D’▶un certain cafard helvétique (janvier 1940)aa
Chacun sait que ◀le▶ meilleur moyen ◀de▶ soutenir ◀le▶ moral, c’est ◀l’▶action. Et non pas ◀les▶ distractions. ◀Les▶ hommes qui se battent, par exemple, sont moralement en meilleure forme que ceux qui, à ◀l’▶arrière, essaient ◀de▶ s’amuser.
Par contre, je ne connais rien de plus démoralisant que ◀le▶ sentiment ◀d’▶être entravé dans son action. C’est bien pire qu’une totale et irrémédiable inaction. Cela ressemble aux cauchemars ; quand on ne peut pas courir pour attraper un train, parce qu’on est empêtré dans ses draps.
Or c’est à cette sorte-là ◀de▶ démoralisation et ◀de▶ cafard que se trouvent exposés aujourd’hui ◀les▶ petits pays neutres.
Mes nouvelles fonctions militaires me mettent journellement en rapport avec des hommes civils ou mobilisés, aux quatre coins ◀de▶ ◀la▶ Suisse, qui voudraient travailler pour leur pays, qui sont pleins ◀de▶ projets et ◀d’▶espoirs, qui ont cru en septembre 1939 que notre mobilisation allait ouvrir des possibilités ◀d’▶action morale et nationale sans précédent, — et qui, après trois ou quatre mois, sont en train comme on dit ◀de▶ se dégonfler. Pourquoi ?
Parce que nous sommes un petit pays qui se méfie des grandes entreprises, ou simplement des enthousiasmes.
Parce que chez nous, depuis ◀le▶ xixe siècle, règne une passion égalitaire (inconnue ◀de▶ ◀l’▶ancienne Suisse) qui a pour effet ◀de▶ déprimer ◀l’▶initiative originale, ◀les▶ vocations trop nettement affirmées. Chose curieuse, c’est dans ◀le▶ civil, plus qu’à ◀l’▶armée, que se manifeste cette tendance à tout faire « rentrer dans ◀le▶ rang ». Essayez ◀de▶ lancer un projet et ◀d’▶y consacrer toutes vos forces, on vous traitera vite « ◀d’▶utopiste », ◀de▶ prétentieux ou ◀d’▶excité. Certain sentiment suisse répugne à tout ce qui lui paraît vouloir se distinguer, dans n’importe quel ordre ◀d’▶action. C’est ◀le▶ revers ◀d’▶une ◀de▶ nos plus précieuses qualités civiques, j’entends du sentiment ◀de▶ solidarité, ◀d’▶équipe, et ◀de▶ virile entraide, qui a forgé notre fédération, et ◀l’▶a préservée jusqu’ici ◀de▶ ◀la▶ tentation dictatoriale. Nous nous méfions beaucoup plus que nos voisins des esprits « trop » entreprenants. Nous nous en méfions en vertu d’un instinct démocratique tout à fait sain à ◀l’▶origine, je ◀le▶ répète. Mais quand cet instinct dégénère en mauvaise volonté inconsciente à l’endroit de tout ce qui dépasse une très moyenne ardeur, c’est ◀le▶ moment ◀de▶ réagir vertement. C’est ◀le▶ moment ◀de▶ proclamer que notre Confédération ne pourra vivre que si ◀les▶ citoyens ◀les▶ plus conscients ◀de▶ sa mission historique et actuelle trouvent ◀les▶ moyens ◀d’▶exprimer cette mission, et surtout ◀de▶ ◀la▶ réaliser.
◀La▶ DAC est un ◀de▶ ces moyens ; bien modeste, mais il faut commencer.
Et j’en profite pour dire, ici, à tous ceux qui veulent faire quelque chose — et ils sont plus nombreux que jamais — ; ne vous laissez pas engluer par ◀les▶ sceptiques et ◀les▶ faux réalistes, par tous ceux qui ne savent prendre au sérieux que ◀les▶ petites tâches immédiates, perdant ◀de▶ vue ◀l’▶intérêt général, donc ◀le▶ sens même ◀de▶ ces tâches immédiates.
C’est justement parce qu’il y a ces obstacles que nous devons agir et réagir. Quand le premier enthousiasme est tombé, ◀l’▶heure est venue ◀d’▶une reprise en main, ◀d’▶un regroupement pour un nouveau départ. Secouer notre train-train, notre inertie, c’est notre tâche patriotique.
Plt D. de Rougemont.
Adjudance générale ◀de▶ ◀l’▶Armée
Section Armée et Foyer