Avertissement
Ceci n’est pas un livre, mais un recueil de▶ conférences et ◀d’▶essais sur des sujets variés en apparence : protestantisme, culture, neutralité, fédéralisme et défense de ◀la▶ Suisse.
Si je me décide à réunir ces textes — ◀les▶ uns « parlés », ◀les▶ autres écrits — c’est qu’ils ne sont pas dépourvus ◀d’▶une certaine unité ◀d’▶intention : ils sont tous nés ◀d’▶un même souci ◀de▶ ◀la▶ personne et ◀de▶ son rôle dans ◀la▶ communauté ; et tous, ils s’adressent à ◀la▶ Suisse, ou pour mieux dire, ils s’adressent à des Suisses. Par une série ◀de▶ cercles concentriques, ils s’efforcent ◀de▶ situer notre mission dans ◀l’▶Europe ◀d’▶aujourd’hui.
On trouvera tout d’abord une conférence sur ◀le▶ protestantisme créateur ◀de▶ personnes. C’est qu’avant de rien proposer, il convient ◀de▶ dire qui ◀l’▶on est, ◀de▶ préciser au nom de quoi ◀l’▶on parle ; et ce ne peut être, sérieusement, qu’au nom d’une foi. Je prends ce mot dans son sens ◀le▶ plus fort, et je veux bien qu’il doit compromettant. Une foi réelle est une raison ◀de▶ vivre et non point ◀d’▶échapper à ◀la▶ vie. Ceci dit, je ne crois pas un instant que pareille prise ◀de▶ position m’interdise ◀de▶ « causer » et ◀de▶ m’entendre avec ◀les▶ Suisses d’autres croyances. Bien au contraire ! Car ◀les▶ seuls entretiens féconds sont ceux où chacun se donne, dès ◀le▶ départ, en toute rigueur, pour ce qu’il est.
Vient ensuite une conférence sur ◀la▶ Bataille ◀de▶ ◀la▶ culture : synthèse rapide des éléments sociaux, culturels et spirituels qui déterminent ◀l’▶état présent ◀de▶ ◀l’▶Europe, et situent notre action particulière dans ◀l’▶évolution générale.
◀Le▶ reste du recueil est consacré à définir cette mission suisse, ses objectifs immédiats et lointains, ses limites et sa vraie grandeur. Je ne donne ici que des vues générales et quelques directions ◀de▶ pensée. Ce n’est pas suffisant, mais c’est urgent. C’est ◀de▶ quoi nous manquons ◀le▶ plus, et j’ajouterai : c’est ◀de▶ quoi nous savons ◀le▶ moins que nous manquons dangereusement. Nous avons bien assez ◀de▶ techniciens, ◀de▶ spécialistes et ◀de▶ « compétences » : leur travail est indispensable, mais il ne saurait être utile que s’il est orienté d’emblée par une vision générale du monde, et du rôle ◀de▶ ◀la▶ Suisse dans ◀le▶ monde. Soyons modestes, c’est entendu. Nous ne sommes pas ◀les▶ mentors ◀de▶ ◀l’▶Europe. Mais n’allons pas confondre cette modestie, dont Spitteler parlait si noblement, avec ◀la▶ vue bornée des « réalistes », ◀le▶ scepticisme et ◀la▶ lâcheté civique. Il est, dans ◀l’▶histoire des nations, des heures où ◀l’▶utopie ◀la▶ plus nocive est justement ◀le▶ petit réalisme ; des heures où toute vue courte est une vue fausse ; où ◀la▶ prudence est ◀la▶ pire imprudence.
Que cette heure ait sonné pour ◀la▶ Suisse, qu’il soit temps ◀de▶ voir grand et ◀d’▶oser, au sein d’un grand péril et ◀d’▶un beau risque, c’est ◀la▶ pensée qui anime tous ces essais.
◀L’▶épreuve des armes nous attend peut-être ; mais nous courons déjà ◀l’▶épreuve des âmes. Or ◀le▶ courage qu’il y faut n’est pas seulement celui ◀de▶ résister : il est d’abord celui ◀de▶ se risquer.
Je demandai à ◀l’▶homme qui se tenait à ◀la▶ porte ◀de▶ ◀l’▶année : « Donne-moi une lumière afin que je puisse aller avec sécurité dans ◀l’▶inconnu. » Il répondit : « Va dans ◀l’▶obscurité et mets tes mains dans ◀les▶ mains ◀de▶ Dieu. Ce sera plus sûr pour toi qu’une lumière et qu’un chemin que tu connaisses. »1
D. R.
Berne, 1er mars 1940.