, bien sûr — ◀de▶ certaines attitudes ◀de▶ ◀l’▶homme en face de son destin et ◀de▶ sa personne. ◀Le▶ national-socialisme apparut comme une réaction ◀de▶ défense à ◀l’▶humiliation collective infligée aux Allemands par Versailles, par ◀la▶ défaite, par ◀la▶ misère publique. Voilà bien ◀la▶ blessure ◀la▶ déception non plus ressentie par un individu, mais par ◀la▶ nation tout entière dans ses rapports avec ◀le▶ monde réel. ◀D’▶où ◀l’▶impression ◀de▶ culpabilité, inacceptable et inavouable (à cause de ◀l’▶orgueil national). C’est ◀le▶ monde qui doit être mal fait ! Car nous y sommes brimés, nous qui pourtant sommes ◀les▶ fils des vertueux Germains ! Et ◀de▶ ce sentiment ◀de▶ culpabilité, refoulé avec force et bruyamment nié (tous ◀les▶ discours ◀d’▶Hitler proclament, dès ◀le▶ début, que ◀les▶ Allemands n’ont pas perdu ◀la▶ guerre) doit résulter un sentiment ◀de▶ manque ◀d’▶assurance nationale. ◀La▶ vraie Allemagne ne peut pas être celle qui a subi ◀la▶ « blessure ». Il faut donc ◀la▶ chercher ailleurs : dans un rêve ◀de▶ puissance et ◀de▶ libération, dans ◀l’▶avenir, cet ersatz ◀de▶ ◀l’▶au-delà. Nions donc cette réalité qui nous opprime si méticuleusement, tous ces articles du traité qui nous accusent, toutes ces règles du jeu politique inventées par des rationalistes, alors que nous voulons une passion nouvelle !
Et de même que ◀le▶ romantique oubliait son moi détesté en se perdant dans ◀les▶ fêtes du rêve, ◀l’▶Allemand moyen oubliera ses misères et ◀les▶ humiliations ◀de▶ sa patrie en se perdant dans ◀l’▶âme collective, dans ◀l’▶hypnose des fêtes sacrales organisées par ◀le▶ Führer, au rythme lent et envoûtant des défilés et des tambours pendant des heures… On lui a dit qu’il ne compte pas en tant qu’individu conscient ; on lui a dit que sa vraie vie était entre ◀les▶ mains du parti, ◀d’▶un démiurge anonyme et obscur dont il n’a plus qu’à recevoir ◀les▶ ordres, sans trop chercher à ◀les▶ comprendre, comme « passif ». ◀Le▶ voilà délivré ◀de▶ ◀la▶ terrible charge ◀de▶ sa conscience et ◀de▶ ses doutes. ◀La▶ discipline collective joue ◀le▶ rôle ◀d’▶une ascèse du moi : ◀les▶ renoncements mêmes qu’elle impose deviennent ◀les▶ preuves ◀de▶ sa transcendante vérité. Et c’est ainsi que ◀la▶ masse allemande, imitant au niveau ◀le▶ plus bas ◀l’▶évolution des romantiques cherche à récupérer son unité perdue dans un monde supra-personnel, où ◀les▶ limites hostiles s’effacent, où ◀la▶ passion peut s’épanouir, où ◀l’▶intensité ◀de▶ ◀l’▶émotion remplace ◀la▶ vérité mesquine des juristes. Et cela nous fait comprendre bien des choses à première vue sans liens intimes : ◀la▶ suppression du droit romain, ◀le▶ mépris des frontières et des obligations, ◀le▶ culte des morts rétabli, ◀le▶ rêve ◀d’▶expansion indéfinie, mais aussi ◀le▶ goût ◀de▶ ◀la▶ guerre (préfiguration ◀de▶ ◀la▶ mort, toujours rêvée par ◀les▶ grands passionnés), et ◀la▶ volonté ◀de▶ s’enfermer dans une réalité impénétrable, indicible, incommunicable, et qui n’a point ◀de▶ « raisons » à donner : ◀l’▶autarcie matérielle et morale.
On ne dira jamais trop à quel point ce pseudo-mysticisme romantique détermine ◀l’▶action du Führer et son pouvoir hypnotique sur ◀les▶ masses. ◀Les▶ apparences ◀de▶ Realpolitik maintenues par ◀les▶ cyniques et ◀les▶ habiles ne dissimulent que très imparfaitement ◀les▶ vrais ressorts du régime hitlérien. Nous ne sommes plus en présence de Bismarck, mais ◀d’▶un peuple envoûté par son rêve. Un peuple qui renonce à ◀la▶ raison, qui renonce à se justifier aux yeux du monde, parce qu’il trouve dans sa passion une espèce ◀d’▶innocence exaltante, une occasion ◀de▶ sacrifier ◀le▶ moi coupable et détesté à quelque chose de plus vrai que ◀la▶ vie, et qui est sa mission millénaire. « Chez nous, proclamait récemment M. Goebbels, on n’impose pas au peuple des opinions diverses entre lesquelles il devrait choisir : ◀le▶ peuple n’aime pas à choisir, il aime qu’on lui présente une opinion juste… D’ailleurs, notre politique est une politique ◀d’▶artistes. ◀Le▶ Führer est un artiste ◀de▶ ◀la▶ politique. ◀Les▶ autres hommes d’État sont seulement des manœuvres. Son État à lui est ◀le▶ produit ◀d’▶une imagination géniale9. »
Une politique ◀d’▶artistes, une politique ◀de▶ romantisme collectif, voilà ◀le▶ cauchemar que rêve à côté de nous ◀le▶ IIIe Reich somnambulique. Nous avons tout à craindre des « inspirations » du Führer, mais que pourrait produire un réveil brusque ? Cette maladie demande un long traitement, ◀de▶ nature spirituelle, à mon avis, au moins autant qu’économique. Car ◀la▶ lutte qui se livre aujourd’hui dans ◀le▶ secret ◀de▶ ◀la▶ conscience allemande, c’est une lutte ◀de▶ nature religieuse. C’est ◀l’▶affrontement ◀d’▶une religion ◀de▶ ◀l’▶inconscience collective et ◀d’▶une foi qui veut témoigner par ◀la▶ Parole et ◀l’▶acte personnel.